mercredi 31 mai 2023

Sonnets sertis. L'étrange Carmilla

À J. Sheridan Le Fanu

Que néfaste on pressent par un obscur auspice.

Certains dans le passé ont tutoyé l’abîme
Enivrés du danger et d’autres ont péri
Papillons attirés par un éclat sublime
Se brûlant les ailes pour un être chéri.

L’objet de leur amour est un troublant vampire
Qui la même passion paraît avoir nourri ;
L’enjôlé donnerait s’il l’avait un empire
Pour un mot presque doux l’esquisse d’un souris.

Laura a succombé à l’étrange inconnue
Recueillie une nuit après un accident
Émue par l’infortune en son âme ingénue.

Modérer sa passion n’est en rien évident
Et l’on vit un enfer croyant toucher aux nues ;
Se consume le cœur d’un désir trépidant.

Sait-on si Carmilla n’a eu qu’indifférence
Ou souffrit la voyant choir dans le précipice ?
L'étrange Carmilla © Mapomme
D'après un dessin de Joanna Ostrowska

Sonnets sertis. La Belle et la Bête

L’humain sort de l’enfance et change d’apparence
Troublé d’avoir un corps sans cesse évoluant.

Ce corps se transformait et prenait les commandes
Au point que je sentais un autre m’habiter ;
De tout nouveaux désirs mon âme était gourmande
Tandis que je changeais avec rapidité.

Des pulsions inconnues naissaient en sarabande
Sans que je n’aie le temps de pouvoir méditer ;
« Quels nouveaux changements en ce matin t’attendent ? »
Demandai-je au miroir en tout intimité.

On croise une belle mais - pauvre masse informe -
On se cache on se tait et on maudit le ciel
D’avoir produit un être en-dehors de la norme ;

On bafouille et on fuit sans aucun potentiel
À faire ici valoir et nos propos endorment
Produisant de soi-même un croquis très partiel.

L’amour nous rend stupide ôtant toute assurance
Et la Belle au final préfère un donjuan.
La Belle et la Bête © Mapomme
D'après Jean Cocteau

mardi 30 mai 2023

Sonnets sertis. Taedium vitae

Porter toujours la croix d’un monde de ténèbres
Où l’ignorant commande est un enfer pesant.

J’ai longtemps gaspillé les heures d’une vie
À chiffrer et compter sans mesurer le temps
Lequel a pu s’enfuir si loin de mes envies
De mes goûts initiaux dès mes lointains printemps.

Ma jeune existence me fut ainsi ravie
Peu à peu goutte à goutte et des rois mécontents
Vampires de mes jours goules inassouvies
Dévoraient le vivant cadavre encor comptant.

Loin des chiffres mes goûts inclinaient vers les lettres
Où l’on ne compte rien sinon les pieds des vers
S’enivrant d’infini qui seul peut combler l’être.

Il est quelques soleils quelques printemps ouverts
Amitiés permettant à la joie de renaître
Allégeant le fardeau d’une vie de travers.

Ai-je aimé détester ces quarante ans d’algèbre
Esclave irrésolu sans tyran malfaisant ?

Taedium vitae © Mapomme
D'après Hendrick ter Brugghen

lundi 29 mai 2023

Sonnets sertis. Songes des jours d’été

Sur la plage en été on jouait au volley
Entre deux bains de mer dans le frisson des vagues.

À des jeunes femmes j’inventais un destin
Devinant leur passé m’abritant dare-dare
Sous un parasol bleu car pâle était mon teint :
Demeurer blanc l’été me semblait une tare.

Je regardais la mer et l’horizon lointain
- Car le faible ressac m’assoupit et m’égare
Vers la rive embrumée des futurs incertains ;
Le rêve vient de rive et de l’esprit s’empare.

Les regrets les échecs sont enfin abolis
Dans mon songe éveillé avec tout ce qui navre
Et ce qui ne fut point s’y verra accompli.

Tant de destins rêvés dans l’ombre de mon havre
Sous les brûlants rayons n’ayant jamais faibli
Périssaient au soleil n’aimant pas qu’on le brave.

Les destins abolis jadis me désolaient
Mais féroce le Temps futurs et songe élague.
Songes des jours d'été © Mapomme

Sonnets sertis. Fausse peau de chagrin

Le cercle de mes jours comme peau de chagrin
S’est réduit à balpeau sans qu’un vœu on exauce.

Un jour que je flânais sur un long boulevard
J’avais acquis pour rien cette peau racornie
Chez un antiquaire atypique et bavard ;
J’avais cherché en vain l’or en Californie

Et sans rien je rentrais. Pour le dire sans fard
Je risquais fort de voir ma mémoire ternie :
J’allais le cœur empli d’un dévorant cafard
Quittant une maîtresse et sa chambre garnie.

« Méfiez-vous jeune ami ! » me prévint le vendeur
« Cette maudite peau deviendra votre maître
Au moindre des souhaits de fortune ou grandeur ! »

Je vieillis à grands pas et crains bientôt de n’être
Qu’un cadavre rongé inhumé sans splendeur
Sans avoir fait un vœu – je dois le reconnaître -.

Pour craindre un seul souhait il faut avoir un grain
Et au lieu d'un cerveau que de la blanche sauce !

Fausse peau de chagrin © Mapomme

dimanche 28 mai 2023

Sonnets sertis. La voix de ma conscience

Mon avis bien tranché ne peut que s’affermir :
Le monde serait mieux sans tyrans sanguinaires.

Sans les quelques sangsues sans limite accroissant
L’indécente fortune en vain accumulée
La Terre n’offrirait pas un futur angoissant :
L’humanité verrait la science stimulée.

Bosser pour dépenser est quelque peu lassant
Car la possession est par l’usure annulée ;
Sans ces individus des fortunes brassant
Sur notre Éden les plaies se verraient jugulées !

Dans mon demi-sommeil ma conscience m’a dit
- Car j’en avais une malgré mes turpitudes - :
« Sur quoi donc est bâti ton précieux paradis ?

Dans les enfers lointains des pires servitudes
On produit les bas-prix emplissant ton caddy ! »

Bien qu’elle se fût tue je ne pus m’endormir
Comme ma conscience le faisait d'ordinaire.

La voix de ma conscience... © Mapomme
D'après Hieronimus Bosch

samedi 27 mai 2023

Sonnets sertis. Les maîtres du destin

Par bien des conseillers notre vie est régie
De sagesse habillant leur infatuation.

Faut-il être ingénu pour leur faire confiance
Plaçant son avenir en de si piètres mains !
L’erreur leur coûte peu et seule l’inconscience
Pousse à mettre en danger nos précieux lendemains.

Guidé par la paresse ou bien par l’impatience
Nous empruntons souvent de sinueux chemins
Pour regretter après leur manque d’efficience :
Nous prenions pour génie un être assez commun.

Les jeunes gens ayant une vision très nette
Des meilleurs choix pour eux aux siècles précédents
Étaient à contre-cœur de simples marionnettes

D’un pater familias tous pouvoirs possédant
Quand bien même ses choix seraient très peu honnêtes ;
Soumission lui devait chacun des descendants.

Au moins si piètre un jour était ma stratégie
Je serais seul fautif de ma situation !

Les maîtres du destin © Mapomme

vendredi 26 mai 2023

Sonnets sertis. L’aube quand l'humain doute et quand chante l'oiseau

Dans le jour qui naissait par-delà l’horizon
Quel futur attendait la douce jeune femme ?

Chacun possède un rêve occupant son esprit
L’espoir inavoué d’une brillante étoile ;
Que de tendres desseins n’ont reçu que mépris
Ne pouvant un seul jour hisser leurs fières voiles !

Seul refuge un journal où tremblant on écrit
Des futurs convoités la substantielle moëlle
Qu’à chacun on taira de crainte d’un récri
Quand une bûche brûle et ronfle dans le poêle.

L’éclat naissant du jour met en joie les oiseaux : 
Qui sait en fait de quoi l’aube sera suivie ?
Méritait-elle autant de si joyeux scherzos ?

La jeune fille émue espérait de la vie
Beaucoup mais le destin du tranchant des ciseaux
Peut faire que l'attente à jamais soit ravie.

Une alliance conclue bâtira la prison
Où croupit l'existence ainsi rendue infâme.
L'aube quand l'humain doute... © Mapomme
Mansfield Park de Patricia Rozema d'après Jane Austen

Sonnets sertis. Quatre bombes sur scène

De Credence au juke-box du bar de mon village.

En fin d’été suivant j’ouïs à la télé
La chanson que j’aimais différemment reprise ;
Un talent inouï à mes yeux révélé
Partait d’un tempo lent qui soudain s’électrise :

Quatre bombes sur scène avaient accéléré
Sur un rythme envoûtant qui marquait leur emprise
Sur l’esprit possédé ; le monde sidéré
Découvrait ce talent à l’absolue maîtrise.

Cette vivante pile électrique à souhait
Disparut des écrans et revint au cinoche
Devenant l’Acid Queen rôle qu’elle jouait

Dans Tommy de Russell ; un rôle qu’on décroche
Ne suffit pas toujours au talent qu’on louait :
Puis ce fut Mad Max 3 et là plus d’anicroches.

Mais toujours je verrai en ado ahuri
La pile surchargée d'opiniâtre courage.
Quatre bombes sur scène © Mapomme

jeudi 25 mai 2023

Sonnets sertis. Outrance au rang d’un art

En ces années l’outrance obtenait nos faveurs
Le demi-ton semblant insignifiant et fade.

Nous nous rasions le crâne après d’idiots paris
Ou nagions au Vieux-Port dans l’eau presque glacée ;
L’excès était la norme et nous étions marris
De savoir que nos vies seraient cadenassées

Quand nous ferions semblant d’avoir enfin compris
Qu’il faut rester sérieux sur une voie tracée.
Pour une morne vie une âme est un grand prix :
L’emphase méritait seule d’être embrassée.

Mais peu à peu nos pas se faisaient modérés
Et quittaient le sentier des belles démesures
Sans qu’un jour on en ait vraiment délibéré.

Ce point dans notre vie marquait une césure
Un changement soudain et inconsidéré ;
Oh ! plus qu’un changement c’était une brisure !

J’ai revu voici peu Tommy dont la saveur
Éveilla le regret de mes vaines bravades.
Outrance au rang d'un art © Mapomme
D'après Tommy de Ken Russell
Avec Tina Turner (1939-2023) dans le rôle de l'Acid Queen

mercredi 24 mai 2023

Sonnets sertis. Dans le vent de l'automne

Jeune j’aimais marcher dans le vent de l’automne
Tandis que le futur s’approchait à grand pas.

Les cyprès agitaient leurs bras priant les nues
Et seul j’allais pensif et fort désappointé
Car de mes illusions simples et ingénues
Aucune ne restait que je puisse emprunter.

Le futur me semblait une mer inconnue
Où de sournois brisants attendaient d’esquinter
La proue de la chimère en moi entretenue
Le gros de l’armada se trouvant dévasté.

Envoyés par le fond gisaient donc tous mes rêves :
Pacifique autrefois hostile désormais
Je ne voyais au loin que l’océan sans trêve

Irascible et violent qui la mort nous promet
Une suite de jours maussades et sans sève
Et la plaine infinie d'une vie sans sommet.

Le vent soufflant disait du futur monotone :
« Sans cap d'Espérance à quoi bon un compas ? »

Dans le vent de l'automne © Mapomme

mardi 23 mai 2023

Sonnets sertis. Un tsunami de livres

Ma bibliothèque ressemble à un bazar
Avec plus de bouquins qu’on y trouve de place !

Toujours paraît un livre objet de mon désir
Pour un simple chapitre ou même peu de pages
Abordant un thème qui fonde mes loisirs ;
Je préfère leur odeur à celui des alpages.

Les anciens m’ont offert le plus grand des plaisirs
Celui que connaissent les nombreux librophages ;
Tout livre tentateur sera bon à saisir
Pourvu qu’il nous mène vers de nouveaux rivages.

Toute passion comportant ses désagréments
Mon bureau étrécit car grandissent les piles
Et je dois acheter dès lors modérément.

Le temps qui me reste - chose qui m’horripile ! -
Étrécit tout autant fort désespérément
Et entasser ainsi serait plutôt débile.

Ne vous étonnez pas si un jour par hasard
Sous un flot de pages les livres me terrassent !

Un tsunami de livres © Mapomme
D'après Johannes Vermeer

lundi 22 mai 2023

Sonnets sertis. Le crâne et le hibou

Le crâne serinait son Memento Mori ;
Je lui dis : « Je le sais depuis ma tendre enfance ! »

J’écrivais chaque nuit sans jamais voir le bout
Du Grand-Œuvre entamé voici bien des années ;
Le temps coule infini et chante le hibou :
Ma quiétude est ainsi chaque nuit profanée.

« Tais-toi mauvais augure ! Endors-toi un bon coup !
Respecte les rimes que ce soir j’ai glanées ! »
N’y croyant pas il hoche et la tête et le cou :
« Ta vie est consacrée aux rimes surannées ! »

Je tire un godillot d’un mètre le ratant ;
« Tant qu’à faire ô Scarron tire au moins une paire ! »
Et la paire il se fait sur un rat s’abattant.

Qu’il aille digérer sa proie en son repaire
Me fiche un brin la paix et dorme son comptant :
Je compterai mes pieds pour un moment pépère.

Je fis taire le crâne : « Ah ! ton air favori
Est d'un ennui mortel !
 Et l'entendre m'offense ! »

Le crâne et le hibou © Mapomme
D'après Le Caravage

Sonnets sertis. Dans quels tourments l’esprit a-t-il été pétri ?

Très profond ce mal n’a ni race ni frontières
Et décline à l’envi de l’âme les travers.

Ceux-là qui ont subi des larbins de l’empire
La trique et le fouet l’injure et le crachat
Agissent en bourreaux et seraient même pires
Que les colons d’antan ou agents du Pacha.

Comment s’en étonner ? La rancune transpire
Chez le sous-fifre amer qu’en brousse on le lâcha ;
Sur un rêve envolé sans arrêt il soupire :
Ivre ce matin-même un noir il cravacha.

Le noir libre aujourd’hui sans plus de tolérance
Pourchasse l’albinos le tue ou le meurtrit
Pour sa peau sans pigment et donc sa différence.

Par ces actes le cœur et l’âme sont flétris
Et on perd en l’humain notre ultime espérance :

Dans l’infernal limon d’un chtonien cimetière
Qui seul peut expliquer d'aussi odieux travers.

Dans quels tourments l'esprit a-t-il été pétri ? © Mapomme

Sonnets sertis. Notre intime démon

Chez l’humain perdure un démon primitif
Dont le pouvoir provient des plus ténébreux âges.

Quand naissent sur les monts quelques feux vespéraux
Chez des amis parfois de façon si étrange
On le voit s’éveiller au cœur d’un apéro
Qu’on en reste pantois car leurs mots nous dérangent.

Chez certains ces démons puissants et viscéraux
S’expriment sans remord tandis que me démangent
Colère et déception réflexes libéraux
Qui me font repousser ces obscures phalanges.

Ce démon vit en moi car je ne suis pas saint
Mais il est cacochyme et mon cœur en a honte
Sans cesse lui lançant quelques mots assassins.

Chez l’ado quelquefois quand la rage surmonte
La naissante raison quand leur donnent blanc-seing
Des parents pires qu’eux ce vieux démon les dompte.

Si certains sont honteux d’avoir été passifs
Chez d'autres le démon cache son vrai visage.

Notre intime démon © Mapomme
D'après une photo de l'AP de septembre 1957 où Elizabeth Eckford est insultée car faisant son entrée à l'école secondaire de Little Rock jusque-là réservée au blancs.

samedi 20 mai 2023

Sonnets sertis. Odin perdit un œil, prix de la connaissance

On ne pourra détruire un livre publié
Ni d’ailleurs son auteur : l’obscurantin l’ignore.

Agresser l’écrivain fait d’un livre anodin
L’objet d’une attention qu’il n’aurait jamais eue ;
Il vaut mieux le traiter avec profond dédain
Car l’interdit aura une contraire issue.

Si par malheur l’auteur perd un œil comme Odin
Il verra aussitôt sa connaissance accrue ;
Par leurs autodafés de piteux saladins
Au livre ont fait sa pub de façon non voulue.

Car l’interdit fait vendre un livre assurément :
Quelques crétins cathos incendièrent des salles
Assurant sa promo au film-évènement.

En tout ceci on voit la bêtise abyssale
Qui sans lire ni voir porte des jugements
Dont la répercussion est très paradoxale.

Un œil perdu relance un bouquin oublié
Et sitôt l'agression ses ventes s'améliorent.

Si, par malheur, l'auteur perd un œil comme Odin © Mapomme

vendredi 19 mai 2023

Sonnets sertis. Melmoth défiant les cieux

Le ciel gronda soudain tandis qu’il ricanait :
Il était protégé par un terrible pacte.

Sous cape il ricana comme le fit jadis
Dom Juan emporté dans les noirceurs profondes ;
Il était de ces êtres moquant le Paradis
Sans craindre les enfers lorsque sur l’obscure onde

Caron le mènerait avec tous les maudits
Alter ego de Faust qui en ce lieu abondent ;
Là sont tous les retors qui ont un jour ourdi
De funestes menées dont leur âme est féconde.

Que passe un seul cœur pur et Melmoth intriguant
Voudra le pervertir ivre de perfidie
Et du défi ardu relèvera le gant.

Jamais sa volonté ne se voit refroidie
Et du mal qu’il fera jouira ce brigand
La perversion pour lui n’étant que comédie.

De rejoindre Caron la menace planait :
Aura-t-il sur les flots gardé sa morgue intacte ?
Le ciel gronda soudain et Melmoth ricanait © Mapomme

Sonnets sertis. L'homme de la Mancha

J’avais vu Don Quichotte un jour de mon enfance
Et j’en fus attristé car détestant la fin.

Que les moulins ne soient de par l’imaginaire
Nullement des géants n’importait pas au fond :
Il les a combattus en monstres sanguinaires
Se comportant ainsi que les chevaliers font.

S’il prenait des brebis pour quelques mercenaires
Montrant tout son courage et s’il paraît bouffon
C’est pour sa Dulcinée – paysanne ordinaire
Devenue noble dame en son seul carafon.

Si ses pauvres combats paraissaient dérisoires
J’aurais aimé le voir dans sa quête aboutir
Que Dulcinée entrât dans son monde illusoire.

Pour son heure dernière elle aurait pu mentir
Et que finisse mieux cette assez triste histoire :
J’aurais pu à sa mort ainsi mieux consentir.

À quoi bon s’éveiller si le réel offense ?
Respectant sa folie honorons le défunt !

L'homme de la Mancha © Mapomme
D'après Terry Gilliam

jeudi 18 mai 2023

Sonnets sertis. De l'écume était née notre malédiction

Il y avait quelqu’un que jeune encor j’aimais :
Mais cet amour est mort puisqu’un cœur y succombe !

De l’écume était née celle par qui nos maux
Sont issus de l’amer et qui longtemps nous rongent ;
Maudite Aphrodite ! nous allons fantômaux
Car l’amour pour nos cœurs est une fausse oronge.

Si tu avais semé des désirs minimaux
Le sexe aurait été une sorte de songe
Qu’on envisagerait comme des animaux ;
Mais la passion qui naît dans l’abîme nous plonge.

Cet abîme profond est l’enfer des vivants
Qui des jours aux semaines vorace nos années
Des ordinaires joies sans cesse nous privant.

Depuis toi la passion se trouve condamnée
À l’enfer du dédain toujours nous poursuivant :
Ne pouvions-nous cueillir des amours spontanées ?

Aphrodite accolant au mot amour un mais
J'aimais semble jamais et finit dans la tombe.

De l'écume était née © Mapomme
D'après Terry Gilliam

Sonnets sertis. L'irrépressible mélancolie

Un beau jour j’ai trouvé en l’an soixante-deux
Une mélancolie répondant à la mienne.

Ainsi sur la Terre on éprouvait ailleurs 
L’ineffable tourment qui sans cause évidente
Habitait mon esprit de piètre rimailleur
Du mal indéfini d’une peine obsédante !

Une voix racontait empreinte de douceur
S’adressant à chacun telle une confidente
Ainsi que l’aurait fait une amie une sœur ;
Déjà je pressentais nos sombreurs concordantes.

Au cœur de mon bonheur des nuages profonds
Voilaient dans mon regard l’azur le plus sublime
Sans être annonciateur d’un fulgurant typhon.

Non. Rien que des voiles de ces peines infimes
Qu’en nos cœurs en secret toujours nous réservons
À la page vierge du seul journal intime.

Nés d’une encre obscure les mots sont cafardeux
La plume ayant l'humeur des rimes parnassiennes.

L'irrépressible mélancolie © Mapomme

mercredi 17 mai 2023

Sonnets sertis. Caprices des perplexes

Gouverner un pays fait croire à la puissance :
Quelle illusion en fait qu’un bâton de pouvoir !

Le sceptre et la couronne ou la sanction du vote
Ne sont que des jouets ou menace planant.
Nul élu n’est l’objet d’une ferveur dévote
Essuyant les brocards d’un peuple ricanant.

On le peint en tyran et ce travers dénote
La versatilité du perplexe hésitant
Qui n’est jamais content et change de marotte ;
Ce qu’hier il voulait ce jour semble irritant.

Le gouvernant chassé quand est passée sa mode
Est soudain regretté et dépeint bien meilleur
Qu’il ne le fut jamais dans sa faste période.

Le seul tyran était ce peuple vétilleur
Qui voudrait une chose et change de méthode
Tantôt trop lésineux et tantôt gaspilleur.

Si le peuple souvent manquera de constance
Trop soucieux de ses droits il oublie ses devoirs.

Caprices des perplexes © Mapomme

mardi 16 mai 2023

Sonnets sertis. Le couvent des délices

Le couvent n’était plus qu’un bâtiment en ruine
Alors qu’il fut un temps un lieu de création.

Une artiste y cherchait la chaleur et le calme
Dans l’été merveilleux scintillant sur les flots
Quand sous la brise au soir remuent les hautes palmes
Et qu’apaisé l’esprit au tangible s’est clos.

L’inspiration n’est pas un édit qu’on proclame :
C’est un fol enthousiasme ou un profond sanglot
Une pythie montrant des avenirs en flamme
Où rien ne sera rose et peuplé d’angelots.

Mer fermée tu berçais du chant doux de l’écume
L’œuvre onirique en cours quand le diamant mouvant
Sculptait jour après jour le roc qu’un rai allume.

Semence d’Ouranos laissée sous le couvent
D’où jaillit la splendeur que le maquis parfume
Tu fécondes l’esprit de l’artiste innovant.

De l’onde une autre idée qu’un soleil illumine
En ce lieu a surgi divine incarnation.

Le couvent des délices © Mapomme

Sonnets sertis. De venimeux secrets

« L’embêtant dans l’amour est qu’il faut un complice ! »
A écrit le Poète. Voilà bien le danger !

Hors des vastes cités dans les moindres villages
Il est donc des péchés tel un démon reclus
Dans un épais flacon qui de ce vasselage
Atroce et révoltant ne veut carrément plus.

Quelque oreille entendra le démon qui enrage
Hurlant dans sa prison à gueule-que-veux-tu
Alors qu’elle fouinait dans les mêmes parages :
Elle a ainsi surpris ce qui fut longtemps tu.

Quel poison qu’un secret car lentement il pousse
À le trahir un jour puisqu’il n’a de valeur
Que s’il est partagé et murmuré en douce.

Parfois un confident mystérieux querelleur
Dans un courrier dira qu’un bedeau fourbe trousse
La bonne cul-bénit et fera leur malheur.

Des esprits malfaisants aiment mettre au supplice
Un bourg pour que son ordre enfin soit dérangé.

De venimeux secrets © Mapomme
Premier vers d'après une phrase de Baudelaire dans "Mon coeur mis à nu"

dimanche 14 mai 2023

Sonnets sertis. Son plaisir et sa gloire

Quel démon inspira la fervente passion
Transformant les tourments en sublimes délices ?

Le cours froid du Léthé s’était hélas tari
Et l’enfer du plaisir sans en avoir bu l’onde
Lui dispensant l’oubli qui les âmes guérit
Du vampire il cherchait la morsure profonde.

Rien ne peut altérer quand l’âme le chérit
L’amour de ses vingt ans ; si la tempête gronde
Que de dégoûts soudain l’esprit se voit nourri
Faut-il céder à ceux menant l’obscure fronde ?

Sur le monde versant le flot de ses pillards
Le siècle corseté aux idées préconçues
Tandis que l’Occident cumulait les milliards

Jugeait que leurs amours s’avéraient sans issue ;
De ce lien scandaleux nullement vétillard
S’offusquait dépitée sa famille cossue.

L’aurait-on mis pour ça au ban de la nation ?
Il but jusqu'à la lie pour ses Fleurs le calice.

Son plaisir et sa gloire © Mapomme
D'après un dessin de Baudelaire

vendredi 12 mai 2023

Sonnets sertis. La funeste ambition

Visage défraîchi où est donc ta jeunesse
Et qu’est-il advenu des nobles ambitions ?

Je pose assez souvent au reflet dans la glace
La question récurrente en retour n’obtenant
Qu’un silence éloquent qui me remet en place
Ce qui n’est pas au fond grandement surprenant.

« Méfie-toi des regrets puisque de guerre lasse
Un matin un démon des plus entreprenants
Pourrait te proposer un marché dégueulasse :
Un si curieux cadeau n’a rien de fascinant ! »

M’a dit ma conscience pour briser le silence
Augure admis sans mal car un gain sans effort
Fera naître aussitôt l’extrême vigilance.

Combien de grands savants eurent ainsi le tort
De solder leur esprit pour un brin d’opulence
Un titre ou un honneur à des faiseurs de mort.

Aussi je ne vendrais jamais mon droit d’aînesse
Pour quelques lentilles ou autre condition !

La funeste ambition © Mapomme
D'après René Clair

mardi 9 mai 2023

Sonnets sertis. La trompeuse apparence

On est souvent dupé par la seule apparence
La beauté nous cachant parfois des perversions.

À l’inverse on suppose en voyant tant de charme
Que prodiguent les dieux qu’il naît au détriment
D’un subtil intellect car trop de dons alarme :
Si peu auront les deux pleinement s’exprimant.

La flagrante beauté qui par malheur s’incarne
Fait que l’élu cache le reste savamment ;
À jouir d’un seul des malheureux s’acharnent
Mais on récuse un vœu désiré ardemment.

Hedy Lamar avait en plus de sa plastique
Des tiroirs pleins d’idées dans un cerveau bien fait
N’étant pas simplement une star bombastique.

Kim Novak faisait aux mâles de l’effet
Et la critique était quelque peu sarcastique
Ses tableaux la laissant pour le coup stupéfaits.

Il faut que la beauté paie d’une ou deux carences
Pour qu'on trouve son prix à juste proportion.

La trompeuse apparence © Mapomme

Sonnets sertis. Notre dédale intime

Dans nos jeunes années il est un fait marquant
Qui dans notre âme laisse une blessure intime.

C’est un drame soudain un amour fulgurant
Qu’enfant on a vécu ou lorsqu’ado se brise 
Une extrême passion dont notre vie durant
Nous gardons dans nos chairs l’impitoyable emprise.

Quel que soit notre mal son venin récurrent
Marquera nos récits sans absolue maîtrise
Et dans un labyrinthe à jamais demeurant
On portera la plaie sans qu’elle cicatrise.

Si les sujets varient ils gardent la couleur
De ce dédale obscur et toujours se répète
Face aux situations l’inavouée douleur.

Elle est gravée en nous sans tambour ni trompette :
Quel que soit le contexte ou alors le malheur
Cette ancienne émotion traverse les tempêtes.

Ce prisme émotionnel agit tel un carcan
Tatouage masqué que le passé imprime.

Notre dédale intime © Mapomme

dimanche 7 mai 2023

Sonnets sertis. Tu chériras la mer

La mode était aux bains et l’air de Normandie
Quand l’humain des cités redécouvrait la mer.

Si les hommes libres y contemplaient leur âme
Les femmes se devaient de respecter les lois :
Pas de maillot moulant pour affronter les lames
Ni de cuisses trop nues pour nous mettre en émoi !

Comment nager en mer si les juges proclament
Qu’une tenue mouillée qui pèse un sacré poids
Doit être supportée sinon la loi vous blâme :
Pour un bout de cuisse le monde est aux abois.

Terre de liberté les U.S.A. s’assurent
Le centimètre en main de l’absolu respect
Des règles de décence : un policier mesure

Du genou à l’habit si nul n’a le toupet
De faire fi ainsi de la chaste censure :
À l’obscène rétive on ferme le clapet.

Si l’homme est assez libre au pays d’Absurdie
Aux femmes le chemin fut long autant qu'amer.

Femme libre, tu chériras la mer © Mapomme
Le policier américaine qui mesure l'écart entre le genou et le bas de la tenue de plage est tiré d'un photo des années 1920.
D'où le contraste saisissant avec l'arrière-plan actuel.

samedi 6 mai 2023

Sonnets sertis. Dans le vague tumulte

Imposture est la vie rien qu’une comédie
Semée de tragédies et qu’on croit maîtriser !

De ses rêves d’enfant qu’accomplira l’adulte
Dont il peut être fier à l’heure de périr ?
Presque tout s’est perdu dans le vague tumulte
Où on le dévoiera toujours sans coup férir.

L’adolescent vivrait comme une vraie insulte
De n’accomplir aucun de ses plus beaux désirs ; 
Puissante et invisible œuvre une force occulte
De ses rêves voulant toujours le dessaisir.

Elle avait parcouru de par les vastes plaines
Quatre lieues pour le moins faisant halte en un pré
Sans pousser le cheval jusqu’à perte d’haleine.

De fleurs le pré était sublimement diapré ;
Jeune elle se voyait devenir châtelaine
Mais cet espoir avait assez vite sombré.

Sa vaine prétention s’étant vite attiédie
Elle en venait le soir jusqu'à se mépriser.

Dans le vague tumulte © Mapomme

Sonnets sertis. Tumultes d'un orage

En ce lieu la folie que susurre le vent
Fait d’un amour d’enfant une implacable haine.

Sur la lande affaibli s’égare tout esprit :
Le bruit et la fureur jour après jour l’inonde ;
De vos emportements sous seriez fort surpris
S’ils révélaient de vous la part la plus immonde.

Quel esprit serait sain pour s’en dire à l’abri :
Qu’un cœur se voit trahi et l’âme furibonde
Réduira l’objet saint en milliers de débris ;
De ce ressentiment les légendes abondent.

Destruction maître-mot d’un ténébreux orage
Quand le vent et la pluie livrent à ses tourments
Le cœur désemparé que consume la rage.

Il suffit de briser un enfantin serment
Pour qu’au futur rêvé le faste fît barrage
Et que le vent semât les plus haineux ferments.

Lande tempétueuse le cœur le plus fervent
Lapidé subira la pire des géhennes.

Un ténébreux orage © Mapomme

vendredi 5 mai 2023

Sonnets sertis. Le deuil inaltérable

Sur la lande elle allait aux bourrasques soumise
Sous les cieux assombris toute vêtue de deuil.

Son veuvage récent avait éteint la flamme
Qui habitait jadis son généreux regard ;
La Camarde trancha de son austère lame
Le destin du fiancé sans haine et sans égard.

Le passé embelli car vierge de tout blâme
Est le plus absolu le plus sûr des remparts
Et elle avait clamé l’exquis épithalame
Que l’on doit au défunt au moment du départ.

Les nymphes de salon les regardaient envieuses
Et ne pourrait ternir l’ardeur de leur passion
Intriguant en dépit des éloges spécieuses.

Depuis lors affectant bonté et compassion
Elles fardaient leur joie de peine fallacieuse ;
Les morts sont à l’abri des vaines tentations.

Si la passion décroît à l’agonie promise
Le deuil inaltérable évite cet écueil.

Le deuil inaltérable © Mapomme
Avec l'aide de Cary Joji Fukanaga