dimanche 30 avril 2023

Sonnets sertis. Beauté de l'imparfait

Le charme de Paris et de ses avenues
De par sa perfection dissipe sa saveur.

De sinueuses rues qui dansent sur les pentes
Maisons agglutinées explosion de couleurs :
Le flamboiement d’été des façades pimpantes
D’éclats d’ocre et safran égaye les chaleurs.

La garrigue émeraude les hauteurs chatoyantes
Et des barques au port sur les flots cajoleurs
Somnolent à l’abri de l’écume ondoyante
Dans la douce amnésie des siècles de malheurs.

Le sud éblouissant faux paradis sur terre
Que borde la mer close azurant les reflets
D’un ciel immaculé dépourvu de mystère.

Depuis la transparence où l’âme se complaît
Une encablure mène à des sombreurs austères
Où le péril causa des naufrages complets.

Laissez-moi musarder dans les rues inconnues
Qui épousent la pente et gagnent ma faveur.

Beauté de l'imparfait © Mapomme

samedi 29 avril 2023

Sonnets sertis. Légères comme plume

Sitôt que je m’assieds devant l’ancien bureau
Jaillissent des idées légères comme plume.

Si d’une encre obscure naissent les souvenirs
Leur palette varie allant du rire aux larmes ;
Or le soleil de mars ne peut se maintenir
Car une giboulée vient en rompre le charme.

J’aurais beau tout tenter afin de la bannir
Si une sombre idée survient et me désarme
L’instable or du printemps de nuit va se ternir
Se transmutant en plomb qui aux joies met un terme.

Dis Muse versatile à l’esprit capricieux :
Aurais-tu donc mâché la fleur de l’ancolie
Pour mêler mes rayons d’un ennui pernicieux ?

« Dis-moi maussade humain quelle est cette folie ?
Tout soleil fait de l’ombre et il est ambitieux
D’exiger une joie sans la mélancolie ! »

La plume s’alourdit d’encre aux tons vespéraux
Mâtinant tout espoir d'une terne amertume.

Légères comme plume © Mapomme
D'après Gabriël Metsu

vendredi 28 avril 2023

Sonnets sertis. Marie de Magdala

Les hommes m’ont prêté les plus laids des péchés
Rendant par ce moyen les leurs plus acceptables.

Les mâles ont toujours peint la femme en démon
D’Ève jusqu’à Lilith sans omettre Pandore ;
Lorsqu’en notre maison nous lavons et trimons
Poussons-nous l’homme à boire à rentrer à l’aurore ?

Déclarons-nous la guerre adeptes du canon
Ou est-ce lui qui veut jouer les matamores ?
Dans les sanglants combats qui se fait un renom
Qui décoche des traits et manie la claymore ?

Dans le calme et la paix voyez comme je lis
Dans les pages vivant les moins graves des drames :
Le livre clos il n’est ni crimes ni délits.

Dans le crâne d’un gars qui sait ce qui se trame ?
Supportant son équipe il déclenche un conflit
Et ivre de fureur contre l’arbitre il brame.

Au calme dans mon coin nul ne peut m’empêcher
D'apprécier un bouquin - loisir plus profitable.
Marie-Madeleine lisant dans le désert © Mapomme
D'après Pompeo Batoni

mercredi 26 avril 2023

Sonnets sertis. Les moqueries des nymphes

La danse de saint Guy m’a pris vers les dix ans
Et l’on me vit dès lors comme un enfant fragile.

Du jour au lendemain pour un simple vaccin
Aux yeux de mes parents je ne fus plus le même ;
Ils s’alarmaient de tout et sonnaient le tocsin
Lorsque je rougissais ou bien devenais blême.

J’ai donc subi le poids d'un frisson assassin
Que mes deux écuyers dressaient tel un emblème ;
Mes parents s’inquiétaient plus que le médecin
Et le quartier savait quel était mon problème.

Les nymphes sont venues accroitre mes tourments
Puisque j’allais paré de cette différence
Et nul ne me voyait comme un prince charmant.

Du moins je le croyais et manquais d’assurance
Craignant quelque propos moqueur et désarmant
Qui tuerait à jamais mes vaines espérances.

Des nymphes je craignais des mots stigmatisants
Car ce mal me rendit colosse aux pieds d'argile.
Les moqueries des nymphes © Mapomme
D'après William Bouguereau

mardi 25 avril 2023

Sonnets sertis. Les Tuileries en flammes

L’incendie déclenché ne répand que ténèbres
Et c’est Rome livrée aux sottes destructions.

Les trésors échappaient à la furie prussienne :
Contre une rançon lourde aucun des beaux palais
N’avaient été détruits mais une force ancienne
Livra d’un coup les rues à des combats plus laids.

Détruisant des beautés qui se trouvaient les siennes
La fureur ignare ses richesses brûlait.
Ivre de destruction la foule béotienne
Venues aux Tuileries du feu se régalait.

C’est tout un patrimoine avalé par les flammes
Dont l’essentiel était les précieux documents.
Troupe irréfléchie permets que l’on te blâme

Car plus précieux encor que ce grand bâtiment
Ces maisons disparues du passé étant l’âme
Voient leurs dessins brûler sans le moindre argument !

De nos jours ne voit-on de ces hordes funèbres
Incendiant sans raison les lieux de l'instruction ?
Les Tuileries en flammes © Mapomme
D'après une gravure aux Archives Nationales

lundi 24 avril 2023

Sonnets sertis. Un feu inextinguible

Quand périt un esprit avec lui disparaît
Le savoir d’une vie qu’il ne pourra transmettre.

C’est un vaste incendie brûlant des manuscrits
Dont l’humanité perd à tout jamais la trace
Dans le flot sourd des ans engloutis sans un cri
- Un flot qui se fout bien des cimes de la grâce.

Toute une vie d’acquits voilà qui est sans prix :
C’est l’inouï trésor que dédaigneux terrasse
Le Temps cet ennemi des choses de l’esprit
Qui sous le poids des ans sans pitié le harasse.

Alexandrie Le Louvre en proportion ne sont
Que de simples flambées d’une demi-journée 
Alors que sur l’esprit non comme un voraçon

La braise sous la cendre -ennemie acharnée-
Détruira le savoir lentement sans façon ;
Le feu danse de joie sur l’âme consternée.

« Crénom ! » dit le génie que la mort effarait
Expirant sans finir l'ultime oeuvre à paraître.

Un feu inextinguible © Mapomme
D'après J-J. Annaud

dimanche 23 avril 2023

Sonnets sertis. Convoitise éternelle

Suzanne en son jardin allait prendre son bain
Deux lubriques vieillards la mataient dévêtue.

Se sentant observée à l’abri d’un bosquet
Elle vit les intrus et leurs regards obscènes ;
L’ardente convoitise au fond de leurs quinquets
Allumait les éclairs d’une passion malsaine.

Sitôt elle voulut rabattre le caquet
Des quinquas escomptant profiter de la scène ;
Leurs répugnants propos clairement évoquaient
D’inconvenants rapports qui accroissaient sa gêne.

Ayant pu les chasser elle se plaignit d’eux
Venus en son jardin vers le bassin d’eau pure
Voulant la dépraver dans un dessein hideux.

Aussitôt les vieillards mentent et se parjurent
L’accusant d’adultère au profit de tous deux ;
Cet incessant combat depuis trop longtemps dure.

Certains sont enfiévrés d’un appétit soudain :
L'obscène avidité toujours se perpétue.

Suzanne et les vieillards © Mapomme
D'après le Tintoret

samedi 22 avril 2023

Sonnets sertis. Sous nous brûlent les lits

À Midnight Oil

Le monde est presque en feu mais peu en ont conscience
Et on rit du danger sans trop savoir pourquoi.

Entre deux orateurs on choisit l’optimiste
Bien que dans ce domaine il soit moins compétent ;
Pourtant un léger doute au fond de nous subsiste
Car est-il omniscient ainsi qu’il le prétend ?

S’il est un seul domaine où il est spécialiste
C’est de palper des ronds pour tout sujet traitant
Des dangers à venir énonçant une liste
De savants soutenant qu’ils sont peu inquiétants.

L’industrie doit tourner car les grandes fortunes
Veulent s’accroître encor ; dans l’Olympe les dieux
Se veulent plus puissants et plus pétés de thunes.

On peint des lendemains sublimes et radieux :
L’État est endetté nous bossons pour des prunes
Mais le riche amasse des pactoles odieux.

L’incendie se propage et nous gardons confiance :
Sous nous brûlent les lits et chacun reste coi.

Sous brûlent les lits © Mapomme

Sonnets sertis. Vestige du passé

Certains se voient pourvus de talents et de grâce,
Mais ne savent qu’en faire et gaspillent leurs dons.

La beauté embarrasse et on veut la réduire :
Cependant, rien n’y fait ; on peut encor la voir.
Ce n’était pas ainsi qu’on souhaitait séduire
Et l’on porte la croix de sans cesse l’avoir.

Alors, on boit sans soif, espérant la détruire,
Et on fait ce qu’on peut pour tous les décevoir,
Briser l’image lisse, aspirant à se nuire ;
Puis à force d'excès, on en perd tout pouvoir.

Un visage inconnu se reflète en la glace,
Car dans ces errements, on en perd son chemin
Et un autre soi-même a soudain pris la place.

À vouloir devenir un autre pour demain,
Du passé on perdra la mémoire et la trace ;
Tout ça s’est fait soudain, en un tournemain.

Les plus fiers des géants, sans armes ni cuirasse,
Se courbent sous les ans, mués en mirmidons.

Vestige du passé © Mapomme

vendredi 21 avril 2023

Sonnets sertis. Laisse-moi voir ce crâne !

Tel Hamlet contemplant le crâne découvert
De son bouffon Yorick l’humanité digresse.

L’archéologue épie dans la fosse du temps
Un objet du passé ou un morceau de crâne
Car sa quête du graal est l’artéfact contant
L’origine de l’homme écrite en filigrane.

Le paléontologue y songe en débutant
Et dans la terre il trouve un os telle une mâne
Vers le berceau lointain sans cesse remontant ;
Un mystère profond de ce vestige émane.

Il traque un souvenir qu’il n’a jamais connu
Et tel Hamlet s’émeut entre sourire et larmes
Devant le crâne ancien entre ses mains tenu.

Pourquoi en forcenés jouets d’un puissant charme
En terre cherchons-nous l’indice saugrenu
Et pourquoi les journaux en font un tel vacarme ?

Dans les âges premiers et le vaste univers
Se trouvent les secrets qui seuls nous intéressent.
Laisse-moi voir ce crâne ! © Mapomme
Clin d'œil à José Braga

jeudi 20 avril 2023

Sonnets sertis. Une star avant l'heure

Elle fût une icône et marqua son époque
Mondialement connue sur les cinq continents.

C’est le duc de Morny qui visitant sa mère
Prédit sous Melpomène un potentiel destin ;
Six mots lui firent donc enfourcher la chimère
Et transformer sa vie en somptueux festin.

Que de gens au théâtre en nombre l’acclamèrent
Avant que de son art les sommets soient atteints ;
Elle essuya bien sûr des critiques amères
Jugeant que le public est fait de philistins.

On la voyait aussi sculpter ou alors peindre
Mais que comprend la femme aux profondeurs de l’art ?
À son faible niveau on cherchait à l’astreindre.

Elle avançait sereine essuyant les brocards
Et nul dessin vachard ne paraissait l’atteindre :
Elle a fait fulminer les plus fielleux tocards.

Des humbles se souciant ceux-ci sans équivoque
A sa mort dans les rues vinrent s'agglutinant.

Une star avant l'heure © Mapomme
D'après une photo de Nadar

mardi 18 avril 2023

Sonnets sertis. Le dédain du dandy

On a soudain vu naître un nouveau genre d’hommes
Imbus de leur prestance et ayant de l’esprit.

Vêtus différemment et maniant l’ironie
Le plus souvent issus du monde des bourgeois
Chaque jour ils vouaient les sots aux gémonies
Et leurs mots incisifs frappaient en feux grégeois.

On pourrait pardonner cette atroce manie
Dont usent très souvent d’insolents villageois
S’ils n’infligeaient par jeu à tous mille avanies :
Ils s’étonnent enfin qu’un bon mot les déchoit.

Je ne les aime pas car d’eux vient cette mode
Aux hommes imposant des habits sépulcraux
Quand mon goût personnel s'avère aux antipodes.

Je ne suis pas du tout de l’uni un accro :
La femme est futile par ce tacite code
Quand l’homme aux tons sérieux restera toujours pro.

Que de dignes dandies de dédain nous assomment
Et pour les autres n'ont qu'infatué mépris.

Vive la chemise à fleurs ! © Mapomme

Sonnets sertis. Dépit du roi pécheur

Depuis longtemps déjà attend le roi pécheur
Qu’enfin une âme pure arrive et le délivre.

Il l’espère et le craint car ce serait sa fin
Et voudrait qu’au plus tard ce sauveur le visite.
Tout être est ainsi fait démon et séraphin
Qui ayant à trancher sur chaque option hésite.

Se trouver libéré est la fleur sans parfum
Dont belle est la couleur qui à ce choix incite ;
Son arôme s’étiole et le délice est feint
Car parvenir au terme en rien n’est réussite.

S’il attendit la mort le délivrant du sort
Traîner sa maladie consiste encor à vivre
Et dès que le décès par un vaillant effort

Fait parler le mourant à l’instar d’un homme ivre
Il veut tourner la voile avant d’entrer au port :
Est-il donc bien certain que le trépas délivre ?

"Retourne donc chez toi envoyé du faucheur !
Perceval de malheur je ne veux pas te suivre ! "

Dépit du roi pécheur © Mapomme

lundi 17 avril 2023

Sonnets sertis. Miranda sur son île

Miranda qu’attends-tu sur ton île recluse
Quand tout n’est que rancœur dans un exil si long ?

Tu n’as pour souvenirs que ce lieu très étrange
Où des ombres parfois raniment l’ancien temps ;
Mêlé dans ce brouillard qui fascine et dérange
Ce monde a disparu depuis près de vingt ans.

L’île inhospitalière est située aux franges
Du réel auquel croient les hommes s’agitant ;
Par un effet curieux au rêve il se mélange
Et l’esprit embrouillé va tel un pénitent.

Très bientôt Miranda va s’éclairer ton monde
Et au jour tu iras guérie de l’incertain
Vers les rives bordant les campagnes fécondes.

Dans un palais radieux bâti de travertin
Tu oublieras l’îlot sans joie et sans faconde
Dont le fracas était aux joies inopportun.

Remâcher son dépit n’appelle aucune excuse
Car cette île est punie pour un parent félon.
Miranda qu'attends-tu sur ton île recluse ? © Mapomme

dimanche 16 avril 2023

Sonnets sertis. Notre vie est un songe

À Calderón de la Barca

 Notre vie est un songe qu’on a rêvé si fort
Qu’elle nous semble vraie alors qu’elle est fumée.

De ces fumées qu’un vent -simple brise au matin-
À peine perceptible en peu de temps dissipe
Et entrouvrant les yeux dans les draps de satin
Pendant un long moment au mirage on s’agrippe.

Beau songe nous étions des comtes palatins
Devant qui s’inclinaient les autres par principe ;
Dans le lit ce matin ni reine ni catin
Pas de draps de satin dont les nobles s'équipent.

On dort sur la paillasse dans l’humide prison
D’où on ne voit hélas que le mur de l’enceinte ;
Être enfermé s’avère un mal sans guérison

Où ne viennent nous voir ni démones ni saintes :
Juste un garde taiseux –vieux de la garnison-
Formulant in petto quelque insulte succincte.

La vie est un songe n’existant qu’en son for
Et l'aube nous spolie des grandeurs présumées.

Notre vie est un songe © Mapomme

samedi 15 avril 2023

Sonnets sertis. Un hurlement muet

Il marchait dans la rue déserte ce jour-là
Et les humains semblaient avoir quitté la ville.

Cette foule encombrante avant ce jour précis
L’horripilait toujours quand la rue était pleine ;
Il devait slalomer et allait indécis
Telle autour d’un lampion oscille une phalène.

Mais vidés des humains loin de s’être étrécis
Le trottoir était large et la place lointaine ;
Plus de passant croisé qui faisait un récit
À une amie parlant depuis les rues d’Athènes.

Une tristesse intense envahit son esprit
Sans qu’il en sût la cause avec exactitude
Demeurant à jamais un souci non compris.

Ce qui gênait hier ses maigres habitudes
Avait ce matin-là acquis bien plus de prix 
Car il sentait le poids de l’ample solitude.

Le silence effrayant sans qu’un humain parlât
Rendait le moindre cri dans le vide inutile.

Un hurlement muet © Mapomme

Sonnets sertis. Le géant Morandmor

Extrayez et pompez ! produisez ! achetez !
Il faut que le monde fabrique achète et vende !

Ce monde est une usine où l’on n’arrête pas
De fabriquer tout ce dont on n’a point l’usage
Et tant pis si tout ça conduira au trépas :
La libre entreprise montre son vrai visage.

On donne aux Epsilon de très riches repas
Puis leur cœur leur envoie de très mauvais présages ;
On voudra retrouver quelques anciens appas
En suivant un régime et à coups de bronzage.

Un bénéfice accru en payant moins d’impôts
Des nations trait le lait et prend même la viande
Notre appétit n’ayant ni bornes ni repos.

De nos produits nouveaux la plèbe est tant friande
Qu’à l’abattoir courant en docile troupeau
Elle veut l’inutile et elle en redemande.

Ce monde est épuisé : voyez-le haleter
Les mamelles vidées pour nos saints dividendes.

Le géant Morandmor © Mapomme

vendredi 14 avril 2023

Sonnets sertis. Le ridicule enfoui

Qui n’a jamais été une fois ridicule
Et n’aurait souhaité sur l’instant être mort ?

Tel Malvolio joué pour sa constante morgue
Dans les tiroirs très peu n’avaient de jaunes bas
Pensant que vers l’autel au son des grandes orgues
Il mènerait un jour la comtesse Olivia.

D’une mésaventure aucun de nous se targue
Ayant touché le fond après un vain combat ;
Même vingt ans après ce souvenir nous nargue :
Pour s’être cru aimé de très haut on tomba.

Ces souvenirs enfouis sous les pesants décombres
Des temples écroulés quelque soir surgiront 
Pour hanter nos beaux jours de vieux nuages sombres.

Ce spectre du passé nous garde en son giron
Et si les décennies ont coulé en grand nombre
Les camouflets d’antan sans mesure agiront.

Ça va barder je crois pour notre matricule
Si l'on vient exhumer nos plus honteux remords.
Malvolio en bas jaunes © Mapomme
D'après Daniel Maclise

jeudi 13 avril 2023

Sonnets sertis. Loin des éclats solaires

L’humanité se perd dans l’infini dédale
Des souterrains obscurs une torche à la main.

Ce qui pour jour est pris n’est souvent que chimère
Quelque reflet lointain de son maigre flambeau ;
De l'illusion naîtra la vérité amère
Dans l’antre ténébreux qu’aucun espoir rend beau.

Déambuler sous terre loin des éclats solaires
Traînant le lourd regret d’une gloire en lambeaux
Fait surgir dans les cœurs une froide colère ;
Hors de l’azur on vit comme des escarbots.

Humanité veux-tu dans l’ombre d’une vie
Accepter les diktats qui entravent son cours
Et passer tes journées aux modes asservies ?

Tous ces colifichets sont-ils d’un grand secours
Et grâce à eux vas-tu l’âme enfin assouvie
Quand ta survie réclame un plus précieux concours ?

Ingrate humanité qui crie tant au scandale
Ailleurs on fait pour toi des boulots inhumains.

L'humanité se perd une torche à la main © Mapomme

mercredi 12 avril 2023

Sonnets sertis. Dégommer le dragon

Tous les combats d’hier aujourd’hui sont flétris
Comme fleur de printemps qui n’est plus arrosée.

Le mal qu’on a taillé soudain a ressurgi
Et rien n’est à jamais extirpé de la terre ;
Il est de vieux dragons dont le feu s’assagit
Mais au venin intact puissant et délétère.

Ses yeux demeurent clos et il n’a plus rugi
Tel un volcan éteint dont on voit le cratère
Qui n’a plus recraché le moindre flot rougi ;
On croit que pour toujours la fureur va se taire.

Reverrons-nous germer les odieux compromis
Qui font lécher le cul du dragon qui l’emporte
Et ramper les marchands devant les ennemis ?

Quand l’État se pourrit paraissent les cloportes
Qui dans l’obscurité attendaient endormis ;
À tout rompre ils saluent les funestes cohortes.

Il faudra protéger les principes meurtris
Ainsi revigorant la nation sclérosée.

Dégommer le dragon © Mapomme
Avec l'aide d'Edward Burne-Jones et Camille Pissaro

Sonnets sertis. Fermons la nef des fous !

Des fous dans leurs bocaux se démènent et braillent
Croyant que seuls ces cris le monde font tourner.

Qui voit ces agités ressort des camisoles
Ce bâtiment bruyant étant la nef des fous
Qui ne produisant rien le vrai labeur désole ;
Ces barjos pèsent plus qu’un milliard d’entre nous.

Dans l’austère Amsterdam une passion frivole
Fit spéculer les gens et jouer leur va-tout ;
L’épidémie du gain fit perdre la boussole
Voici quatre siècles des plus durs aux plus doux.

À présent des traders dirigent et ordonnent
Les points-clés régissant nos actes quotidiens ;
La richesse s’accroît dans ces lieux qui bourdonnent

Sans avoir rien produit qu’on qualifie de bien
Achetant et vendant depuis leurs téléphones
Des valeurs qu’ils n’ont pas sur tous les méridiens.

Plus que gagne un souffleur qui le cristal travaille
Dont les oeuvres viendront nos demeures orner.
Hors de la nef des fous © Mapomme

mardi 11 avril 2023

Sonnets sertis. Un orgue sous la mer

Les sombres profondeurs des vastes océans
Reflètent les humeurs de l’amer capitaine.

Ceux qui ont tout perdu irrémédiablement
Peuvent seuls comprendre sa rage ou ses silences
Et l’écrasant fardeau de son accablement
Qui fait place aux accès de soudaines violences.

Les accords arrachés à l’étrange instrument
Qu’est l’orgue sous la mer ont la tristesse intense
De vastes désespoirs minant continûment
Quand survivre implique d’infondées repentances.

Qui a perçu le chant né du fond de la mer
Aux baleines prêta d’extrêmes nostalgies
Qu’elles n’ont jamais eues pas plus qu'un coeur amer.

Mais des douleurs jamais ne seront assagies :
Esclave on les porte plus lourdes que des fers ;
Et pour s’en délivrer il n’est pas de magie.

Étaler son chagrin est dit-on malséant
Et par l'orgue Némo exprimera sa peine.

Un orgue sous la mer © Mapomme
Avec l'aide de Richard Fleischer et A. de Neuville

lundi 10 avril 2023

Incantations. Naissance du sacré

Retentit dans la nef l’écho de la caverne
Quand l’âme balbutiait ses premiers chants sacrés.

C’est la voûte des cieux semée de feux inertes
Lesquels à pas feutrés glissent vers l’horizon
Méprisant la frayeur et courent à leur perte
Sans que l’antre des morts n’incarne une prison.

Résonnent les échos des chorales expertes
Invoquant le sacré au rythme des saisons
Depuis la grotte ornée aux prières offerte
Jusqu’à la cathédrale aux grandes oraisons.

Le chant lie l’homme aux dieux le terrestre au céleste
Dans le mystère obscur que véhicule un chant
Et recrée en chacun l’émotion-palimpseste

Née de la nuit des temps aux êtres s’attachant ;
Polyphonies en chœur un souvenir nous reste
D’espoirs d’éternité dans l’écho se cachant.

Or ces frissons païens sans raison nous gouvernent
Au son d'un hymne ardent qu'on garde en nous ancré.

Depuis la grotte ornée jusqu'à la cathédrale © Mapomme

dimanche 9 avril 2023

Sonnets sertis. Des maux peut naître un mieux

Que de morts sont tombés pour le rêve d’un homme
Dans ces eaux qu’infestait l’horrible malaria !

J’ai vu ce long canal qui au fleuve nous mène
Et devant moi l’étang ce projet colossal
Dont l'abandon rendit son immense domaine
Aux oiseaux migrateurs ; ce fait paradoxal

Interroge en effet sur les actions humaines
Produisant en tous lieux un labeur abyssal
Comme ce fut le cas à l’époque romaine ;
Des empires le temps n’est jamais le vassal.

À l’époque à Suez sous un dernier empire
Pour joindre la mer Rouge on creusait un canal :
Que de pauvres fellahs dans ces travaux périrent.

Le projet de l’étang paraissait plus banal
Quand l’homme s’avérait fort capable du pire
Surtout si son seul but se révélait vénal.

Ici on dépensa d’astronomiques sommes
Et la vie des forçats traités en vrais parias.

J'ai vu ce long canal et devant moi l'étang © Mapomme

Sonnets sertis. Un leg irrécusable

Nos campagnes n’ont plus le moindre tabellion
Pour noter ce qu’on lègue en guise d’héritage.

Jeune j’étais inquiet songeant à l’avenir
Car pesait sur le monde une sombre menace
Dont l’insouciance ambiante espérait s’abstenir :
L’euphorie nous poussait plus au fond de la nasse.

« Tu ne vois qu’aujourd’hui t’apprêtant à t’unir »
Me dit un samedi ma conscience tenace
« Et tu veux des enfants ? Est-ce pour les punir
Que conscient du danger sans effroi tu traînasses ? »

C’était un deux juillet et ayant peu dormi
Soucieux du lendemain comme à mon habitude 
Je ne voyais plus loin qu’il ne m’était permis.

Mille ineptes pensées berçaient ma fortitude
Et j’allais vers ce jour le cœur plus qu’affermi
Départi des périls forgeant mes certitudes.

Bien qu’ayant conservé d’intimes rébellions
Je lègue aux successeurs bien des maux en partage.

Jeune, j'étais inquiet, songeant à l'avenir © Mapomme

samedi 8 avril 2023

Incantations. Pour le simple plaisir

Pourquoi l’humanité aux époques lointaines
Perdit-elle soudain son temps en vains loisirs ?

Le savant rationnel voudrait une réponse
Selon sa conception des plus profonds besoins ;
Or dans son équation qu’à l’envi il énonce
Se nourrir proscrirait toute envie pour le moins.

Dans cette conviction jusqu’au cou il s’enfonce
Sans avoir démontré avec rigueur ce point ;
C’est un chemin d’orties entremêlées de ronces
Dont il devra sortir s’il veut aller plus loin.

Quand l’homme a maîtrisé à volonté les flammes
D’un faux jour éclairée la nuit lui fit moins peur
Et le temps libre est né quoiqu’ailleurs on proclame.

Le loisir s’imposa et hors de sa torpeur
Les humains prirent goût au superflu qu’on blâme
En nos temps empesés d’un sérieux si trompeur.

Nos savants sont parfois d’affreux croquemitaines
Niant qu'on peut créer pour le simple plaisir.
Pour le simple plaisir © Mapomme
D'après Thomas Couture

vendredi 7 avril 2023

Incantations. Apprivoiser le feu

Sur tous les continents le soir à la veillée
Mille voix conteront de semblables récits.

Changent lieux et héros mais la saga persiste
Dont une est récurrente issue des temps lointains ;
Le héros est un dieu qui de nos maux s’attriste
Un guerrier du Ponant ou un roi levantin.

Le drame des humains auquel ce dieu assiste
Peuples tremblant de froid dans le noir incertain
Priant pour que l’espoir d’un jour nouveau subsiste
Le pousse à leur offrir un appui opportun.

Les ténèbres vaincues en raison de son aide
L’homme ne craignait plus ni les loups ni les froids
Le feu se révélant un souverain remède.

La flamme entretenue chasse les nuits d’effroi
Et danse sur le roc l’ombre autrefois si laide
Danse inspirant les arts où l’homme semble adroit.

L’offrande du héros se verra mal payée
Car il sera châtié pour ce bienfait précis.

Apprivoiser le feu © Mapomme
D'après Jean-Jacques Annaud

jeudi 6 avril 2023

Incantations. Le porteur de lumière

Étoile du matin l’ivresse de midi
T’aurait-elle aveuglé d’orgueil et de lumière ?

Toi qui nous délivrais du voile obscur tombant
Au coucher du soleil et portais le prodige
Des feux matutinaux d’un jour nouveau flambant
Pourquoi as-tu cédé soudain à ce vertige ?

Le zénith est un leurre où l’esprit succombant
Aux délices du vide où ton âme voltige
Tu déliras soudain l’horizon enjambant ;
De ce pouvoir te reste un rêve pour vestiges.

Toi l’ange si précieux guidé par la bonté
Dont l’étoile brillait et comblait nos prières
Pourquoi as-tu voulu encor plus haut monter ?

Te voici retombé dans une fondrière :
Ceux que tu chérissais tu les as affrontés
Car l’orgueil nous conduit à la folie guerrière.

Toi l’ange tant béni et aujourd’hui maudit
Dans ta nuit pleures-tu ta majesté première ?

Dans ta nuit pleures-tu ta majesté première ? © Mapomme
D'après Alexandre Cabanel

Incantations. Prométhée enchaîné

L’humanité tremblait à l’âge des ténèbres
Et elle aurait péri sans son intervention.

Mais Zeus était furieux qu’il vienne et s’introduise
Dans l’Olympe sacré pour dérober le feu :
Il craignait que l’aura des Douze s’amenuise
Que ce nouvel atout les détournât des dieux ;

Ivres de ce pouvoir et des flammes qui luisent
Les humains deviendraient de l’Olympe oublieux.
Car il est des pouvoirs trop vastes qui séduisent
Rendant un esprit simple à tout jamais odieux.

Sur le mont Caucase Prométhée fol espiègle
Se trouva enchaîné pour un vol bienveillant
Et il aurait le foie dévoré par un aigle.

Pour que le châtiment s’avérât effrayant
Le foie se reformait et comme il est de règle
Après l’aube il souffrait pour son larcin payant.

Car il avait omis dans ce don qu’on célèbre
D'enseigner sur le feu d'utiles préventions.

Prométhée enchaîné © Mapomme
D'après Dick van Baburen

mercredi 5 avril 2023

Incantations. La revanche d’Orphée

Quiconque apportera au peuple la lumière
Se verra foudroyé par un feu ténébreux.

Les Muses ont trouvé sur les rivages thraces
Du malheureux Orphée les membres disloqués ;
Si le poète meurt subsisteront des traces
Et ses vers laisseront le monde interloqué.

Or le pouvoir des mots de celui qu’on terrasse
N'est pas vraiment de ceux dont on peut se moquer ;
Le tyran est certain dans sa bêtise crasse
Que plus jamais ces mots ne seront évoqués.

Sur la tombe d’Orphée par une nuit paisible
Un berger s’endormit par la marche épuisé
Et soudain vers minuit sans un motif plausible

À tue-tête il chanta des vers improvisés
Jadis par le défunt et donc inaccessibles ;
Qui veut tuer l’esprit serait mal avisé

D’oublier que le chant dans toutes les chaumières
Trouve un écho ayant des disciples nombreux.

La revanche d'Orphée © Mapomme
D'après Gustave Moreau