vendredi 30 décembre 2022

Incantations. À l’heure du bilan d’un nouvel an filant

Lorsqu’une année s’achève on en fait le bilan
Ne retenant surtout que les moments funestes
Et omettant les feux des matins rutilants :
On ne voit que l’injure éclipsant les beaux gestes.

Combattons ce travers et restons vigilants
Car il est pour l’esprit une morale peste
De nos joies éprouvées l’agent annihilant
L’Attila des bonheurs dont plus un brin ne reste.

Certes la guerre existe engloutissant la paix
Et l’injustice irrite une conscience intègre :
Du monde doit-on voir les seuls sombres aspects ?

Pour cent nectars goûtés oublions le vin aigre ;
Il est plus de soleils que de brouillards épais
Et moins de tristes jours que de moments allègres.

Un honnête bilan se doit d’être sincère
Ne brossant pas de l'an un tableau de faussaire.

Un tableau de faussaire © Mapomme
Avec l'aide de Nicolas Poussin et de Hieronymus Bosch

jeudi 29 décembre 2022

Incantations. Cent fois sur le métier renaîtra le naufrage

À A. E.

Un ahuri mettra au feu sa main cent fois
Espérant un unique et possible miracle
Guidé par la folie qui lui tient lieu de foi :
Prédire une douleur n’aura rien d’un oracle.

On voit de beaux projets qui au premier envoi
Sont promis au refus rebutant le cénacle
Mais d’échec en échec ainsi qu’on le prévoit
L’obstiné tentera de surmonter l’obstacle.

Si mille fois on brave un furieux océan
Voulant le traverser à bord d’une péniche
On finira toujours dans l’abysse béant.

De même en amitié on la voit qui se niche
Dans un sourire aimable un propos bienséant :
On confie ses secrets à un sournois qui triche.

Pour les choses du cœur il n’est rien qui diffère :
Le temps sans double éclair ne fait rien à l'affaire.

Voulant le traverser à bord d'une péniche © Mapomme

mercredi 28 décembre 2022

Élégies. J’avais offert mon cœur

J’avais offert mon cœur : on n’en a pas voulu ;
Il fallut des années pour qu’il se régénère.
J’étais un tabernacle ignoré vermoulu
Au calice brisé chef-d’œuvre millénaire.

Sans cœur plus d’émotions plus d’amour absolu :
J’allais cynique et froid parmi mes congénères,
M’anesthésiant d’alcools au sommeil résolu ;
Sans cœur j’étais de boue privé d’imaginaire.

C’est là que siège l’âme et non pas dans l’esprit
Là que naît l’émotion qui fait que l’on palpite
Qu’on s’enfièvre qu’on crie qu’on ressent du mépris.

Le cœur est un trésor une absolue pépite
Qui lorsqu’il est offert n’a vraiment pas de prix ;
Mais un dédain éteint la passion qui l’habite.

Si sans cœur j’ai versé mon fiel sans précaution
Le temps l'a fait renaître à d’autres émotions.

J'avais offert mon coeur © Mapomme
Avec l'aide de Tim Burton et Simon Curtis

mardi 27 décembre 2022

Incantations. Espérant du futur, mécontent du présent

Ai-je vraiment le droit de souvent me morfondre
Moi qui ai une vie qui n’est pas misérable ?
Je ne fais pourtant pas partie des hypocondres
Ayant des fous-rires qui restent mémorables !

J’ai croisé à Paris dans des rues de pénombre
Un peuple sans regard au spleen inaltérable
Comme si le pays n’était plus que décombres
Dont l’amertume était presque incommensurable.

Ô peuple insatisfait ivre de sa cigüe
Où le riche se plaint de n’être pas plus riche
Et ce regret profond est sa torture aigüe ;

La réussite est vue comme un fruit de la triche
Et la bonne moisson semblera ambiguë
À ceux dont les terrains seront souvent en friches.

Mon esprit est un champ où je glane l’ennui
Moi-même insatisfait d'hier et d'aujourd'hui.

Espérant du futur... © Mapomme

Élégies. Reflets du quotidien

Dans un regard on voit une vierge à l’enfant
Et son humble fierté sa vivante richesse
Qu’elle tient à son bras sur son sein triomphant
Et plus noble est son port que celui des duchesses.

Coule dans ses yeux doux les jours creux étouffants
Et les trésors cachés de la simple noblesse
Sans un riche équipage aux alezans piaffants ;
L’enfant est pourtant née avec quelques faiblesses.

Port-au-Prince est plus chaud que New York en hiver
Mais hélas bien plus pauvre et dépourvu de rêve ;
Ce rêve américain attire les divers

Gens humbles arrivant et cherchant une trêve ;
Manhattan à lui seul est tout un univers
Sur une île poussant dont l’espoir est la sève.

Chacun sans l’avouer portera dans la vie
Un handicap inné et une joie ravie.

Carmen and Judy © Alice Neel, 1972

lundi 26 décembre 2022

Élégies. Coule un spleen goutte à goutte

Tombe un automne froid qui larmoie sur le toit
Chantant dans la gouttière un air mélancolique ;
Il pleut et je frissonne en demeurant pantois :
Dans la rigole coule une onde bucolique.

Que de larmes versées sans véritable émoi !
Ce spleen est sans raison et vaine est sa supplique
Au cours de la semaine au long des sombres mois :
Ne viendra des cieux froids pas la moindre réplique.

Immobile affalé sur le douillet divan
Je songe au temps coulant lentement goutte à goutte
En flaque-sablier de nos joies nous privant.

Seul un penseur oisif restera à l’écoute
Des jours gouttant ainsi au charme captivant
Car nous savons trop bien ce qu'une larme coûte.

L’hémorragie coulant sur le toit en ardoise
Ne peut être guérie par la tonique armoise.

Spleen © Mapomme
D'après un tableau de Hope Gangloff

Incantations. Nos rêves sous le sable

Que de rêves sont nés sur l’or marin du sable
Sous les feux de l’été sans savoir si demain
Le vent emporterait nos rêves périssables
Par le soleil brûlés oubliés en chemin.

Étaient-ils aussi vains piteux ou méprisables
Pour ne pas mériter un profond examen ?
La vague effacera calme et inépuisable
L’empreinte de nos pas et des rêves humains.

Ils s’avéraient pourtant assez peu chimériques :
Pour les réaliser il suffit d’être deux
Sans avoir demandé la Lune ou l’Amérique.

Ils n’étaient pas - je crois – stupides ou coûteux
Ni le fruit d’un esprit quelque peu hystérique :
Juste de ces projets se contentant de peu.

Mais nos rêves ne sont qu’illusion et chagrin
Que la brise emporte loin de nous grain à grain.
Nos rêves sous le sable © Mapomme
Avec l'aide d'Eric Rohmer

dimanche 25 décembre 2022

Incantations. Jouer sur un piano

J’aurais aimé apprendre à jouer du piano
Car c’est un instrument sonnant juste en mon âme ;
Il peut être un murmure un des chants matinaux
Ou ces rages d’hiver tonnant au sein d’un drame.

Maîtriser l’instrument des poésies sans mots
Montrer une étincelle et puis un cœur en flammes
L’accablement de l’être et de l’esprit les maux
Les torrents hivernaux et les tourments qu’on clame.

La musique est douceur mais aussi l’ouragan
Le printemps s’éveillant et l’automne qui gronde
L’été nous accablant et l’hiver divagant.

Sur mon clavier je joue et sur les mots je fonde
Des nuances piano pour des matins fringants
Et les rages forte des pluies qui nous inondent.

Sans un mot le piano parle de l’âme à l’âme
Nous montrant des passions les splendeurs et les drames.
Jouer sur un piano © Mapomme

samedi 24 décembre 2022

Incantations. Pardonnez mon absence

J’étais un rêveur du plus loin qu’il me souvienne
Pouvant quitter d’un coup une conversation
Sur les brumeux chemins de traverse qui viennent
Où s’enivre l’esprit de l’imagination.

J’associais une idée de jungle amazonienne
Avec le maquis corse où jeunes nous passions
Excédant la hauteur qui était alors mienne :
Les fougères semblaient haute végétation.

Le cœur battait plus fort dans la fausse aventure
Au rythme d’un roman de quelque île au trésor
Qui composaient alors ma saine nourriture.

J’allais avec Ulysse et partageais son sort
Un des premiers récits de la littérature ;
De l’esprit d’un enfant qui connaît les ressorts ?

J’ai toujours ce défaut de chevaucher soudain
Une idée qui me vient lors de propos badins.

Pardonnez mon absence... © Mapomme

vendredi 23 décembre 2022

Incantations. Dans le vaste univers combien d’astres sont morts ?

Le froid descend des monts me donnant des frissons
Tandis que me captivent les astres qui scintillent ;
Que de soleils lointains tremblent à l’unisson
Titans du sombre abîme où ils semblent vétilles !

Pour une étoile en vie combien sans rémission
Ont vu leur vie soufflée comme au vent la brindille ?
Ce conflit n’admet pas la moindre reddition
Des mondes disparus pour une peccadille.

Je vois donc dans un feu qui frémit dans les cieux
Tous ceux qu’on a aimés mais qui sans espoir dorment
Emportant avec eux des souvenirs précieux.

Est-ce un langage abscons que ces clignements forment
Un ultime conseil d’un parent silencieux
Qui traverse l’espace et comble un vide énorme ?

D’antan naît ce frisson fait d’instants inouïs :
Les paradis perdus qui nous ont éblouis.

Combien d'astres sont morts ? © Mapomme
D'après Caspar David Friedrich

jeudi 22 décembre 2022

Incantations. Une madone athée danse dans mes pensées

Une madone athée lascive et impudique
Danse dans mes pensées le front auréolé
Tel un serpent indien sous la flûte ludique
Tord en rythme son corps aux motifs bariolés.

Ce corps nu entrevu un mardi fatidique
Quand un vent chaud soudain s’en vint batifoler
Soulevant un rideau d’un souffle sporadique 
Et exposa Lilith me laissant désolé.

Voici que hantent des pensées indécentes
Sans qu’elle soit succube et occupe mes nuits
À damner mon esprit de sa magie récente.

Ce n’est qu’une vision – et c’est bien là l’ennui - !
Pas de dépravation de caresses pressantes
Mais un rêve d’Éden et son pommier sans fruit.

Il suffit qu’un mardi le rideau du théâtre
Révèle en se levant l'éclat d'un corps d'albâtre.

Une madone athée danse dans mes pensées © Mapomme
D'après Edvard Munch

mercredi 21 décembre 2022

Élégies. Son mal est un bourreau qui sans fin la torture

Au lit jeune vieille percluse en tout endroit
Je demeure clouée comme percée de flèches
Tel un Saint-Sébastien au comble de l’effroi
Martyr qui fait l’objet de terrifiantes prêches.

Voici quelques années que je porte ma croix
Car d’horribles douleurs au quotidien m’empêchent
De goûter aux plaisirs dont le désir s’accroît :
Marcher dans le jardin ; y cueillir une pêche.

Aurais-je donc commis un ignoble forfait
Dans d’antérieures vies pour qu’on me crucifie
Que je subisse ainsi ces douloureux effets ?

Dans aucun des traités de la philosophie
Je n’ai vu un remède au mal qui m’étouffait
Et longtemps le traîner toujours me terrifie.

Si je n’avais mon art pour chasser cette idée
Pour sûr je me serais mille fois suicidée.

Son mal est un bourreau © Mapomme
D'après Emile Bin

mardi 20 décembre 2022

Élégies. Un mal des plus sournois atrophiera mes ailes

Regardez ! je m’envole et je déploie mes ailes
Aussitôt que je peins tout me semblant léger !
C’est une ivresse offerte à l’esprit d’une oiselle
Car mon corps est la cage où le rêve est piégé.

De tous les exprimer vous m’en voyez fort aise
Et sur une photo mon châle s’est dressé
Car je ne sais encor qu’à mon pied la prothèse
Maintiendra prisonnier ce pauvre corps blessé.

Je peux trouver l’oubli quand je peins une toile
Envahie de vertige et noyant ma douleur
Dans l’exotique Éden aux cieux tremblant d’étoiles.

Je n’ai vu à Paris que de tristes couleurs
Un vendeur puritain tournoyant tel un squale
Qui mesure un talent en dollars ou thalers.

On m’y a regardée ainsi qu’une métèque
Comme ces conquérants méprisant les Aztèques.

Regardez ! je m'envole © Mapomme
D'après une photo de Toni Frissell, Vogue US 1937

lundi 19 décembre 2022

Élégies. Alchimie mémorielle

Des joies avec le temps prennent d'amers parfums
Et on voit des chagrins se teinter d’allégresse
Sarabande accablée de tristes séraphins ;
Se fanent les bonheurs dans les jours sans ivresse.

Ce temps-là était roi mais les mois aigrefins
Ont terni tous les ors du palais des tendresses ;
Les ronces ont poussé sur nos malheurs défunts
Et leurs baies ont livré leurs saveurs de caresses.

Paradoxe étonnant qui nous fera chérir
Aujourd’hui ce qu’hier n’a cessé de maudire
Et honnir les trésors qu’on voulait tant quérir.

Les déserts d’autrefois si brûlants reverdirent
Quand on vit les forêts une à une périr
Dont les hautes futaies dans les temps resplendirent.

C’est la transmutation du banal plomb en or :
Alchimiste le Temps nous fait perdre le nord.

Alchimie mémorielle © Mapomme
D'après John Wright of Derby

samedi 17 décembre 2022

Incantations. Si au pied du sapin

Si au pied d’un sapin suffisait un seul vœu
Pour du monde chasser la guerre et la famine
Des dangers si nombreux l’ôter par les cheveux ;
Un seul souhait d’enfant qui vers les cieux chemine !

Combien d’espoirs jadis confiés au coin du feu
Partirent en fumée - encens de nos chaumines -
Sans leurs ailes salir dans le conduit suiffeux
Sans que nul n’en fit cas ou bien les examine ?

Seraient-ils retombés tout au pied du sapin
Aiguilles de janvier quand est finie la fête
Sans la sève du rêve sans leur parfum alpin ?

Le sapin qu’on enlève affirme la défaite
De nos espoirs amers rayés des calepins 
Aucun enfant n’étant par ses rêves prophète.

L’An nouveau de nos vœux in fine a raison
Sauf la famille unie à table à la maison.

Si au pied du sapin © Mapomme

vendredi 16 décembre 2022

Élégies. Une aube iridescente

Du spectacle inouï d’une aube iridescente
Quand la frêle brume tremblant d’indécision
Désigne son champion de la guerre incessante :

Qui du jour ou la nuit verra son éclosion ?
Il faut être éveillé par quelque idée récente
Pour voir ces tons plus beaux que nous le supposions
Camaïeux rose et bleu image évanescente.

Les aubes naissantes sont l’incendie soudain
Ensanglantant la nuit tel un rêve éphémère
D’un horizon lointain sur un plateau andin

Un fleuve dans la jungle aux reflets de chimère
Le premier jour paru sur l’interdit Jardin
Cadeau de l’insomnie sur l’océan primaire.

Il faut être éveillé pour rêver aussi fort
Tandis qu'en est privé le sommeilleux qui dort.

Une aube iridescente © Mapomme

jeudi 15 décembre 2022

Élégies. L’ivresse d’une joie brève mais éternelle

Une folie soudaine envahit chaque esprit
Effaçant sur l’instant les misères d’un monde
Qui sous les guerres ploie et n’a donc rien compris
De ses erreurs passées dont les charniers immondes.

Cette joie inouïe est un répit sans prix
Quand riches et pauvres durant une seconde
S’étreignent et gomment le rejet le mépris
Tétant au sein offert d’une Terre féconde.

C’est une folie douce à l’instar d’une fleur
Exhalant peu de temps le doux parfum du rêve
Que brise le destin en vil écornifleur.

L’espérance se heurte après l'exquise trêve
Aux murs du quotidien croque-mort persifleur
Se délectant de rendre la moindre euphorie brève.

Il subsiste dès lors l’indicible amertume
Et la vivace joie que la mémoire exhume.

C'est une folie douce © Mapomme

mercredi 14 décembre 2022

Élégies. Dans l’hiver vespéral

Se meurent nos géants et dieux de notre enfance
Vivants piliers fondant les temples immortels ;
Les barbares années coulent telle une offense
Le monde s'écroulant sous leurs coups de martel.

Toute lutte engagée est perdue par avance
Car périssent hélas les précieux liens charnels ;
Partout quêtons en vain l’élixir de jouvence
Qui rendrait l’éphémère à jamais éternel :

Les démiurges défunts reposent sous les strates
Ces couches qu’a posées le limon temporal ;
Nous sortirons vaincus de cette lutte ingrate !

Nos géants et nos dieux dans l’hiver vespéral
Se voient soudain fauchés par la Mort scélérate
Pour dormir à jamais dans l’antre sépulcral.

Peu nous chaut les versets d’un morne chapelain
Lorsque nous devenons d'éplorés orphelins.

Dans l'hiver vespéral © Mapomme

lundi 12 décembre 2022

Amères Chroniques. Dans leur habit d’oubli

Les rizières nourries dans les feux luxuriants
De reflets rubescents prix d’inutiles guerres
Quand le banquier sourit des profits de l’Orient
Valent-elles ce sang ce jour comme naguère ?

Hévéa et charbon dont le monde est friand
Ont sauvé un pays aux finances précaires ;
Dans les décors baignés d’azur inébriant
Les morts sont sans patrie et sans nul reliquaire.

Peu importent ce sang si naissent des profits
Bien que ce vain conflit de nos destins dispose
Et que de nos larmes les friqués fassent fi !

Dans leur habit d’oubli sous la terre repose
Des morts menés au cœur d’un violent rififi ;
Pleurons les vies perdues mais critiquons la cause.

La jeunesse immolée à l’incessant désastre
Valait d'autres causes que le trafic de piastres.

Dans leur habit d'oubli © Mapomme

samedi 10 décembre 2022

Incantations. Croyez-moi quand je mens

Un poème révèle une simple facette
D’une âme enchevêtrée dans ses contradictions
Qui pour crever l’abcès prend les mots pour lancette.
Imparfait car humain il vit sans restriction :

Le poète est tantôt ripailleur ou ascète
À l’occasion cynique ou bien dans l’affliction ;
Du bonheur absolu n’ayant pas la recette
Il croit être la proie d’une malédiction.

De la bêtise il rit sans être un vrai modèle
Mais il épargnera ses amis ses parents :
Car toujours à ceux-là il restera fidèle.

Dans le torrent des ans qui rugit effarant
Ils sont sa seule église et une citadelle
De l’ultime Ennemi les prodigieux garants.

Croyez-moi quand je mens et défiez-vous surtout
Des vers de vérité nés d'un madré matou.

Le testament d'or fait © Mapomme
D'après Paul Duqueylar

vendredi 9 décembre 2022

Incantations. Sans tonneau va Diogène et sans plus de Raison

Si je sens pertinent un soudain commentaire
Je ne puis m’empêcher d’aussitôt l’énoncer ;
Celui que mon propos a presque mis sous terre
Foudroie l’impertinent de ses sourcils froncés.

Souvent je suis privé du tact élémentaire
Et de sombres regards viennent me semoncer ;
Confus sont mes amis que mes mots déroutèrent :
« Jean-Pierre pourrais-tu cesser d’ainsi foncer ? »

Je ne puis résister à un trait ironique
M’autorisant à dire un mot parfois blessant ;
Or toute vérité offre un aspect cynique.

Ce n’est pas un travers qui est vraiment récent :
Une stupidité ou quelque action inique
Se trouve sanctionnée de brocards rabaissants.

J’aurais dû avec l’âge acquérir la raison
Mais cette inclinaison n'est jamais de saison.

Diogène et Alexandre © Mapomme
D'après Paride Pascucci

jeudi 8 décembre 2022

Amères Chroniques. Un monde cannibale

Fusion-acquisition martelé sans arrêt :
À l’instar de Cronos ce monde anthropophage
Croque la richesse sitôt qu’elle paraît
Dévore et engloutit la vie sur son passage.

Tous les loups viennent mordre une proie au jarret
Les yeux exorbités dans ce violent lynchage
Et répandant le sang dans les eaux des marais
En aspergeant les joncs et les proches branchages.

Manger pour ne pas l’être est la folle devise
De monstres dévoreurs obligés de grossir
Dans la fauve savane où vont les entreprises.

Le groupe doit chasser et toujours réussir
Pour donner l’illusion de garder la maîtrise
Car sinon il verra l’horizon s’obscurcir.

Les groupes ne créent rien au sein de leur empire
Se maintenant en vie à l'instar des vampires.

Saturne dévorant un de ses fils © Mapomme
D'après Francisco de Goya

mercredi 7 décembre 2022

Élégies. L’inverse est l’identique

L’inverse est l’identique et non pas le contraire
Car l’inverse du mal n’est rien qu’un nouveau mal ;
De l’excès vient l’excès et qui veut s’en soustraire
Ne fera qu’éveiller son instinct d’animal.

D’une touche un peintre d’un seul ton téméraire
Améliore un tableau d’un apport minimal ;
Une phrase ou un mot – bref éclair littéraire -
Extraira le lecteur d'un brouillard abismal.

Trop souvent en ce monde on renverse la table
Et pourtant chambouler n’apporte que chaos
Car de légers progrès seront plus acceptables.

Déboussoler les gens est un nouveau fléau
Qui de grogne en fureur en devient indomptable
Freinant le changement au départ placé haut.

On a vu quelque empire tomber de l’apogée
De ténèbres suivies sans cesse prorogées.

De ténèbres suivies sans cesse prorogées © Mapomme

mardi 6 décembre 2022

Élégies. Muse, qu’as-tu ce soir ?

À Ella Kagan

Muse qu’as-tu ce soir ? Je vois ton front soucieux :
Serait-ce un souvenir d’une lointaine époque
Dont le regret teinte de son ombre tes yeux
Nuages d’un passé que ton regard évoque ?

A présent ton renom est beaucoup moins précieux
Que les lauriers fanés objets de soliloques ;
Le triomphe est soumis à des dieux capricieux
Nous portant au pinacle et qui l'oubli provoquent.

Devant toi s’est dressé un autre monument
Qui t’a plongée dans l’ombre et a changé ton rôle :
Autrefois soliste te voici instrument !

Des feux t’illuminant nul n’avait le contrôle
Et injuste est l’éclat souvent les consumant
Car d’un autre l’aura naissant parfois te frôle.

De l’éphémère gloire il faut bien voir les ruses
Car ton rôle est réduit à celui d'une Muse.

Prix Goncourt 1945 © Mapomme
D'après Photo au Centre Pompidou

lundi 5 décembre 2022

Incantations. Ô, désespère ado !

Je n’avais nulle idée lorsque j’étais ado
De la voie que ma vie devrait désormais suivre ;
Balloté par les flots à l’instar d’un radeau
Sans un cap je voguais le nez dans un bon livre.

Du monde n’espérant pas le moindre cadeau
J’allais à la dérive ainsi qu’un vaisseau ivre
Empruntant une voie en candide badaud
Vers l’avenir doré mais simplement de cuivre.

Ce feu avec les ans se change en vert-de-gris
Et la voie empruntée se mesure au salaire
La baraque l’auto et tant d’amers grigris.

« Comment-suis-je embarqué à bord d'une galère ? »
Dit-on un matin laid le visage amaigri
Tout d’un coup envahi d’une étrange colère.

Ce jour-là on pressent ce qu’au fond on préfère
Et qui assurément peut seul nous satisfaire.

Ce jour-là on pressent ce qu'au fond on préfère © Mapomme
D'après Leonid Pasternak

dimanche 4 décembre 2022

Élégies. Du Nil au Guadalquivir

Les sciences et les arts coulent comme une eau claire
Disparaissant soudain du regard des humains ;
L’eau creuse en souterrain loin de tout or solaire
Au cœur des ténèbres son rémanent chemin.

C’est un voyage long sans arme et sans colère
Que fait la connaissance en son cours souterrain ;
Les empires vainqueurs entre-temps s’écroulèrent
Car n’a jamais duré ce qui naît de l’airain.

Le génie disparu des érudits antiques
Et qu’on croyait perdu reparaît au Ponant
Dans des palais nouveaux proches de l’Atlantique.

Ce savoir se répand tel un flot bouillonnant
Qu’étoffent sans arrêt des lettrés authentiques
Enluminant l’esprit et partout résonnant.

Par-delà les cultes les pouvoirs absolus
L'humanisme éclaire un cœur irrésolu.

Du Nil au Guadalquivir © Mapomme
Avec l'aide de Louis-Michel van Loo

samedi 3 décembre 2022

Élégies. Sous la carapace de la fausse-tortue

Une lointaine plaie peut nous servir d’armure
Et nous coupe du monde ainsi qu’un naufragé.
Sur un îlot désert notre cœur se saumure
Niant la vérité qui osa l’outrager.

À quoi bon cet Éden aux dansantes ramures
Quand vivre est un enfer sur le sable ombragé ?
Mais pourquoi refuser la vie qui nous murmure
De se rouvrir aux joies et cesser d’enrager ?

En enfants capricieux cultivant la blessure
Nous nous privons en fait de délices légers
Gardant bien que trouée nos anciennes chaussures.

Qui va dans le maquis ne peut se protéger
D’un piquant le blessant ; si la maison est sûre
Le vert sentier incite à n’être plus piéger.

Si au moindre tourment le monde s’était clos
Il aurait succombé sous la mer des sanglots.

The mock-turtle © D'après John Tiennel


vendredi 2 décembre 2022

Incantations. Un trente-et-un décembre en une étroite chambre

Subsiste-t-il un brin des étés moissonnés
Lorsque sous l’Aquilon et les ondées trembleuses
J’entends la fin décembre au noir beffroi sonner ?
La cloche bringuebale en morne rassembleuse

À l’année achevée et l’âme a frissonné :
Jour de l’an solitaire en la chambre frileuse
Loin des siens étranger au spleen insoupçonné
Dans un vin froid je noie mon âme atrabileuse.

Ce n’est plus une mer qu’il me faudrait franchir
Mais tout un univers semé de nébuleuses
Pour voir de mon village de hauts sommets blanchir.

Douze coups ont sonné en la nuit fabuleuse ;
Au futur on se prend soudain à réfléchir
Sans qu’une seule idée fuse miraculeuse.

Les épis sont fanés et le grain a pourri
Dans l'humide studio de mes regrets nourris.

Un trente-et-un décembre © Mapomme
D'après Le Caravaggio

jeudi 1 décembre 2022

Incantations. Les scories du printemps s’en sont allées aux vents

Certains jours printaniers entre l’azur et l’or
Mes iris sont sertis de l’éclat des pépites ;
Étranges cieux naissant boisés de prime abord
Semés de galaxies qui changent et palpitent !

Frissonnent dans mes yeux d’anciens brouillards du nord
Des étés flamboyants tel un feu qui crépite
Comme s’éveille au jour le mâle Alexanor
Qui vers une âme sœur vole et se précipite.

Nous sommes ainsi faits d’automnales fureurs
D’exubérantes joies d’ivresses printanières
Et de secrets enfouis par l’espoir tortureur.

Tout œil est un tableau aux touches de lumière
Mais qui peut s’assombrir d’hivernales humeurs
Quand notre maître peint une émotion première.

Les scories du printemps s’en sont allées aux vents
Et s'est tari tout l'or des soleils se levant.

Les scories du printemps © Mapomme

mardi 29 novembre 2022

Amères Chroniques. Sur des terres semées d’envies inconsommées

Le monde regorge de ressources utiles
Suffisant à nourrir toute l’humanité ;
Alors pourquoi voit-on désormais infertiles
Des terres épuisées par la modernité ?

Des plaines envahies pour la viande futile
Consommée trop souvent par pure vanité ;
En sorciers appliquant des élixirs hostiles
On tue ce qui nourrit depuis l’éternité

Et partout les humains gâchent la nourriture
Les poubelles bourrées de ce qui manque ailleurs ;
Montagnes d’aliments tragique pourriture.

La frénésie endort l’esprit des travailleurs
Grâce au prêt-à-jeter d’odieuses filatures.
Que pourrait y changer un pauvre rimailleur ?

Monde dois-tu crever pour un succinct plaisir
Qui fait bientôt jeter ce compulsif désir ?
Pour la viande futile © Mapomme

lundi 28 novembre 2022

Amères Chroniques. Pas de fumée sans morts...

Un jour j’étais passé près d’usines chimiques
Et la vue des fumées me donna le frisson :
Était-ce mon esprit un brin cacochymique
Ou les sombres terreurs que nous tous nourrissons ?

À vingt ans mon humeur était cyclothymique
Jouant sur mon esprit comme sur mes façons ;
Personne autour de moi n’avait vu ma mimique
Quand je crus voir la faux de funestes moissons.

J’ai appris depuis lors que ce furtif malaise
Valait prémonition lorsque plane un danger ;
Comme si nous étions au bord de la falaise.

De hautes-cheminées crachaient rose-orangé
Un péril émanant de produits de synthèse
Fumeroles allant bien des vies vendanger.

On crache dans les airs pour des bénefs records
Plomb et perfluorés sans l'ombre d'un remords.

Pas de fumée sans morts © Mapomme