vendredi 26 avril 2024

Sonnets sertis. Songes inassouvis

L’éclat libre du jour s’arrête au blanc voilage,
Derrière lequel est clos l’Espoir à double tour.

Que de rêves en l’ombre ont nourri l’amertume,
Car toute fleur flétrit hors des feux lumineux ;
Quelle existence obscure où les songes posthumes
Empruntent la couleur d’un lieu bitumineux !

On donne un héritier, sans que la joie allume
Un plaisir dans les yeux, l’envol vertigineux
Vers un éden nouveau, le corps, telle une plume,
Pris dans un tourbillon d’élans libidineux.

La femme ayant une âme, elle doit être sainte,
À défaut d’être Vierge, et de joies se priver ;
Reste à l’inassouvie le charme de l’absinthe.

Vaisseau sans gouvernail, l’esprit va dériver
Vers le Septentrion, l’âme à jamais éteinte,
N’attendant que la fin pour enfin s’esquiver.

Quitte à renaître un jour, que ce soit sur la plage,
En ces îles qu’on dit offertes à l’amour !

Songes inassouvis © Mapomme
D'après Berthe Morisot

jeudi 25 avril 2024

Sonnets sertis. Ivresse de la danse

Les danseurs s’enivrent d’un air virevoltant
Et leur sang bout du feu de la passion extrême.

Ils en oublient le monde, en suivant les violons,
Et se frôlent leurs corps dans l’étreinte amoureuse ;
C’est un plaisir soudain, un frémissement long,
Quand le désir jaillit des notes langoureuses.

Que le trait de l’archet traverse le salon
Et transperce les cœurs de notes savoureuses ;
De l’ivresse exhumée par un accord félon,
Ressuscite en l’esprit une plaie douloureuse.

Oh ! ce parfum cueilli sur un long cou offert
Promettrait-il un cœur jouet de l’allégresse
Ou un de ces tourments sorti droit des enfers ?

Il suffit d’un faux pas, un brin de maladresse,
Pour que ce tourbillon nous laisse un goût amer,
Par un manque de tact ou l’excès de tendresse.

Que perdure à jamais le vertige exaltant,
D’un si fugace instant de communion suprême !

Ivresse de la danse © Mapomme
D'après Camille Claudel et Jan Brueghel le Jeune

Je trouve cette sculpture plus sensuelle que Le Baiser de Rodin.

mercredi 24 avril 2024

Sonnets sertis. L’œuvre change un auteur

L’artiste crée une œuvre et n’en sort pas le même,
Car un ouvrage peut transformer son auteur.

On s’attèle à la tâche et la voilà si vaste
Qu’on se sent dépassé par son propos nouveau ;
« Dieu créa l’Univers », raconte l’Ecclésiaste :
Resta-t-il le dessein que conçut son cerveau ?

Un grand auteur embrasse un sujet qui contraste
Avec le plan final, issu de ses travaux ;
Les héros du récit rendent iconoclaste
Le monde ainsi dépeint, né d’un sombre écheveau.

Les meilleurs romanciers d’une incertaine époque
Étaient conservateurs ; leur chef-d’œuvre, pourtant,
Montre une société aux valeurs équivoques.

Au fil des chapitres, le récit les portant,
Ils ont pris le parti du faible qui suffoque
Dans un pays changé, des bienfaits l’écartant.

Génie vêtu de soie, on comprend le dilemme
Qui le prit, parvenu à de telles hauteurs.

L'oeuvre change un auteur © Mapomme
D'après une photo de Victor Hugo en exil à Jersey
Prise par Charles Hugo et Auguste Vacquerie

mardi 23 avril 2024

Sonnets sertis. La fureur du volcan

Défiez-vous du magma bouillonnant sous la glace
Et qui peut chambouler l’ordre bien établi.

Au cœur des ténèbres, diffusons la lumière
Du savoir qui permet l’envol des papillons,
Chrysalides piégées dans la boue coutumière,
Dans leur sommeil guettant un solaire aiguillon.

Misère et injustice apportent la matière
Qui au cœur d’un volcan fait naître l’éruption ;
Avant l’heure, endiguons les fièvres émeutières,
Qui mènent trop souvent à des révolutions.

Mais rien n’y fait jamais, ni récits de l’histoire,
Ni la simple raison, ni un pressentiment :
Les puissants restent sourds à tout réquisitoire.

Ils ont mille excuses vaines légitimant
Leur constante inaction, leurs ruses dilatoires,
Risquant à chaque jour un juste châtiment.

Sereine apparemment, la rue, de guerre lasse,
Peut gronder de fureur si trop long est l’oubli.

La fureur du volcan © Mapomme
D'après Les Misérables (1982)

lundi 22 avril 2024

Sonnets sertis. Mécanique organique

On formate un cerveau, privé de libre-arbitre,
Pour dicter sa conduite et ce qu’il peut penser.

Tels un chien de Pavlov, on le voit qui salive
Devant tous les gadgets qu’il ne pourra raquer ;
L’écran est la vitrine où naissent les dérives,
Où le vernis social a fini par craquer.

L’inutile gadget, semble-t-il enjolive
La vie tristounette d’un monde détraqué ;
Que d’un truc à la mode, il faille que l’on se prive
Paraît intolérable et le jeu est truqué.

On ne pourra priver de sa libre conscience,
Le braqueur, le violent, qu’envahit le dépit,
Et le conditionner aura peu d’efficience.

Il n’est pas un tyran laissant quelque répit
Au penseur qui lui fait toujours perdre patience :
Il lui inculquera un bon et sain esprit.

La méthode est malsaine et peut, à plus d’un titre,
Heurter la conscience de tout être sensé.

Mécanique organique © Mapomme

Il assez dommage que de l'excellent roman Orange Mécanique (A clockwork orange) d'Anthony Burgess ait donné un film assez loin de ce que voulait l'auteur. Ce dernier avait laissé le libre choix à l'éditeur d'arrêter le roman à la fin de l'avant-dernier chapitre, ou de publier un chapitre de plus. L'éditeur anglais a choisi de tout publier. Pas l'éditeur américain.

Or Kubrick s'est basé sur le livre version américaine. Qui plus est, il a traité la violence comme une sorte de jeu, de farce. Sans doute pour passer la censure en ce qui la concerne.
Qui plus est, le sujet du roman était double : la femme de Burgess a été violée par des déserteurs américains en 1944, alors qu'elle était enceinte. Traitée de façon atroce, elle a perdu l'enfant et est morte longtemps après, sans avoir pu se remettre. Donc, l'agression de la femme du romancier est une façon d'exorciser une histoire qui le hantait.

D'autre part, dans les années 60, il était question de reconditionner l'esprit des criminels et des personnes violentes pour leur faire haïr la violence. Voici ce que Burgess pense de cette méthode : "Du jour où vous supprimez le mal, vous en faites autant du libre-arbitre. Il est absolument nécessaire d'avoir à choisir, et cela ne peut être qu'entre le bien et le mal. Sans choix, fini l'humanité. On devient autre chose. Ou alors, on est mort."
Précision : Burgess était catholique.

Pourquoi orange ? En malaisien orang signifie homme. Orang-outan se traduit "l'homme de la forêt". Burgess a noté que orang est l'anagramme de organ. Voilà comment est né "Orange mécanique". Et Mécanique organique...

J'ai choisi d'utiliser, pour l'illustration, Aï Weïweï, opposant chinois, qui a subi un reconditionnement, mais qui est parvenu à retrouver son humanité. Et les Ouïghours qui eux sont maltraités et massacrés dans l'indifférence de ceux qui ont des outrances sélectives.

dimanche 21 avril 2024

Sonnets sertis. Quand l'enfer est sur Terre

Quand tout va presque bien, les humains s’interrogent
Sur les horreurs passées d’un projet monstrueux.

Les vagues des années ont effacé les traces
Des rudes tempêtes, de leurs dégâts cinglants ;
Le temps estompe tout, honneur comme disgrâce,
Dont les pires excès des idéaux sanglants.

Si revient la tempête aux ouragans voraces,
Surpris, le monde voit son retour accablant ;
Semblable est le tyran qui fond et qui terrasse
Les enivrés de paix, vivant de faux-semblants.

Ils voient fouler aux pieds les sacro-saints principes,
De simple humanité, qu’écarte un dictateur,
Qui du droit général, sans arrêt, s’émancipe.

Il fait naître un conflit laid et dévastateur,
Trucidant des civils, crime que ne dissipe
Pas le temps, le monde punissant leurs auteurs.

La mémoire de sable aux vagues ne déroge
Et l’amnésie permet les plans aventureux.

Quand l'enfer est sur Terre © Mapomme
d'après David Olère et Felix Nussbaum

samedi 20 avril 2024

Sonnets sertis. L’extrême tyrannie

Où est le rêve ancien d’un éternel progrès,
Lorsque l’humanité améliorait la vie ?

Cette marche en avant, d’un coup, peut bifurquer,
Nous laissant orphelins des vaines espérances !
Les radieux lendemains nous furent extorqués,
Au nom d’un mieux douteux sans nulle cohérence.

Sur un torrent furieux, nous voici embarqués,
Ignorant de son flot les tragiques errances ;
Sur le cours capricieux, par ce destin marqués,
Quelle étoile sera le cap de référence ?

Comment donc s’étonner des excès récurrents
D’humains déboussolés, qui cherchent un prophète
Leur parlant de grandeur, de futur rassurant ?

Jurant de rebâtir la puissance défaite,
Et de vivre entre-soi, le bien-être augurant,
Il promet le bonheur et l’éternelle fête.

On se livre aux tyrans, dévorés de regrets,
Espérant retrouver l’opulence ravie.

L'extrême tyrannie © Mapomme