jeudi 31 mai 2012

Croisière. Regrets de Salammbô


J’avais le fol espoir de passer par Carthage
Pourtant nous partirons en Sicile demain
Tant pis pour la cité qui voulut en partage
Le monde ancien connu sous l’empire romain

Elle avait exploré les fureurs atlantiques
Remontant en Bretagne ignorant les dangers
Descendant sans frémir les côtes de l’Afrique
Cherchant à s’étendre plus loin vers l’étranger

Elle eut le très grand tort d’accroître son armée
Ce qui contraignit Rome à une réaction
J’ai vu deux Marocains sous les vertes ramées
Heureux de boire un thé avec délectation

Carthage n’a pas eu cette belle sagesse
De demeurer à l’ombre et se faire oublier
On veut obtenir plus par de folles prouesses
Et on se fait châtier à force d’ennuyer

L’impudent perd le peu qui faisait sa fortune
En comprenant soudain qu’à l’ombre d’un palmier
Tandis qu’il désirait fouler du pied la lune
Il possédait déjà un trésor d’amitié

Dieu me donne la joie de retrouver le calme
Et un dernier ami s’il m’en reste encore un
Et de m’asseoir à l’ombre apaisante des palmes
Au lieu de m’égarer en périples marins

Voguant sur le bateau j’admire ces deux hommes
Car j’avais des amis sortes d'esprits-siamois
Vers un azur plus bleu tous sont partis en somme
Si bien que ces deux là sont plus riches que moi
 Salammbô © Mapomme

Croisière. Le passé recomposé


Au bazar la voyante a conté mon passé
Bien plus beau que le vrai Je l’ai donc acheté
Puis ce fut mon présent Je le lui ai laissé
Dès qu’elle a dit le mot futur j’ai sursauté

Non Laissez-le aux crétins bouffis d’ambition
Nous aurons bien des mois des ans pour déchanter
Fi de la vérité gardons nos illusions
Plus impératives que la réalité

Grâce à l’espoir parfois elle deviendra rêve
Il est plus important de vouloir que d’avoir
Tout accomplissement est un espoir qui crève
La crainte d’échouer vaut tous les vains savoirs

Parvenu au sommet l’alpiniste est déçu
Il a perdu son âme et redescend sans flamme
Aussi faut-il craindre d’avoir un aperçu
Qu’il soit bon ou mauvais de l’avenir madame

Combien mourraient déjà sachant l’inanité
De leur future vie qu’un passé détermine
Que des espoirs naissants il fait des vanités
Qu’ils sont toujours promis à l’infâme vermine

La voyante a souri prenant les pièces d’or
Et je suis reparti au soleil exposé
Par les rues désertées des vains conquistadors
En me récitant mon passé recomposé

Diseuse de bonne aventure © Mapomme

Croisière. La saeta

En robe de bure les pieds quelquefois nus
Tous encapuchonnés et les deux mains gantées
Les pénitents portent dans un rite inconnu
Un pesant brancard par les rues accidentées

Durant douze heures suivant les nazaréens
Eclaireurs mystérieux encombrés d’un grand cierge
Impassibles et froids le port marmoréen
Dans la nuit de Séville ils promènent la Vierge

Mon fardeau accablant n’est hélas pas moins lourd
Que le pompeux brancard dans les rues de souffrance
Derrière des rires feints je le porte toujours
Mon air désinvolte n’est que de circonstance

 Bien sûr je n’irais pas jusqu’à défier les cieux
Pour l’âme de mes pensées si belle soit-elle
Comme ce gentilhomme un amant audacieux
Malheureux dépité par une damoiselle

Qui balança un verre et la statue frappa
Défigurant ainsi l’image de la Vierge
Je ne m'entrevois pas quels que soient ses appas
Enfermé pour dix ans pour un tel sacrilège

Je crains et j’admire cette sainte ferveur
J’ai laissé la mienne sur de lointaines rives
La foi en un sauveur a perdu sa saveur
Nul réconfort dans des prières sédatives

Je promène mon doute au milieu des clameurs
La saeta transperce les rues de Séville
D’un sanglot étranglé vibrant d’étranges chœurs
J’aurais préféré la profane séguedille

Mon cœur n’a pas besoin d’un morose miroir
Du curieux cortège de la Sainte Semaine
Dès demain l’Alcazar retrouvera l’espoir
La joie des guitares ses chants et moi ma peine

Etrange procession © Mapomme

mercredi 30 mai 2012

Croisière. Les jardins de Boabdil


Avez-vous vu sur l’Alhambra
Jouer le soleil se mourant
Rougeoyant d’un ultime éclat
Sur les remparts indifférents

Le beau palais des rois Nasrides
Rubis sertis sur la montagne
Nouveau jardin des Hespérides
Est un fantôme de l’Espagne

Bâti pour le plaisir d’un jour
Voici bien sept siècles qu’il dure
On quitte à regret son séjour
Enluminé de fioritures

Ainsi qu’en un conte de fées
Au milieu du chant des oiseaux
On parcourt le monde d’Orphée
Dans le doux bruissement des eaux

J’ai fait ce voyage pour voir
L’Afrique égarée en Europe
Seul prodige apte à m’émouvoir
Quand le ciel se teint d’héliotrope

Je me suis vu en souverain
Ayant sous les yeux ce spectacle
D’un beau joyau en son écrin
Sans me lasser de ce miracle

J’ai deviné sa préférence
Pour un lieu chantant au matin
Ou sa vespérale espérance
En lisant un penseur latin

Roi Boabdil tu es à plaindre
D’avoir connu puis fuit Grenade
Son deuil constant devait t’étreindre
En songeant à ces promenades

Malgré la flamme d’un espoir
Je sais la perte irrémédiable
Et les frissons de nonchaloir
Sans nulle guérison durable

Jardin grenadin © Mapomme

Croisière. Le lieutenant d’Almeria


A quelques pas de moi un homme mène un âne
Dans des rues étroites portant des paniers pleins
De fruits exotiques d’ananas de bananes
Des marchands négocient parlant avec les mains

Crûment les murs tout blancs me renvoient la lumière
Je rôtis lentement Les pavés sont ardents
Dans l’ombre d’un portail sans faire de manières
Trois anciens se moquent et dévoilent leurs dents

Sur leur chaise en osier buvant une orangeade
Ils rient des chapeaux blancs des costumes d’été
Lançant en andalou de calmes galéjades
Tandis que nous allons rouges et hébétés

En promenade chaque après-midi je passe
Devant la demeure d’un ancien lieutenant
Il n’est plus reparu dit le marchand de glaces
En place publique depuis vingt-et-un ans

Le portier de l’hôtel qui semble plus plausible
Parle de cinq années ce qui est mystérieux
On dit qu’il ramena un mal des plus horribles
Lui rongeant le visage et il fuit les curieux

Mais d’autres prétendent autour de la fontaine
Qu’il craint la vengeance de quelque dieu inca
Car son régiment massacra une centaine
De membres d’une secte au lac Titicaca

La marchande de fruits affirme romantique
 Qu’il perdit la raison un soir à La Plata
Sa belle métisse sa déesse exotique
S’étant enfuie avec un gaucho des pampas

Il s’adonnait depuis à des drogues andines
Dans son orangeraie après le repas du soir
Il fumait un cigare importé d’Argentine
On l’entendait jouer du piano sans le voir

Un morceau de Chopin pleurant dans la nuit blême
Le spleen des arcanes depuis son monde clos
Le parfum des secrets est l’aiguillon suprême
Contre l’ennui des jours et les muets sanglots

Un morceau de Chopin © Mapomme

mardi 29 mai 2012

Croisière. La savane désenchantée


Tous les galants gazouillis des souïmangas
Tout l’éclatant métal des flancs du Katanga
Ne sauraient altérer le désenchantement
Du voisin Administrateur des Colonies
Car aucun safari ne peut chasser vraiment
L’inextinguible ennui de cette vie honnie

Peut-il se raccrocher à la petite tombe
Sur le jardin abandonné le jour succombe
La croix blanche est plantée tout près de la maison
Monsieur ne rentre plus dans cet endroit sans âme
Tandis que Madame boit plus que de raison
Dans des bras indolents elle s’offre sans flamme

Le souvenir s’avère un lancinant sanglot
Hanté par les photos d’un défunt angelot
Monsieur trouve sur la couche d’une Africaine
Un bref instant de joie avant d’être repris
Par la réalité et sur sa peau d’ébène
Il pleure sans espoir d’invoquer les esprits

Ô tous les feux mourants peuvent ensanglanter
Les points d’eau quand les troupeaux craintifs vont tenter
De s’abreuver tandis que rôdent les lionnes
Les buffles les zèbres pressentent le danger
Quand le jour en déclin d’un dernier feu rayonne
A ses maux ce tableau ne peut plus rien changer

La vie sauvage depuis ces funestes fièvres
Lui paraît sans relief et pour tout dire mièvre
Parfois quand il chasse l’envie lui prend soudain
De n’être pas plus fort de vaincre la détresse
Mais manquant de courage il vit avec dédain
Rejoignant sa brune maîtresse et ses caresses

Au jardin délaissé la croix de bois pourrit
Comme un corps nécrosé l’ocre terre nourrit
Si les yeux dans l’ombre de son casque on le croise
Dans la contemplation des lointains horizons
Négligent il répond par convention bourgeoise
A un vil salut sans espoir de guérison

Les trésors rubescents des mourantes savanes
Où des troupeaux géants lentement se pavanent
Ne peuvent raisonner le permanent dégoût
De l’Administrateur qui va prendre son poste
Au mutin Fort-Rousset après Ouagadougou
Avec le scepticisme du divin Arioste

Les troupeaux craintifs © Mapomme

Croisière. L’étrange passager


Dans les couloirs j’ai rencontré le passager
Qui occupe en secret la cabine voisine
Il charrie avec lui un parfum de regrets
Qu’il noie dans le Léthé de quelques magazines

Son regard embrumé trahit le déserteur
Suivi d’un passé sombre issu d’une autre vie
Quel péché cache-t-il lourd et dévastateur
A table toujours seul fuyant la compagnie

Il est l’unique ici comprenant mon tourment
Parmi l’essaim vorace aux propos peu amènes
Je suis le seul partageant son isolement
Nous traînons nos peines tel un forçat ses chaines

Le vaste brouhaha s’éteint dès qu’il paraît
Les centaines de voix s’expriment en sourdine
Comme un crapaud se tait quand foule son marais
Un dangereux intrus qui pourtant le fascine

Dans ce monde clos l’attrait de l’altérité
Permet toute opinion naïve ou vipérine
Tout solitaire attise la curiosité
Dans le désœuvrement des migrations marines

Je sens qu’il va se perdre en Afrique au Congo
Dans les denses forêts aux fièvres tropicales
Dans son délire ultime il repeindra en beau
Les erreurs du passé solution radicale

Un parfum de regrets © Mapomme

Croisière. Squales des coursives

Sur le bateau voguant vers un éden nouveau
J’observe l’horizon qui lentement s’éloigne
Vénérant le passé d’un doux culte dévot
Y bâtissant toujours des châteaux en Espagne

L’avenir me semble un passé en gestation
Et le présent s’avère hélas bien trop fugace
Seul le passé demeure avec obstination
C’est ce que proclamait mon précepteur sagace

Je soigne donc mon feint dédain de faux dandy
Dont le spleen incurable étend son vaste empire
Et que je noie d’un air badin dans des brandys
Normal d’éviter l’eau à bord d’un tel navire

Que d'eau Que d'eau Que d'eau a dit un fier idiot
L’écume d’abandon trace sa mort laiteuse
Le commandant Charon sur l’infernal rafiot
Mène l’humanité vers des aubes douteuses

Dans leurs chaises-longues on bronze son ennui
Avec le teint cuivré il sera acceptable
Un essaim papotant que sans cesse je fuis
Se nourrit de ragots et c’est insupportable

Propos cantharides et fielleuse érection
A ces ris vipérins je préfère un bon somme
Loin du poison de l’inhumaine condition
Y a-t-il déjà eu un peu d’humain dans l’homme

En groupe fourmillant agressant l’égaré
Qui s’en viendrait rôder près de leurs mandibules
Ces mantes peu religieuses ont déclaré
La guerre aux étrangers à leurs conciliabules

A ce verbiage acerbe étant très peu enclin
Je lis dans ma cabine évitant les coursives
Loin du vernis social des requins en déclin
Nimbés d’embruns iodés en colonie nocive

Des requins en déclin © Mapomme

lundi 28 mai 2012

Croisière. Question de point de vue

Il y a au village un être singulier
Famélique les cheveux et la barbe blanche
L’aspect repoussant d’un ermite séculier
La parole incertaine et la jambe qui flanche

Il a pris une cuite il y a cinquante ans
Et depuis chaque jour elle se régénère
La risée des enfants va d’un pas hésitant
Bredouillant avec un ami imaginaire   

On le trouve endormi trop saoul dans le fossé
Curieusement il assiste à toutes les messes
Bien qu’il s’y rende plein et tout dégueulassé
A gauche de l’autel il mène son ivresse

Les commères tonnent que c’est vraiment honteux
Si le Seigneur voit ça et autres anathèmes
Il suit les cantiques sur un ton cahoteux
Pour les funérailles comme pour les baptêmes  

J’ai soudain imaginé que si Jésus-Christ
Désirait nous tester et jauger nos carences
Voir ce que nous tirons de tous les Saints Ecrits
Il n’aurait pas choisi de meilleure apparence

La pensée m’amusant j’ai dès lors regardé
D’un œil très différent les actes de l’ivrogne
On se moquait de lui sans chercher à l’aider
Pire on l’encourageait pour rire sans vergogne

On laissait des minots venir pour l’agacer
Comme le font les taons sur les vaches soumises
Et aller en bande chez lui le tracasser
On le jugeait indigne d’aller à l’église

Il savait plus de chants que bien des mécréants
Car quel enseignement tiraient-ils des lectures
Des quatre évangiles sinon un grand néant
Et une sainteté drapant leur imposture

Dans l’allée centrale c’est alors qu’il tomba
Je l’aidais pris d’une bonté involontaire
Un homme dont chacun se moque ne peut pas
Être vraiment mauvais surtout s’il est à terre

Il sourit étonné une fois dégagé
Maudissant l’assemblée des moqueuses ombrelles
A cet instant je me suis senti plus léger
Et soudain la journée en a été plus belle

Un être singulier © Mapomme

Croisière. Sous un olivier


A l'ombre amicale d'un antique olivier
Je veux dormir fourbu sur un lit de fougères
Heureux comme un dieu grec en son séjour envié
Dans l'air chaud du mois d'août empli d’odeurs légères

Le vol des abeilles bercera mon sommeil
Sans même l'interrompre et du pommier sauvage
Le cri strident d'un geai chapardeur sans pareil
Ne pourra m’arracher aux orphiques rivages

C'est en cet endroit-ci qu’avant l’affreux malheur
Des paysans trimaient à s'en briser l'échine
Faisant pousser du blé par leur seule valeur
Sur d’ingrates pentes sans l’aide de machines

Puis la guerre est venue et ses moissons de croix
Et les fiers monuments liste laide et macabre
Gravés de noms obscurs de tourments et d’effroi
Des avenirs éteints sous le froid noir des marbres

Tous les champs cultivés furent abandonnés
Faisant place au maquis triomphant et sauvage
Dans le myrte et le thym on entend chantonner
Les refrains emportés par le furieux ravage

Ce chant inaudible dans les jaunes genêts
Est néanmoins repris par un chœur de cigales
Sirènes de l’été qui jadis apprenaient
Les odes de l’effort qui ce jour nous régalent

Comme un ancien berger de rêves se grisant
Tandis que son vieux chien va veillant sur les chèvres
Je dormirais heureux dans mon presque présent
Un brin d'herbe à la bouche et un sourire aux lèvres

Puisse mon cœur trouver une morphique paix
Se consoler du chant de la fauve nature
Sous le tronc supplicié par le temps sans respect
D’un antique olivier près des vertes pâtures

Je veux dormir fourbu © Mapomme

dimanche 27 mai 2012

Croisière. Les petits bonheurs


Au matin je descends promener ma langueur
Sur les galets rouges de la plage assoupie
Dans le roc des marches taillées avec vigueur
Mène au culte solaire d’une sieste impie

Sous l’or doux matinal le ressac incessant
 Comme un chant maternel et léthéen me berce
Assis sur mon rocher par le flot caressant
Façonné je me perds dans des pensées diverses

Je tente de lire Mon esprit est ailleurs
A mon entendement hélas les mots échappent
Citant Miss Roseway vers un monde meilleur
Et un fauteuil roulant loin d’une australe étape

Le sang bat le tam-tam d’un cœur désabusé
Usé par des jours trop longs et des nuits trop brèves
Par les deux bouts brûlant sans vraiment m’amuser
La chandelle sans y trouver ma part de rêve

L’Anglaise est repartie vers son pluvieux pays
Je serai le faux pas dans sa vie monotone
Le secret consolant d’un froid époux haï
D’enfants laids boutonneux et de grisaille atone

Un moment regretté car sans cesse embelli
L’aspérité apaisante d’une vie lisse
Et bien trop ordonnée sans honte ni délit
Dans le troupeau des femmes buvant le calice

Je referme le livre et tristement souris
Quel sera mon secret douloureux La chimère
D’une lettre arrivant qui toujours me nourrit
Ou d’une plaie qu’aux petits bonheurs on préfère

Je tente de lire © Mapomme

Croisière. Après avoir posté la lettre


Le pianiste joue un blues lent et souffreteux
Assis au noir comptoir ma seule compagnie
Est le barman en livrée à l’air vaniteux
Tout habité d’ennui de tics et de manies

Il entre une lumière pâle qui se perd
Par la baie à carreaux dans l’ombre de la salle
Et dans le piano-bar rien n’est clair ni apert
Bien qu’on y cherche une flamme paradoxale

Je peux boire des cocktails sans soif et sans fin
Je n’y trouve que le seul oubli de ma ligne
Dans la noirceur du bar quelques mentaux affins
Se meuvent et s’abreuvent sans pensées malignes

En quête d’avenir ou pleurant leur passé
Réunion d’isolés messe de solitaires
Noyons tous nos tourments dans des alcools glacés
Changeons la dépendance en rites délétères

Etouffons les regrets de ce qui ne fut pas
Mon voisin songe à sa vocation refoulée
Un enfant jamais né un douloureux trépas
Des corps dans les tranchées et des vies chamboulées

Pour ma part de mes pensées je veux abroger
Sur l’aile légère de l'ivresse naissante
Les maux et les passions qui viennent me ronger
Sur la plume complice entamons la descente

Noyons tous les chagrins dans des cocktails glacés
L'ivresse est la frontière invisible éphémère
Qu'il ne faudrait jamais par malheur dépasser
De peur de retourner sur les terres amères

Bientôt par le maquis j’irai dans l’air marin
Juguler l’écume des rudes crépuscules
Dans les libres senteurs du thym du romarin
Et des hellébores sorte de renoncules

Je croiserai comme toujours dans le salon
La jeune anglaise aux cheveux roux à la peau rose
Me regardant passer tel un bel étalon
Indécent appétit malgré son air morose

Chacun trouve du charme où d’autres n’en voient plus
Ce soir je vais céder sans bonté accomplie
Pour conserver l’ennui en mon seul cœur reclus
Il ne se partage pas Il se multiplie

Rien n’est clair ni apert © Mapomme

Croisière. Hôtel des calanques


Je t’écris depuis la terrasse de l’hôtel
Dominant la baie claire aux rochers qui affleurent
Dents fauves que révèle la lèvre de l’onde
La barque de pêcheurs dans l’azur immortel
Passe en toussant tandis que les mouettes pleurent
Le chant des galets sous la vague vagabonde

Le serveur en souliers vernis pantalon noir
Veste rouge brodée d’or et nœud papillon
M’apporte un cocktail frais aux couleurs exotiques
Puis part s’épongeant le front avec un mouchoir
Tel un marquis déchu au sourcil tatillon
Dans le murmure d’écume de l’onde hypnotique

Le vent joue avec la toile du parasol
Voile gonflée d’orgueil et qui par à-coups claque
La brise souffle sur la terrasse déserte
Un oiseau s’éloigne en son immobile vol
Des étoiles déjà lancent leurs feux héliaques
Les buissons frissonnent sur la calanque inerte

Je sirote un cocktail en regardant le ciel
Blessé de feux mourants vert à travers le verre
Des lorgnons solaires submergeant tout de jade
Sujet soumis aux paradis artificiels
Des vapeurs éthyliques d’un mauvais trouvère
Qui noie ses vers de pitoyables jérémiades

Tout à l’heure au village en vain j’irai poster
Cette lettre par le sentier crapahutant
La liras-tu toi qui t’es tue sans nulle trêve
Oh je donnerais tous les cieux illuminés
Les baies iridescentes les chants des cormorans
Pour nouer le fil brisé et boire tes lèvres

Je sirote un cocktail © Mapomme

vendredi 25 mai 2012

Croisière. Partir !

Ô poètes tisseurs d’inutiles ailleurs
Marmonnant dans les nefs vos folles psalmodies
Vous insufflez l’envie d’un horizon meilleur
Et vantez l’exotisme en vaines rhapsodies

Le parfum envoûtant d’un demain incertain
L’Eden redécouvert des vastes forêts vierges
L’hémorragie de feu dans un azur lointain
Où des singes exaltés hurlent près des berges

Le couchant écarlate où l’ombre d’éléphants
Beau mirage mouvant lentement se pavane
Enfantant le piège du rêve triomphant
Pour des papillons illuminés de savane

Un monde nouveau verse doucement son poison
La misère et la peine au soleil y raniment
Leurs cœurs meurtris sans nul espoir de guérison
Car l’ennui nous poursuit en ces pays sublimes

 Pourtant l’espoir subtile ciguë de l’esprit
Serine sans cesse que nos vies sont si brèves
Qu’il n’est plus qu’une envie dont le cœur soit épris
Partir enfin paraît la panacée du rêve

Le vapeur avale dans ses flancs tout tremblants
D’aveugles processions de quêteurs de chimère
Par ventrées entières dans des costumes blancs
Croyant laisser au port leur noirceur primaire

En terre dépucelée il vomit son flot
De nouveaux conquérants sous leur beau casque en liège
Ce monde en vase clos sol des muets sanglots
Fournira à l’Empire ses colons et concierges

Déjà sur les pistes désertes les porteurs
Indigènes promènent l’altesse dépressive
Dans la monotonie des vertes puanteurs
Des fleurs de jungle aux exhalaisons répulsives

L’ombre relative des vaines vérandas
Absorbe le rêveur qui s’oublie dans l’absinthe
Lassé du flamboiement des ciels de l’Ouganda
Et des nuits déchirées par d’animales plaintes

Pour se distraire alors quand les poissons d’acier
Versent sur la berge la laitance casquée
Les anciens vont rire des nouveaux grimaciers
Marchant désenchantés sur les pistes musquées

Ils rient à chaque gué du novice pleurant
Le contenu trempé de sa vaine cantine
Lettres de la fiancée et photos des parents
Fragment capital des terres philistines

Après l’accès de fièvre il mande à ses copains
Des photos d’éléphant et de femme africaine
Trompeuse porcelaine en lointains magasins
Quand marche l’éléphant que peut la porcelaine

Trompeuse porcelaine © Mapomme

jeudi 24 mai 2012

La vie devant soi

Ils fixent l’horizon confiants en l’avenir
Après la Tempête qui a changé l’Europe
Suivant le soleil d’or comme des héliotropes
La sanglante épopée permit de les unir

De cet orage haineux on n’a pu s’abstenir
Ce temps nouveau nous verse un rythme philanthrope
Tandis qu’on enrichit un commerce interlope
Pour que leur mariage soit un beau souvenir

A l’horizon lointain ils ne voient pas gronder
Dans un gouffre insondable un ogre de ténèbres
Qui patiemment attend pour venir émonder

Ils sourient à la vie sans même se douter
Qu’ils seront réunis par l’horloger funèbre
Délivrant des peines leurs dos alors voutés

Jeunes mariés © Leurpomme

mardi 15 mai 2012

L'énigmatique


Quand surviendra l’instant sans tambour ni clairon
D’acquitter la pièce pour le rivage adverse
La paupière empesée d’un ignoble sesterce
Mon écho à Caron nocher de l’Achéron

Malgré l’effroi glacé d’un infernal larron
Imposant aux défunts cet ultime commerce
Pour que de l’Au-delà se lève enfin la herse
Je rirai à le voir suant sur l’aviron

Je me fous du nocher autant que des Enfers
Advienne que pourra et qu’on me mette aux fers
Je n’ai pas d’intérêt pour ces vains paradigmes

Car c’est pour les vivants dans ma chambre assemblés
Que mes lèvres peindront afin de les troubler
L’incongru sourire posé comme une énigme

L'énigme d'un sourire © Mapomme