mardi 19 juin 2012

Impelyon. Complainte de sire Sorrand

Dans la cité perdue j’ai dormi quatre nuits
Avec pour compagnon un jeune homme utopiste
Outre son cœur frappé d’un impérieux ennui
Il sait bien des rimes tel un conteur des pistes

Cette rose lueur en cet océan vert
J’ai pu en voir la cause à six journées de marche
Par l'antique chaussée noyée sous le couvert
Des bois sempervirents où sa beauté se cache

Un curieux édifice en ce lieu fut bâti
A la roche polie d’un si délicat rose
Qu’on croirait un mirage en l’onde réfléchi
A l’automne venu monarque des chloroses

Son éclat limpide frôle les calmes eaux
De l’étrange fleuve des mille méandres
Dont nul ne sait vraiment où sourd son prime flot
Comme on ignore en fait où il va se répandre

Un bas-relief montre la Rose du regain
L’ancien symbole obscur d’un rite ésotérique
Répété à l’envi tel un sort ponantin
Du retour à la vie cet espoir chimérique

Ce qui semble un palais s’avère en s’approchant
Un vaste mausolée un monument de peine
J’ai surpris par hasard un discours attachant
D’un vieillard décharné venant chaque semaine

Avant même d’entrer il commence à conter
Traînant ses os meurtris dans ce pèlerinage
Vois jeune paresseuse entrant dans ton été
Toi qui te plaisais tant après mon lutinage

Blottie indolemment en ton lit aux draps chauds
Ces mains douces tissées du lin de mes caresses
Portant les stigmates des ans aux vains assauts
Tandis que toi tu gis parée de ta jeunesse

Dans l’antre du sommeil qui t’a cueillie trop tôt
Je pleure chaque jour dans ta triste demeure
Déposant ces roses embaumant ton repos
Celles que nous cueillions avant que tu ne meures

A la belle saison songeant jalousement
Qu’après ma proche mort des mains viendraient t’étreindre
Tu es partie ma mie Je vis piteusement
Vieille carne à l’âme ne voulant pas s’éteindre

Telle la mauvaise herbe affront d’un beau jardin
Je survis quand périt la jonquille odorante
A moitié desséché risible baladin
Traînant sa carcasse depuis longtemps mourante

Près du tien mon tombeau attend que le torrent
Des ans m’emporte enfin auprès de ma mie
Mon nom y est gravé le désolé Sorrand
Un époux éploré qu’épargne en vain la vie

Pris du sentiment de violer l’intimité
D’un couple je partis témoin involontaire
Me sondant sur la pire éventualité
Echouer en amour ou le mettre sous terre

Je dois reconnaitre que l’étrange question
Mérite réflexion et sur l’aile du songe
Sans doute je réponds que la consolation
De savoir l’autre en vie est un bien pieux mensonge

 Sorrand au mausolée © Mapomme

lundi 18 juin 2012

Impelyon. Chassuanàma


Voici plusieurs lunes que j’ai laissé l’étang
Et son larron déchu dont la guigne perdure
Dirigeant mes pas vers les cimes du Ponant
Granitique massif issu de la verdure

Au sommet d’un des monts où Chassuanàma
L’immuable cité étale son mystère
Ceinte de hauts remparts moulés dans le magma
Que d’antiques géants en ce lieu implantèrent

Ces murs cyclopéens qu’un peuple disparu
Parvint à assembler par un obscur prodige
S’avèrent bien plus grands que je ne l’aurais cru
Car me laissent sans voix ces ultimes vestiges

De ma tour d’Argobal, j’ai souvent étudié
Cet assemblage étrange avec ma longue-vue
Mais la distance immense empêche d’apprécier
Cette démesure tout à fait imprévue

La seule explication qu’on puisse proposer
Est que les bâtisseurs disposaient d’une science
Permettant de fondre le granite rosé
Pour assembler des blocs avec cette efficience

Hélas tout ce savoir est perdu désormais
J’arpente abasourdi les ruelles pavées
Où le vent tramontin seul rompt sur le sommet
Le silence inhumain de la ville enclavée
Sacsahuamán

Eblouissant tableau où nous sommes fourmis
Un livide jeune homme âgé de trente années
Les yeux tristes cernés d’avoir trop peu dormi
Accortement discourt d’une voix raffinée

Propice à l’empathie sans les interruptions
D’agaçantes quintes signe clair de phtisie
Pardonnez je vous prie ma toux de consomption
L’air d’ici est meilleur pour cette maladie

C’est du moins ce qu’on dit au pauvre condamné
Quel triste souvenir rapporté d’un voyage
Qui va vers le tombeau sans recours m’amener
Tel un piètre trophée d’un levantin mouillage

Les râles rapaces qui caressent les cieux
Donnent au jour mourant sa dimension tragique
Semblable au noyé dans le soir silencieux
Dont la main disparait dans l’onde nostalgique

Mais Velte impassible vers la Croix de Midi
Songe à l’autre hémisphère aux plantes épineuses
Là-bas le jour se lève et c’est le paradis
De la haute-saison aux heures lumineuses

Je rêve souvent au lointain continent
Asturiale où tout est inverse à notre monde
A notre froid répond un été dominant
Quand il me faut rester en terre moribonde

En ce moment précis les bergers des plateaux
Au teint sombre et hâlé tel un roc basaltique
Des étables fumantes sortent leurs troupeaux
Ignorant par bonheur nos landes miasmatiques

Ce sont de grands gaillards puissants et vigoureux
Et aux femmes toniques s’affairant à leurs tâches
D’une santé incurable au cœur chaleureux
Rétifs à tout seigneur aux fouets et cravaches

Les rares malades du cercle tropical
De fièvre exotique de temps en temps guérissent
Dans le sombre limon remède radical
Lit que je voudrais mien avant que je périsse

C’est ce que conte Velte dans l’antique cité
Le cœur toujours rongé par la mélancolie
Quand l’azur est frappé d’atroce cécité
Que l’ultime espérance est enfin abolie

Velte sur la cime © Mapomme

dimanche 17 juin 2012

Impelyon. Ballade du larron


L’indice déguisé de Darbrent était bon
Car par ce raccourci je quitte le dédale
D’un bon pas j’avance gai comme un vagabond
La mousse chuintant douce sous ma sandale

Le harfang des étangs de son chant lancinant
Transperce le silence en la nuit constellée
Les buissons sous le vent sans cesse impertinent
Tremblent comme la soie de ta robe ocellée

Tout bruit est un récit chassant le mauvais œil
Des diables tracassiers en terres insalubres
Exhalant sur la lande une haleine de deuil
Quand toute ombre revêt une allure lugubre

Jà la lame glacée d’un poignard scintillant
D’un éclat lunaire caresse ma trachée
De son acier tranchant sur mon cou suppliant
Un brigand aimerait voir ma bourse lâchée

Frère humain n’as-tu rien pour le pauvre Nilvol
Qui a connu jadis les demeures princières
Mais qui doit aujourd’hui commettre meurtre et vol
Promis à la potence à son heure dernière

Donne et sois donc béni a dit le Dieu des dieux
La sainte pauvreté t’offrira la richesse
Le paradis attend le miséricordieux
Affirma un gros prêtre un soir chez la duchesse

Le brigand se taisant me laisse un bref répit
Je présente mon sac qu’en vain il examine
Accablé tel un serf sous le poids du dépit
Quand part le collecteur de sa pauvre chaumine

Des écrits Beau cadeau messire l’érudit
Ils ne peuvent nourrir l’homme qui crie famine
Et rien dans les habits Vraiment je suis maudit
Reprends ton havresac ton calame et ta mine

Le destin inclément poursuit son pauvre enfant
Les dieux m’ont rejeté et les démons me raillent
Le détroussé est plus miteux que le brigand
Rien que quelques stances d’une honnête canaille

Ma lame est superflue gaspillant temps et sang
Dieu des nécessiteux où sont les rues sordides
Où avec mes amis à d’avares marchands
Nous soutirions la bourse née d’un commerce avide

Ils ont tous disparu ces plaisants compagnons
Bons perceurs de pourpoint et saigneurs d’hommes-liges
Ripailleurs et buveurs mendiants aux faux moignons
Tous pendus au gibet qui clément me néglige

De ce funeste sort j’évitai l’inconfort
Depuis dans les bois verts je traîne ma misère
Où j’estourbis des serfs sans véritable effort
D’indigents colporteurs et quelques pauvres hères

Disparais de ma vue buveur de brandevin
Tant que j’ai ma raison et remercie les dieux
Il en est un au moins patron des écrivains
Qui m’empêche ce soir de me montrer odieux

Il n’a pas eu besoin de me le répéter
Car je courrais encor si mes jambes meurtries
Et mes poumons en feu pouvaient me transporter
Loin du danger mortel de la briganderie

On se plaint si souvent de vivre démunis
Sans même supposer que c’est une vraie chance
Celui qui va plein d’or sera soudain puni
Par un voleur des bois pour sa magnificence

Nilvol des étangs © Mapomme

Impelyon. Anathèmes de Darbrent


Depuis des jours entiers sur le sol retrouvé
J’ai l’impression d’errer dans un grand labyrinthe
Empruntant des chemins que j’ai déjà foulés
Ce qui me fait nourrir une constante crainte

Chaque buisson suivant ressemble au précédent
Dans la pénombre humide et la brume diaphane
Dans ce dédale épais aux bosquets obsédants
Je pense avoir atteint la forêt des Arcanes

J’ai déjà vu cet arbre au moins cinq à six fois
Les chemins sont semés de pierres identiques
Tout marcheur égaré par des sentiers étroits
A frissonné d’effroi en cet instant critique

J’offrirais tous les chants des palais levantins
A l’esprit bienveillant qui connaitrait l’issue
De ce piège où je vais en foulant le plantain
L’espérance est hélas à chaque instant déçue

Au détour d’un buisson je perçois semble-t-il
Dans les fourrés épais de pistachiers lentisques
Un léger mouvement un bruissement subtil
Me laissant supposer un possible risque

Dehors sale étranger incube des étangs
Tu viens me déranger dans mes bruyères blanches
Tu souilles ma forêt Humtaba tempêtant
Archange du Cornu qui l’ouragan déclenche

Ainsi marmonne un nain bossu barbu et laid
Vidant d’un trait son sac d’imprécations haineuses
Qui prend cette forêt pour son propre palais
Me voyant en démon des contrées buissonneuses

Darbrent l’Exorciste se nomme le gnome hideux
Qui danse et ondule sous l’argent de la lune
Jurant et crachant un torrent de mots bileux
En circonvolutions le boiteux m’importune

Dis si tu veux vraiment que je quitte ton bois
Quel est le bon chemin qu’il faudrait que je suive
A courir sans arrêt en rond autour de moi
J’ai le tournis Je veux le saisir Il esquive

Cette peste sautant prestement sur ma main
Cruellement la mord de ses chicots noirâtres
L’exécrable ricane allumant l’inhumain
Brandon de la démence en ses yeux opiniâtres

Que par ma morsure tu meurs empoisonné
Et que ta charogne les marais contamine
Pestilence issue d’un ventre mal fécondé
Surtout ne me suis pas démoniaque vermine

Il disparaît dans les buissons tout en signant
Dans la nuit l’emblème des forces tutélaires
Bandant sur ma paume son souvenir saignant
Je pars à l’opposé du nain vernaculaire

Car je n’ai nulle envie d’affronter l’enragé
Maître d’un lieu infect et lanceur d’anathèmes
Mon unique souci est d’ici dégager
Sans jamais plus revoir sa face d’apostème

Sous l'argent de la lune © Mapomme

vendredi 15 juin 2012

Impelyon. Le récit de Nerviale


Dans une auberge honteuse où nous étions venus
Pour cacher nos amours honnies et vénéneuses
La dispute éclata incident saugrenu
Tel un volcan renait des fosses caverneuses

On ignore pourquoi dans un azur serein
Eclate un orage soudain sur la campagne
Mais on peut prédire que son cours certain
Détruira sans raison nos châteaux en Espagne

Les portes en claquant battent le fatal glas
Qui nous anéantit du poids brutal de l’âge
Nous étions en été et voilà le verglas
Et notre amour constant se montre hélas volage

Je pleurais sa peau douce et son corps printanier
Ferment des feux floraux de la vive jeunesse
Ainsi que son esprit bouillonnant outrancier
Et ses bijoux verbaux d’une extrême finesse

Ô pâle voyageur connais-tu la douleur
Des trop mornes soirées de froide solitude
Quand le vide fauteuil a perdu ses couleurs
Ressassant sans cesse d’absentes turpitudes

Non sans doute as-tu pu mieux maîtriser ton sort
Ton visage dégage un étrange mélange
De chagrin résigné de manque de ressort
Et d’un cran te poussant à défier l’avalange

Peut-être as-tu hurlé pour mieux la provoquer
Quant à moi j’étais privé d’une part de moi-même
Et j’errais en tous lieux en barde défroqué
Ne trouvant plus un vers pour sertir ses poèmes

Ainsi j’allais partout pénitent sans sa foi
Accablé sous le poids de mes chaînes brisées
Je cherchais quelque dieu adoré autrefois
Mes rimes sans éclat sonnant trop maîtrisées

Ainsi que tu l’as fait je fis halte en ce lieu
Gémissant sur mon sort regardant en arrière
Refuge du refus cet enfant capricieux
Du remords périlleux sur la verte clairière

Le regret y plante ses racines si fort
Tissant le canevas d’une cage sylvestre
Les arbres de l’îlot comportent en leur for
Une âme asthénique que l’écorce séquestre

Voyageur fuis vite ce lieu malenchanté
Avant d’être figé dans la forêt des larmes
Pris au cœur des cernes à jamais tourmenté
Fuis sur l’instant l’îlot et ses pernicieux charmes

Le voici qui s’exprime avec difficulté
L’écorce recouvrant à présent son visage
J’ai quitté Nerviale sans même discuter
Rejoignant la fange du sombre paysage

En guise de merci j’ai agité la main
Car il m’avait sauvé de la pire traîtrise
Une branche a tremblé d’un geste presqu’humain
Sans doute sous l’effet d’une trompeuse brise

La dispute éclata © Mapomme

Impelyon. Dans les mangroves


Par les sentiers obscurs et les verts ténébreux
Je vais depuis des jours en contrée inconnue
 Lourd de mes souvenirs et des moments nombreux
L’image d’un baiser toujours entretenue

La nature du sol a quelque peu changé
Les volutes de brume autour des arbres dansent
Et font planer l’idée d’un vaporeux danger
Dans ce bourbeux cloaque où lentement j’avance

Je patauge et je peine en cette opacité
Des ramées emmêlées filtrant un jour sans flamme
Dans les ombreux marais frappé de cécité
Me croyant dans un cercle où se perdent les âmes

Dans l’ombre moins dense j’aperçois un îlot
Qui me propose enfin le repos d’un sol ferme
Le soleil verse ici un rayon moins pâlot
Et sur l’herbeux tapis ma quête trouve un terme

Un voile nébuleux plane implacablement
Sur l’étrange clairière ainsi qu’un maléfice
Drapant jusqu’aux buissons d’un fol accablement
Où l’égaré marcheur se livre en sacrifice

Un sommeil douloureux couvre de ses vapeurs
Sous sa cape empesée d’un sournois sortilège
Ce corps qui n’en peut plus pris soudain de torpeur
Voyant en ce repos un sage privilège

Je sombre dans un somme qui parait mérité
Appuyé contre un arbre arbre abattu moi-même
N’ayez aucun remords dit avec vérité
Une voix sans nul corps dans une douce flemme

Je regarde en tout sens sans effet convaincant
Pas une âme qui vive et pas une ombre en vue
Surtout pas de regrets reprend cet éloquent
Conteur immatériel d’origine inconnue

Je ne vois toujours rien sur cet îlot désert
Sinon l’égarement d’un esprit qui dérive
Car il n’est près de moi aucun être disert
Dans les marais brumeux pour cette voix plaintive

Au cœur des mangroves il poursuit sans émoi
Je vous préviens mon cher en toute connaissance
Voulant vous épargner ce qu’il advint de moi
Car cet îlot maudit punit notre innocence

L’arbre auprès duquel je cherchais le repos
Enserre un visage dans son tronc maléfique
D’un homme n’ayant plus qu’une écorce pour peau
En ce sylvestre écrin aux sèves vénéfiques

Un visage malingre aux yeux désabusés
Sous un haut front ridé par la mélancolie
Luttait tel un marin par le sort médusé
Frappé par un regard de divine folie

Face à son sort l’homme offre un regard effaré
Je conçois à peine mon mal inexorable
Ecoutez mon récit quand je peux le narrer
Et vous saurez alors ma malchance incroyable

Nerviale © Mapomme

mercredi 13 juin 2012

Impelyon. Départ du palais d’Argobal

J’ai quitté le palais orné de mille tours
Aux divins jardins clos dans l’ombre florescente
Dont les savants jets d’eau dessinent les contours
D’un cristal éphémère qui dans les bassins chantent

Les suaves senteurs des pétales sucrés
Ont imprimé mon âme à l’encre indélébile
Ce que l’on aime encor on a pu l’exécrer
Pour souvent se montrer figé et immobile

Les tours opalines et les remparts laiteux
Dans le ciel vespéral teinté de feux orange
Quand le soleil n’est plus qu’un regret capiteux
D’une ligne brisée signent un rêve étrange

Les fresques murales murmurent les rumeurs
Etouffées d’assemblées des ancêtres barbares
La cité des Rois-dieux résonne des clameurs
D’étals achalandés par l’unique gabare

Jusqu'aux portes d'Argobal devant les badauds
Huit Pénitents masqués bruissant leurs litanies
Et le Maître des Clefs un notable lourdaud
Dans son sarrau d’office entamaient l’avanie

J’ai quitté Argobal et sa haute-cité
Le coin des artisans et la zone érudite
Dominant les quartiers de l’infélicité
Dans le dédale odieux des cent rues interdites

Au cœur de la foule cet océan humain
Qui charrie dans son flot la saveur épicée
De la curiosité j’ai senti le jasmin
De ta compassion quand j’allais sous les huées

Pleure mon âme sœur pleure et vide ton cœur
Du tambour oppresseur car je laisse derrière
Moi tout sur le décret du Grand Ordonnateur
L’ombre des arcades et le jour des verrières

Jamais plus nous n’irons tout drapés de bonheur
Dans des promenades chastes et silencieuses
Nourris d’un seul regard et du précieux honneur
De tenir cette main tremblante et délicieuse

Jamais plus nous n’irons voir depuis les remparts
Le soleil flamboyer sur les tours éclatantes
Adieu donc les places aux dauphins et guépards
Ornant les fontaines sublimes et chantantes

Je les porte en mon cœur tel un frisson de deuil
Tandis que s’entrouvrent sans nul espoir les portes
Je laisse ce que j’aime en franchissant le seuil
Je garde ton image ultime que j’emporte

Comme une fleur séchée vestige d’un printemps
Qu’on garde dans un livre comme sainte relique
Je t’ai souri enfin le cœur tout palpitant
Avant de m’éloigner sous l’opprobre publique

Le palais ancestral des Rois-dieux d’Argobal
Brille d’un dernier feu sur les tours opalines
Serti tel un diamant sur le roc féodal
Se dissipant soudain en passant la colline  

Il me faut oublier les jours évaporés
Car ce que j’ai été je ne pourrai plus l’être
Laissant mon vain blason au seuil déshonoré
De mes amis d’hier j’ai dû brûler les lettres

J’emmène dans ma besace outre quelques habits
La cause des tourments pour unique vestige
Mes innocents écrits pour qui je suis banni
Car ils auraient terni d’un grand nom le prestige

Par le Grand Conseil à jamais méprisé
Puisque j’ai critiqué la norme suprême
Je m’en vais donc chassé mais nullement brisé
Par les sentiers obscurs vers les terres extrêmes

Le maître des clefs © Mapomme

samedi 9 juin 2012

Croisière. Les fruits acides


J’ai vu la Pyramide et la Vallée des Rois
Petra en Jordanie taillée dans la montagne
Le pays d’Atatürk et son libre détroit
La Grèce et l’Italie le Maroc et l’Espagne

D’Aléria à Florence j’ai mené mon ennui
Comme on promènerait un frère de voyage
Sans jamais parvenir à retrouver l’oubli
Mais les eaux sans oubli sont un triste mouillage

Elles s’avèrent un mal plus lourd que le chagrin
 La peine est une amie occupant mes pensées
On se méprend parfois lors d’un circuit marin
Sur l’ultime dessein qu’une quête insensée

Je pensais imposer le vide à mon esprit
Alors que je cherchais la simple accoutumance
J’ai porté mon fardeau et j’ai été surpris
De cesser de pleurer sur un sort sans clémence

J’ai observé la vie autour de moi vibrant
Lui trouvant quelquefois un charme insoupçonnable
Auquel le temps rendra le bouquet sidérant
Car dans des lits j’ai pris des plaisirs mémorables

Sans jamais espérer l’improbable festin
Et de ta lettre enfin l’incertain arrivage
Je croquerai des fruits cueillis sur le chemin
Vénérant le goût acide des baies sauvages

Je croquerai sur le chemin © Mapomme

Croisière. Sœur chérie de Byzance


Les échos étouffés d’une fête privée
Résonnent au lointain sur les brumeux canaux
Par le mystère ambiant mon âme est captivée
Tandis qu’en silence la gondole fend l’eau

Les palais aux loggias transpirent le secret
Devant eux s’élèvent les poteaux d’amarrage
Rayés de rouge et blanc et d’un étrange attrait
Sand aima parait-il Musset dans ces parages

Les rumeurs des ligues rappellent les serments
Les cadavres charriés par l’eau de la lagune
Dans l’ombre d’une arcade attendait patiemment
La dague étincelant dans un éclair de lune

Voici bien des siècles qu’on vient au Carnaval
De la cité sur l’eau sœur chérie de Byzance
La soie tissa jadis un commerce naval
Laissant le souvenir d’une lointaine aisance

Venise reste et nous cheminons déjà morts
Malgré nos bals mondains nos phrases cultivées
Avec nos brumes nos peines et nos remords
Qu’en vain nous étouffons dans des fêtes privées

Sur les brumeux canaux © Mapomme

Croisière. Dimitri et les mouettes


Dimitri extirpe du ventre de la mer
Des amphores qu’il vend aux touristes stupides
Son commerce me rend nostalgique et amer
Ses vases trop récents le rendant plus cupide

Il y colle souvent quelques décorations
Prises sur les rochers pour les rendre authentiques
On a connu jadis semblable opération
En vendant de fausses mais très saintes reliques

Je songe aux mouettes tombant sur les labours
Tout fraîchement tracés dans la glèbe fertile
Délaissant l’océan pour migrer vers les bourgs
Oubliant le poisson pour un milieu hostile

Ce peuple autrefois fier pour qui tout étranger
N’était qu’un barbare ce peuple à la naissance
De notre société ce peuple ayant changé
Vend tristement son âme aux nouvelles puissances

Bientôt il cèdera sa convivialité
Ne voyant plus en nous que quelques tiroirs-caisses
Il symbolisera alors la vacuité
On oubliera son art sa gloire et ses prouesses

Le charme du pays sera changé par l’or
D’incultes voyageurs qui viendront tout détruire
Je bois de l’ouzo à la taverne du port
Pendant qu’on sait encor danser chanter et rire

Dimitri et l'or bleu © Mapomme