dimanche 31 décembre 2023

Sonnets sertis. Le charme d’un hautbois

La profonde forêt porte le souvenir
D’un hautbois qui jouait un air semblant céleste.

Passent les empires, les reines et les rois,
La puissance esclave du feu des convoitises :
On a porté, ici, le fer après la croix
Et le sang victimaire objet de nos hantises.

Des luttes de pouvoir, dans d’obscurs palais froids,
Les violents appétits du courtisan aiguisent,
Et il voudra porter le révulsant effroi
De guerre au paradis d’une terre conquise.

Qu’importe que l’onde se colore de sang,
Pourvu qu’un roi étanche une soif infinie,
Faisant d’un trône faible un empire puissant !

Poussière, les rêves que disperse un génie
Malicieux, s’il en est, qui des resplendissants
Palais les tristes ors, présentement, dénie.

Dans l’oubli sombreront les rêves d’avenir,
Et l’air clair du hautbois des laideurs nous déleste.

Le charme d'un hautbois © D'après Roland Joffé

samedi 30 décembre 2023

Sonnets sertis. Crépuscule des dieux

Face aux grands espaces s’ouvrant à leurs regards,
Ils pressentaient soudain leur côté éphémère.

Depuis un siècle entier, comme peau de chagrin,
Ils s’étrécissaient, car l’homme, sur la terre,
Après avoir semé en tous lieux le bon grain,
S’en prétendait, d’un coup, le seul propriétaire.

Les plus riches d’entre eux, sans qu’on n’y mît un frein,
Créaient un empire de barbelés austères ;
Depuis les temps anciens, - sempiternel refrain ! - ,
Des conquérants chassaient toute nation première.

Que devient l’épopée si des murs sont bâtis,
Et que, lorsque souffle le vent de l’aventure,
Nulle voile gonflée ne mène au paradis ?

Hermès des voyageurs, fais cesser l’imposture,
Car nos désirs d’envol se trouvent refroidis,
Sans ce souffle exaltant nos légendes futures !

Dans le port resteront tous nos héros hagards,
Et l’épopée aura une saveur amère.

Crépuscule des dieux © John Huston
Colorisé par Mapomme

vendredi 29 décembre 2023

Sonnets sertis. Et l’on tond tant la bête

Le monde va tremblant, tant on lui tond la laine
Et doit quérir un pull quand approche l’hiver.

S’il lui faut un berger, afin de se défendre
Des rudes attaques, puisque rôdent les loups,
Sur de belles prairies, tapissées d’herbe tendre,
On doit pouvoir becter à jamais tranquillou.

En ce lieu idéal peut-on vraiment se rendre,
Sans être importuné par de fâcheux filous ?
Dans ces prés naturels, il faut hélas s’attendre,
À raquer un service auprès des gabelous.

Car la sécurité de toute gent ovine,
Rend payant le gratuit et amer le festin,
Si grossit le troupeau aimant l’herbe divine.

Payer pour tout serait des moutons le destin :
Ô bêlant populo, prompt aux ires chauvines,
Rebelle-toi et rend tous tes prés plus certains !

Pour retrouver la paix de manger dans les plaines,
Infligeons aux requins le plus cuisant revers !

Et l'on tond tant la bête... © D'après Tom Roberts

Sonnets sertis. Tristes crépuscules

Depuis toujours scrutant l’infini horizon,
Elle convoite un signe : hélas, rien n’est visible.

Soleil des temps nouveaux qui s'éveille au lointain,
Elle attend un signal sortant de l’ordinaire,
Traintrain où se figent d’itératifs matins,
Sans oracle clamé ou ode visionnaire.

La flamme de l’espoir tout doucement s’éteint,
Tandis qu’au loin résonne un menaçant tonnerre ;
Elle nourrit quand même un souhait enfantin,
A l'instar de la foi d’un prêtre missionnaire.

La mer s’ensanglante des plaies du feu mourant,
Car le jour agonise et envahit l’écume,
De son hémorragie la vieille île entourant.

Fera-t-on à l’espoir un hommage posthume,
Sans qu’un seul héritier vienne en y concourant,
Pour dresser son portrait comme il est de coutume ?

Si l’île est un refuge, elle est aussi prison,
Nonobstant son aspect apparemment paisible.

Tristes crépuscules © Mapomme
D'après Wes Anderson

jeudi 28 décembre 2023

Sonnets sertis. L’ivresse de la danse

C’est l’ivresse absolue, l’ivresse de la danse,
Quand vous tourne la tête, en pas virevoltants.

Faune et nymphes ballez, dans la douce euphorie
Tel l’essaim de feuilles dans le vent automnal ;
Ô, qu’un bacchanal feu de roseurs colorie
Vos joues et votre front d’un délire hormonal.

Lorsqu’on tourne en dansant, soudain pris d’hystérie,
On fait quelques folies, sans vouloir agir mal ;
Qui n’a jamais, de nuit, dansé dans la prairie
Ne pourra comprendre cet élan animal.

Le sage raisonneur assène ses sentences,
Son absurde morale pour qui se livre au plaisir
Simple de la danse, sans en voir l’importance.

Pantomime évident d’un sexuel désir,
Des corps elle abolit la bourgeoise distance,
Quand l’ivresse, en la nuit, parvient à nous saisir.

Mais on peut simplement chalouper en cadence,
Là où on voit, à tort, un rite révoltant.

L'ivresse de la danse © Mapomme
D'après Jean-Baptiste Carpeaux

Sonnets sertis. Au feu jeter ses rêves

J’ai balancé au feu mes rêves d’autrefois,
Puis piétiné, rageur, les brins d’espoir qui naissent !

Mon passé, mon futur, ainsi que mon présent
Tout n’est que vacuité, comme nos vies futiles ;
Les jours fanés semblent, sous la lourdeur des ans,
Tel un collier de perles, brisé et inutile.

On trouve en tous chemins, sinueux, mais plaisants,
Nombre de fauves fleurs, qui au soleil rutilent,
Mais si vénéneuses et blessant nos seize ans,
Qui longtemps, en nos cœurs, leur poison lent instillent.

Que d’espoirs d’avenirs, grisants et prodigieux,
Ont fait rêver mon coeur d’inexpugnables cimes,
Dans la fièvre insensée d’un zèle religieux !

Au panier j’ai jeté ces désirs que décime
Le cours bourbeux du temps, morose et contagieux,
Emportant l’utopie, de sa lie la victime.

Me voici, en ce jour, défroqué et sans foi,
Espoir, amours froissés, grugé de ma jeunesse.

Au feu jeter ses rêves © Mapomme
D'après Gustave Courbet et Alfred Stevens

mardi 26 décembre 2023

Sonnets sertis. La Gorgone écarlate

C’est une Gorgone, dépourvue de charme,
Pétrifiant tout mortel qui croise son regard.

Nourrissant un dépit, plus profond que l’Abîme,
De haine elle est ivre, comme d’un vin spécieux ;
Une sanglante rage à tout instant l’anime
Et les têtes tranchées sont des trophées précieux.

Pourtant, nous ignorons ses impulsions intimes,
D’où sourdit sa fureur, née d’anciens contentieux ;
Voici longtemps, le monstre a-t-il été victime ?
Sur ce point les écrits demeurent silencieux.

Parfois c’est la folie, dont l’irruption consterne,
Et on peut retourner en tous sens la question :
Rien ne vient éclairer un peu notre lanterne.

Les savants avancent nombre de suggestions,
Où tout et son contraire, assez souvent alternent :
Nul ne sait la cause d’une sanglante action.

Un acte criminel sans cesse nous désarme :
Est-il un monstre en nous, prêt à tous les écarts ?

La Gorgone écarlate © Mapomme
D'après Carlos Schwabe et Gian Lorenzo Bernini

Sonnets sertis. Les moissons des ténèbres

J’ai fait le rêve affreux d’un éternel titan
Qui par le monde allait, préparant ses récoltes.

Par les champs, les cités, armé de son gourdin,
Il marchait du pas lent d’un semeur de misères ;
Là où sont les humains, le monde est son jardin
Et chacun de son grain se trouve indivisaire.

Le moissonneur viendra faucher d’un air badin,
Du printemps à l’hiver, dans le froid qu’il préfère,
Tranchant des tas d’épis ; d’un geste ample et soudain,
De sa lame acérée, il règle votre affaire.

Il n’est pas d’océan qui puisse l’arrêter,
Pas de conciliation, nulle vaine supplique,
Aucun accord final, pas d’espoir de traité.

Par les villes et bois, voyez-le qui s’applique
À sa tâche toujours, moissonneur entêté,
Terrestre léviathan des âges prébibliques.

Priez ou suppliez : il n'est rien l'évitant !
La mort va dispersant les fléaux, les révoltes.
Les moissons des ténèbres © Mapomme
D'après Henri-Camille Danger

Sonnets sertis. Le prince de la nuit

Je rôde en la maison, au milieu de la nuit,
Et me couche à une heure où s’approche l’aurore.

Vais-je imiter ce roi, fuyant l’horreur du bruit,
Au réel préférant le doux parfum du songe ?
La vérité du jour, féroce le détruit,
Acide très puissant qui chaque rêve ronge.

Je vais en mon palais, en prince de la nuit,
Et cherche à mes questions d’impossibles réponses ;
Tel Louis en son temps, que dévorait l’ennui,
Entendait résonner bien des coups de semonces.

Bâtissant, quand d’autres forgeaient mille canons
Pour s’en aller détruire et essaimer la guerre,
Propre à se faire ensuite un funeste renom.

Nulle illustre épopée, comme on en fit naguère,
Pour rallier une armée, sous un seul gonfanon,
Et sauver le pays en posture précaire.

L’humanité écume et aucun feu ne luit,
Pour allumer l’espoir à quelque sémaphore.

Le prince de la nuit © Mapomme
D'après August von Heckel et Ferdinand von Piloty

lundi 25 décembre 2023

Sonnets sertis. Le plus beau des cadeaux

Si un jouet plaira, en cadeau délicat,
Tout au pied du sapin, où est la joie festive ?

L’enfant jouera bien sûr, quelques jours avec lui,
Mais quand la nouveauté deviendra ordinaire,
Tel un laurier flétri que son éclat a fui,
Cette obtention rendra le plaisir éphémère.

Dans la mémoire alors, tel un astre qui luit,
L’absolu souvenir d’un plaisir culinaire,
Astre resplendissant dans l’encre de la nuit,
Porte la vérité des feux de la chimère.

C’est le plaisir béat d’un jour de communion,
Unique, inestimable, éminemment fugace,
Qu’on ne peut se payer à grands coups de pognon.

On conserve à jamais en notre esprit sagace,
Un souvenir qu’omet la commune opinion :
Du vrai Noël il est l’exquise dédicace.

Un repas en famille est un magnificat,
Cène aux douze apôtres sublime et suggestive.

Le plus beau des cadeaux © Ferdinand Georg Walmüller

samedi 23 décembre 2023

Sonnets sertis. Un amour romantique

Je n’ai jamais percé le secret des tourments
Qui agitent l’esprit d’un amour de jeunesse.

Je te revois encor, tes longs cheveux au vent
Et ta douceur extrême, sublime romantique ;
En ce monde, était-il un philtre te sauvant
D’un maléfice obscur venu des temps antiques ?

On se veut un héros, mais on est peu savant,
Lorsqu’on a dix-sept ans, que des maux identiques
Laissent penser qu’on perd l’insouciance d’avant,
En restant plus que tout un idiot authentique.

Je nous revois tous deux, le long des quais marchant,
À l’automne frileux, riches d’un amour chaste,
Ayant trouvé alors ce graal si alléchant.

Tel un enfant gâté, qui ses jouets dévaste,
L'ado est peu subtil et dit des mots méchants :
Il espère bien trop pour un coeur si peu vaste.

On ne sait trop comment se délient les serments,
Mais on n’oublie jamais comment les amours naissent.

Un amour romantique © Mapomme
Avec une forêt d'Ivan Chichkine

vendredi 22 décembre 2023

Sonnets sertis. Noël de l'enfant-roi

Devant tant de cadeaux, jubilait l’enfant-roi,
Ne sachant plus vraiment où donner de la tête.

Les années 60, aimant la profusion,
Ignoraient que l’excès créerait une menace ;
Les parents se berçaient de la folle illusion
Que ce bel âge d’or se montrerait tenace.

Certains avaient vécu le rejet, l’exclusion,
Une jeunesse sombre en des temps dégueulasses ;
Leur vécu conservait d’anciennes contusions,
Des affronts infligés par l’éminente classe.

Ce Noël de l’enfant guérissait les parents,
Qui traînaient aux sabots la fange paysanne,
Au travers d’um bambin, l’avanie réparant,

Larguée à la porte de la lointaine grange ;
À un grand avenir, ils vivaient espérant
Que leur enfant, bientôt, en excellant les venge.

Avec une fusée, ancien jouet de bois,
Il sonderait demain d’inexplorées planètes.

Noël de l'enfant-roi © Mapomme

jeudi 21 décembre 2023

Sonnets sertis. Hors des antres amers

Ça n’a l’air de rien qu’une sortie en barque,
En allant sur un lac ou la mouvante mer.

Mais sortir de chez soi et du quotidien morne,
Voilà qui est nouveau et très émoustillant ;
Le soleil verse un or quand on franchit les bornes,
Des prisons sans barreaux, loin du jour frétillant.

C’est Proserpine allant, hors des enfers atones,
Et paraissant au jour des printemps scintillants,
Lorsque fleurit la terre après un long automne,
Retrouvant les vivants, heureux et sémillants.

Plus de murs limitant les regards et les rêves,
Tandis que le soleil réchauffe et éblouit,
Aux rayons activant le sang comme la sève.

Que d’espoirs par l’hiver sont demeurés enfouis,
Frissonnant près du feu alimenté sans trêve ;
Allons voguant sur l’eau, le cœur épanoui !

Du temps nouveau portant sur nos fronts blanc la marque,
Nous vivrons à jamais hors des antres amers.

Hors des antres amers © Mary Cassatt

mercredi 20 décembre 2023

Sonnets sertis. Les moulins du passé

Jadis, je guérissais, en marchant solitaire
Les doutes du présent et l’angoisse à venir.

La tempête, en ce temps, frappait l’économie
Après les soubresauts du grand choc pétrolier ;
Adieu, notre âge d’or où, avec bonhomie,
Nous serions salariés et non plus écoliers.

Que la marche était haute et la vie ennemie
Qui, de nos avenirs, s’en venait nous spolier !
Le chômage croissait, telle une pandémie,
Méprisant l’ingénu, sans même sourcilier.

De précaires contrats en emplois temporaires,
Sacrifiée, la jeunesse augmentait les profits
De boîtes spéculant sur ce destin contraire.

Qui hardiment mettrait ces moulins au défi,
Se voyant éjecté, par un sort arbitraire,
Don Quichotte nouveau par le vent déconfit ?

Les moulins du présent, sans marche salutaire,
Me font nourrir des peurs ardues à contenir.

Les moulins du passé © Mapomme

Sonnets sertis. L'heure sérotinale

Vois ! Le soleil se couche au proche crépuscule
Et les mots, sous la plume, ont un ton sépulcral.

Un feu tremblant rougit les cimes automnales
Et frémissent les cœurs, dépouillés des printemps ;
Avant le froid hiémal, aux fêtes saturnales,
Ne viendra nul avril, de bruines se teintant.

Que devient l’aube claire aux roseurs virginales,
Lorsqu’un feu agonise à l’horizon lointain ?
À pas lents, s’approche l’heure sérotinale,
Sous l’infini semé d’éclats adamantins.

Bien au-delà des monts, des orages résonnent,
Prophétisant des jours aux ouragans glaciaux
Et les divagations qu’aucun discours raisonne.

Quand un vaste tambour tonne d’hymnes martiaux,
Nos futurs sont promis aux excès qui foisonnent
Et l’on fera pour nous des choix hélas cruciaux.

Livré sera le monde aux sombres groupuscules,
Dans leur quête effrénée d’un rejet viscéral.

L'heure sérotinale © Mapomme
D'après Wincenty Wodzinowski et Caspar Friedrich

lundi 18 décembre 2023

Sonnets sertis. Une épuisante aisance

Épuisée, la danseuse a besoin d’une pause,
Tant est meurtri son corps, accablé par l’effort.

La passion seule aidant à subir la torture,
Quitte à pleurer parfois, quand tout s’arrête enfin
On mesure à quel point la discipline est dure,
Si l’on ne veut pas voir tous ses espoirs défunts.

Le profane public croit que c’est par nature
Que l’aisance à ses corps dès la naissance vint ;
Or l’exercice peut donner à l’ossature
La grâce confinant à un talent divin.

Mais, si existe un don, une aptitude innée,
Il n’est pas un seul art, sans travail quotidien,
Qu’on forge par passion, et ce sur des années.

Toute facilité du seul labeur provient,
Quand bien même l’aisance a paru spontanée :
Il n’est pas un seul don qui ne viennent de rien.

La grâce des danseurs, sur les efforts repose,
Seul bon génie œuvrant dans les arts et le sport.

Une épuisante aisance © Edgar Degas

Sonnets sertis. Dans la joie insouciante

Dans la joie insouciante, un peuple reste sourd
À l’orage grondant qui lentement approche.

Le monde a retrouvé la merveilleuse paix,
Au prix d’une hécatombe, un sanglant sacrifice ;
Il en fête la fin, sans craindre les suspects
Discours d’un moustachu, ébranlant l’édifice.

Fragile est le temple que sa fureur sapait,
Levant en tapinois de violentes milices ;
Or sans bruit, le danger, dans le brouillard épais,
Avance avec l’appui des revanchards complices.

Pendant ce temps, le monde, effaçait les horreurs
Des obus, des tranchées, d’une guerre immobile,
Où la chair à canon devait payer l’erreur

D’un guignol général, donnant l’ordre débile
De prendre une tranchée, nonobstant la fureur
D’un ennemi brisant un assaut peu habile.

L’empire délabré, rêvant de ses beaux jours,
Rit d'un monde insouciant qui jour et nuit bamboche.

Dans la joie insouciante © Mapomme
D'après Erwin Blumenfeld

vendredi 15 décembre 2023

Sonnets sertis. En fumée part le rêve

Le rêveur exhala une fumée bleutée,
Révélée par les rais d’un soleil hivernal.

Dans le sombre café, le fumeur solitaire
Ressassait le passé en vapeur de regrets :
Que de choses loupées, que de profonds mystères
Sur de mauvais chemins n’apportant nul progrès.

Il lui semblait parfois qu’un lourd spleen planétaire
Faisait du monde entier un immense congrès
De milliards de déçus qui ne pouvaient se taire,
Exhalant leur encens aux effluves aigrets.

Regret de ce qu’il n’a, en son âme indécise,
Jamais osé tenter : voilà qu’il se repent,
Amer, dans le café, à cette heure précise,

D’avoir snobé jadis la chance à ses dépens ;
L’humanité entière est, comme lui, assise,
Regardant la fumée dansant tel un serpent.

Dans l’ombre, elle se tord, scindée, déchiquetée,
Vieux rêve évanoui dans le jour nocturnal.

En fumée part le rêve © Harold Feinstein
Colorisé par Mapomme

jeudi 14 décembre 2023

Sonnets sertis. Sur les ruines du monde

Les temps présents dansent sur les ruines futures,
Car ce monde en oublie les temples du passé.

On ne sait même plus le nom de ce royaume,
Bâtissant autrefois dans le roc ses cités ;
Si des Nabatéens s’est envolé l’idiome,
Des vestiges laissés le monde a hérité.

À l’instar d’une fleur, dont s’est perdu l’arôme,
Dans le torrent des ans leur nom s’est délité ;
On oublia ce lieu aux palais monochromes,
Le sable les couvrant en toute humilité.

Dynastes du présent, arrogantes puissances,
Qui dominez le monde en croyant éternel
Le renom entourant votre mortelle essence,

Voyez : même les dieux, aux trônes supernels,
Olympe ou Walhalla, glorieux par leur naissance,
Sont entrés dans l’oubli, sombre et impersonnel.

Nul ne sait de ces rois leur avérée stature,
Sinon que leur nom fut par les ans effacés.

Sur les ruines du monde © Mapomme
D'après Frederic Leighton

Sonnets sertis. Excès des religieux

La religion est-elle une sorte de fièvre,
Qui fait perdre parfois l’esprit à l’être humain ?

Le but des religions n’est pas l’intolérance,
Mais bien le contraire : rendre les gens meilleurs ;
Qui livrerait son cœur à toutes les errances,
Desservira sa foi, en semant la frayeur.

Ainsi, aux temps lointains, si propice aux outrances,
Des moines sectaires, comme il s’en voit ailleurs,
Tuèrent Hypatie, l’accusant d’ingérence,
Sicaires d’un évêque, enragé guerroyeur.

Jamais il ne fait bon d’être un conseiller sage,
Quand la passion régit d’intolérants dévots,
Voyant des blasphèmes dans de banals messages.

On brûla en public, dans les temps médiévaux,
Des savants subissant torture et tabassage ;
Mauvaise est une foi quand la haine prévaut.

Si le prêcheur délivre un vrai sermon d’orfèvre,
L’humanité vivra de calmes lendemains.

Excès des religieux © Mapomme
D'après Alfred Seifert et David Roberts

mardi 12 décembre 2023

Sonnets sertis. Comme un vol dans l'espace

Modeste grattouilleur, il jouait le solo
D’un groupe vénéré pour ses morceaux célestes.

Aussi, s'il côtoyait un brin de perfection,
Il se sentait béat, transporté dans l’espace ;
La fierté envahit l'esthète en connexion
Avec un univers dont l’ampleur le dépasse.

Quand tonne un grand orgue, frissonnant d’émotion,
Quelques fois, il ressent un vrai moment de grâce ;
Lorsque, semblablement, sans nulle dévotion,
Les notes sont justes, le bonheur le terrasse.

Il avance, aérien, comme en apesanteur,
Semblable au découvreur d’une nouvelle terre,
Se sentant d'un pouvoir l’étonnant détenteur.

Sans pratique acharnée, ce don soudain s’altère
Et on ne peut bisser cet instant enchanteur,
En dépit des efforts d'une âme volontaire.

Répéter l’harmonie réclame du boulot,
Pour que, sur les touches, parfaits soient ses doigts lestes.

Vivre un moment d'extase © Mapomme

lundi 11 décembre 2023

Sonnets sertis. Une fragile espèce

J’ai fait un songe étrange, où un couple avançait
Dans un monde nouveau, aux horizons sauvages.

Je n’aurais pu parier sur un passé lointain,
Lorsque la vie luttait dans l’hostile nature,
Ou un futur voyant tous les progrès éteints,
À force d’inaction coupable et immature.

Nous mériterions bien un si sombre destin,
Tant l’humain par le monde, en tous lieux, défigure
L’éternelle beauté qu’il livre à ses instincts,
Quand nombre de Cassandre en font le sombre augure.

Bel héritage offert en leg aux rejetons,
Si tant est qu’ils viennent en ce monde à survivre !
Les prophètes fâcheux, pris à coups de bâton,

Devront-ils renoncer au long combat qu’ils livrent,
Traités en tous les coins de crédules Catons ?
D’espoirs irréfléchis l’humanité s’enivre.

Le danger est pourtant moins loin qu’on ne pensait,
Et ce rêve apparaît comme un puissant message.

Une fragile espèce © Mapomme
D'après Jacques Malaterre et Bernadette Gilbertas

Sonnets sertis. Couronné d’olivier plutôt que de laurier

Le général vainqueur s’est soudain assoupi,
Et froisse les lauriers qui son haut front couronnent.

Un triomphe souligne un succès absolu
Qui devra aboutir à une paix durable ;
Or, sans elle, un accord n’aura rien résolu,
Causant à la concorde un tort irréparable.

Pourquoi coiffer le front d’un laurier superflu,
S’il n’accorde au vaincu qu’un rôle misérable ?
Faut-il qu’à tout jamais un traité rude exclut
Une possible union au talion préférable ?

Vainqueurs d’un jour soyez, dans la joie, harmonieux,
Évitant de semer, sur les labours des guerres,
Les fruits de la jeunesse offerts à qui mieux mieux.

Tant de sang a coulé dans les conflits, naguère,
Pour des confins abstraits, quand l’accord ingénieux
Aurait pu éviter les vindictes vulgaires.

Sur un empire éteint la mémoire a croupi,
Et les hymnes guerriers en mille lieux claironnent.

Couronné d'olivier... © d'après Charles Gérard

vendredi 8 décembre 2023

Sonnets sertis. L’ivresse des violences

Si une pluie tombe sur les cœurs furibonds,
Qu’elle les purifie de leurs constants orages !

Onde des nues chasse les turpides limons,
Obscurcissant l’esprit qui se nourrit de fables !
La passion des idées s’avère un vrai démon,
Aveuglant la raison d’une rogne ineffable.

L’impossible entretien apporte une leçon,
Lorsque tous les schismes semblent inexorables ;
Si le monde ne peut rêver à l’unisson,
Les fossés doivent-ils paraître irréparables ?

L’humanité ressemble à l’effréné vaisseau,
Que sabordent sans fin un absurde équipage
S’acharnant à le rompre en cent mille morceaux ;

Il suffit, quelquefois, d’un simple dérapage
Pour qu’on ne puisse plus tenir sous le boisseau
La violence qui naît des incessants outrages.

Nos rêves de jadis s’éteignent moribonds :
Pluie, éteins l’incendie et nourris les courages !

Le massacre des innocents © Pieter Brueghel l'ancien

jeudi 7 décembre 2023

Sonnets sertis. Ce que laisse un guerrier

Ulysse avait tout fait pour demeurer chez lui,
Avant d’être contraint de partir pour la guerre.

Auprès de Calypso, durant sept ans bien longs,
Il songeait à son fils ainsi qu’à son épouse ;
Attendait-elle encor cet Ulysse félon
Et, malgré les années, était-elle jalouse ?

Il éprouvait souvent un désespoir profond,
Songeant à leurs ébats, à sa brune peau douce :
De tels puissants liens si souvent se défont,
Car le désir charnel avec le temps s’émousse.

C’était une fusion par l’accord et l’ardeur,
Un sommet sans pareil, au niveau de l’extase ;
D’autant qu’ils se trouvaient tous deux dans leur verdeur.

Il ressentait toujours ces étreintes grivoises
Dérobées par la guerre et le temps maraudeur ;
Remettra-t-il son fils, si jamais il le croise,

Ce que laisse un guerrier, telle une eau s’est enfui,
Et les années perdues ne se rattrapent guère.

Ce que laisse un guerrier © Joseph Wright de Derby

Sonnets sertis. Un pouce tâché d’encre

La Démocratie est, dans la vaste nation,
Livrée à l’irraison, colosse aux pieds d’argile.

Car, dans tous les pays, la diatribe et l’excès
Conduisent au pouvoir les maîtres du délire ;
On peste, on vitupère et on grossit l’abcès,
Pour qu’un peuple furieux accepte enfin d’élire

Un fou permanenté, pris dans plusieurs procès,
Dont les propos confus, autrefois avilirent
Une démocratie dont ce fut le décès ;
Ses cinquante étoiles durant quatre ans pâlirent.

Nul peuple ne nourrit quelque ambitieux dessein,
Trop rongé de rejets, vénérant des idoles
Brisant nos principes par des mots assassins.

Où étaient donc passées les oies du Capitole,
Voici trois ans déjà, lorsqu’un furieux essaim
De séditieux souillaient ce sacro-saint symbole ?

Devra-t-il revenir pour notre damnation,
Nous poussant vers l’abîme en berger imbécile ?

Un pouce tâché d'encre © Mapomme

mercredi 6 décembre 2023

Sonnets sertis. Quand l’aria parle à l’âme

A Jacques Loussier

Jouer un air de Bach est un parfait prélude
Surtout en associant des styles différents.

D’une joie triste on vêt le quotidien morose,
Et voici qu’on fugue loin des actes violents,
Des folies essaimées, des drames, des psychoses,
Sur l’aile légère d’un aria insolent.

Deux univers distinct que nos esprits opposent,
Bâtissent un genre nouveau et consolant ;
Toujours, j’ai recherché cette puissante osmose,
Gommant les barrières, les murs nous isolant.

Tel un esclave enfin délivré de ses maîtres,
A pu se promener sous le soleil radieux
Ne voulant plus jamais à d’autres se soumettre,

J’ai réchauffé mon cœur aux accords mélodieux
Qui, sous d’habiles doigts, s’émerveillent de naître,
Allégeant le fardeau de certains jours odieux.

L’orage disparaît lorsque dix doigts l’éludent
Accordant à l’aria un rythme exubérant.

Quand l'aria parle à l'âme © Mapomme
D'après Ernest Lessieux et Leon Bakst

mardi 5 décembre 2023

Sonnets sertis. Un simple instant de grâce

On avait bombardé, de nuit, la frêle église
Et, passant, un soldat avait vu le piano.

Pauvre piano debout, rescapé par miracle,
Lequel durant l’office accompagnait les chœurs !
Préservé s’avérait l’ancestral tabernacle,
Quand le toit écroulé était un crève-cœur.

Un soldat au piano, quel étonnant spectacle,
Jouait un air profane et paraissait moqueur
À l’égard des tyrans jouissant des débâcles,
Se plaisant à semer la mort et la rancœur.

Au dehors, des pompiers, dans les maisons en flammes,
Sauvaient ce qui brûlait, tant que faire se peut ;
La musique est solaire et vient réchauffer l’âme,

Soulageant les tourments, car il suffit de peu
Pour omettre les maux, la tristesse et les blâmes,
D'une guerre initiée par un César pompeux.

Parmi les décombres, les hommes réalisent
Que l’espoir survivra à tous les tyranneaux.

Un simple instant de grâce © Mapomme

Sonnets sertis. Un serpent récurrent

Une phalange noire, issue des mauvais temps,
Défie la République et en tous lieux parade.

Masquée, elle bafoue nos idéaux sacrés :
Niant l’Égalité, selon les origines,
Et la Fraternité, idéal bien ancré,
Foulant la Liberté, que son droit redessine.

« Justice ! », crient ces gens, selon le pédigré,
S’émouvant plus pour Jean que Jacob ou Nourdine ;
Étant nés quelque part, elle aime dénigrer
Tous ceux qu'excommunient leurs propos en sourdine.

Février trente-quatre est glorifié par eux,
Car la rue de Paris prévaudrait sur la France,
Quand leur faction mena un coup d’état foireux.

« L’immigration qui tue » clament dans leur outrance,
Ces cagoulards nouveaux d’un passé poussiéreux,
Exhumant des propos puant l’intolérance.

Le climat de l’Europe en devient inquiétant :
Souffle un vent de l’Histoire aux relents rétrogrades.

Un serpent récurrent © Mapomme

lundi 4 décembre 2023

Sonnets sertis. Un grain dans la forêt

Ce jour-là, sans raison, j’étais parti marcher,
Au hasard des chemins, dans la forêt tremblante.

Un vent léger soufflait et naissait le frisson
Des feuilles tressaillant, telle une voix murmure
Un hymne pénétrant d’âmes à l’unisson,
Confidences coulant d’émouvantes ramures.

Je n’étais rien qu’un grain dans l’ombre d’un buisson,
Infime part d’un tout dont rien ne vient m’exclure,
Hors l’appel du néant, vers lequel nous glissons,
Sans pouvoir, un instant, en ralentir l’allure.

Une poussière d’étoile en ce vaste univers,
Un être sur la Terre et non l’absolu maître
Dont le seul bon vouloir a tout fait de travers.

À nos folies faut-il tout le vivant soumettre
Et le voir disparaître en tremblant sous l’hiver,
Ou suffoquant l’été, lui qui nous a vu naître ?

Ce jour-là, en forêt, je tenais à chercher
L’harmonie à l’orée d’une vie chancelante.

Un grain dans la forêt © Mapomme
D'après Edgar Maxence et John Howe

Sonnets sertis. Telle une épidémie...

Il n’y a qu’une race et c’est l’humanité :
Qui dirait le contraire irait à son encontre.

Nous n’avons que l’amour pour seule religion,
Les peuples s’unissant sous sa vaste bannière ;
Si toujours mille plaies aux cœurs nous infligions,
De quelle intense foi, ferions-nous ainsi montre ?

Le monde ira semé de milliers d’afflictions,
Si de haine nos vies, sans nul besoin, s’encombrent ;
À qui le conflit semble une bénédiction,
Doit songer qu’il laisse amertume et décombres.

Pourtant on voit partout, jusque dans les cités,
Telle une épidémie, la fureur répandue
Et l’innocent livré au flot d’atrocités.

De cette absurde rage on jauge l’étendue,
Quand le crime est commis sans vraie nécessité :
Quelle tuerie pourrait se trouver défendue ?

Pour la folie barbare, aucune impunité,
Car rien n’a justifié la cruauté qu’on montre.

Telle une épidémie... © Eugène Delacroix

samedi 2 décembre 2023

Sonnets sertis. Poséidon furieux

Poséidon était en rage contre Ulysse,
Car son fils aveuglé errait en gémissant.

Le dieu des flots marins, au comble de son ire,
Déchaîna sans tarder contre un simple radeau,
La tempête et la pluie qui sur l’instant punirent
Un être dont la ruse était le seul credo.

Des outrages, Ulysse avait commis le pire,
Offrant au dieu marin un sublime vaisseau ;
Ainsi les Achéens la cité investirent,
Troie tombant, par ce biais, sans véritable assaut.

Le radeau disloqué en percutant des roches,
Sur l’eau flottaient, épars, les troncs l’ayant formé ;
L’homme au mille desseins à un gros bois s’accroche

Et, dans les flots furieux, se trouve désarmé ;
De la côte il semble que le marin approche,
Si bien qu’en son esprit, l’espoir s’est affirmé.

Un ultime ressac met fin à son supplice,
Son corps étant jeté hors des flots rugissants.

Poséidon furieux © Mapomme
Avec l'aide de François Lemoyne