samedi 30 mars 2024

Sonnets sertis. Hédoniste jeunesse

Hédoniste jeunesse, aux loisirs asservie,
Tu restes l’esclave d’une illusoire paix !

Le grondement lointain d’un menaçant orage
Signifie le danger qui approche à grand pas ;
Tu veux un drapeau blanc, qui seul ferait barrage
Au tyran qui promet destruction et trépas.

Que peut ce chiffon blanc quand règnent les outrages
Si résonnent les cieux d’un éclatant fracas ?
Le vaisseau de la paix s’en va droit au naufrage,
S’il croit, par la raison, pouvoir plaider son cas.

Funeste est le moment, qui soudain dépossède
L’heureuse jeunesse d’un monde de loisirs
Sans qu’on puisse trouver un souverain remède.

Quand, dans la guerre, un fou trouve quelque plaisir,
Un bout de tissu blanc n’apportera nulle aide :
Il y verra la peur accroissant ses désirs.

Hédoniste monde, si heureuse est ta vie,
Sache que de tes pleurs, ce monstre se repaît !

Hédoniste jeunesse © Mapomme

vendredi 29 mars 2024

Sonnets sertis. Retour au Moyen-Âge

Dans les ténèbres va un monde rétrograde,
Qui, pour de faux aveux, torture des humains.

Tel un lapin figé, aveuglé par les phares,
S’étonnant des tourments que son corps a subi,
Devant tant de haine, la victime s’effare :
Il souffre dans sa chair et demeure ébaubi.

Comment peut-on agir de façon si barbare,
Assénant violemment des volées sans répit ;
En aucun cas les mots sur les bourreaux n’ont barre,
Car les dénégations provoquent leur dépit.

Sanglante et tuméfiée, suppliera la victime,
En vain : le tortionnaire inflige des douleurs
Sans le moindre respect des formes légitimes.

Il est indifférent au manque de valeur
De ces aveux soustraits par des moyens ultimes ;
Qu’a fait cet innocent pour subir ces malheurs ?

Parodie de justice, offre ta mascarade
D'un homme au pal livré sans un juste examen !

Retour au Moyen-Âge © Mapomme

lundi 25 mars 2024

Sonnets sertis. Incendie du Reichstag

C’est toujours le même modus operandi
Que reprend un tyran, quand fonctionne le crime.

Le génie du despote est de tirer profit
Des actes criminels d’un groupe réfractaire,
Pour choisir un fautif qui l’a mis au défi,
Pour tout éradiquer et régner sur sa terre.

Le peuple le suivra, qu’il soit ou non ravi,
Car le contraint la peur, qui toujours le fait taire ;
Si le délire est grand, mensonger à l’envi,
On cède à la fureur par un savant mystère.

La paix éternelle reste un mythe tragique
Qui aide les tyrans à venir récolter
Les fruits à leur portée, sans prétextes logiques.

Les esprits éclairés voudraient se révolter,
Mais peut-on réagir, si cette paix magique
Atténue le courroux qui doit en résulter ?

Le Reichstag a brûlé, au cours d’un soir maudit,
Et le tyran arma son meurtrier régime.

Incendie du Reichstag © Mapomme

dimanche 24 mars 2024

Sonnets sertis. La Muse et le poète

Un poète œuvre seul, même parmi la foule,
Aidé par sa Muse que nul autre ne voit.

Sur la Chimère ailée, il survole l’abîme,
Où il entend gémir un vaste amas bruissant,
Dont lui parvient l’écho des licences intimes,
Malgré des prières sur un ton frémissant.

Aède, vois trembler, dans ce combat ultime,
Ce peuple des tréfonds, dans l’ombre nourrissant
Des craintes infinies, qui ne voit pas ses crimes,
Et dont l’âme se tord, vil fruit se flétrissant.

Le poète, abattu par l’ampleur du désastre,
Fait halte sur un roc et scrute le ravin,
Où se débat ce peuple abhorré par les astres.

« Ô Muse, inspire-moi vite des vers divins,
Tant le tourment saisit tripes et épigastre,
Quand, face à la sombreur, mes sonnets semblent vains ! »

« Allons, mon doux rimeur, tous ces démons et goules
Ne doivent étouffer, en aucun cas, ta voix ! »

La Muse et le poète © Mapomme
d'après Gustave Moreau

vendredi 22 mars 2024

Sonnets sertis. Le poète persan

Poète, prends ta lyre et chante le désert,
Ce désert éternel que le simoun modèle !

Sur l’infini de sable et sous celui des cieux,
Perçois l’immensité, qu’elle imprègne tes rimes,
Que ressent le marin qui l’affronte, audacieux :
Restitue sa magie qui sur l’ivresse prime !

Ici, l’humain n’est rien, face au calme précieux,
Car briser le silence est quasiment un crime ;
S’agitent des pensées, des rêves délicieux :
Renonce à l’apathie dont ton esprit se grime ;

Entends donc ta Muse éveillant ta vision,
Que dans le bruit furieux des cités si grouillantes
Tu n’aurais pas perçue ou prise en dérision.

La rumeur couvre ainsi ta pensée bredouillante,
Présentant la beauté ainsi qu’une illusion :
La vastitude inspire des rimes sémillantes.

Fais une pause, ici, car le silence sert
À donner du désert une image fidèle.

Le poète persan © Mapomme
d'après Gustave Moreau

mercredi 20 mars 2024

Sonnets sertis. Un amour immortel

Lorsqu’on franchit un seuil et que l’on en revient,
On n’est plus tel qu’avant ; mais alors, on l’ignore.

Qui franchit l’Achéron pour la rare faveur
De fouler les enfers et d’en sortir en vie,
Ramenant Eurydice, en merveilleux sauveur,
Qui se verrait ainsi à son antre ravie,

Perd une part de lui, dans l’ombre et les vapeurs.
S’étant tourné pour voir, sur la pente gravie,
Dans un réflexe idiot, commandé par la peur,
Son épouse il perdit, pour cette folle envie.

Retrouvant le soleil et l’azur lumineux,
Il n’était plus qu’une ombre en ce monde exilée ;
Tout jour qui se levait lui semblait chagrineux.

Quand la mort atroce s’est enfin profilée,
L’enfer le libérant de son sort épineux,
Il revint pour la seconde fois d’affilée.

Avec son Eurydice il renoua le lien
Et cet antre obscur de l’amour se colore.

Un amour immortel © Mapomme d'après Anselm Feuerbach

Sonnets sertis. La Mort berçant Orphée

La Mort avait trouvé dans les flots transparents
La tête manquante de l’éploré Orphée.

Sur sa lyre posée, le visage serein,
Il avait les yeux clos, dans la paix éternelle ;
Destiné à rallier le monde souterrain,
Il verrait son amour, hors des passions charnelles.

Muses, réunissez, dès le soir purpurin,
Ce corps qu’ont disloqué les Ménades rebelles :
Qu’il retrouve Eurydice à l’éclat ivoirin,
Pour irradier l’obscur de son amour fidèle !

S’effaceront les noms des rois et des guerriers,
Des nobles, des puissants et de bien des ouvrages
Pour légendes tenus, mais bien que contrarié,

Triomphant de la mort, des tourments et des rages,
Des désirs incongrus d’un dieu grec oublié,
L’amour résistera au Temps et ses outrages.

Jaloux sont les vivants, l’envie les égarant :
En enfer les amours ne sont plus étouffées.

La Mort berçant Orphée © Mapomme d'après Gustave Moreau

mardi 19 mars 2024

Sonnets sertis. Orphée sur le rivage

Revenant des enfers, Orphée s’était tourné
Et avait à jamais perdu son Eurydice.

Or, parmi les vivants, il allait tel un mort,
Fantôme au cœur glacé, privé de sa musique ;
Il soupirait, rongé par un profond remords,
Rageant de n’être pas devenu amnésique.

Nul animal n’était charmé par ses accords,
Car il n’atteignait plus cet état extatique,
Conférant au divin, qu’il maîtrisait encor
Avant cet épisode à l’issue dramatique.

Bien de femmes tentaient de consoler son cœur,
Sans qu’il eût un regard paraissant une invite ;
Elles partaient déçues par son dédain vainqueur.

Malgré son désespoir grandement explicite,
Les Ménades sur lui, se lancèrent en chœur,
Le démembrant, prises d’une rage subite.

Qui, dans le sombre enfer, a un jour séjourné
Comprend que, sans l’amour, vivre est un préjudice.

Sur le lit de la haine © Mapomme
d'après Félix Vallotton et Gustave Courtois

Sonnets sertis. Sur le lit de la haine

Un amour peut fleurir sur le lit de la haine,
Dont la fièvre corrompt tout virginal éclat.

Sait-on d’où vient ce goût pour les fureurs humaines,
Qui font des clans rivaux et poussent aux combats ?
Le rejet ou l’orgueil vers les ténèbres mènent
Des groupes endiablés voulant tout mettre à bas.

S'ambitionnant puissants, étendant leurs domaines,
S’opposent de grands noms dans les cités-états ;
Ces faux soleils géants sont des étoiles naines
Qu’ignore en la cité le régnant potentat.

Guidé par l’orgueil vil, un tel différend gêne
Les flammes spontanées, plongées dans l’embarras,
Dont le sincère amour est privé d’oxygène.

Que chaud aux cœurs épris un stupide apparat,
S’il nourrit des hymens faits de regrets et peines,
Alliant des familles sous les fers d’un contrat !

Quelle ardeur germera de cœurs couverts de chaînes,
Dans une union soumise à d’éternels verglas ?

Sur le lit de la haine © Mapomme d'après William Holman Hunt

Ce tableau s'inspire d'un poème de John Keats, "The eve of St Agnes". (La vigile de sainte Agnès, où la vigile est la veille d'une grande fête, jour d'abstinence et de jeûne, chez les chrétiens).
Ici, le poème conte la fuite de deux amoureux, Porphyrio et Madeline, issus de deux familles rivales, à l'instar des Capulet et des Montaigu. Les gardes ayant bu, en dépit du jeûne, les deux amoureux partent ensemble. 

lundi 18 mars 2024

Sonnets sertis. Un pinceau onirique

Peintres et poètes dépeignent l’invisible
Et ont des yeux brillant de feux hallucinés.

Qu’importe le réel, pourvu qu’on ait le rêve
Ou bien le cauchemar, qui loge au fond de nous,
Hérité de l’enfance et dont l’image brève,
Conte un récit confus ne tenant pas debout !

Plus le songe est idiot, plus il hante sans trêve,  
Car rien ne marque plus qu’un récit des plus fous ;
Une lyre apportée par les flots sur la grève
Exhume un Orphée mort apportant un chant doux.

Enfantines terreurs, quel pouvoir sans limite
Vous exercez sur nous, enfants âgés tremblants
Qui allons, néanmoins, dans la foule en ermites !

Se dissipe au réveil quelque rêve troublant,
Dont le sens est obscur, à l’instar d’anciens mythes,
Au langage codé tissé de faux-semblants.

Peintres et poètes approchent l’indicible,
Tel un lointain brumeux qui tend à fasciner.

Un pinceau onirique © Mapomme d'après Leonora Carrington

jeudi 14 mars 2024

Sonnets sertis. Sans nulle Danaïde

Le tourment des hivers en tapinois efface,
Chaque jour un peu plus, les soleils des printemps.

Du funèbre horloger, l’avant-garde s’avance,
Asséchant le terreau des épis vigoureux,
Sans l’espoir perdurant de possible jouvence,
Car la sève pâtit de ses feux rigoureux.

Titan, tyran du temps, nous, mortels sans défense,
Privés de Danaïde aux efforts généreux,
Comment emplirons-nous l’esprit de connaissances,
Si du tonneau percé s’enfuient les jours heureux ?

Bien des mots s’évaporent, sans que nul ne décide
De combattre illico ce fléau qu'on perçoit,
Car, aux soleils éteints, tant de maux coïncident.

Avant, s'y réchauffer allait pourtant de soi,
Mais l’hiver ennemi, à pas feutrés, trucide
Cet ouvreur des chemins, le plus preste qui soit.

Dans la sombre forêt, quelque effort que l’on fasse,
Les ronces nous cachent la voie qu’on prenait tant !
Sans nulle Danaïde © Mapomme d'après Théodore Géricault

mardi 12 mars 2024

Sonnets sertis. Espoirs, où êtes-vous ?

Espoirs, où êtes-vous ? Fanés sur nos chemins,
Comme disséminés par une main fatale.

Dans nos jeunes années, les plus nobles ont crû,
Et puis se sont perdus sur des voies de traverse,
Pour nous laisser hagards, face à un monde cru,
Dénudé tel un arbre sous l’automnale averse.

Tous les démons d’antan réputés incongrus,
Ne semblaient plus de mise à l’aune du commerce ;
Par où nous est venu ce pernicieux intrus,
Qui souffla sur le monde un vent qui nous transperce ?

Délestés des espoirs que jeunes nous faisions,
Nous voici dépouillés des convictions tangibles,
Devenues d’un seul coup de pures illusions !

N’est-il plus une foi qui demeure infrangible,
Quand le monde se voit au bord de l’implosion,
Et qu’aux gens la folie devient intelligible ?

Nous voici spoliés, nus, craignant les lendemains,
Car des fous ont fait fi des libertés vitales.

Espoirs, où êtes-vous ?© Mapomme d'après six dictateurs

lundi 11 mars 2024

Sonnets sertis. Les mondes parallèles

Dans les démocraties, les rues s’enflent parfois
D’une contestation semblant démesurée.

On trouve que l’objet de l’exacerbation
Est disproportionné au regard des colères ;
À entendre certains, zélotes des nations,
Les pouvoirs nous mettraient dans les pires galères.

Au moindre changement, que de réprobations,
Comme si l’on jouait l’avenir de la Terre ;
Sans fin, on vitupère, avec obstination,
Se croyant de retour un bon siècle en arrière.

Pendant ce temps, ailleurs, au moindre défilé
La police intervient et sitôt persécute,
Arrêtant les rétifs soutenant l’exilé ;

Au procès, l’insoumis pour des prunes discute :
Dans l’ombre le tyran peut enfin jubiler,
Car la sanction rendue, dès l’aube on l’exécute.

Usez, même abusez et donnez de la voix :
D’une démocratie, qui connaît la durée ?

Les mondes parallèles © Mapomme

Je vois souvent des mots d'ordre dans nos manifs, sans rapport avec la réalité. On veut exprimer une chose et on va dans l'excès : ainsi pour parler des disparités de salaires entre hommes et femmes (à mon sens impossibles au niveau du SMIC, mais visibles dès qu'on est dans l'encadrement), des viols, des féminicides, on ressort le Patriarcat qui a pris du plomb dans l'aile, depuis la loi Veil, la parité électorale, et les nouvelles générations existent. Presque nul ne s'en plaint..
Mais mieux vaut cet excès de langage que de vivre en Russie, en Chine ou en Iran.
Pour ne citer que ces pays.

samedi 9 mars 2024

Sonnets sertis. Léger comme la plume

Ce n’est qu’un noir trait d’encre et un papier tout blanc,
Et non pas une bombe éclatant dans la foule.

La main traçant ce trait ne tripote jamais
Les fesses dans les bus ni ne cogne les femmes ;
Or ce trait ironique, apprécié en gourmet,
Permet de rire un brin de ces façons infâmes.

Il en est tant, hélas, qu’un vrai crétin commet,
Qu’on peut d’un simple trait lui infliger un blâme !
Si le crétin prohibe, atteignant des sommets,
Il ne s’interdit rien et même il le proclame !

Ce tyranneau pétrit les dociles cerveaux :
Né de la plume un rire est la fatale arme,
Qui brise les idiots et les fervents dévots.

Ce modeste trait d’encre a de bien puissants charmes,
Soulignant la noirceur des concepts médiévaux,
Persistant, de nos jours, à faire grand vacarme.

Gloire aux dessinateurs, en ces temps accablants,
Tirant un ferme trait, même au creux de la houle !

Léger comme la plume © Doaa el-Adl, dessinatrice égyptienne

Sonnets sertis. Libres, mais jusqu'à quand ?

Danse encor, peuple sourd, et compte les saisons,
Où tu souris bien gai, toujours libre et alerte !

S’achève cet hiver et on craint le prochain,
Qui pourrait s’avérer, de tous, le plus sévère ;
Il faudra tricoter, bien avant les crachins,
Aux giboulées de mars, plus tôt qu’aux primevères.

Un démon de l’hiver, aux tortueux desseins,
Au-dessus des forêts fait voler ses sorcières,
Et résonner ailleurs le pas des fantassins,
Réduisant les cités en gravas et poussière.

Danse, tant qu’il se peut, continent insouciant,
N’augmente pas ta dette et n’accrois pas les craintes :
Mieux vaut rester vivant en zombie inconscient !

Baba Yaga te lorgne et assoit son étreinte,
Car le monstre est tenace et surtout très patient :
Il ne laissera pas sur ton cou son empreinte.

Pense aux exportations, fais preuve de raison,
Et agite un drap blanc ! Puis, va-t’en à ta perte !

Libres, mais jusqu'à quand ? © Mapomme
Avec un petit coup de main de Ivan Bilibin

vendredi 8 mars 2024

Sonnets sertis. Un bouquet sans parfum

C’était un jour de fête, avec un soleil froid,
Et les pavés luisaient après la courte ondée.

Elle avait acheté pour marquer dignement
Ce jour férié mineur, si loin de son village
Où ses proches vivaient, certes moins sainement,
Mais sans être inconnus, ce qui tout cœur soulage.

Elle avait décoré sa table joliment,
Le bouquet complétant ce consciencieux ouvrage ;
Elle avait du poisson, coupé très finement,
Pour son chat qui sinon risquait d’en prendre ombrage.

Prise par ses pensées, soudain elle aperçut
Un soldat qui offrait à une jeune fille,
Un bouquet et le sien, sans raison, la déçut.

Il semblait sans parfum, presque de pacotille,
Car l’autre étant offert, avait pris le dessus ;
Elle pensa bien plus à l’absente famille.

C’était un jour de fête, pas aussi gai qu’on croit,
Car, dans l’isolement, quelle joie est fondée ?

Tel un quêteur de rêves © Mapomme d'après Paul Fischer

Sonnets sertis. Le monstre se dévore

Quelle outrance pourrait d’une foule haineuse
Exaucer les instincts malsains et dévorants ?

Versé à flots, le sang flétrit les nobles causes :
Doit-on se libérer dans le but d’asservir
Quiconque apprécierait différemment les choses,
Guidé par des talions qu’on tient à assouvir ?

Tel un organe humain voit naître une nécrose,
Par un dérèglement qu’on ne saurait régir,
Le plus pur idéal, aux jours qu’on voulait roses,
Offre du sang humain, sans jamais réagir.

Ivres de la curée, des revanchards féroces
Jubilent dès que tombe, dans le sanglant panier,
Heureux de voir trembler, sur cette place atroce

Ceux qui les méprisaient ; aujourd’hui prisonniers,
Ayant la charrette comme piteux carrosse,
Ils voient se déchaîner ce peuple rancunier.

Mais toi aussi Olympe, aux idées lumineuses,
Te voilà immolée en ce haineux torrent.
Le monstre se dévore © Mapomme
d'après Alexander Kucharsky,  portrait d'Olympe de Gouges

samedi 2 mars 2024

Sonnets sertis. La tragédie divine

Avancer dans la nuit, sans trouver un seul phare
Indiquant une voie à suivre librement,

Est une tragédie qui ébranle toute âme.
Comment donc ranimer, face au contraire sort,
Depuis la braise éteinte, une vivante flamme
Répandant un éclat que l’on suppose mort ?

On croit vivre soudain le plus puissant des drames,
Impossible à souffrir malgré tous nos efforts ;
Tel un esquif offert aux flots sans une rame,
On pense ne plus voir le jour en plein essor.

Dans notre esprit morbide, un ciel lourd de ténèbres
Pèse sur la cité et un fleuve de sang
Traverse un autre enfer, sans vers qui le célèbrent.

Car ici les damnés, dans un monde oppressant,
Supposent qu’aux enfers la vie est moins funèbre,
Sans démon déroulant son délire incessant.

D’un Virgile privé, tout un peuple s’effare,
Aveugle en un pays en plein délabrement.

La tragédie divine © Mapomme

vendredi 1 mars 2024

Estrambots. Tel un quêteur de rêves

À Roger Keith Barrett

Dis, chevalier sans quête, qu’as-tu fait de tes rêves,
Ceux que tu ébauchais dans ton cerveau d’enfant ?
L’enfance est une fleur à l’éclosion si brève ;
Comment la rappeler ? Brisé est l’olifant !

Le temps, vieil ennemi, n’accorde nulle trêve ;
D’estoc ou de taille, quel acier le pourfend,
Tant ce mauvais génie sous aucun coup ne crève ?
Il foule au pied l’espoir, sans cesse triomphant.

Chevalier Percéther, les prés de l’asphodèle [1]
Accueillent les vaincus sans nul possible envol,
Et ne prends pas Icare en guise de modèle.

La cire est bien trop molle et t’enverra au sol ;
Pour pouvoir s’abolir du temps à tire-d’aile,
Tu noieras ton mal-être en de brutaux alcools.

À la fleur du pavot, il te faut prendre garde !
Elle abolit l’espoir : qui s’y fie est bien fol ;
Le talent s'y embrume en s'abstrayant du barde.

Tel un quêteur de rêves © Mapomme
D'après John William Waterhouse et Thomas Moran


[1] Les prés de l'asphodèle : sorte de champs Elysées