lundi 25 mars 2024

Sonnets sertis. Incendie du Reichstag

C’est toujours le même modus operandi
Que reprend un tyran, quand fonctionne le crime.

Le génie du despote est de tirer profit
Des actes criminels d’un groupe réfractaire,
Pour choisir un fautif qui l’a mis au défi,
Pour tout éradiquer et régner sur sa terre.

Le peuple le suivra, qu’il soit ou non ravi,
Car le contraint la peur, qui toujours le fait taire ;
Si le délire est grand, mensonger à l’envi,
On cède à la fureur par un savant mystère.

La paix éternelle reste un mythe tragique
Qui aide les tyrans à venir récolter
Les fruits à leur portée, sans prétextes logiques.

Les esprits éclairés voudraient se révolter,
Mais peut-on réagir, si cette paix magique
Atténue le courroux qui doit en résulter ?

Le Reichstag a brûlé, au cours d’un soir maudit,
Et le tyran arma son meurtrier régime.

Incendie du Reichstag © Mapomme

dimanche 24 mars 2024

Sonnets sertis. La Muse et le poète

Un poète œuvre seul, même parmi la foule,
Aidé par sa Muse que nul autre ne voit.

Sur la Chimère ailée, il survole l’abîme,
Où il entend gémir un vaste amas bruissant,
Dont lui parvient l’écho des licences intimes,
Malgré des prières sur un ton frémissant.

Aède, vois trembler, dans ce combat ultime,
Ce peuple des tréfonds, dans l’ombre nourrissant
Des craintes infinies, qui ne voit pas ses crimes,
Et dont l’âme se tord, vil fruit se flétrissant.

Le poète, abattu par l’ampleur du désastre,
Fait halte sur un roc et scrute le ravin,
Où se débat ce peuple abhorré par les astres.

« Ô Muse, inspire-moi vite des vers divins,
Tant le tourment saisit tripes et épigastre,
Quand, face à la sombreur, mes sonnets semblent vains ! »

« Allons, mon doux rimeur, tous ces démons et goules
Ne doivent étouffer, en aucun cas, ta voix ! »

La Muse et le poète © Mapomme
d'après Gustave Moreau

vendredi 22 mars 2024

Sonnets sertis. Le poète persan

Poète, prends ta lyre et chante le désert,
Ce désert éternel que le simoun modèle !

Sur l’infini de sable et sous celui des cieux,
Perçois l’immensité, qu’elle imprègne tes rimes,
Que ressent le marin qui l’affronte, audacieux :
Restitue sa magie qui sur l’ivresse prime !

Ici, l’humain n’est rien, face au calme précieux,
Car briser le silence est quasiment un crime ;
S’agitent des pensées, des rêves délicieux :
Renonce à l’apathie dont ton esprit se grime ;

Entends donc ta Muse éveillant ta vision,
Que dans le bruit furieux des cités si grouillantes
Tu n’aurais pas perçue ou prise en dérision.

La rumeur couvre ainsi ta pensée bredouillante,
Présentant la beauté ainsi qu’une illusion :
La vastitude inspire des rimes sémillantes.

Fais une pause, ici, car le silence sert
À donner du désert une image fidèle.

Le poète persan © Mapomme
d'après Gustave Moreau

mercredi 20 mars 2024

Sonnets sertis. Un amour immortel

Lorsqu’on franchit un seuil et que l’on en revient,
On n’est plus tel qu’avant ; mais alors, on l’ignore.

Qui franchit l’Achéron pour la rare faveur
De fouler les enfers et d’en sortir en vie,
Ramenant Eurydice, en merveilleux sauveur,
Qui se verrait ainsi à son antre ravie,

Perd une part de lui, dans l’ombre et les vapeurs.
S’étant tourné pour voir, sur la pente gravie,
Dans un réflexe idiot, commandé par la peur,
Son épouse il perdit, pour cette folle envie.

Retrouvant le soleil et l’azur lumineux,
Il n’était plus qu’une ombre en ce monde exilée ;
Tout jour qui se levait lui semblait chagrineux.

Quand la mort atroce s’est enfin profilée,
L’enfer le libérant de son sort épineux,
Il revint pour la seconde fois d’affilée.

Avec son Eurydice il renoua le lien
Et cet antre obscur de l’amour se colore.

Un amour immortel © Mapomme d'après Anselm Feuerbach

Sonnets sertis. La Mort berçant Orphée

La Mort avait trouvé dans les flots transparents
La tête manquante de l’éploré Orphée.

Sur sa lyre posée, le visage serein,
Il avait les yeux clos, dans la paix éternelle ;
Destiné à rallier le monde souterrain,
Il verrait son amour, hors des passions charnelles.

Muses, réunissez, dès le soir purpurin,
Ce corps qu’ont disloqué les Ménades rebelles :
Qu’il retrouve Eurydice à l’éclat ivoirin,
Pour irradier l’obscur de son amour fidèle !

S’effaceront les noms des rois et des guerriers,
Des nobles, des puissants et de bien des ouvrages
Pour légendes tenus, mais bien que contrarié,

Triomphant de la mort, des tourments et des rages,
Des désirs incongrus d’un dieu grec oublié,
L’amour résistera au Temps et ses outrages.

Jaloux sont les vivants, l’envie les égarant :
En enfer les amours ne sont plus étouffées.

La Mort berçant Orphée © Mapomme d'après Gustave Moreau

mardi 19 mars 2024

Sonnets sertis. Orphée sur le rivage

Revenant des enfers, Orphée s’était tourné
Et avait à jamais perdu son Eurydice.

Or, parmi les vivants, il allait tel un mort,
Fantôme au cœur glacé, privé de sa musique ;
Il soupirait, rongé par un profond remords,
Rageant de n’être pas devenu amnésique.

Nul animal n’était charmé par ses accords,
Car il n’atteignait plus cet état extatique,
Conférant au divin, qu’il maîtrisait encor
Avant cet épisode à l’issue dramatique.

Bien de femmes tentaient de consoler son cœur,
Sans qu’il eût un regard paraissant une invite ;
Elles partaient déçues par son dédain vainqueur.

Malgré son désespoir grandement explicite,
Les Ménades sur lui, se lancèrent en chœur,
Le démembrant, prises d’une rage subite.

Qui, dans le sombre enfer, a un jour séjourné
Comprend que, sans l’amour, vivre est un préjudice.

Sur le lit de la haine © Mapomme
d'après Félix Vallotton et Gustave Courtois

Sonnets sertis. Sur le lit de la haine

Un amour peut fleurir sur le lit de la haine,
Dont la fièvre corrompt tout virginal éclat.

Sait-on d’où vient ce goût pour les fureurs humaines,
Qui font des clans rivaux et poussent aux combats ?
Le rejet ou l’orgueil vers les ténèbres mènent
Des groupes endiablés voulant tout mettre à bas.

Se voulant plus puissants, étendant leurs domaines,
Des maisons s’opposent dans les villes-états ;
Ces faux soleils géants sont des étoiles naines
Qu’ignore en la cité le régnant potentat.

Conduit par l’orgueil vil, un tel différend gêne
Les flammes spontanées, plongées dans l’embarras,
Dont le sincère amour est privé d’oxygène.

Que chaud aux cœurs épris un stupide apparat,
S’il nourrit des hymens faits de regrets et peines,
Alliant des familles sous les fers d’un contrat !

Quelle ardeur germera de cœurs couverts de chaînes,
Dans une union soumise à d’éternels verglas ?

Sur le lit de la haine © Mapomme d'après William Holman Hunt

Ce tableau s'inspire d'un poème de John Keats, "The eve of St Agnes". (La vigile de sainte Agnès, où la vigile est la veille d'une grande fête, jour d'abstinence et de jeûne, chez les chrétiens).
Ici, le poème conte la fuite de deux amoureux, Porphyrio et Madeline, issus de deux familles rivales, à l'instar des Capulet et des Montaigu. Les gardes ayant bu, en dépit du jeûne, les deux amoureux partent ensemble.