lundi 18 mars 2024

Sonnets sertis. Un pinceau onirique

Peintres et poètes dépeignent l’invisible
Et ont des yeux brillant de feux hallucinés.

Qu’importe le réel, pourvu qu’on ait le rêve
Ou bien le cauchemar, qui loge au fond de nous,
Hérité de l’enfance et dont l’image brève,
Conte un récit confus ne tenant pas debout !

Plus le songe est idiot, plus il hante sans trêve,  
Car rien ne marque plus qu’un récit des plus fous ;
Une lyre apportée par les flots sur la grève
Exhume un Orphée mort apportant un chant doux.

Enfantines terreurs, quel pouvoir sans limite
Vous exercez sur nous, enfants âgés tremblants
Qui, dans la foule, allons néanmoins en ermites !

Se dissipe au réveil quelque rêve troublant,
Dont le sens est obscur, à l’instar d’anciens mythes,
Au langage codé tissé de faux-semblants.

Peintres et poètes approchent l’indicible,
Tel un lointain brumeux qui tend à fasciner.

Un pinceau onirique © Mapomme d'après Leonora Carrington

jeudi 14 mars 2024

Sonnets sertis. Sans nulle Danaïde

Le tourment des hivers en tapinois efface,
Chaque jour un peu plus, les soleils des printemps.

Du funèbre horloger, l’avant-garde s’avance,
Asséchant le terreau des épis vigoureux,
Sans l’espoir perdurant de possible jouvence,
Car la sève pâtit de ses feux rigoureux.

Titan, tyran du temps, nous, mortels sans défense,
Privés de Danaïde aux efforts généreux,
Comment emplirons-nous l’esprit de connaissances,
Si du tonneau percé s’enfuient les jours heureux ?

Bien des mots s’évaporent, dissous dans un acide
Qui agit sans fracas, et qu’enfin on perçoit
Par le chemin d’un nom qu’un non-usage oxyde.

Avant, le retrouver allait pourtant de soi,
Mais l’hiver ennemi, à pas feutrés, trucide
Cet ouvreur des chemins, le plus preste qui soit.

Dans la sombre forêt, quelque effort que l’on fasse,
Les ronces nous cachent la voie qu’on prenait tant !
Sans nulle Danaïde © Mapomme d'après Théodore Géricault

mardi 12 mars 2024

Sonnets sertis. Espoirs, où êtes-vous ?

Espoirs, où êtes-vous ? Fanés sur nos chemins,
Comme disséminés par une main fatale.

Dans nos jeunes années, les plus nobles ont crû,
Et puis se sont perdus sur des voies de traverse,
Pour nous laisser hagards, face à un monde cru,
Dénudé tel un arbre sous l’automnale averse.

Tous les démons d’antan réputés incongrus,
Ne semblaient plus de mise à l’aune du commerce ;
Par où nous est venu ce pernicieux intrus,
Qui souffla sur le monde un vent qui nous transperce ?

Délestés des espoirs que jeunes nous faisions,
Nous voici dépouillés des convictions tangibles,
Devenues d’un seul coup de pures illusions !

N’est-il plus une foi qui demeure infrangible,
Quand le monde se voit au bord de l’implosion,
Et qu’aux gens la folie devient intelligible ?

Nous voici spoliés, nus, craignant les lendemains,
Car des fous ont fait fi des libertés vitales.

Espoirs, où êtes-vous ?© Mapomme d'après six dictateurs

lundi 11 mars 2024

Sonnets sertis. Les mondes parallèles

Dans les démocraties, les rues s’enflent parfois
D’une contestation semblant démesurée.

On trouve que l’objet de l’exacerbation
Soit disproportionné au regard des colères ;
À entendre certains, zélotes des nations,
Les pouvoirs nous mettraient dans les pires galères.

Au moindre changement, que de réprobations,
Comme si l’on jouait l’avenir de la Terre ;
Sans fin, on vitupère, avec obstination,
Se croyant de retour un bon siècle en arrière.

Pendant ce temps, ailleurs, au moindre défilé
La police intervient et sitôt persécute,
Arrêtant les rétifs soutenant l’exilé ;

Au procès, l’insoumis pour des prunes discute :
Dans l’ombre le tyran peut enfin jubiler,
Car la sanction rendue, dès l’aube on l’exécute.

Usez, même abusez et donnez de la voix :
D’une démocratie, qui connaît la durée ?

Les mondes parallèles © Mapomme

Je vois souvent des mots d'ordre dans nos manifs, sans rapport avec la réalité. On veut exprimer une chose et on va dans l'excès : ainsi pour parler des disparités de salaires entre hommes et femmes (à mon sens impossibles au niveau du SMIC, mais visibles dès qu'on est dans l'encadrement), des viols, des féminicides, on ressort le Patriarcat qui a pris du plomb dans l'aile, depuis la loi Veil, la parité électorale, et les nouvelles générations existent. Presque nul ne s'en plaint..
Mais mieux vaut cet excès de langage que de vivre en Russie, en Chine ou en Iran.
Pour ne citer que ces pays.

samedi 9 mars 2024

Sonnets sertis. Léger comme la plume

Ce n’est qu’un noir trait d’encre et un papier tout blanc,
Et non pas une bombe éclatant dans la foule.

La main traçant ce trait ne tripote jamais
Les fesses dans les bus ni ne cogne les femmes ;
Or ce trait ironique, apprécié en gourmet,
Permet de rire un brin de ces façons infâmes.

Il en est tant, hélas, qu’un vrai crétin commet,
Qu’on peut d’un simple trait lui infliger un blâme !
Si le crétin prohibe, atteignant des sommets,
Il ne s’interdit rien et même il le proclame !

Ce tyranneau pétrit les dociles cerveaux :
Le rire né de la plume est la fatale arme,
Qui brise les idiots et les fervents dévots.

Ce modeste trait d’encre a de bien puissants charmes,
Soulignant la noirceur des concepts médiévaux,
Persistant, de nos jours, à faire grand vacarme.

Gloire aux dessinateurs, en ces temps accablants,
Tirant un ferme trait, même au creux de la houle !

Léger comme la plume © Doaa el-Adl, dessinatrice égyptienne

Sonnets sertis. Libres, mais jusqu'à quand ?

Danse encor, peuple sourd, et compte les saisons,
Où tu souris bien gai, toujours libre et alerte !

S’achève cet hiver et on craint le prochain,
Qui pourrait s’avérer, de tous, le plus sévère ;
Il faudra tricoter, bien avant les crachins,
Aux giboulées de mars, plus tôt qu’aux primevères.

Un démon de l’hiver, aux tortueux desseins,
Au-dessus des forêts fait voler ses sorcières,
Et résonner ailleurs le pas des fantassins,
Réduisant les cités en gravas et poussière.

Danse, tant qu’il se peut, continent insouciant,
N’augmente pas ta dette et n’accrois pas les craintes :
Mieux vaut rester vivant en zombie inconscient !

Baba Yaga te lorgne et assoit son étreinte,
Car le monstre est tenace et surtout très patient :
Il ne laissera pas sur ton cou son empreinte.

Pense aux exportations, fais preuve de raison,
Et agite un drap blanc ! Puis, va-t’en à ta perte !

Libres, mais jusqu'à quand ? © Mapomme
Avec un petit coup de main de Ivan Bilibin

vendredi 8 mars 2024

Sonnets sertis. Un bouquet sans parfum

C’était un jour de fête, avec un soleil froid,
Et les pavés luisaient après la courte ondée.

Elle avait acheté pour marquer dignement
Ce jour férié mineur, si loin de son village,
Où ses proches vivaient, certes moins sainement,
Mais sans être inconnus, ce qui tout cœur soulage.

Elle avait décoré sa table joliment,
Le bouquet complétant ce consciencieux ouvrage ;
Elle avait du poisson, coupé très finement,
Pour son chat qui sinon risquait d’en prendre ombrage.

Prise par ses pensées, soudain elle aperçut
Un soldat qui offrait à une jeune fille,
Un bouquet et le sien, sans raison, la déçut.

Il semblait sans parfum, presque de pacotille,
Car l’autre étant offert, avait pris le dessus ;
Elle pensa bien plus à l’absente famille.

C’était un jour de fête, pas aussi gai qu’on croit,
Car, dans l’isolement, quelle joie est fondée ?

Tel un quêteur de rêves © Mapomme d'après Paul Fischer