vendredi 20 février 2015

Rimes de saison. Chibani Szomorù

Chibani est chenu dessous son bonnet vert
Et va parlant au ciel aux fantômes peut-être
Tandis que des jeunots gloussent de ses travers
Car il devise encor sans les voir aux fenêtres

Des monts descend un vent glacé comme l’enfer
Et il pense au pays qui jadis l’a vu naître
Où tout était de miel de l’été à l’hiver
Tous ceux qu’il a connus traînent ailleurs leurs guêtres

Sont-ils au Paradis ou dans quelque univers
Où renaissent les âmes des amis des ancêtres
Et où il compte bien retrouver tous ses pairs
Quand à ce grand voyage il faudra se soumettre

Il mourra étranger comme hier inexpert
En langue de Molière il faut le reconnaître
Mais dans son cher pays par un effet pervers   
Il devient le Français qu’on ne voit plus paraître



jeudi 19 février 2015

Rimes de saison. L'homme qui a lutté contre vents et marées

Se dresse l’édifice avec son air du Nord
Étrange en cet endroit bâti de rouges briques
Près d’un étang salin sans le moindre confort
Né du coûteux dessein d’un rêveur excentrique

Aux temps où l’industrie connaissait son essor
Un officier d’Empire eut un but chimérique
Et lutta sans faiblir malgré les coups du sort
Pour ôter tout le sel des salins historiques

Il détourna les eaux grâce à de prompts renforts
Et on réalisa un ouvrage homérique
Même avec son marteau aurait échoué Thor
Tout ce labeur fut vain et d’un coût pléthorique

Chaque siècle a connu de tels conquistadors
Se berçant d’illusions en Inde ou en Afrique
Ils ont connu la ruine et très souvent la mort
J’envie cette folie d’un chemin onirique



 Histoire vraie sous le Second Empire

mercredi 18 février 2015

Rimes de saison. Rékhyt

Le vanneau huppé va inspectant les abords
De la mare laissée par la récente ondée
Dans le champ situé au pied de l’ancien fort
Voisin de la cité par d’anciens Grecs fondée

Depuis son lent déclin qui donc saurait encor
Que cet oiseau jadis sur les parois ornées
Des tombes de Gizeh des temples de Louqsor
Figurait par rébus la masse prosternée

Les pieds dans le limon par la crue déposé
Courbé sur son labeur en paysan modeste
Au dernier angélus le dos ankylosé
Le vanneau vénère les lumières célestes

J’envie ce frêle oiseau que nul n’a honoré
Qui sans trêve se livre à ses travaux agrestes
Humble bien que huppé il passe immémoré
Espérant simplement ce que prend son bec preste



mardi 17 février 2015

Rimes de saison. Après l’orage

Nacre d’un ciel moiré Dans l’herbe encore trempée
Des moineaux prospectent près des cyprès prieurs
Et un chien roux errant lape quelques lampées
Dans la flaque restant d’un orage ultérieur

J’ai quitté la maison son feu de cheminée
Pour aller dans le vent déliteur des encens
La fumée dodeline dansant disséminée
Par l’Éole trublion toujours recommençant

Le fleuve est en furie roulant ses eaux fangeuses
Et sous le pont il gronde écumant de limon
Mais restera au lit car les crêtes neigeuses
Ont perdu ce rideau dissimulant les monts

Mon cœur aussi charrie ses ondes tortueuses
D’éternels regrets de familiers démons
Surgeons d’une jeunesse aux traces luctueuses
Perdue sur le chemin entre neige et piedmont




lundi 16 février 2015

Rimes de saison. Ghjisè

Ghjisè vois-tu ce ciel d’anthracite altéré
Qui nous fait cheminer en pénitents de Pâques
Les yeux dans le néant et le cœur atterré
Avalés et tremblants dans le miroir des flaques

Entends-tu le bourdon quand nous allons serrés
Par les rues torturées dans la cité sans âme
Que le soleil ne peut ni ne veut éclairer
Vers l’abside où le jour verse son feu sans flamme

Le monde dépérit et chavire égaré
Tel un ancien crépi qui de toutes parts craque
Montrant la pierre nue sous nos yeux effarés
Dépourvu de tout cap sans un espoir d’Ithaque

Ghjisè tu le sais bien toi qui nous as quittés
Tous les panzarottis ont la saveur maussade
Des empires défunts depuis l’Antiquité
Et dont il ne reste plus que ruines et façades

La procession passe sous les balcons fleuris
Avec sa confrérie surgie du fond des âges
Portant la nostalgie dont rien ne nous guérit
Car la fête est ternie à défaut d’un visage



Rimes de saison. Chaque instrument jouera sa propre partition

La poésie consiste à montrer des images
Que pas un spectateur puisse de ses yeux voir
Mais pour pellicule c’est un secret langage
Dont on garde la clé jaloux de ce pouvoir

La rime n’est qu’un jeu posant des devinettes
Et dont la solution au lecteur correspond
Chacun trouve son compte et confie l’homme honnête
Avec le temps varie ce que son cœur répond

Si de la rime au rire il n’y a qu’une lettre
Entre rire et larmes suffira un seul pas
C’est pour ça que les vers évoquent le mal-être
Le regret du passé et la peur du trépas

Les allitérations et parfois l’oxymore
Sont quelques cailloux blancs sur le chemin semés
Le poète ne doit jouer le matamore
De crainte d’abîmer ce qu’il a exprimé

Qui se mire si bien avec ses mots rimés



samedi 14 février 2015

Rimes de saison. Le rouge-gorge et les dangers du futur

À l’ombre de la haie un rouge-gorge inquiet
Sautille sans arrêt en craignant ce qui est
Caché dans les bosquets décorant le jardin
Quelque danger félin qui peut bondir soudain
Pour venir mettre fin à sa vie de combats

Un péril ici-bas sur les esprits s’abat
Tel un coup de tabac qu’on n’a pas vu venir
On peut tout obtenir forger son avenir
Doit-on s’en abstenir ne pas s’y attacher
Le futur tant caché semble en papier mâché 

Sur lui on peut cracher mais il faudra pourtant
De l’été au printemps que mal ou bien-portant
On traverse haletant le jardin journalier
Même inhospitalier sans un fidèle allié
Notre preux chevalier pour braver le péril

Des verts gazons d’avril sous un ciel de béryl
Tremblant et puéril en rouge-gorge inquiet
Sans savoir ce qui est écrit sur les feuillets
Des destins qu’endeuillait la serre dans nos plaies



vendredi 13 février 2015

Rimes de saison. En rade

Les rades désertées frissonnent taciturnes
Plus de rumeur mutine et de rires amusés
Sous les feux étouffés par le spleen de Saturne
La vague sans vigueur aux tritons médusés
Périt contre les rocs en ces longs mois nocturnes

Geint un faible ressac tel un agonisant
Râlant dans son recoin que les humains délaissent
Dans l’oubli des flambées aux rais hypnotisants
Qui se croit colossal affirme sa faiblesse
Car dans la fourbe nuit nul ne voit les brisants  

Sur les grèves grises près du croissant de sable
Vont des quêteurs d’été scrutant dans les rochers
Pour un éclat d’éclair en chercheurs inlassables
Mais nul fragment mineur n’y demeure accroché
Le filon s’est tari car tout est périssable

Sans lorgner l’or des fous creusant désabusés
Je ne fouis pas je fuis les sots de cette espèce
Par les dunes courant sans même m’approcher



mercredi 11 février 2015

Rimes de saison. Errant sans un radis et sans plus de santé

Nous voici décatis ombres des soirs d’été
Car on nous a bannis des joyeuses tablées
Oh mes pauvres amis tant nous avons fêté
Que la force a tari et se voit accablée

Nos corps s’en vont flapis mais nous sommes vivants
Quand d’autres ont péri et sont en terre grasse
Le dernier nous a dit qui sera le suivant
À perdre ses acquis sans plus laisser de trace

Nos tempes ont pâli sous les assauts des ans
Mûrs et même rassis plus chenus que sagaces
Flottent tous nos habits voiles claquant au vent
Et nous allons marris en traînant nos carcasses

L’entrain nous fut ravi par quelque autorité
Siégeant au Paradis en divine assemblée
Qui du bon temps jadis nous a déshérités
Nous mettant au tapis à gifles redoublées



mardi 10 février 2015

Rimes de saison. À l’heure des vieux ors

Somnole le jour dolent sur l’épaule des monts
Mauves et endeuillés d’un été mis en terre
Et les soleils rasants ont tissé de mystère
Les granits en à-plat ténébrant les piémonts

À l’heure des vieux ors dans le lavis des cieux
Fauves les cheminées implorent l’éther morne
Tels des bâtons d’encens en leur danse sans borne
Rythmant l’élévation d’un rite dévotieux

Les arbres décharnés craquent au vent venu
Des écumes marines et des prairies où paissent
Les troupeaux de moutons à la toison épaisse
Sans que nul sot Jason n’y voit d’or saugrenu

C’est l’heure du berger pour qui n’est pas seulet
L’ombre se fait amie des amants la complice
Le froid incite au lit toujours avec malice
Pour réchauffer les cœurs sans moindre chapelet



lundi 9 février 2015

Rimes de saison. Robe de prune mi-mûre

Horizon irisé d’une robe de prune
Mi-mûre au crépuscule admire un vol impur
De corneilles grises parées de plumes brunes
Dont le cri sombre augure un angoissant futur

Ciel si loin de l’azur qui parait Pampelune
Par-delà les étangs aux indigos obscurs
L’été tel un prélat violeta les callunes
Que paissaient les brebis d’un pas paisible et sûr

Se lève dans l’hiver la pâle demi-lune
Quand tremblotent des feux mourant sur les longs murs
Limitant les terrains tout autour des lagunes
Feux astraux paraissant sans nul imprimatur

Dans la prune mi-mûre est lovée l’infortune
De ce cycle glacé si rebutant et dur
Où le diable brandit le trident de Neptune

Oh qu'éclosent encor les jours gorgés d’or pur




dimanche 8 février 2015

Rimes de saison. Miroir mon beau miroir

Miroir mon beau miroir où se meurt ma jeunesse
Bel avaloir d’années je mincis sans finir
Et dans le même temps s’étrécit l’avenir
Que me chaut l’effroi du Salut des moinesses

Miroir mon beau miroir s’égrènent les années
Hier semble plus beau qu’aujourd’hui et demain
Au point qu’on se demande où mène le chemin
Et les marguerites sont à présent fanées

Miroir mon beau miroir le bel azur s’étiole
Chassé les par cieux gris et de sombres nuées
Nos belles illusions en néant sont muées
On ne peut déloger cette sale bestiole  

Miroir mon beau miroir si d’un seul jet de pierre
Je brisais ta morgue pour ne plus voir le temps
Fièrement parader en tyran irritant
Si enfin je sortais l’épée de ma rapière

Miroir sale miroir comparse de l’horloge
Peu m’importe tu sais les sept ans de malheur
Entier tu m’as offert des années sans couleur  
Penses-tu mériter pour ça le moindre éloge



samedi 7 février 2015

Rimes de saison. Les mimosas enneigés

Où allons-nous mes chers amis où allons-nous
Si nos blonds mimosas de neige se revêtent
Si grelottant de froid flageolant des genoux
Nos carnavaliers défilent à la sauvette

Où va le monde on se demande avec frayeur
Si dans les rues glacées des hommes de froid crèvent
Si en vain tant de gens cherchent un employeur
Que l’existence soit un long tourment sans trêve

Où va l’humanité interpellent nos cœurs
Si l’on tue sans ciller la moindre différence
Et qu’on torde le cou au beau merle moqueur
Si l’avide de sang bannit la tolérance

Comment sera demain que dirons nos enfants
Si le monde s’endort et joue à monsieur Plume
Et si le mal croissant croassait triomphant
Que nos aubes grises pèsent comme une enclume
Mimosas en neige © Mapomme


Rimes de saison. Au cœur du tourbillon

Je suis comme l’écume accumulée sur l’onde
Tournoyant et dansant au cœur du tourbillon
Craignant cet inconnu des ténèbres profondes
Où le cœur peut se prendre au fatal ardillon

Vertige de l’abîme et terreur des abysses
Dois-je plonger soudain paisible et les yeux clos
Ignorant la malice en l’ombre prédatrice
Qui veut me briser tel un frêle bibelot

Mais qu’aurais-je à gagner en quittant la surface
Même si j’y subis la pluie et le blizzard
Dois-je sans plus jouter quoique je dise ou fasse
Me laisser entraîner et m’offrir au hasard

Rien n’est plus incertain que cette servitude
Aimant ses propres fers consistant à s’offrir
Au cœur de l’inconnu rongé par l’inquiétude
Et dont on sait d’instinct qu’on ne peut qu’en souffrir 
Vertige de l'abîme © Mapomme



jeudi 5 février 2015

Rimes de saison. Lamento du Spitzberg

Lorsque l’espoir se meurt l’hiver n’a plus de fin
Comme un oiseau gelé on reste sur sa branche
Dans une nuit polaire où nulle aurore franche
Ne ranime des cœurs depuis des mois défunts

Défunts à petit feu petits pas petits riens
On franchit la frontière en moins de temps qu’on pense
Pour le pays maudit où tout est décadence
Où l’on erre étranger dans l’éther cybérien

Les rues qu’on a connues ont le regard éteint
Les places sont noyées d’une ombre pénétrante
La vie est insipide et même incohérente
Hier décomposé et demain incertain

Il n’est plus qu’une envie quitter ce lieu malsain
Pour un pays où volent d’étranges sarabandes
Aveuglant l’or des cieux qui baigne Samarcande
Où l’on transmutera un audacieux dessein 
Samarcande © Mapomme 



mardi 3 février 2015

Rimes de saison. Tout Titan tait ses torts

Le Titan tord les corps dévorés sans effort
Tous les humains s’effraient de l’appétit féroce
Du géant primordial offrant la mort atroce
À quoi médite-t-il en son intime for

Fourmis vous m’agacez dit le Titan hautain
Il faut briser vos os pour pouvoir en extraire
L’essentielle moelle des tourments éphémères
Tout poète est un monstre insatiable et hutin

Il s’en va moissonner le trouble de vos cœurs
Afin de mieux combler le vide de son âme
En vampire aspirant tel un puissant dictame
Le suc des regrets ô divine liqueur

Mais le troupeau ne peut comprendre le Titan
Dont le front constellé s’ensemence d’étoiles
Et dont les yeux de feux de l’Infini se voilent
L’Infini aux soleils ardents et cécitants  
Titan © Mapomme avec l'aide de Jack



dimanche 1 février 2015

Sonnets. Osmose féline

J’ai plus souvent trouvé dans les yeux verts d’un chat 
Cette compréhension absente chez les hommes
Ceux-ci trop imbibés de leur prêchi-prêcha
Parlent pour ne rien dire et sans fin nous assomment

Pas de chats à la messe pour l’hostie et le vin
La parole permet les phrases patelines 
Sur son divan le chat ignore les mots vains
Un seul regard suffit à la gente féline

Voici pourquoi l’on voit de la Corse au Poitou
En compagnie d’un chat les pires solitaires  
Le silence adorant comme nous les matous
Savent dans les salons la saveur de se taire

S’il est inquiet le chat se calme d’un regard 
Et quand il est content nous montre des égards
Osmose féline © Mapomme



Rimes de saison. Renaissance

Et le onzième jour on créa l’assassin
Loin du jardin d’Éden fait de boue et de haine
Petit tyran portant la pensée allogène
Répandant peine et sang au nom d’un livre saint

Depuis ce minaret
Tombe un fatal arrêt
Des esprits vont sans âme
Sous la noire oriflamme

Et le onzième jour sous son soleil de nuit
Le sang sera versé au pays des Lumières
Sans pouvoir bâillonner l’ironie de Molière
Qui se railla toujours du dogme et de l’ennui

Depuis ce minaret
Tombe un fatal arrêt
Et s’empliront les rues
D’une âme disparue

Parce qu'Humanité
Rime avec liberté
Dessin de François Schmidt