jeudi 30 novembre 2023

Sonnets sertis. Cherchant un mince espoir

Au lieu de soupirer, il fallait bien agir
Et pour ce faire aller sur la trace d’indices.

Télémaque voguait en quête d’un espoir,
Cherchant un témoignage, une preuve de vie ;
Troie avait résisté aux forts coups de boutoirs,
Au terme de dix ans se trouvant asservie.

Les Achéens vainqueurs étaient retournés voir
Leurs cités si longtemps à leur regard ravies ;
Un seul n’était rentré, sans que l’on pût savoir
Si ce retour en paix lui faisait bien envie.

À Sparte, Télémaque avait ainsi appris,
Que son père attendait de retrouver son île,
Son palais et les siens qui avait tant de prix.

Ménélas lui confia qu’en condition servile
Calypso le tenait, tandis que son esprit
Se tournait vers les siens, tant les années défilent.

Rien ne l'avait comblé, rien qui pût assagir
Le mal d'être loin d'eux, vu comme un préjudice.

Cherchant un mince espoir © Jean-Jacques Lagrenée

mardi 28 novembre 2023

Sonnets sertis. Un étrange récit

Quel étrange récit, né dans l’Antiquité,
Qui paraît sur les champs de la mémoire en friche !

Très proche de la fin, on parle d’un absent,
Quand le cherche son fils, recueillant des indices ;
Des prétendants odieux, qui sont bien plus de cent,
Dans le palais d’Ithaque causent des préjudices.

L’île de Calypso derrière lui laissant,
Dans la furie des flots, a fait naufrage Ulysse ;
À la cour d’Alcinoos, le doux roi le pressant
De conter son histoire, il narra ses supplices.

Nausicaa l’écoutait quand il revint au soir
Où, grâce à une ruse, ils investirent Troie
Quand à leur camp le sort ne put alors surseoir.

Dix ans d’assauts, dix ans que l’on guerroie,
Sans qu’au terme du jour quiconque ait fait valoir
Sa supériorité, lorsque le ciel rougeoie.

Les lubies de l’Olympe, emplies d’iniquité,
Offrirent à Homère une épopée très riche.

Un étrange récit © Mapomme
d'après Lawrence Alma-Tameda

lundi 27 novembre 2023

Sonnets sertis. Vivre ici, être ailleurs

L’ultime feu du jour approchait à grands pas,
Et il songeait au temps des amours de jeunesse.

Les vagues écumaient caressant les rochers,
Dans un chant, sans fracas, et simple forme obscure,
Sur lui-même tassé, il semblait s’accrocher
À l’incertain retour qu’un miracle procure.

Dans l’ombre se tenant, tardant à s’approcher,
Calypso devinait par quelque triste augure
Qu’après sept ans entiers, sur l’île retranché,
Qu'un départ lui rendrait joie et belle figure.

Le nectar, l’ambroisie, à ce mortel offerts,
Avaient peu d’intérêt, au regard de la perte
Des proches qu’il vivrait tel un réel enfer.

Lui manquaient son seul fils et, autre plaie ouverte
Que ne pouvait guérir tout l’or de l’Univers,
La charnelle étreinte de son épouse experte.

Pour les revoir enfin qu’importaient son trépas,
S’il laissait Calypso inondée de détresse.

Vivre ici, être ailleurs © Mapomme
d'après Arnold Böcklin, George Hitchcock et Alexander Rothaug

samedi 25 novembre 2023

Sonnets sertis. Libre comme le vent

Enfant, je n’ai pas eu le moindre cerf-volant
Et je contemple, envieux, leur envol vers les nues.

J’en admire un qui danse un ballet aérien,
Paraissant, sans conteste, délicieusement libre ;
Ah ! s’élever ainsi, loin des soucis terriens,
A toujours fait rêver mon cœur qui sitôt vibre.

Ce vertige du vol est un rêve icarien,
La quête de l’éther dont tout esprit s’enivre ;
Mais hélas, attiré par les ors solariens,
On atteint des hauteurs où on ne peut survivre.

Devenir cerf-volant est-ce un enviable sort,
Lui qui aura toujours l’affreux fil à sa patte ?
Certes vers les nuées il prendra son essor,

Pourtant ce constant lien, toute voluté gâte,
À Icare scandant que vain est son effort,
Que ce fil le retient et qu’ainsi on le mate.

Le vent seul choisira, autre fait désolant,
Hauteur et direction, qui lui sont inconnues.

Libre comme le vent © Mapomme
d'après Nicolaes Maes (du moins attribué à lui) 

vendredi 24 novembre 2023

Sonnets sertis. De la folie des foules

Le monde a souvent vu des massacres sordides,
Calvaires qu’ont menés des groupes inhumains.

Quelle est cette folie qui s’empare du nombre,
Nombre désinhibant qui a permis l’horreur,
Lynchages et pogroms, quand la morale sombre
Dans l’effroi abyssal où s’enfle la fureur ?

Des idéaux passés ne restent que décombres,
Charriés par un torrent répandant la terreur ;
Vaincue, l’humanité erre dans la pénombre,
Cherchant à deviner quelle fut son erreur.

Tout le monde est personne en cette rue qui gronde,
Où personne ne crie des termes injurieux,
Ou bien n’allume un feu qui prend en deux secondes.

Une foule masquée, par un hasard curieux,
Se livre à des méfaits, telle une bête immonde,
Juge autant que bourreau, tribunal inglorieux.

Ce monstre s’est nourri d’une haine stupide,
Dans le rejet de l’autre et du bonheur commun.

De la folie des foules © Mapomme
d'après une fresque sur les massacres des khmers rouges

Sonnets sertis. Jouvence du passé

Parfois, les temps sont durs et tout semble morose,
Quand naissent des drames venus de toutes parts.

Muse, c’est alors que, sur mes rimes penchée,
Il convient d’inspirer des vers au ton badin ;
Fuyons le sombre orage et la boue des tranchées,
Pour retrouver la joie des anciens baladins.

Épluche mon passé, dans les joies épanchées
Et les radieux repas, où à demi-bredins,
Esclaves d’une soif, pourtant non étanchée,
Nous riions d’un propos toutefois anodin.

Les bachiques vapeurs ont un noble mérite,
Car, semant l’euphorie dans les anciens repas,
Elles sont à jamais dans la mémoire inscrite.

Peut-être hâte-t-on la venue du trépas,
Mais n’attendez de moi nulle mine contrite ;
En cassant ma pipe, pas de mea culpa.

Quand la déferlante me noie de sinistrose,
De mes bonheurs passés je bâtis un rempart.
Jouvence du passé © Mapomme
d'après Giovanni Girolamo Savoldo et Johann Heinrich Schmidt

jeudi 23 novembre 2023

Sonnets sertis. L’espoir est ceint d’épines

Chaque jour vient livrer un plein panier d’épines,
Qui couronnent l’espoir et font saigner son front.

Il attendait la paix, mais endure la guerre ;
Il voulait la concorde et n’a que désunion ;
Les pétales semés sur son chemin, naguère,
De braises sont couverts et d'abolis fanions.

Des clans, des confréries, mus par l’instinct grégaire,
S’entr’égorgent sans fin, pour rien, une opinion,
Un empire écroulé, un article vulgaire,
Car d’un violent conflit le début nous signons.

Tout n’est que ténèbres, embrasements funestes,
L’horizon qui rougeoie, l’orage menaçant
Et la mort répandue comme au temps de la peste !

Entre pleurs et douleurs, le front couvert de sang,
La paix attend en vain l’intercession céleste,
Dont le concours se fait chaque jour plus pressant.

Bien des lieux sont soumis aux hordes qui rapinent,
Qui, sans foi et sans loi, lancent ses escadrons.

L'espoir est ceint d'épines © Le Caravage

Sonnets sertis. De vieux crapauds de terre

Nous furent proposés de vieux crapauds de terre,
Patiemment mythonnés pour bonifier leur goût.

Le venin de leur peau endort l’intelligence.
Je n’en ai pas voulu. Sitôt un grand soupçon
Naquit à mon encontre et cette divergence
Révéla, selon eux, de félonnes façons.

On ne se refait pas : démontrant l’indigence
De ce qu’on nous servait, j’en tirai la leçon
Que ce cérémonial dévoilait l’émergence
Du désir de nous voir penser à l’unisson.

On avale un crapaud, et puis on persécute
Une minorité, responsable des maux
Qui frappent le pays, et puis on s’exécute,

Emprisonnant des gens, sans oser dire un mot ;
On les massacre ensuite ; à la chaîne on charcute,
Ivres de sang impur et d’actes extrêmaux.

On avale un crapaud et, un jour, sans mystère,
En masse on est jugé, provoquant le dégoût.

De vieux crapauds de terre © Mapomme
d'après la Chronique de Brodoc

"Avaler un crapaud", dans bien des pays d'Europe, comme l'Allemagne, l'Italie, l'Espagne, le Portugal, la Roumanie, la Hongrie et d'autres encore, est l'équivalent de notre expression "Avaler des couleuvres". On la retrouve aussi en hébreu et en chinois.

mercredi 22 novembre 2023

Sonnets sertis. Quand règne la violence

Le monde est devenu une foire d’empoigne
Où l’on tue pour un rien, parfois un simple mot.

D’un état flibustier aux bandes sanguinaires,
On bombarde, on saigne, sans même un préavis,
Vêtant la barbarie d’un habit doctrinaire,
Et la violence voit d’autres niveaux gravis.

Faut-il s’accoutumer, en faire l'ordinaire,
Ou alors éructer, vengeurs inassouvis ?
La colombe au laurier hante l’imaginaire,
Quand rôdent des tyrans de pouvoir alouvis.

Si s’installe une paix, l’humain s’y habitue
Et lorsqu’elle est brisée, voilà un puits sans fond
Paraissant sous ses pieds, qui soudain s’institue.

Cette férocité, soumise au dieu Typhon,
Année après année, sur Terre s’accentue,
Sans pressentir que d’elle, un jour, nous triomphions.

S’il semble que, parfois, ce grand péril s’éloigne,
Il revient aussitôt, apportant d’autres maux.

Quand règne la violence © Mapomme
d'après Vincenzo Camuccini

mardi 21 novembre 2023

Sonnets sertis. Complainte de l’absence

L’air joué était gai, puis, sans raison précise,
Le voici nostalgique et le ton s’assombrit.

Il suffira d’un rien, d’une attristante absence,
Un éloignement bref, mais gênant cependant,
Pour qu’en notre âme il prenne, aussi vite naissance,
Tel un mal insidieux, sans cesse s’étendant.

Plus gênante qu’atroce est cette déhiscence,
Qui voit en d’autres lieux nos amis se rendant ;
Nous ressentons toujours d’étranges réticences
Aux voyages fréquents ainsi se répandant.

Si l’accord est mineur, l’intonation est triste,
Et sitôt règne un spleen pesant et continu,
Quoique veuille au final produire un guitariste.

Si ce vague à l’âme se voyait contenu,
Permettant d’égayer les notes du luthiste !
Mais sonnent des accords loin de ceux convenus.

Un seul être vous manque et l’âme est indécise :
Ne restent de nos joies que bribes et débris.

Complainte de l'absence © Johannes Vermeer

Sonnets sertis. Quand brûle un continent

À l’orée de l’hiver, l’équinoxe perdure
Et l’hiver aura-t-il, un jour, son blanc manteau ?

L’Australie a connu d’intenses incendies
Durant plus de six mois, de la froide saison
Jusqu’au cœur de l’été ; la menace brandie
Ne trouve aux temps passés nulle comparaison.

Dans les désastres que la science étudie,
Voici des cumulus surplombant l’horizon,
Où l’orage, en furie, des éclairs expédie,
Enfantant d’autres feux qui saillent à foison.

Après un jeudi noir, ancienne catastrophe,
C’est un été entier où le bush a flambé,
S’étendant, sans fléchir, aux régions limitrophes.

À travers les nuées, le feu a enjambé
Vingt-cinq bornes d’un coup et la forêt dévore ;
La faute à Prométhée devra seul incomber.

Zeus avait d’emblée craint que l’homme, sans mesure,
Ne génère bientôt des feux monumentaux.

Quand brûle un continent © Mapomme
d'après William Strutt

Sonnets sertis. Où sont les chevaliers ?

Si l’armure est restée, où sont les chevaliers,
Car la gent affidée siège à la Table Ronde.

Le maître est la Cité, laquelle est dans la main
Des familles cossues, du peuple n’ayant cure ;
Près du fortin désert, hirsute est le chemin
Et ruine est le château, sous les nuées obscures.

Les cardeurs de laine dans la cité ont faim,
Comme tant d’ouvriers rêvant d’aubes futures,
Sont las des grands seigneurs et de tous leurs affins,
À la vie tant aisée, quand d’autres l’ont si dure.

Jadis les chevaliers écartaient les dangers
Et protégeaient les serfs des cohortes maraudes,
Qui venaient rapiner les produits engrangés.

Aujourd’hui les coquins dans l’état même rôdent,
À nos malheurs n’étant nullement étrangers,
Et vont tout cousus d’or par rapine et par fraude.

Aux modernes seigneurs l’indigent n’est pas lié,
Car le puissant punit doléances et frondes.

Où sont les chevaliers ? © Mapomme

samedi 18 novembre 2023

Sonnets sertis. Un parfum d’océan

Un vaste monde offert aux regards incrédules,
La rage et le fracas, dans l’odeur du varech :

Tel s’avère pour l’homme, enivré de l’écume,
L’océan inhumain, capricieux et puissant !
Dans l’orage, un bateau pèse autant qu’une plume,
Et la côte en a vu nombre s’y fracassant.

Par le fond, tant d’espoirs sont demeurés posthumes,
Par les regrets rongés, sous les eaux pourrissant ;
À l’iode, le parfum mêle-t-il l’amertume
D’espoirs décomposés, de rêves languissants ?

Comme eux, se voit rongé le bois de chaque épave,
Par les discrets tarets, sous l’eau forant le bois,
Lesquels ruinent la coque et détruisent l’étrave.

Dans la furie des vents, l'équipage aux abois,
Balloté par les flots, voit que l’instant est grave.
Car l’océan écume et son espoir décroît.

Clamant De Profundis, les matafs ridicules
Priaient en vain les cieux et couraient à l’échec.

Un parfum d'océan © d'après Andreas Achenbach

vendredi 17 novembre 2023

Sonnets sertis. Le passé embelli

Il lisait un roman, pour soudain le poser,
Et songeait au passé, que trahit la mémoire.

Un baiser parfumé, à l’heure du départ,
Ferment de nostalgie issu d’une autre vie,
Montait à la surface, tels des fragments épars
D’une barque abîmée, par les ondes ravie.

Novembre, il semblerait que les froids en retard
Aient omis leurs brouillards et, nôtre âme asservie
Aux chagrines humeurs, sombre dans le coltard
De quelque ancien regret et reste inassouvie.

Nostalgie du baiser, sur les lèvres glané,
Serait-il pour le coeur, une fortuite fièvre ?
Or, la plume embellit les pétales fanés,

Tel un diamant taillé par un savant orfèvre ;
C’est en fait un virus, sans fin venant damner
Du spectre d’un baiser recueilli sur les lèvres.

Sonate automnale, cet instant a causé
Silences et soupirs, entre deux notes noires.

Le passé embelli © Mapomme
d'après Paul Mathey et Francesco Hayez

mercredi 15 novembre 2023

Sonnets sertis. Ne tremble pas, ma sœur !

Ô viens, mon âme-sœur, et quittons ce verger,
Ce jardin merveilleux ; ne tremble pas, ma douce !

Il est un doux savoir qui nous fait délaisser,
Cette quiétude morne où, dormant sous les palmes,
Le loup côtoie l’agneau, sans vouloir le blesser,
Et, près de la gazelle, un lion restera calme.

Vers de mortels hivers, un doigt nous a chassés,
Pour un fruit délicieux, goûté à deux, chère âme !
Cette paix où chacun aimait se prélasser,
S’est trouvée épicée par la saveur du drame.

Par les prés brouillassés, mortels à présent,
Allons ! Ne tremble pas, quand soufflera la bise :
Si possible, oublions ce verger si plaisant

Puisqu'aux frimas mordants, pour une gourmandise,
Nos corps nus sont livrés dans l'hiver malfaisant,
Quoi que sur nous, plus tard, les écrits saints prédisent.

Quittons ce nirvana qui nous a hébergé,
En tremblant sous le froid, pris d’une sainte frousse.
Ne tremble pas, ma soeur ! © d'après Francis Picabia

Sonnets sertis. Que cessent les conflits !

Que cessent les conflits, la folie et la mort,
Que le monde renaisse à l’amour et la vie !

Toujours le fol orgueil qui se nourrit de sang
Pousse les dictateurs à déclencher des guerres,
Précipitant leur peuple, en armes se dressant,
Contre un peuple voisin, un ami de naguère.

Pour la grandeur d’hier, des soldats agressant
Ce voisin, ce cousin, vont inonder la Terre
D’un écarlate sang, pour un rêve oppressant,
Un pays frontalier pour un tyran austère.

Les empires passés sont un constant danger
Exhalant un parfum de grandeur excessive,
Et leur retour pourrait bien des vies vendanger.

Que pourrait-il fleurir d’une ardeur régressive,
Et un nouvel affront ne peut l’honneur venger ;
Chassez ce vain passé de votre âme obsessive :

L’encens sacrificiel fait-il naître un remords,
Si la paix, par caprice, au monde fut ravie ?

Que cessent les conflits © d'après la libération de Paris

mardi 14 novembre 2023

Sonnets sertis. Après, à qui le tour ?

Après, à qui le tour ? Qui donc sera impur,
Trop blanc ou mal croyant, trop noir ou bien trop slave ?

C’est l’Apocalypse des écrits tout nouveaux,
Ou déboulent des fous, avides de vengeance ?
L’effroyable spectre, montant sur ses chevaux,
Vient montrer la laideur de cette horrible engeance.

Dans des habits dorés, nés de savants travaux,
L’ostracisme banni n'est que la résurgence,
D'un nazisme historique exhumé d’un caveau,
Essaimant ses idées, ferments de divergence.

Il trouve un seul fautif et le coupable est blanc,
Dont le pire est le juif, vieux cheval de bataille,
Ainsi que l’Occident, aux péchés accablants.

À la cour des réseaux, ses crimes on détaille,
Et ces Torquemada, tyranneaux s’endiablant,
Ont dressé des bûchers, sorti pal et tenailles.

Par le passé tout peuple a commis, à coup sûr,
Bien des crimes sanglants et a fait des esclaves.

Après à qui le tour ? © d'après Viktor Vasnetsov

Sonnets sertis. Les tricheurs et les dupes

Le monde est composé de tricheurs et de dupes,
De faux bretteurs en fait, esquivant les questions.

À la question posée, réponse byzantine,
Qui consiste avant tout à éviter l’assaut ;
On ergote et on frime, avec l’âme enfantine ;
On fulmine et on crie, on joue les bécasseaux.

L’hémicycle est un jeu où chacun baratine,
Vitupérant, grognant comme de vils pourceaux ;
Tout n’est que postures : on en fait des tartines,
Dont les infos montrent les plus navrants morceaux.

Où sont les envolées et les discours lyriques,
Où le verbe efface huées et quolibets,
Quand le lyrisme offert est quasi homérique ?

Tout n’est plus que chahut et un verbe au rabais ;
D'impossibles gamins qui hurlent hystériques,
Quand Marianne, tondue, est menée au gibet.

Mais jamais du pays cette meute s’occupe
Amendant une loi jusqu’à l’indigestion.

Les tricheurs et les dupes © Le Caravage

lundi 13 novembre 2023

Sonnets sertis. Mélancolie lointaine

Que sont, ma pauvre amie, nos plaisirs devenus,
Dans un monde obscurci par un regard sectaire ?

Si l’écume murmure un inlassable chant,
Les temps ont bien changé au paradis de nacre ;
Nous allions au soleil, du lever au couchant,
Nus et sans nul péché, inconnu simulacre.

Notre corps d’or livré aux rayons le léchant,
Revenu d’un bain doux, exposait buste et membres ;
Le vent du bleu lagon, amical la séchant,
Caressait notre peau aux tons sublimes d’ambre.

Sur Terre nous avions alors le paradis,
Et nous faisions l’amour sans même en avoir honte,
Mais ces élans d’antan se virent refroidis.

Repentir et péchés, emplissaient d’affreux contes,
Où un Dieu nous rendrait, sur notre île, maudits,
À l’enfer condamnés, par sa vengeance prompte.

Il nous faut désormais revêtir nos corps nus,
Pour avoir un Éden que nous avions sur Terre.

Mélancolie lointaine © Paul Gauguin

Sonnets sertis. Dans le miroir obscur

Le miroir est empli des ambitions obscures,
Car la noirceur jaillit des esprits corrompus.

Les visages pétris dans la glaise cupide,
Terrifient le regard, quelquefois pénétrant.
Où sont passés les traits et le regard limpide
Des printemps, aux péchés alors récalcitrants ?

Ô jeunesse envolée, innocente et stupide,
Tes rêves généreux, peu à peu se vautrant
Dans la boue des désirs médiocres et turpides,
Vois tes ailes rognées, d’un envol te frustrant !

Mon âme d’autrefois, vraie fleur immaculée
Croyant en l’avenir, lentement disparut,
Rendant toute utopie risible et éculée.

C’était, me diras-tu, par avance couru,
Et la belle chimère, autrefois adulée,
Brillant de l’or des fous est un rêve incongru.

Pourtant, un reflet d’astre en ce miroir procure
Un regain de l’espoir, amplement impromptu.

Dans le miroir obscur © Le Caravage

Sonnets sertis. Le café des incohérents

On trouvait, à Paris, un café très étrange
Dit des Incohérents, - nom très original -.

Si l’on voit aujourd’hui très peu de cohérence,
Dans le comportement de nos contemporains,
C’est parce que la pensée se trouve en déshérence ;
On joute à tout propos, tels des marchands forains.

Tout est, dans les infos, posture et apparence,
Invectives lancées, sans un débat serein ;
Variable est la pensée, nourrie d’intolérance,
Et tout discours se fait par le glaive et l'airain.

Les nations se scindent et tout propos divise,
Puisqu’on coupe en quatre les mots tels des cheveux,
Remontant le passé que, sans fin, on révise.

Stérile est le débat, dont chaque acteur nerveux,
Par des mots non pesés, fera qu’il s’électrise :
Vraiment, est-ce bien là ce que chacun d’eux veut ?

Récrire le présent, à coup sûr me dérange,
Si l'ivoire est noirci, et l'obscur virginal.

Le café des Incohérents © Santiago Rusinol

Les arts Incohérents était un mouvement artistique de la fin du XIXème siècle 

dimanche 12 novembre 2023

Sonnets sertis. Haineuse était la foule

Si tombe un miséreux, qu’il se trouve à genoux,
Au lieu de l’assister, sur lui se rue la foule.

Or la meute, toujours, fait montre de laideur,
Révélant des humains la fureur de la bête ;
Les crocs sanglants broieront, dans leur féroce ardeur,
Les chairs de l’innocent pris dans cette tempête.

Si notre temps connaît des prévaricateurs,
On ne dressera plus, à force de sornettes,
Par l'hérésie tissée par un inquisiteur,
Un bel autodafé qui paraît malhonnête.

Mais tout réseau social harcèle un malheureux,
Tels des loups se ruant sur la biche isolée,
En dépit d’un effort vain bien que valeureux.

Abandonnée, la proie se verra immolée,
Ainsi qu’Éléonore, en des temps douloureux,
Allant nue sous un drap, huée et affolée.

La haine collective emporte en ses remous
Qui raisonne autrement et sous le nombre croule.

Haineuse était la foule © d'après Edwin Austin Abbey

Voir l'histoire d'Eléonore Cobham, seconde épouse du duc de Gloucester
(env. 1400-1441)

samedi 11 novembre 2023

Sonnets sertis. Un parfum hors de prix

Pour un rare parfum, demeurant hors de prix,
Qui voudrait consentir un si grand sacrifice ?

Le humer un instant est la révélation
D’un pur ciel azuré et on ne peut plus taire,
Habité que l’on est par cette conviction,
Qu’il est le but ultime, et ceci sans mystère.

Lorsqu’on voit une carte, bien des populations
Ne pourraient esquisser ce geste téméraire,
Car ce coûteux parfum est en contradiction
Avec tant de pouvoirs, trop nombreux sur la Terre.

Quel parfum en ce monde est le plus attirant,
Et, malgré les périls, peut faire perdre la tête,
Jusqu’à risquer sa vie, au bonheur aspirant ?

Une démocratie qui serait imparfaite,
Sera mille fois mieux que le joug d’un tyran,
S’il est un idéal qui joue les trouble-fête.

Parfum de Liberté, dont les cœurs sont épris,
Tout enfer avec toi paraîtra un délice !

Un parfum hors de prix © d'après Eugène Delacroix

"Le bonheur est une idée neuve en Europe." (Louis Antoine de Saint-Just)

vendredi 10 novembre 2023

Sonnets sertis. Les paradis perdus

Les pommes, de nos jours, ne sont pas interdites
Et on ne chasse plus qui a croqué un fruit.

Mais ceux ayant connu une époque dorée,
Qui en furent chassés sans mobile apparent,
Porteront le regret, en leur âme éplorée,
D’un Éden remplacé par un monde effarant,

Et ils iront tout nus, tremblant sous les Borées,
Dépouillés d’un espoir, dans l’ombre s’égarant,
Le sommeil habité d’angoisses abhorrées,
Puis, à l’aube, au pire toujours se préparant.

Cette époque dorée n’est-elle, en fait, qu’un rêve,
Un plafond d’utopies que l’esprit seul a peint,
Fresques maléfiques qu’il a conçues sans trêve ?

Tout serait-il soufflé par un génie vulpin,
Baudruche emplie de vide et qu’une épine crève ?
Chimère ou pas, reste la ruse du lutin.

L’Ève au turban venant en nouvelle Aphrodite
N’est qu’un rêve aujourd’hui dissipé dans la nuit.

Les paradis perdus © Mapomme
D'après August Macke et Johann Wenzel Peter

jeudi 9 novembre 2023

Sonnets sertis. L'humaine condition

Chaque jour, nous marnons et si mal nous dormons,
Les muscles douloureux, rêvant d’aubes radieuses.

À cultiver s’épuisent, du matin au couchant,
Les hommes dans l’espoir d’une bonne récolte ;
S’éreinter, cuisiner le seul produit des champs
Et, quand l’an est mauvais, sourde est notre révolte.

Depuis l’aube des temps, les humains recherchant
De quoi de sustenter, pourchassaient en cohorte
De puissants animaux et cueillaient en marchant
Des baies acidulées de différentes sortes.

Si le blé salvateur a pu chasser la faim,
Les travaux quotidiens tout le jour nous enchaînent,
Car de l’aurore au soir nous travaillons sans fin.

On attend trop souvent des naissances prochaines,
Et il faudra sortir à nouveau le couffin,
Puis nous défricherons un autre arpent de chênes.

Le monde est la famille ample que nous formons,
Qui, par son nombre accru, nous rend la charge odieuse.

L'humaine condition © Anders Zorn

mercredi 8 novembre 2023

Sonnets sertis. La foi nourrie de sang

Chaque peuple a commis des crimes, autrefois,
Un massacre sanglant qui souille sa mémoire.

Même s’il est lointain, on se souvient du mal
Qu’il fait à la nation par cette ignominie ;
L’homme, au nom d'écrit saints, agit en animal,
Et subira toujours les cris des Érinyes.

Féroces, elles sont l’ultime tribunal
Poursuivant l’assassin jusqu’à son agonie ;
Clio viendra siéger tel un juge infernal,
Quand la foi, en un lieu, vient rompre l’harmonie.

Tout le poids du péché repose sur l’humain
Qui au nom des écrits, les autres veut soumettre
Et, se croyant plus saint, souille de sang ses mains.

Quand la haine se rend des esprits le seul maître,
Il n’est aucun pardon, ni ce jour, ni demain :
Comment peut se laver de ce massacre un être ?

Lorsqu’un esprit vengeur s’obscurcit de sa foi,
Un démoniaque cycle assombrit notre Histoire.

La foi nourrie de sang © d'après Edouard Debat-Ponsan

Notre passé n'excuse pas le présent des autres.
Il nous enseigne simplement la modestie, sans nous soulager des horreurs que l'on voit, d'un côté comme de l'autre.

Sonnets sertis. Vérités à l’envi

D’un puits, des vérités surgissent à l’envi,
Et donnent des versions devenant inaudibles.

Le mensonge a trouvé le plus subtil détour
Pour étouffer dans l’œuf la vérité naissante ;
Sortant des profondeurs pour se montrer au jour,
S’offrent d’autres options, de façon incessante.

Comment saisir les fils du contre ou bien du pour,
Si tous ont les habits, dans les infos récentes,
De la vérité vraie, qui n’a aucun atour,
Puisqu’elle apparaît nue, quitte à être indécente.

Mille échos résonnant, l’esprit est égaré,
Ne sachant quel couloir le mène à la lumière,
Puisque ce qu’on nous dit semblerait avéré.

Faut-il croire l’ultime ou alors la première ?
Chemin, trop de phares prétendant t’éclairer,
Aveuglant, on ne voit en aucune manière !

D’un tout nouvel habit le bobard s’est servi,
Puisqu’il est dévêtu, afin d’être crédible.

Vérités à l'envi © Mapomme
D'après Jean-Léon Gérôme et Edouard Debat-Ponsan

mardi 7 novembre 2023

Sonnets sertis. Le châtiment du sage

Quand prime la passion, que sert d’avoir raison ?
Passion est irraison et déteste le sage.

La foule de nos temps a sur tout son avis,
Aux uns donnant blanc-seing et aux autres la faute ;
Qui nuance un propos d’un ardent vis-à-vis
Poussera qu’à son cou cet adversaire saute.

Il sera bienheureux si jamais il survit
Ou si le désaccord enflamme un internaute ;
À présent la passion, nos esprits asservit,
Portant à injurier les autres à voix haute.

Mais face à une foule, il n’est guère certain
Qu’un modéré réchappe à la rage unanime,
Qui peut faire écharper le sage inopportun.

Dans les débats présents, la foule est anonyme
Et le nombre prévaut de ces obscurantins ;
Lutter seul face aux loups les débats envenime.

Tout avis discordant n’est donc plus de saison :
Il faut garder pour soi tout pondéré message.

Le châtiment du sage © Mapomme
D'après Baccio Bandinelli et William Trost Richards

Pourquoi Laocoon ?
Devant le présent offert à Troie (un vaisseau et non cheval), il y a désaccord entre les Troyens qui veulent faire pénétrer le vaisseau dans la cité et ceux qui veulent le brûler. Laocoon lance un javelot et le présent sonne creux.
Il prononce le vers célèbre de Virgile : "Timeo Danos et dona ferentes" (Je me méfie des Grecs, même lorsqu'ils apportent des présents).
Puis, tandis que Laocoon sacrifie un bœuf à Poséidon, deux grands serpents arrivent et tuent ses deux fils, puis s’en prennent à Laocoon. Et Troie sera détruite.

lundi 6 novembre 2023

Sonnets sertis. Un si frêle équilibre

La civilisation, dans le frêle équilibre
Qui gouverne le monde, est parfois en péril.

Tel un fétu de paille emporté par l’orage,
Les plus fermes piliers peuvent soudain crouler,
Et des siècles de paix endurer les outrages
D’un nouvel Attila venu tout chambouler.

Ce fugace incendie abolit tout courage
Sans qu’on puisse un instant penser le refouler ;
Ce tyranneau n’est rien qu’un être empli de rage,
Un torrent dont le flot s’est bien vite écoulé.

Le sanglant crépuscule où tremble l’espérance
Verra se rebâtir les murs de la cité :
C’est le prix à payer pour la fortuite errance.

Le temps effacera de ces atrocités
Les traces amères, les deuils et les souffrances :
Les évoquer permet de mieux les éviter.

C’est un luxe précieux d’aller la pensée libre,
Et ne pas l’entrevoir s’avère puéril.

Un si frêle équilibre © Mapomme d'après une illustration

dimanche 5 novembre 2023

Sonnets sertis. À la force des bras

À la force des bras, le monde progressait
Afin que les enfants aient une vie meilleure.

On se brisait les reins et le soir, courbatus,
Dans l'ombre on caressait un avenir de rêve.
Les descendants auraient un bien meilleur statut
Et verraient d’inconnues et d’exotiques grèves.

À la veillée, au soir, de cet espoir têtu
Se nourrissaient les cœurs, tel l’arbre de la sève,
Voyant les rejetons plus instruits, mieux vêtus,
Près de la canopée où les plus grands s’élèvent.

Ainsi, à la tablée, la fatigue s’endort,
Oignant les muscles las d’un baume de chimère,
De rêve de Bosphore et de la Corne d’Or.

Que le sang de son sang ne trouve l’aube amère,
À devoir s’épuiser, dans l’ombre et l’inconfort,
Pour un salaire offrant une trêve éphémère.

La noblesse d’argent en tous lieux s’engraissait,
Ne laissant aux petits que leur flamme intérieure.

A la force des bras © Anders Zorn