mercredi 29 mars 2017

Stances. Saoirse

Liée fut Saoirse à un despote âgé
Recluse en son château privée de promenades
Dans les bois alentours sans pouvoir partager   
Des rêves d’avenir dessous les colonnades
Des secrets chênes verts aux arcs ombragés
Saoirse rêvait de douces sérénades

Par malheur je l’ai vue à sa tour soupirant 
On ne sait comment nait cette fièvre en son être
C’est un mal fulgurant atroce et attirant
Car on voudrait la voir le soir à sa fenêtre
Demeurant silencieux dans l’ombre délirant 
Obscur devient le jour On n’y veut plus paraître  

Mais le despote a su quel mal me torturait
Pourquoi j’étais fantôme allant parmi la foule
Livide et maladif et certains m’assuraient
Que je montrais l’aspect effrayant d’une goule
On me saisit guettant à l’abri d’un muret
Lié pour m’emmener couvert d’une cagoule

Je fus attaché nu sur un cheval ardent
Non dressé m’emportant vers les forêts sauvages
Domaine des loups gris féroces et mordants
Du royaume d’Hadès j’abordais le rivage
Pour gagner Saoirse d’un espoir sourdant
Nombre ont voulu briser les chaînes du servage

Saoirse est cloîtrée par tous les vieux tyrans
Pour enfin s’envoler avec un soupirant
 Jeune femme en toilette de bal © Berthe Morisot


vendredi 24 mars 2017

Stances. L’invisible à l’homme révélé

En été scintille l’infini constellé
Milliards de cœurs battants d’un abîme insondable
Et voilà l’invisible à l’homme révélé
Dont l’esprit cartésien entrevoit l’improbable

En dépit du givre de l’hiver expirant
Une fleur dans le champ signe la résurgence
De l’indomptable vie tel un charme opérant
Par-delà les états de notre intelligence

Quand s’enfle l’océan lors des froides saisons
Et qu’éclate l’écume au plus fort du solstice
Fascinés par l’ire sans rime ni raison 
Les rois voient que sont vains les palais qu’ils bâtissent

Aucun dessein humain n’embrasse l’infini
De vouloir le singer l’homme est toujours puni 
L'invisible à l'homme révélé © Mapomme 


jeudi 23 mars 2017

Stances. Andromède au jardin d’Abaddon

Jadis beaux les jardins sont tous à l’abandon
N’y poussent que l’ortie la morelle et le lierre
Plantes inféodées au démon Abaddon
Le passant effaré fuit cette grenouillère 

Le jardinier sommeille et tout va à vau-l’eau
Bêche et pioche ont rouillé dans le cabanon clos

Les feuilles sont rongées et les fruits tavelés 
À quoi bon s’épuiser en vains efforts zélés

La mûre par le geai est mangée encor verte
La campagne sommeille et le pays se meurt
Les récoltes d’ailleurs en ville sont offertes 
La barque est emportée à défaut de rameurs  

Si Andromède offerte à un monstre marin
In fine fut sauvée nul n’aide ce jardin

Aucun Persée ne vient le sauver du chaos
Bêche et pioche ont rouillé dans le cabanon clos 
Andromède au jardin d'Abaddon © Mapomme et Gustave Doré 


dimanche 19 mars 2017

Stances. La parabole des aveugles

Marchez hors des sentiers et au bord des ravins
Derrière un nouveau guide à la langue enjôleuse 
Peignant des lendemains faits de miel et de vin
Sans effort à fournir toute aube est fabuleuse

Un aveugle aux autres désigne le chemin
Vers l’avenir radieux que promet cet auspice
Ils le suivent confiants se tenant par la main
Et comme lui vont choir au fond du précipice

Faut-il s’attendre à mieux qu’un gouffre collectif
Quand le guide impromptu sort tout droit de l’hospice
Par les rues des cités il sera réactif
En dehors se montrant des Parques le complice

Aux culs tout cousus d’or un faux Midas promet 
D’obliger l’indigent aux pires sacrifices
On ne tond pas un œuf Le tribun n’y peut mais
Une fois au pouvoir grâce à cet artifice  
 La parabole des aveugles © Pieter Brueghel l'Ancien
+ Mapomme pour le collage

samedi 18 mars 2017

Stances. Au jardin des idées les roses sont flétries

Au jardin des idées les roses sont flétries
Restent les épines pour écorcher l’espoir
Sont perdues les notions de Progrès de Patrie
Les nains de la pensée n’aspirent qu’au pouvoir

Mais vouloir et pouvoir s’espacent d’un abîme
Par des chiffres abscons le souffle est remplacé
En sort un jappement sans envolées sublimes
Et les économies d'un projet mal pensé

Au jardin des idées on cherche le Grand Homme
Qui fera refleurir les massifs de l’espoir
Plane au-dessus des nains l’ombre de son fantôme
La meute peut japper sans jamais le valoir

Affairisme et rapine en guise de programme  
C’est l’envers du décor de tous sans exception
Car un amas d’idées cache mal ce qu’ils trament
Nous aurons à payer mensonge et inaction   
Les roses sont flétries © Mapomme 

Stances. La liberté de l’un des autres n’est point serf

Anges plein de bonté délivrez-nous du bien
Quand il serait mépris et interdits ineptes
D’une étroite vertu n’apportant jamais rien
Et enflammant pourtant d’obscurantins adeptes 

La liberté de l’un des autres n’est point serf
Ce troupeau tyrannique impose son oukase
Il veut tout régenter et sans cesse il dessert
Le bonheur de tout être En deux mots il nous rase

Anges plein de bonté délivrez-nous du mal
Celui qui s’est paré de l’habit pieux d’un moine
Ce faux saint assaillant tout esprit marginal
Sans porter en son cœur les qualités idoines

Quant à moi je m’en vais de ce monde à regret
Pour n’avoir pas connu le jardin des délices
Ruinés sont les futurs de cet Éden aigret
Les voir se déliter me fut un vrai supplice

Les tourments de l’Enfer seront un paradis
Ayant porté la croix d’une odieuse existence
Le feu qui m’animait jadis s’est refroidi
De ses cendres naquit le phénix de ces stances 
Le jardin des délices à l'oeuf de concert © Hieronymus Bosch
+ Mapomme pour le collage 


samedi 11 mars 2017

Les trente calamiteuses. Les oies dormaient

Les oies dormaient à l’ombre des orangers
Repues d’avoir trop bien mangé
Sans pressentir le grand danger
Des temps qui avaient tant changé

L’horizon charriait un ciel de plomb   
Masquant déjà les soleils blonds
On s’enivrait de bals et de flonflons
Mais aussi du vin de houblon

Aucun empire n’est durable
La paix est un château de sable
On n’écoute plus à l’école
Dormaient les oies du Capitole
Dans l’optimisme lamentable
Se nourrissant d’illusions folles

Les oies dormaient sans rien redouter
Sans vouloir le sage écouter
Chacun voulait encor goûter
Les plaisirs doux et veloutés

Le Progrès nous montre un seul visage
Celui du rêve et des mirages
Pour endormir les enfants sages
Mais il peut porter le carnage

Repues d’avoir trop bien mangé
Sans pressentir le grand danger
Dormaient les oies du Capitole
Étaient finies les années folles
Et les temps allaient bien changer
Brisées sont les fausses idoles

Finis les chants des farandoles
Dissipés les plaisirs frivoles
 Les oies dormaient © Mapomme
d'après Sand73