Elégies. Guitarionnettiste

Il dansait sur la piste ainsi qu’un Pierrot triste

Sur un morceau de rock au tempo endiablé.

De quel envoûtement jouait le guitariste

Pour qu’il gesticulât en pantin accablé ?

Sur ses cordes il usait d’un charme hermétiste

Faisant frémir Pierrot par des fils assemblé

Dans la nuit dirigé par un marionnettiste

À chaque note aiguë voyant son corps trembler.

Il est des douleurs tues qui viennent et vous brisent

Tel un récif masqué éventre un fier bateau

À l’heure où l’horizon d’un fol espoir s’irise.

Adieu les lendemains ; adieu reine et châteaux !

Et cet air entraînant dont elle était éprise

Instillant son venin dans chaque vibrato.

Guitarionnettiste © Mapomme

Amères Chroniques. Владимир Грозный

Combien on aimerait qu’un certain dirigeant

Frappé du syndrome dit de la tour d’ivoire

Cessât de menacer plusieurs milliards de gens

De son feu nucléaire au moindre des déboires.

Pour un simple embarras le voilà enrageant

Lui qui voulait entrer dans les livres d’histoire !

Même avec ses proches il est désobligeant

Et les broierait tout crus au cœur de ses mâchoires.

Devons-nous tous trembler qu’un doigt sur le bouton

Des terriens par milliards par sa folie périssent

Ou devons-nous céder tels de simples mouton

À sa moindre exigence au plus petit caprice ?

Devant la menace nullement ne doutons
Le temps que son peuple le traite en vrai jocrisse.

Schnell geh raus, Putin ! © Mapomme

Amères Chroniques. Madinat al-Zahra

Les sublimes senteurs de l’aube pâlissante

Ont la force inouïe de ces rêves enfuis

Qu’évoquent murmurant les cités gémissantes

Sur leur splendeur en ruine et leurs jardins détruits.

Sous chaque arcade maure à la beauté puissante

Que de soleils ici d’espoir ont jadis lui !

Des rêves de grandeur dans la foule bruissante

Ont allumé des feux plus sombres que la nuit.

Il n’est pire ennemi pour un naissant empire

Que le ver dans le fruit porteur de division

Et la guerre intestine où tout royaume expire.

Car le crime ambitieux qui n’est que dérision

Embrase la cité dont le peuple soupire :

S’envolent les cendres des vaines illusions.

Madinat al-Zahra © Mapomme

Amères Chroniques. Le Spectre des hivers de jadis

C’est un spectre effrayant qui hante les mémoires

Un revenant trempant son linceul dans le sang

Et vient semer un froid issu d’époques noires

Qui rappelle des mois ardus et oppressants.

On s’est accoutumé aux jours légers des foires

Aux flonflons de la paix lors de nos bals dansants

Qui ont embaumé l’air des jours hors de l’Histoire

Qu’on s’effraie d’un vent froid soudain et renaissant.

Les canons en Ukraine aux oreilles résonnent

Comme en Pologne hélas que d’autres ont connus

En sacrifiant leur vie pour que jamais personne

N’éveille en quelque lieu dans l’âtre entretenu

Un conflit né soudain quand l’âme déraisonne

Qu'il faut un désaccord fut-il des plus menus !

Le spectre des hivers de jadis  © Mapomme

Elégies. Les ronces pousseront sur ta tombe, poète !

Flaminio dépérit pour les yeux d’une belle

Fantôme allant de nuit et tout autant de jour

Dans son habit d’ennui en tous lieux tous séjours :

Contre ce triste état jamais ne fut rebelle.

En sa vaste demeure il soupire et l’appelle

Et en sonnets légers lui clame son amour :

Il n’est rien de plus sot qu’un hymen sans retour

Pour le rendre dévot en la froide chapelle.

Il croit que quand la Mort s’en viendra le bercer

La belle gémira à son heure dernière.

Pourtant seul son dédain viendra le transpercer :

« Fol ami qui gisez dessous la froide pierre

Je n’aurais pas pour vous une larme à verser

Et secs resteront mon coeur et mes paupières ! »

Les ronces pousseront sur ta tombe  © Mapomme

Elégies. Et Joubert sur l’Adige, Et Marceau sur le Rhin

Un mime entrait chez nous lorsque j’étais enfant

Muet comme il se doit ne parlant que par geste

Par le seul truchement d’un écran noir et blanc

Livrant la poésie d’un comique céleste.

On ne songe jamais que le calme apparent

Peut masquer des tourments et des heures funestes

— Que cet être lunaire au silence marrant

Fut en de sombres temps un des héros modestes.

À l’heure on l’on prétend vivre sous un tyran

Il faudrait se pencher vers les temps d’une peste

S’attaquant à l’esprit et ce mal empirant

Après une défaite rapide et manifeste.

Sans élever la voix par l'exemple inspirant
Marceau montra la voie et ne fut pas en reste.

Et Marceau sur le Rhin  © Mapomme
d' après un vers de Victor Hugo

Elégies. Le fantôme des Noëls futurs

Ma vie est un château debout parmi les ruines

Dont les huis sont ouverts battant aux quatre vents ;

Et frémissant j'erre en ce manoir sous la bruine

Par un fantôme hanté : celui du temps d’avant.

Tout habité d’antan je furète et je fouine

Dans les rues du présent triste et décevant

— Tel un spectre hâve chaque jour baragouine

Le regard en arrière et toujours écrivant.

Le cheveu rare et blanc tout accablé de chaînes

Je radote aux repas sans que de mes récits

Aucun ne se soucie ni de ma mort prochaine :

Des parents en âge le cercle s’étrécit.

On sera plus frappé par la mort du vieux chêne

Qu'a brisé sous le Fort un vent sans but précis.

Fantôme des Noëls futurs  © Mapomme
D'après Jean-Auguste-Dominique Ingres

Elégies. Contre le cours glacé des jours sans un flambeau

Nos cœurs battant d’espoirs restent inassouvis

D’avenirs entrevus d’attentes trop intenses ;

Or nous voilà plus vieux et toujours alouvis

Subissant un destin qui nous est pénitence ;

Nous laissons des démons par la haine nourris

Dans leur théâtre hideux guider nos existences

Battre un tambour sournois clouer au pilori

Des damnés comme nous luttant avec constance

Contre le cours glacé des jours sans un flambeau

Hors d’un vent nous guidant vers une aube acceptable

Où les matins naîtraient radieux dorés et beaux

Le bien-être conviant tout le monde à sa table.

Hélas ! tous nos espoirs sont partis en lambeaux ;
Nulle aurore ne porte un élan véritable.

La Liberté guidant le peuple  © Yue Minjun
D'après Eugène Delacroix