lundi 28 mai 2012

Croisière. Question de point de vue

Il y a au village un être singulier
Famélique les cheveux et la barbe blanche
L’aspect repoussant d’un ermite séculier
La parole incertaine et la jambe qui flanche

Il a pris une cuite il y a cinquante ans
Et depuis chaque jour elle se régénère
La risée des enfants va d’un pas hésitant
Bredouillant avec un ami imaginaire   

On le trouve endormi trop saoul dans le fossé
Curieusement il assiste à toutes les messes
Bien qu’il s’y rende plein et tout dégueulassé
A gauche de l’autel il mène son ivresse

Les commères tonnent que c’est vraiment honteux
Si le Seigneur voit ça et autres anathèmes
Il suit les cantiques sur un ton cahoteux
Pour les funérailles comme pour les baptêmes  

J’ai soudain imaginé que si Jésus-Christ
Désirait nous tester et jauger nos carences
Voir ce que nous tirons de tous les Saints Ecrits
Il n’aurait pas choisi de meilleure apparence

La pensée m’amusant j’ai dès lors regardé
D’un œil très différent les actes de l’ivrogne
On se moquait de lui sans chercher à l’aider
Pire on l’encourageait pour rire sans vergogne

On laissait des minots venir pour l’agacer
Comme le font les taons sur les vaches soumises
Et aller en bande chez lui le tracasser
On le jugeait indigne d’aller à l’église

Il savait plus de chants que bien des mécréants
Car quel enseignement tiraient-ils des lectures
Des quatre évangiles sinon un grand néant
Et une sainteté drapant leur imposture

Dans l’allée centrale c’est alors qu’il tomba
Je l’aidais pris d’une bonté involontaire
Un homme dont chacun se moque ne peut pas
Être vraiment mauvais surtout s’il est à terre

Il sourit étonné une fois dégagé
Maudissant l’assemblée des moqueuses ombrelles
A cet instant je me suis senti plus léger
Et soudain la journée en a été plus belle

Un être singulier © Mapomme

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