mercredi 31 juillet 2024

Élégies. Chute d’un patriarche

  Ne vieillissez pas trop, patriarches humains :
Il est une limite au cerveau qui bargeote !
Voyez le Grand Ramsès, au règne hors du commun,
Auquel les médecins n’ont sauvé la jugeote !

L’esprit, plus que la vie, l’a d’un seul coup quitté !
Agonie des idées, la nuit s’est abattue
Et voici le géant qui ne peut l’éviter !
Sans la raison pourquoi une vie s’évertue ?

C’est un naufrage affreux, que subit cet esprit,
Quand la tête est bien faite en plus d’être bien pleine ;
Vers l’Abysse un trésor qui avait tant appris,
Coule avec le savoir d’un réfléchi Silène.

La faucheuse a traîné : il est des profondeurs,
Pires que le néant, qui l’esprit enténèbrent,
Vieux glaneur musardant ; éternel émondeur,
Pourquoi traîner ainsi sur ton chemin funèbre ?

Accorde ou bien la grâce, ou alors le repos,
Sans même différer, quand débute un naufrage !
On sait bien qu’à terme tu nous feras la peau :
Si tu ne fais mercy, finis bien ton ouvrage !
Chute d'un patriarche © Mapomme d'après Ford Madox Brown

Élégies. À l’heure du bilan

 Lorsqu’on revoit sa vie avec plus d’attention,
On perçoit, ça et là, des zones mitigées ;
Qui aurait tout bien fait, muni de préventions,
Sans qu’une critique ne lui soit infligée ?

On commet des erreurs en croyant agir bien,
Dont terrible s’avère la moindre conséquence ;
Décider de trancher nombre de nœuds gordiens
N’est pas la panacée, du fait de la fréquence.

Le passé, vieux château que hantent les remords,
Empli de squelettes, au cœur des oubliettes,
Dresse ses vestiges où gisent les jours morts,
Où l’affreux Roméo a délaissé Juliette.

Allons ! vieux corps sans âme, as-tu tout oublié,
Le mépris infligé à de belles natures ?
Saint non auréolé d’un missel maquillé,
De tous tes plus hauts faits, on ne fait pas lecture !

Heureusement d’ailleurs ! Car qu’est-il à conter ?
Rien que la terne vie d’un ado ordinaire,
Qui se voyait paré des lauriers escomptés,
Mais sans rien mériter des cieux que le tonnerre !
Vestiges d'autrefois © Mapomme

Élégies. Parfois on se déteste

Un être lumineux se tenait face à moi ;
C’était durant la nuit, lors de chaleurs intenses,
Quand le corps est moite, survolté par l’émoi,
Et qu’on s’interroge concernant l’existence.

« Vous la croyez parfaite et n’avez nul regret ? »
Je le trouvais curieux et bigrement sans-gêne.
« Souvenez-vous d’un temps où régnait le progrès,
Tandis que vous flirtiez aux jeunesses chrétiennes ! »

Soudain, je m’apparus, vêtu de mon caban,
Marchant main dans la main, sur la longue avenue ;
Murmurant de rumeurs, de klaxons agaçants,
L’artère avait connu nos amours saugrenues.

Parfois on s’entend mieux au cœur du brouhaha,
Se parlant d’un regard, ou d’une main câline ;
À vraiment peu de mois du baccalauréat,
On aime et on se fout d’études qui déclinent.

L’être radieux sourit, disparaissant sitôt ;
Je me souvins alors d’une triste rupture,
Où je n’avais été qu’un égoïste ado ;
J’ai haï cette fin contraire à ma nature.
Parfois on se déteste © Mapomme

mardi 30 juillet 2024

Élégies. Devenir un mec bien

J’ai fait mon possible pour être un mec bien,
Avec, selon les ans, plus ou moins de fortune ;
Dans ce dessein, qui sait si vraiment il parvient
À atteindre son but, sans déception aucune ?

On croit qu’on a bien fait, mais qu’est-il de parfait ?
Ni les chemins suivis, ni l’absence d’entorse !
Car une bonne action produira des effets,
Et on ignore encor quels effets elle amorce.

Avoir raison est bien, si c’est fait sans excès,
Car naissent des rancœurs sur les plus sains principes ;
On croit qu’on agit bien en crevant un abcès,
Quand cette simple action des chicanes dissipe.

Des crimes, ici-bas, sont commis à raison,
Sur des chemins semblant alors bordés de roses ;
Or de la fleur naîtra la pire exhalaison :
Sitôt qu’elle pourrit, la raison se sclérose.

Sur de saintes orties, marcher est douloureux
Et des plus sains excès le crétin pontifie ;
Bien qu’étant un mec bien, je ne suis bienheureux :
Nul ne veut, ici-bas, qu’on me béatifie.
Devenir un mec bien © Mapomme

Élégies. Les ultimes colosses

La vie est un spectacle où rêve un immortel,
Se découvrant mortel, quand le rideau s’abaisse,
Avant son dernier mot ; le voici sur l’autel,
Agneau soudain offert avec sèche rudesse.

Mordieu ! Qu’adviendrait-il si nos dieux ne sont plus ?
Les colosses anciens furent couverts de sable ;
Étrange sablier : le désert absolu
Accomplit, grain à grain, la sanction inlassable.

Ils ont tous disparu, sous leur vaste palais
Dont ont croulé, d’un coup, architrave et colonnes ;
Les tympans et les frises, lorsque le sol tremblait,
Se sont brisés, enfouis, sous les années félonnes.

À quoi bon le granit, les reliefs merveilleux,
Les colonnes gravées, contant d’étranges mythes ?
Ces rois nimbés d’oubli, aux récits orgueilleux,
Sous le sable engloutis ont trouvé leurs limites.

Adieu, vivants colosses, souverains du néant,
Taillés dans le calcaire pour des millions d’années !
Y a-t-il un ailleurs, non un gouffre béant,
Qui poursuit les récits des sagas surannées ?
Les ultimes colosses © Mapomme
Avec l'aide de David Roberts

Élégies. Sous des cieux d’anthracite

 Ma jeunesse a été une mer tourmentée,
Qui n’a jamais connu d’horizons lumineux,
Aucun port apaisé, nulle baie enchantée,
Pas de nymphe au baiser qui soit vertigineux !

Démuni d’exotisme, comme d’îles lointaines
Dessinant le décor d’un nouveau paradis,
Je traquais les rêves d’utopique fontaine,
Bassin des naïades des contes de jadis.

Pardi, j’ai trop rêvé de ces îles mythiques,
Aux lagons bleu turquoise, au rivage ivoirin,
Paradis envolés faussement authentiques,
Aux palmiers attirant d’ensorcelés marins !

Les mers sont désertées, hors le cœur des abysses,
À l’outremer où vont sirènes et tritons ;
En cet abîme obscur, gardien des maléfices,
Quel mythe ensommeillé stérilement prie-t-on ?

Revenu sur la terre, où les cieux d’anthracite
Assombrissent tout rêve, je vaque dépouillé
Des légendes d’antan ; ce réel implicite
Voile de noirs brouillards d’anciens songes souillés.
Sous des cieux d'anthracite © Mapomme

dimanche 28 juillet 2024

Élégies. La corruption des ans

« L’âge aidant », nous dit-on : mais en quoi aide l’âge ?
On marche à petits pas dans la vaste maison ;
Les défauts s’accroissent et en rien on n’est sage,
Cultivant nos manies et notre déraison.

Nous sommes encor nous, possédant quelque science,
Mesurant nos efforts, amplifiant nos travers ;
Mais où est notre joie et la saine patience,
Acquise au fil des ans et des méchants revers ?

Car notre vie n’est pas un long fleuve tranquille,
Ou une mer d’huile, sans un coup de tabac ;
Oh, que non ! Ça secoue, ça gîte et ça oscille :
On essuie des gros grains et c’est le branle-bas !

Le monde s’étrécit et on perd la mesure,
Avec des souvenirs, par moments, égarés ;
Nos poches sont trouées, sous l’effet de l’usure :
Où vite les chercher et comment y parer ?

Non ! L’âge n’aide en rien ! Vieux singes sans sagesse,
On secoue les branches dans la forêt des ans ;
À l’inverse d’antan, les idées qu’on professe
N’ont plus de mesure dans les moments présents.

Nous qui aurions craché sur de telles idées,
Voilà qu’on les défend, sans un brin d’embarras !
C’est une tragédie que soient invalidées
Les causes d’autrefois, pour des mots scélérats !
La corruption des ans © collage Mapomme

Élégies. L’oiseau tombé du nid

L’oiseau étant tombé d’un nid fort introuvable,
La famille l’avait sans délai recueilli ;
Ce jeune rescapé s’avérait-il sauvable ?
Ne sachant pas voler, il n’aurait pas vieilli.

Avec son duvet clair, il semblait si fragile,
Malgré son appétit pour le steak haché cru ;
Chaque jour, il croissait et s’avérait docile,
Bien qu’à ses yeux perçants, nous soyons des intrus.

Mon oncle avait lâché, dans un cas similaire,
Un jeune fauconneau qui n’était reparu ;
Quittant la maison d’un vol spectaculaire,
Sans qu’on sût s’il avait été mangé tout cru.

Puis voilà qu’on trouva un autre crécerelle,
Qui avait chu d’un nid, quelques maisons plus loin ;
Quand ils sauraient voler, partant à tire-d’aile,
Tous deux iraient chasser et ne reviendraient point.

Sans merci, sans retour, ils vivraient sans attache,
Nichant dans les ruines, se défiant des humains ;
Car tout oiseau est libre, aussitôt qu’on le lâche,
Tel un adolescent doit suivre son chemin.
L'oiseau tombé du nid © Mapomme

samedi 27 juillet 2024

Élégies. L’éclat diurne aveuglant

Ébloui de soleils que j’avais trop zieutés,
Je voyais devant moi un fol essaim qui vole
De papillons du soir, messagers de l’été,
Tachant le bleu buvard d’ailes noires frivoles.

J’ai trop regardé l’or éclipsant la raison
Et troublant la vision de fantasmagories ;
L’été, le fol été, la plus fourbe saison,
Du néant fait paraître au grand jour des scories.

Ces papillons de Chine, issus de l’encrier
D’un divin estampier, gravent sur mes rétines
L’illusion d’un essaim qui viendrait fourmiller
Le plus céleste azur des nuées levantines.

J’ai dévoré tout l’or des rayons flamboyants,
À céciter les jours des printemps, des automnes,
Au point d’en devenir quasiment malvoyant ;
Mais j’enivre des feux mes rétines gloutonnes.

Cet éther azuré mélangé d’ormoulu
Est un poison très lent, porteur d’une mort sûre ;
Ce venin d’or riant aux fous est dévolu,
Qui cause à l’esprit sain de brûlantes morsures.

Seul, en la nuit venue, scintillent des diamants
Dans l’obscur infini, où des feux par myriades
Clignent sans m’aveugler, fort mirobolamment ;
Leur nombre est fabuleux : des trilliards de pléiades !
L'éclat diurne aveuglant © Mapomme

Élégies. Un feu dans la nuit d'encre

La Paix devra errer au cœur d’une nuit d’encre,
Une torche à la main, mais ample est la noirceur ;
La flamme est si fragile et, à l’instar d’un chancre,
Les ténèbres rongent tout éclat précurseur.

Est-il un maigre espoir, que cet éclat grandisse,
Quand si vaste est l’obscur et que souffle un vent froid ?
La torche, chétive, tremble du préjudice
Du souffle abolisseur qui dispense l’effroi.

À chaque pas nouveau, cette flamme vacille,
Comme, à l’automne né, tremble la frondaison ;
Le feuillage jaunit et, telle une brindille,
Craint d’être emporté, mort, dès la froide saison.

Si constante est la nuit, sans lueur émergente,
Nulle aurore promise et nul nouveau matin !
Pauvre paix esseulée, dans cette ombre affligeante,
Où trouver le chemin vers ton règne certain ?

Aussi, tels des marins, luttant dans la tempête,
Il faudra faire front au furieux océan !
Si on perd toute foi, si on n’y voit tripette,
Il faut garder l’espoir de vaincre le Néant !
Un feu dans la nuit noire © Mapomme
Avec l'aide de Evelyn de Morgan et John Brett

Élégies. Le chevalier errant

Belle et gente dame, n’allez point en forêt !
Qui sait ce qu’on y trouve ? Des animaux féroces,
Et pis encor, l’humain qui vous prend dans ses rets,
Projetant des crimes, parmi les plus atroces !

Quel étrange animal aux instincts meurtriers,
Que ce singe savant, notamment dans le crime !
Il savoure le Mal et rêve d’étriller
Le faible, l’oublié, qui à tout instant trime.

Nobles damoiselles, défiez-vous de tous bois,
Profonds, sombres, retors, où bien des vies s’achèvent !
Si loin de nos regards, une femme aux abois,
Des ribauds, subira des outrages sans trêve.

Ne viendra pas toujours un chevalier errant
Pour occire ou chasser les compagnies brigandes ;
Porté par son courage, il viendrait conquérant
Sauver la gente dame et défaire la bande.

Belle et noble dame, abstenez-vous d’aller,
Sans une escorte armée, en la forêt obscure !
Rarement surviendra un chevalier zélé,
Qui surgit d’aventure et son secours procure !
Le chevalier errant © Mapomme
Avec l'aide de John Everett Millais

Élégies. La grave décision

Choisir n’a rien d’aisé, entre vertu et vie,
Si elle met en jeu celles d’autres que soi ;
Accepter ce marché auquel on nous convie
Impose un sacrifice qui, au bout, nous déçoit.

Mais, hélas un tyran, avec notre conscience
Joue, tel un vieux matou qui aime torturer
Sa proie, dont le destin est écrit à l’avance,
Car tout choix est perdant, ce qu’on peut augurer.

Dans l’insomnie des nuits, il faudra qu’on désigne
Quelle perte est digne, laquelle ne l’est pas ;
Dans les draps blancs froissés, il faut qu’on se résigne
À sacrifier l’agneau qu’on mène à son trépas.

Bientôt, à l’aube pâle, il y aura la perte
De la fière vertu ou bien d’un être humain ;
Ne pouvant tout avoir, une option est offerte
Au tyran malveillant, au jour naissant, demain.

Le nouveau jour verra enténébrée notre âme,
Au lever d’un soleil si pur et lumineux ;
La partie est truquée et chaque choix nous damne,
Car nous voici promis aux enfers caverneux.

La grave décision © Mapomme
d'après Holman Hunt et John William Waterhouse

samedi 20 juillet 2024

Élégies. L’écuyer amoureux

« Dis, belle damoiselle errant en la forêt,
Comment as-tu vécu sans l’aide de personne ?
Je t’ai vue à la source, au-dessus des marais :
Et tu t’y abreuvais, comme une sauvageonne ! »

Ainsi parlait un soir un écuyer épris,
Assis, genoux pliés, à la belle inconnue,
Dans cet instant exquis, qu’il estimait sans prix,
S’en trouvant séparé par la mare menue.

On éprouve parfois un élan étonnant,
Qu’on eût cru, voici peu, strictement impossible ;
Les caprices du cœur en ça sont passionnants,
Car il n’en est pas un qui s’avère invincible.

Entre un noble écuyer, potentiel chevalier,
Et une sauvageonne, en sa forêt recluse,
Quelle sorcellerie parviendrait à les lier,
Quelle potion magique en leur esprit l’infuse ?

N’a-t-on pas vu, jadis, le roi Cophétua
Se prendre de passion pour la jeune mendiante,
Dont on ne put saisir ce qui l’éberlua ?
Une étrange alchimie à l’ardeur expédiente !

L'écuyer amoureux © Mapomme
avec l'aide d'Edward Burne-Jones (x3)

vendredi 19 juillet 2024

Élégies. Dormir dans une eau sombre

Quand la folie gouverne en tyran les humains,
Que leur cœur est marqué du sceau de l’infamie,
Nous devons tressaillir, en songeant à demain,
Car l’irraison sera notre pire ennemie.

L’attrait immodéré d’un pouvoir mal acquis
Incitera les uns à s’attaquer au trône ;
Qu’un roi chasse l’autre semble un moyen requis,
Puisqu’il n’est rien de mieux que l’un et l’autre prône.

Folie de la conquête et folie de la cour,
Qui fait semblant de croire à des morts naturelles ;
Puis un prince égaré qui y aura recours,
Avec un contrecoup pour les âmes plus frêles.

De fragiles raisons vont perdre soudain pied,
Se trouvant emportées par ce flot de violences ;
Les péchés des autres, elle a voulu expier,
Dans les eaux glaciales et l’éternel silence.

Tous les savants calculs des vains conspirateurs
N’ont pas tenu compte de la raison fragile,
Prise dans ces tourments, dans un flot de fureur,
Menée vers l’infini sommeil d’un lit d’argile.

Dormir dans une eau sombre © Mapomme
d'après John William Waterhouse et Thomas Dicksee

Élégies. Ce que demain présage

Oracle, dépeins-moi ce que demain présage
Et, s’il est mieux qu’hier, il m'irait assez bien !
Si pire il s’avérait, modifie ton message :
Narre un combat confus dans les cieux olympiens !

On voudrait tant savoir le meilleur, non le pire,
Choisissant ce qui plaît, dans le message obscur
D’une oracle speedée, qui s’agite et transpire,
Car s’avère incertain son tableau du futur.

Notre avenir est-il un grand théâtre d’ombres, 
Aux flambeaux aveuglants et au conte imprécis ?
Des vainqueurs, serons-nous, pour une fois, du nombre,
Nous qui avons vécu de chagrinants récits ?

Agite-toi, oracle, et que ton timbre grave
Résonne dans la pièce, issu d’un au-delà
Qui commande aux humains, afin que nul n’entrave
La part nous promettant Éden ou walhalla !

Dans les jours qui viendront, bien que n’y croyant guère,
L’esprit s’accrochera à l’absurde destin,
Pour endurer un monde, où s’installent les guerres,
Et les espoirs brisés, les futurs indistincts.

Ce que demain présage © Mapomme
d'après John William Waterhouse

Élégies. Tout le poids d’une absence

Au jardin, c’est l’hiver quatre saisons par an,
Et pas un seul été, ni printemps, ni automne ;
Maîtresse des blizzards, l’absence d’un parent,
D’un amour, d’un espoir, rend les jours monotones.

Tout paraît différent, au jardin sur la mer,
Malgré que tout y soit apparemment semblable :
Identiques, les jours offrent un goût amer,
Tels les fruits d’une année, sans raison décelable.

L’absence est un nuage, enténébrant les jours,
Laissant voir des soleils dont les rayons sont pâles ;
Sans même avoir migré vers des lieux froids et lourds,
On subit des fraîcheurs quasiment boréales.

La mer est capricieuse et le ressac éteint :
On boit une infusion qui réconforte,
Versant un peu d’été des pays levantins,
Sur la mélancolie que la distance apporte.

Quatre saisons par an, au jardin, c’est l’hiver :
Si le cœur est transi, jamais ne vient la neige ;
Sans arrêt, le gazon poussera dru et vert,
Tandis que sur l’humeur, l’absence tient le siège.
Tout le poids d'une absence © Mapomme
avec l'aide de John William Waterhouse (x3)

Élégies. Comme grimpe la vague

La nuit poussant au crime ou aux élans charnels,
Je ramperai vers toi comme la vague grimpe ;
Certe, il n’est pas de flot qui s’avère éternel,
Puisque même les dieux ont déserté l’Olympe.

De tes attraits joue donc, charmeuse de mes nuits,
Comme jouait Orphée des cordes de sa lyre ;
L’amour est le remède au dévorant ennui,
Qui sur nous son empire a toujours su élire.

Dans l’écume des nuits, dans les courants puissants,
Retrouvons la folie des enivrants vertiges ;
Jouvenceaux de la nuit, d’un âge éblouissant,
Ressuscitons l’ardeur exhumée des vestiges.

Longtemps ensevelie, sous mille ans de limons,
Elle ne semblait plus qu’un souvenir posthume ;
Souvent, in memoriam, vainement nous rimons,
Composant quelques vers débordant d’amertume.

Comme une vague écume à l’assaut d’un rocher,
Je viendrais caresser tes jambes repliées,
Une pulsion poussant ma main à s’approcher,
Vers ta peau qui lui est intimement liée.

Comme grimpe la vague © Mapomme
avec l'aide de John William Waterhouse (x2)

mercredi 17 juillet 2024

Élégies. Jardin au Sahara

On a longtemps rêvé d’une maison à soi,
Une villa au cœur d’une pelouse verte ;
Mais la réalité du présent nous déçoit,
Le climat contrariant les mains les plus expertes.

Si le terrain est là, conforme à nos désirs,
Les arbres tous plantés, la pelouse tondue,
Voici que le climat vient gâcher le plaisir,
Et nous n’éprouvons pas la joie tant attendue.

Le soleil tropical de l’été au long cours
Darde les végétaux de ses feux implacables ;
Cet éden en enfer a besoin de secours,
Innocent éprouvant sa loi irrévocable.

Elle a flétri les fleurs, asséché les rosiers,
Ainsi que les arbres, et l’ex-pelouse est fauve ;
Sous d’invisibles dards du céleste brasier,
Tout légume noircit et il n’est rien qu’on sauve.

Autant faire pousser un arbre au Sahara,
Ou bien à l’est d’Éden, vers les terres arides ;
On ne sait pas vraiment si, demain, ça ira,
Car, ce jour, on subit une chaleur torride..

Jardin au Sahara © Mapomme
avec l'aide de Claude Monet et Gustave Guillaumet

mardi 16 juillet 2024

Élégies. Rêves de lune pleine

Qui n’a jamais rêvé un soir de lune pleine,
Quand s’agite la mer, sans aucun horizon ?
Vers les reflets dansants l’éclat marin entraîne,
Mais cet obscur attrait est une trahison.

Réitéré, le chant des flots d’écume attire
Vers le large où règne l’abysse ténébreux ;
Dans ces fonds, les âmes, damnées ou bien martyres,
Vont, comme les poissons, les yeux blancs et vitreux.

Est-ce un enfer marin, où gisent les épaves,
Où des morts suppliant poussent des cris muets ?
Les bateaux éventrés n’ont ni mâts ni étrave :
Qui sait où le naufrage, en fait, se situait ?

L’abysse est un bolge, auquel la mort condamne,
Où les marins défunts taisent leurs vains regrets ;
Là, tout n’est que silence et obscures arcanes,
Sans qu’on puisse à ce sort espérer un progrès.

Depuis le rivage, que l’ample lune argente,
Qui peut imaginer l’horreur des profondeurs ?
C’est l’onirique éclat de la lune émergente
Qui revêt de magie les océans grondeurs.

Rêves de lune pleine © Mapomme
avec l'aide de Ivan Aivazovsky et d'Hyppolite Flandrin

dimanche 14 juillet 2024

Élégies. Le 14 juillet

Au défilé au pas et aux avions de chasse,
La possible guerre, sur un rythme martial,
N’excitant pas nos sens, en dépit des menaces.

Aimons la veille au soir, quand guinchent les danseurs
Car la nuit est dédiée à la fête paisible ;
Que s’oublient un instant critiques et censeurs,
Dans les rythmes joyeux où l’entrain est visible.

Artifice de joie : rejetons un instant
Le spleen et les chagrins pesant sur notre vie !
Si feue est l’extase, soudain ressuscitant,
Apprécions qu’elle soit au morne oubli ravie !

Tout un peuple étranger se rassemble de nuit
Et, sans se ressembler, tient à faire la fête ;
Qu’importent la Bastille et le constant ennui
Qui s’en viendra ronger nos journées imparfaites !

Nous avons rajeuni devant ce grand bouquet
D’étoiles filantes, bien qu’étant d’artifice ;
Notre enfantine part s’en revient au taquet,
Par bonheur libérée des constants maléfices.

Le 14 juillet © Mapomme
avec l'aide de Théophile Alexandre Steinlen

samedi 13 juillet 2024

Élégies. Dans un futur lointain

Tropiques et Afrique ont perdu leurs mérites,
Quand le futur offre des visions grimacières ;
Sur la terre rouge teintée de latérite,
Les rêves d’évasion ont mordu la poussière.

Les îles envahies d’hôtels et de piscines
Vendent un exotisme à moins de quatre sous ;
Les tristes tropiques, que l’argent assassine,
Voient l’aventure morte et le péril dissout.

On y boit trop souvent, car tous nos ballons crèvent
Sur les piquants pointus de la réalité ;
Morne réalité où expirent les rêves,
Lentement submergés par la banalité.

Ailleurs se trouve-t-il dans le lointain espace,
Sur des mondes vierges, en partie envahis ?
Pour peu de temps encor ! Les appétits rapaces
Des firmes laisseront leur esprit non trahi.

On y jouera enfin, dans les déserts sauvages,
À sentir le frisson de la vie, de la mort ;
Les cartels rafle-tout poursuivront leurs ravages,
Sur le nouvel Éden, sans l’ombre d’un remords.

Dans un futur lointain © Mapomme
avec l'aide de Moebius et de Mézières

Élégies. Se chercher autre part

Il est parfois tentant de se chercher ailleurs,
Quand, dans des chimères, le jugement s’évade ;
Monde imaginaire, serais-je un trouvailleur,
T’inventant sans besoin, pour fuir une vie fade ?

Ailleurs, le sable est blanc et le ciel d’un bleu pur,
Quand l’océan suggère un ténébreux abysse ;
Rien d’étroit, d’angoissant, sinon ce gouffre obscur,
Où les feux solaires pâlissent et périssent.

Les palmes frissonnant sous les vents tropicaux,
À l’instar des almées, sur la scène turquoise,
Invoquent les nimbus, porteurs d’eau amicaux,
Que leurs appels dansants charment et apprivoisent.

Qu’est l’humain sans un but, en la cité perdu,
S’offrant un pauvre ailleurs pour une ou deux semaines ?
Par les rues, subissant un quotidien ardu,
Il songe à un éden où ses rêves le mènent.

Les rues sont un dédale, où il tourne sans fin,
À défaut d’une issue qui serait supportable ;
Ailleurs est un mirage où les espoirs défunts,
S’engluent dans un réel sans progrès véritable.

Se chercher autre part © Mapomme
avec l'aide d'Hugo Pratt et de Tardi

jeudi 11 juillet 2024

Élégies. Dans la forêt venteuse

Qui n’a pas apprécié de marcher en forêt,
Lorsque l’automne roux montre une humeur venteuse ?
Certes, avec les ans, ce penchant disparaît,
Avec les frissons nés sur les voies arpenteuses.

Doutant sur presque tout, fut un temps, je me plus
À errer en ces lieux, quand les branches s’agitent ;
Mes pensées bouillaient plus, entre les murs reclus,
Se tourmentant pour rien, dans l’ombre de mon gîte.

J’appréciais vivement d’affronter de grands vents,
Qui fouettaient mes joues, des forces agressives
Ramenant les idées dans le monde vivant,
Loin des vaines humeurs, sombres et excessives.

Il est réconfortant de songer à ces bois,
Endurant, sans céder, face aux forces contraires ;
Trop souvent l’esprit, se trouvant aux abois,
D’une somme de riens ne parvient à s’abstraire.

Lorsque j’entends le vent, invisible émondeur,
Je pense à ces instants où les branches résistent,
Face à un sort hostile, et j’y vois la splendeur
D’une fortitude qui, en tous lieux, existe.

Dans la forêt venteuse © Mapomme
avec l'aide de Caspar Friedrich et Didier Comès 

mercredi 10 juillet 2024

Élégies. Peindre un ciel en couleurs

Quand l’horizon est gris, j’ai envie de le peindre,
Le teinter des couleurs du plus bel arc-en-ciel !
Je songe aux lendemains que je me prends à craindre,
Quand le cours de la vie me semble artificiel.

Mais j’ai peu de talents pour égayer la toile,
Ne pouvant exceller dans chaque art principal ;
Je voudrais essaimer les ténèbres d’étoiles,
Or mon coup de pinceau au moindre astre est fatal.

Muse, fais revenir parmi nous les grands maîtres,
Pour changer en chef-d’œuvre un orbe ténébreux,
Où les soleils levants désespèrent de naître,
Pour le sertir de feux palpitants et nombreux.

De l’azur obscurci naît la mélancolie,
Qui toujours nous saisit sous ce couvercle lourd,
Quand de nos jours on sent la lumière abolie,
Et qu’on confond la nuit avec l’encre des jours.

Comment peindre le jour sur la voûte nocturne,
D’un dégradé d’azur paraissant matinal ?
Sous l’anthracite ciel, je marche taciturne :
Il verse dans mon cœur un spleen sérotinal.

Peindre un ciel en couleurs © Mapomme

mardi 9 juillet 2024

Élégies. Les dernières années d’un bonheur collectif

On l’ignorait alors, - on en sait toujours peu -,
Que ces années mêlées de progrès et d’attentes,
Pour demain présageaient un grand sauve-qui-peut,
Entremêlé de joies, hélas trop inconstantes.

Ce monde ancien nourri de courants tout nouveaux,
Aux vibrantes couleurs sur la triste grisaille,
Faisaient haïr l’ordre déplorable et dévot,
Honteux de sa défaite en un mois de bataille.

On ignorait alors que ce bel âge d’or 
Serait bientôt fini en une simple crise ;
Adieu les chansons pops sur tous les transistors,
Car des aubes naîtraient, angoissantes et grises !

Nous étions presque heureux, et pourtant mécontents,
Tels des enfants ingrats, trépignant par toquade,
Alors que le bonheur avait duré trente ans,
Et finirait bientôt, après les barricades.

On ignorait alors que nos vœux puérils,
D’amour comme de paix iraient six pieds sous terre ;
Tout ça pour trois fois rien, pour le prix du baril,
Dont les économies se trouvaient tributaires.

Les dernières années d'un bonheur collectif © Mapomme
avec l'aide de Viktor Vasarely 

Élégies. Sur les bords de la Loire

La demoiselle allait tout au bord de la Loire,
Vêtue d’un simple drap, la taille lui serrant ;
Sur le chemin bordant ces eaux chargées d’histoire,
Princesse, elle marchait de son pas conquérant.

Elle semblait venue de quelque île lointaine,
Avançant à l’ombre de dansants cocotiers :
Pas de palmes en vue, à la danse incertaine,
Sans de chauds alizés soufflant sur le sentier.

Un doux rêve émanait de cette demoiselle,
Chimère d’un ailleurs, d’un paradis perdu,
Que délivra Pégase aux opalines ailes,
Jardin, cette fois-ci, sans un fruit défendu.

Gabrielle d’Estrées est ressortie de l’onde,
Et s’est vêtue d’un drap qui lui colle à la peau,
Transparent par endroit, sous ses formes girondes,
Alors qu’elle flâne sur un calme tempo.

Fleuve chargé d’Histoire, au cours presque immobile,
Tu bordes le tuffeau des châteaux d’anciens rois ;
Vois, c’est la renaissance des dames si habiles,
À emplir notre esprit d’un troublant désarroi.

Sur les bords de la Loire © Mapomme
d'après Pierre Puvis de Chavannes et Félix Vallotton

lundi 8 juillet 2024

Élégies. L’amour plus que la peste

En fin de Moyen-Âge, on a vu apparaître
Deux funestes malheurs ayant marqué ce temps,
Qu’on aurait bien voulu n’avoir pas à connaître,
Dont un fatal fléau en tous lieux s’abattant.

Les pécheurs et les purs, les pauvres et les riches,
Sans distinction aucune se trouvaient tous punis ;
Pour calmer la peste, nul pater, nul fétiche,
Le monde se trouvait tout à fait démuni.

On ignorait alors les méfaits du commerce,
Qui amenaient d’Orient de sublimes tissus ;
Or, ce mal provenait de la Chine et la Perse,
Par tous les chargements des lieux lointains issus.

Un autre mal frappait l’humanité fragile,
Et il avait pour nom celui d’amour courtois ;
Galant, plaisant ma foi, mais hélas indocile,
Nous traquant par les bois, jusque dessous nos toits.

Des plus savantes cours jusqu’aux logis modestes,
Il répandit partout son amère liqueur !
Devrait-on craindre plus l’amour fou que la peste,
Qu’il fût courtois ou non, quand il ronge le cœur ?

L'amour plus que la peste! © Mapomme
d'après Frank Dicksee

samedi 6 juillet 2024

Élégies. Je bosse pour ma gueule !

« Je bosse pour le fric, et rien que pour mézigue,
Pour me blinder un max de millions de milliards ! »
Voilà le rêve affreux de traders qui intriguent,
Et qui spolient le monde en dévorants pillards.

Années quatre-vingt-dix, la vive réussite
De rapaces courtiers d’un No limit dingo
Épatait les télés, mais leurs jeux illicites
Jonglaient adroitement avec plein de lingots.

Les yuppies fascinaient, en brassant des fortunes,
Comme si tous pouvaient rouler en Ferrari,
Et tous les fantasmes sur les pétés de thunes,
La villa à Saint-Trop’, vivre un vrai safari.

Que des trucs de sangsues, de jet-setteurs célèbres,
Qu’on voyait en photo, tous les rupins fêtards,
Qui avaient les moyens d’aller faire les zèbres :
C’est toujours dimanche pour tous les couche-tard !

S’écroulèrent d’un coup ces châteaux de poussière, 
Et les bulles dorées ont pété un matin,
Entraînant sans tarder la crise financière,

Je bosse pour ma gueule ! © Mapomme

vendredi 5 juillet 2024

Élégies. Tout le malheur du monde

Tous les maux de la terre avait jailli soudain
De la jarre scellée ouverte par Pandore ;
Malherbe et ronces couvrant tous les jardins,
Sur le globe crevait le reste de la flore.

Les arables prairies chassaient tout le vivant,
Qui errait, affamé, se fabriquant des armes
Ou bien sortait ses griffes ; des lourds conflits suivants,
Naissaient haine et guerres, peu de joies, trop de larmes.

Du cadeau olympien, traîtreusement offert,
Découlèrent des malheurs en tous lieux de la Terre ;
L’âge d’or s’acheva et vint l’âge de fer,
Et le monde souffrit d’un climat délétère.

Prométhée a livré un secret aux humains,
Celui du feu sacré, bénéfique et néfaste ;
Il peut hypothéquer la paix des lendemains,
Donnant un grand pouvoir qui, à terme, dévaste.

Dans la jarre il resta le pis de tous les maux,
L’Espoir, le fol espoir, qui conduit à la perte !
Marchant vers des gouffres, ténébreux, abismaux,
On espère y couper par quelque découverte.

Tout le malheur du monde © Mapomme
avec l'aide de Pietro della Vecchia et Alexandre Cabanel

jeudi 4 juillet 2024

Élégies. Mes années vagabondes

Quelle indicible joie d’entendre en belle langue
Des rockeurs décrivant nos soucis journaliers !
Je sortais assez peu, les finances exsangues,
De mon studio miteux, en haut des escaliers.

Des trente-trois tours neufs, sur mon vieux tourne-disque,
Évoquaient mes soucis, mes interrogations ;
Se trouver au chômage était le plus grand risque,
Si l’on considérait le taux de l’inflation.

Je vivais, en ce temps, mes années vagabondes,
Changeant de communes pour trouver un boulot ;
Mes stages de six mois, dont mon CV abonde,
Me laissaient au chômage et au bout du rouleau.

Dieu merci ! les textes, comme les mélodies,
Éclipsaient quelquefois mon spleen persistant ;
Je me revois encor l’âme tout esbaudie,
Dans l’aveugle chambre d’un studio attristant.

Tous les Marcia danse me filaient la banane,
Et Bashung qui chantait Vertiges de l’amour,
Quand la solitude, qui des réduits émane,
Fait rêver, comme Ulysse, à un prochain retour.

Mes années vagabondes © Mapomme

Élégies. Un futur tristounet

« Quoi ? C’est ça, mon futur ? », pensai-je en affrontant
L’avenir au rabais, à l’orée de ma vie ;
Je n’avais pour tout choix, le seul depuis longtemps,
Qu'un destin mis en solde, ne donnant pas envie.

J’avais tant espéré un futur bien meilleur
Que mes tendres parents, après quelques études ;
Sombre était l’horizon, même en cherchant ailleurs,
Car la crise était là, mère des solitudes.

Le bonheur s’envolait, tel un fétu léger
Qu’un vent mauvais portait vers des contrées obscures,
Des vallées embrumées, des sommets enneigés ;
Laide perspective que de tels vents augurent.

Étudier pour pointer sans fin au chômedu,
Enfiler des stages, des CDD stériles,
Et jouer les Tanguy, quel destin répandu !
On lit les annonces, l’âme toujours fébrile.

Dans les villes ternies, soufflaient des vents mauvais,
Sous des cieux tourmentés et teintés d’anthracite ;
Au milieu des passants, d’utopies je rêvais,
Sans qu’au loin émergeât quelque espoir implicite.

Un futur tristounet © Mapomme