mercredi 25 janvier 2023

Incantations. Sur la falaise, aveugle

Un peintre sans esquisse un auteur sans projet
Sont un champ en jachère un jardin décati ;
Un vieil arbre sans fruit que dédaigne le geai
Un mas livré aux vents des pluies ayant pâti.

La toile reste vierge amputée d'un sujet
Et la page blanche sans un thème abouti ;
Vieux crâne où sont les temps où plein tu regorgeais
D’idées tel un grenier maître de tes outils ?

Mais tes champs ont brûlé et tu fais les cent pas
Dans l’atelier-bureau sans flamme créatrice
Car ta muse a perdu ses vivifiants appâts.

Privé de toute ode vive et inspiratrice
Tu vas sur l’océan navire sans compas
Las d’évoquer toujours les mêmes cicatrices.

Ta muse s’éclipse et sans rimes ni tripes
Tu tâtonnes des vers plus aveugle qu' Œdipe.

Sur la falaise, aveugle  © Mapomme
D'après Antoni Brodowski, Winslow Homer et Laura Knight

mardi 24 janvier 2023

Incantations. Un vrai futur de rêve

À travers le monde ta quête sera vaine :
De Floride en Asie tu es né pour mourir ;
Légendaire Jouvence où donc est ta fontaine
Après laquelle on voit le monde entier courir ?

Cette espérance en fait est quelque peu malsaine
Lorsque l’humanité a peine à se nourrir ;
L’homme ce cabotin ne veut quitter la scène
Sous l’humus refusant de voir sa chair pourrir.

On prolonge la vie grâce à la médecine
Espérant de la mort pouvoir bientôt guérir
Et on voit bien des fous que cette idée fascine !

Plus besoin des enfants si nul ne va périr
Et si demain quelqu’un arrive et t’assassine
Il suffira d’aller quelque clone quérir.

Mais pourra-t-on choisir qui ne devra renaître
Et qui de l'affreux tri sera demain le maître ?

Un vrai futur de rêve  © Mapomme

lundi 23 janvier 2023

Incantations. Chanson du mécréant

Bah ! je me fous de tout ! Des vivants et des morts
Des calmes conseilleurs lors des journées pleureuses
Et des êtres rageurs qui me donneront tort
De déplorer des nuits envolées et heureuses !

Si on les écoutait on resterait au port
Sans affronter des mers ivres et furieuses
Sans connaître jamais les charmes et les sorts
Sans assouvir la soif de nos âmes curieuses.

Oh ! aller découvrir et s’écorcher le coeur
Sur de sournois piquants et de fausses promesses ;
Enfin noyer les nuits dans l’oubli des liqueurs

Se bercer d’illusions épris d’une faunesse
S’enivrer de l’éclat de son regard moqueur
Et dépenser tout l’or de sa propre jeunesse ;

Alors peu importe ! les morts et les vivants
Pourvu qu'on puisse vivre un émoi captivant !

Loin des inquisiteurs et près d'une faunesse  © Mapomme
D'après Caspar Friedrich et d'autres

jeudi 19 janvier 2023

Incantations. Destins aux directions distinctes

Certains laissent sur nous l’indélébile empreinte
D’une belle entrevue qu’on n’oubliera jamais ;
Elle peut durer des mois mais plus souvent restreinte
Elle atteint cependant de surprenants sommets.

Tendre ou amicale la rencontre succincte
Reviendra inspirer un étonnant sonnet ;
Livrant une émotion qui n’aura rien de feinte
Pour une personne qu’assez peu on connaît.

C’est souvent un regret aux ailes de chimère
D’un dialogue entamé trop vite suspendu
Car nos destins suivaient deux directions amères.

Des soirs par un moyen des plus inattendus
On maudit le fatum régissant d’ordinaire
Nos vies où l’imprévu nous reste défendu.

De grandes amitiés sont ainsi effleurées
A peine entr'aperçues et presque pas pleurées.

Destins aux directions distinctes © Mapomme

mercredi 18 janvier 2023

Incantations. Cet azur interdit

Les cieux n’ont pas daigné nous accorder l’ivresse
De nourrir quelque don aussi maigre soit-il !
Dépouillés d’un talent livrés à la détresse
Nos ailes atrophiées excluent l'envol subtil.

Certains peuvent planer grisés par leur adresse
Et d’un pinceau léger peindre un matin d’avril
Écrire ou modeler ; toujours ceux-là progressent
Quand nos essais patients resteront puérils.

Faudrait-il s’épancher fiévreux de médisance
Et déprécier un don qui nous est refusés
Dans la fange traîner qui frôle l’excellence ?

Car nous pauvres poulets jasant désabusés
Quels que soient nos efforts n’aurons jamais l’aisance
De ceux dont le travail nous laisse médusés.

Nous ne pouvons voler vers les cieux décoller ;
Pourtant l'aigle enviera qui sait bien bricoler.

Cet azur interdit © Mapomme

mardi 17 janvier 2023

Incantations. Une coquille vide

Dans la chambre il tournait déboussolé livide
Maudissant son écran qui demeurait tout blanc ;
Sa tête n’était plus qu’une coquille vide
Un chaos un néant sans un thème troublant.

On écoutait parfois un souvenir stupide
Qu’énonçait un ancien sur un ton accablant ;
Un de ces récits creux qu’on trouvait insipide
Rabâché mille fois sur un timbre tremblant.

Semblable à un vieillard ayant perdu sa flamme
Ses pages répétaient un récurrent schéma
Fait des mêmes espoirs suivis des mêmes blâmes.

On traîne au fond de soi d’invariables traumas
Une douleur lovée au plus profond de l’âme
Tel un morne mantra purifiant son karma.

Ô les bals ont cessé et s’est tue sa musique !
Et sa muse d'antan ce soir est amnésique.

Ô les bals ont cessé © Mapomme
D'après Baz Luhrmann

vendredi 13 janvier 2023

Incantations. Avec un plaisir triste

M’enivrant des tourments qui viendront t’assaillir,
Ruinant, à tout jamais, l’empreinte de tes charmes
Qu’aucun nouveau printemps de fera rejaillir !

De ce plaisir malsain, dont tout cœur pur s’alarme,
Sans mentir, je ne puis vouloir m’enorgueillir ;
Mais sans un seul combat, sans l’ombre d’un vacarme,
J’ai senti mon esprit enclin à l’accueillir.

La sombre part cachée, au plus profond des êtres,
Révèle le démon que l’on a tant proscrit,
Qui au regard de tous ne doit jamais paraître.

Dans l’ombre ayant goûté le moindre de tes cris,
Quand les regrets enfin deviendront ton seul maître,
Ils n’apaiseront pas mon esprit trop aigri.

À ces amers soupirs tenant à présider
Tes tourments ne pouvant satisfaire un coeur vide.

Dans l'ombre je boirai © Mapomme
D'après Werner Herzog

Incantations. Navire à la dérive

À l’instar d’un navire ivre de sa tristesse
Balloté par l’écume égaré sur les flots
À l’épreuve mettant courage et robustesse
Combien ont vu leurs yeux privés de tout sanglot ?

Qu’un seul port se refuse avec délicatesse
Et désert l’océan n’a plus le moindre îlot !
Des nues auront voilé l’étoile prophétesse 
Aveuglant le navire en ce vaste complot.

Car le bonheur d’autrui l’infortuné insulte
Épave dérivant livré à tout courant
Hors de son port d’attache exilé de son culte.

Il craque à tous les vents perclus quasi-mourant
Espérant le naufrage et la fin du tumulte ;
Il le craint bien qu’il vogue en la nuit l’implorant.

Par mer calme un beau jour moins bateau que cadavre
Il trouve enfin la paix dans un bienveillant havre.

Navire à la dérive © Mapomme

mercredi 11 janvier 2023

Incantations. Psalmodies récurrentes

Tout poète ou auteur aux mêmes maux revient
Aux jalons récurrents dont seuls les mots varient
Invocateur des temps presqu’antédiluviens
Où son cœur endurait un vent de barbarie.

Dans le constant brouillard voilant le quotidien
De vieux démons effraient l’âme peu aguerrie
Par des chants véhéments aux accents rimbaldiens ;
Shaman on psalmodie des chants de Sibérie.

Les bras levés au ciel conjurant les fléaux
Un crâne d’animal masquant notre visage
Nous regardons danser tous les feux boréaux.

Voyez-y à l’envi les funestes présages
Des jours où s’éteindront les parfaits idéaux
Dans l’étrange beauté des lointains paysages.

Nous récrivons toujours les plaies venant nourrir
Cet âge à fleur de peau qui ne veut pas mourir.

Un crâne d'animal masquant notre visage © Mapomme
D'après Akseli Gallen-Kallela

mardi 10 janvier 2023

Incantations. J’ai 4 fois vainqueur traversé l’Achéron

Titre inspiré de Gérard de Nerval

J’ai été dans ma vie deux fois ressuscité
Extrait d’entre les morts comme le fut Lazare
Me réveillant tremblant sans le solliciter
Sur la table glacée d'une salle bizarre.

Mon cœur de battre a cessé par nécessité
Et ma psyché dans l’ombre où la pensée s’effare
Des limbes n’a pas su l’obscure intensité
Où s’égare toute âme exempte d’un vrai phare.

Je suis né à nouveau lavé de mes douleurs
Ne pouvant plus quitter le chant incantatoire
Des chiffres allumant d’alarmantes couleurs

Quand la fragile vie fugace et transitoire
S’ignore libérée de ses récents malheurs :
La Parque peut trancher le fil de cette histoire.

Comme moi cher Lazare as-tu goûté la vie
Qu'on offrait à nouveau à ton âme ravie ?

Lazare ressuscité © Mapomme
D'après Rembrandt

samedi 7 janvier 2023

Incantations. Sisyphes du Nouveau

Il vous faut du nouveau pour combattre l’ennui
En rasant monts et vaux cités comme bocages
Pour vous sentir vivants à l’orée de la Nuit
Vous libérer du joug qui vous maintient en cage !

C’est un chancre rongeant le faible espoir qui luit :
Vous scrutez dans les cieux d’oniriques chiffrages
Dont hélas le secret à jamais vous a fuis
Par l’abysse englouti au terme d’un naufrage.

L’ennui ce Minotaure erre dans le cerveau
Ténébreux labyrinthe où en victime offerte
Sans cesse on sacrifie de grands desseins nouveaux.

Vous quêtez le saint Graal de quelques découvertes
Dont l’éclat ne vaut pas ceux des Douze Travaux :
Cette quête est sans fin et mène à votre perte.

Sisyphes du nouveau dont le zénith est vain
L'Ennui vous renverra tout au fond du ravin.
Sisyphes du Nouveau © Mapomme
D'après une gravure d'Abraham van Diepenbeeck

vendredi 6 janvier 2023

Incantations. Le charme des pierres

Qui n’a jamais aimé ces murs épais de pierre
Maisons caméléons sur d’antiques rochers
Que d’ingénieux maçons subtilement copièrent ?
L’invisible édifice au piton accroché

Ne peut se déceler en aucune manière.
Parmi les châtaigniers à peine le clocher
De l’église romane est-il mis en lumière :
Pour le voir il faudrait du village approcher.

J’appartiens au maquis aux maisons séculaires
Depuis ma tendre enfance au silence envoutant
Attaché sans raisons qui me sembleraient claires.

Quand on tombe amoureux c’est toujours déroutant
Car on ne sait vraiment ce qui a pu nous plaire
Pour sans vrai but aller le silence écoutant.

Je ne vois d’autre endroit où je puis sans causer
Avoir la simple envie d'un jour m'y reposer.

Chiatra © Mapomme

jeudi 5 janvier 2023

Incantations. Jadis a le parfum des fleurs d’un pot-pourri

J’ai marché dans la ville ainsi qu’un étranger
Car dix ans sont suffi pour n’y rien reconnaître :
Les anciens bâtiments en mon âme inchangés
Ont été tous refaits des crépis aux fenêtres.

Les façades d’antan sont d’un jaune-orangé
Propres comme un sou neuf et venant de renaître ;
Mais tous les souvenirs que j’avais engrangés
Se sentent corrompus par ce nouveau bien-être.

Je retrouve les rues alors que les piétons
Me sont tous inconnus et sur la vaste place
Nul flâneur familier n’arpente le béton.

Dans le café très classe où je mangeais des glaces
Ont été remplacées les lampes en laiton :
Tout est soumis au Temps vainqueur de guerre lasse.

Du lieu où je suis né me voici pérégrin :
Ma visite a le goût d'un des fruits de l'aigrin.

1961.Place Saint Nicolas © Mapomme

mercredi 4 janvier 2023

Incantations. Horloge, affreux Titan rythmant les temps modernes !

Qui d’épines sema ma fade adolescence :
Qu’aurais-je pu conter si tel un philistin
J’avais vécu de joies dès après ma naissance ?

Sans fin tu bâillerais d’un ennui clandestin
Si de pétales seuls aux sublimes essences
Fut couvert mon chemin et que de longs festins
Ô Muse avaient rythmé mes nuits d’effervescence.

Heureusement pour toi comme nombres d’ados
J’ai humé l’ancolie dans les ruines modernes
En ces temps trop changeants pour de musards badauds.

Titan au cœur comptant le Temps qui nous gouverne
Dont toque le tic-tac au continu Credo :
Ce coeur bat tel un glas en mon horloge interne.

L’inextinguible ennui que ce tyran orchestre
Ronge jours comme nuits qu'il a mis sous séquestre.
Horloge, affreux Titan... © Mapomme
Avec l'aide de Martin Scorcese

mardi 3 janvier 2023

Incantations. L’humble grandeur humaine

On aimerait parfois remonter dans le temps
Doté des facultés d’une entité divine
Pour changer un naufrage en moment haletant
Tel un peintre retouche un détail qu’il affine.

Les jours seraient parfaits et sans cesse exaltants
Au point d’en devenir tristement insipides ;
Figurez-vous cueillant des bonheurs révoltants :
Quel ennui de franchir un Rubicon limpide !

Ce qui nous définit n’est pas la réaction
Sur de paisibles eaux mais au cœur des tempêtes
Et d'affronter les flots malgré les défections.

Crâner lorsque sonnent les glorieuses trompettes
Est plus simple qu’au sein de l'amère affliction
Quand la plupart ont pris la poudre d’escampette.

La grandeur des humains face aux chagrins certains
Est de n'avoir en mains nul pouvoir opportun.

Bataille d'Issos © Mapomme
D'après une fresque au Musée archéologique de Naples

lundi 2 janvier 2023

Incantations. Ce n’était qu’une trêve et la fête s’achève

Le goût de la tendresse et les vapeurs des vins
Aujourd’hui dissipés habitent nos mémoires
Qu’on n’aura pas brodées d’un soir festif en vain
Même si on remet les décos dans l’armoire.

Souvenirs ! Souvenirs ! Demeurent vos parfums
Et l’indicible joie d’une commune histoire
Renaissant aux repas que l’on voudrait sans fin 
Qui marquent sur le temps d’éphémères victoires.

Puis bien après minuit cette magie s’éteint
Et la salle est soudain plongée dans la nuit noire
Nos ôtant pour un an nos plaisirs enfantins.

Se sont tus à regret les propos libatoires
Les récits exhumés des souvenirs lointains
Émaillant le repas d’éclats jubilatoires.

Un nouveau jour frileux teint d’un éclair brumeux
La rosée du maquis et les flots écumeux.

Ce n'était qu'une trêve © Mapomme

dimanche 1 janvier 2023

Incantations. L’obscur fond de tableau

Tout n’est encor au loin qu’un drap enténébré
Telle une vierge toile à colorer d’aurore
Une page à remplir sur l’an à célébrer
Et la nuit qu’abolit le feu d’un sémaphore.

Dis nouvel an naissant nous feras-tu vibrer
Au prodige inconnu qu’un miracle élabore
D’un injuste désordre enfin équilibré
Et l’atroce folie guérie par l’hellébore ?

Le jour à l’horizon n’a pas encor paru
Et tremblant sans raison un jeune aulne frissonne :
Tout livre du futur s’avère un texte abstrus.

Divin potier des jours qui la glaise façonne
Fais des aubes dorées sans nul écart accru
Et des épis nombreux que tout humain moissonne.

Tout est encor confus fond obscur d’une toile
Où esquisser l'espoir qui lèverait la voile.

L'obscur fond de tableau © Mapomme