mardi 28 février 2023

Incantations. Casse-dalle automnal

J’ignore le plaisir qu’éprouvent ceux qui chassent
Car je ne puis tuer sanglier ou bécasse.

L’ample faute en revient à Gérard de Nerval 
Voyant en toute bête un vif esprit sensible ;
Comment pourrais-je errer d’amont jusqu’en aval
Mon fusil prêt à prendre un animal pour cible ?

Or je suis dans l’excès quelquefois sans rival
M’avérant un crétin au-delà du possible :
Tous ceux n’avalant pas de viande de cheval
Buteront des souris sans remords indicibles !

Je ne suis pas chasseur mais mange du gibier
Pourvu qu’il ne soit pas occis lors d’un carnage
La chasse ayant jadis un motif nourricier.

Par contre on peut envier le bienfait d’être en nage
Car d’une longue marche ayant bénéficié
Pour faire un casse-dalle avec ceux du village.

On dit à quel endroit on a perdu la trace
Puis on mange et on boit dans une action de grâce.

Casse-dalle automnal © Mapomme

Incantations. Symphonie du silence

Le soleil du couchant enluminait les monts
D’un or tiédissant l’air qui gonflait mes poumons.

Au dernier rai du jour avant le crépuscule
L’automne pourchassait l’été au son du cor
Et traquait en tous lieux l’ultime canicule
Prête à vendre sa peau au bout d’un corps à corps.

Mais le père et le fils de tout ça n’avait cure
Et goûtaient au plaisir d’un rayon tiède encor
Sentant la fatigue que la marche procure :
Alors la paix régnait sur un monde en accord.

Ainsi sonnait une heure imprégnée d’harmonie
Quand sur les corps fourbus un feu d’or réchauffait
Les chasseurs bredouilles mais sans acrimonie.

Les oiseaux gazouillaient et tout semblait parfait
Transformant le silence en pure symphonie :
Il n’est d’autre magie produisant cet effet.

Ce jour-là j’ai surpris dans le jour moribond
Cette scène en suivant mon esprit vagabond.

Symphonie du silence © Mapomme

lundi 27 février 2023

Incantations. La paix dans l’ermitage

Chiatra 1981

J’étais fort dépité après un long voyage
Duquel sans Toison d’Or je rentrais au village.

Je ne pouvais rester vivre avec mes parents
Car je tenais à voler de mes propres ailes.
Un retour laissait croire à l’échec apparent
D’une quête menée cependant avec zèle.

De ce vol d’essai au futur préparant
Je sus ce qui en moi déclenchait l’étincelle
Et les gris lendemains faits de jours effarants ;
J’avais de l’expérience au fond de l’escarcelle.

Élevé à Bastia dans le Var j’ai compris
Qu’étant un citadin affamé de campagne
J'y trouvais une paix qui s'avérait sans prix.

Donc la solitude ne me fut pas un bagne :
Le calme y aiguisait l’appétit et l’esprit
Ne voulant pas bâtir de châteaux en Espagne.

Que de nuits d’automne calmes et raffinées
Passais-je à bouquiner devant la cheminée !

Des nuits à bouquiner © Mapomme

dimanche 26 février 2023

Incantations. Élaine d’Ascolat

Sur sa barque descend aussi pâle qu’un lys
Élaine d’Ascolat plus pâle que jadis.

Le soir à la veillée on dira sa légende :
Mais que sait-on des maux qui voilent un regard ?
La passion trop souvent sur la raison commande
Mère de déraison à bien plus d’un égard.

Moins cruelles seront les Parques tisserandes
Que l’Amour nous laissant consumés et hagards ;
L'Archer sans compassion décoche son offrande
Trempée dans le poison et aussitôt repart.

Élaine a entrevu sublime en son armure
Lancelot qui passait splendide étincelant ;
Il vint boire au ruisseau sous les vertes ramures.

Lancelot ignorait qu’elle allait chancelant
Sans boire ni manger sans même un seul murmure
Pour avoir entrevu ses traits ensorcelants.

Sur sa barque immobile descend sur l’onde lisse
Élaine dont s'est clos le lancinant supplice.

Elaine d'Ascolat © Mapomme
Imitant The lady of Shalott de John W. Waterhouse

samedi 25 février 2023

Incantations. De la mélancolie des hiboux noctambules

C’était un soir pluvieux où j’étais désœuvré
Et zyeutais un docu somnolant et navré.

J’avais dû m’assoupir quand soudain je perçus
Un shaman nasillant un long chant diphonique.
Mollement alangui j’ouïs à mon insu
Ce timbre dérangeant et quasi hypnotique.

Il avait un tambour et mollement dessus
Il ponctuait ce chant de façon mécanique.
Un halo tremblotant de tout son corps issu
Sous la lune dansait au gré de ses mimiques.

C’est alors que je vis volant tout près de lui
Un hibou dans la nuit comme moi taciturne
Sans s’émouvoir un brin que le shaman ait lui.

Soudain le hibou dit : « Dans mes veillées nocturnes
J’ai souvent remarqué compagnon de l’ennui
Que brûlait ta chandelle jusqu’au jour dans ta turne ! »

De shamans les savants discouraient enfiévrés.
Naissait le jour que fuient hiboux et désœuvrés.

Un hibou dans la nuit comme moi taciturne © Mapomme
D'après diverses photos

vendredi 24 février 2023

Incantations. Où trouver l’ambroisie et le nectar d’Hébé ?

Éclatante jeunesse où t’es-tu envolée ?
Vers quels cieux étoilés ? Quelle terre inviolée ?

Nous allions jeunes dieux nos cœurs nourris d’espoirs
Croquant à pleines dents les fruits des Hespérides
Et le monde à nos pieds nous laissait entrevoir
L’éternel printemps nous préservant des rides.

L’aube naissait à peine et loin semblait le soir
Le soleil s’éveillant sur l’océan viride ;
Aux ennuis nous allions à tout jamais surseoir
Espérant que le Temps nous lâcherait la bride.

Pareil à l’or divin nous portions sur la peau
L’éclatante splendeur d’une aveugle confiance
Et sans l’être vraiment ce feu nous rendait beaux.

Le soleil nous drapant d’altière flamboyance
Princes nous semblions malgré nos oripeaux
Et des effets des ans nous n’avions pas conscience.

Par le temps maraudeur la jeunesse est volée
Et notre innée fraîcheur s'est hélas étiolée.
L'éclatante splendeur d'une aveugle confiance © Mapomme
D'après des photos

jeudi 23 février 2023

Incantations. Une amnésie photo

Chassez le naturel : il revient en photo
Et fait mettre aux clichés un éternel véto !

Par un Papa-razzi enfant j’étais traqué
Me tirant le portrait à la moindre sortie.
Mais n’ayant que deux fans je n’ai jamais craqué :
De là vient ma nature assez introvertie.

Jusque dans la maison sur moi était braqué
Cet œil dont tout cyclope a la tête sertie.
Mon père me trouvant si « mignon à croquer »
N’offrait sur le cadrage aucune garantie

Et faisait des photos dignes des Jivaros
Où très souvent ma mère avait perdu la tête
Car j’étais des clichés le principal héros.

Dès que je fus ado en véritable esthète
Me voyant imparfait des tourments viscéraux
Ont rendu sur photo ma présence discrète.

Quarante années j’ai fui les rites sociétaux
Opposant au selfie une amnésie photo.
Par un Papa-razzi, enfant j'étais traqué © Mapomme

mercredi 22 février 2023

Incantations. Joyeux atrabilaire

Assez souvent joyeux et par moment soucieux
Quels pensers me rendaient si souvent silencieux ?

Sur les photos on voit bien plus gais qu’ils ne sont
Les gens autour de moi ; perdu dans mes pensées
Rêvais-je aux lieux aux gens qu’en chemin nous laissons
Ou que nous enlèvent les guerres insensées ?

Tirais-je du silence une utile leçon
Et du rire naît-il de grandes avancées ?
Prisonnier sur mon île en nouveau Robinson
Naufragé en classe que d’heures dépensées !

J’avais ailleurs l’esprit et de plus grands soucis
Que de voir mon portrait où je ferais risette :
Mes quenottes montrées n’ont la peine adouci.

Avec ma blouse bleue couvrant ma chemisette
La classe maternelle a surtout réussi
À me faire adopter la bouille des ascètes.

Le ciel par la fenêtre étant d’un bleu gracieux
Je me voyais reclus sur arrêt fallacieux.

Joyeux atrabilaire © Mapomme

Incantations. L’indicible regret

Pourquoi ai-je effacé tout ce qu’hier j'aimais
Et me suis interdit ce qu'aujourdui permet ?

J’ai longtemps adoré dans les vagues plonger
Tel un triton l’été ; sans raison évidente
Le goût m’en a passé sitôt que mes congés
Se sont comptés en jours de façon obsédante.

Avant pendant deux mois sur le sable allongé
Ou jouant au volley dans la joie trépidante
Sans un compte à rebours pour venir la ronger
Je goûtais au farniente en ces journées ardentes.

Puis j'ai bâti ma vie et tout s'est vu changé
Dans le cours des années qui laissent leur empreinte ;
M’encroûtant je me dis : « Tiens : je me suis  rangé ! ».

J'ai été emporté par un flot de contraintes
Et me retrouve hélas au passé étranger
Subissant de la vie l’inexorable étreinte.

Pourquoi donc rester froid à ce qui me charmait ?
L'indicible regret me hante désormais.
L'indicible regret © Mapomme

mardi 21 février 2023

Incantations. Un phare au bout du monde

1968

Notre cerveau retient des faits sans importance
Et des moments cruciaux perd de vue l’existence.

Mon père était malade et chaque samedi
Nous allions visiter une ville à la ronde ;
Je n’étais pas au mieux et sans nul contredit
J’éprouvais depuis peu une angoisse profonde.

J’étais de mes parents toujours l’enfant chéri
Mais tremblaient les piliers qui soutenaient ce monde :
À la maison papa se sentant mal guéri
L’Univers contre nous semblait mener la fronde.

Tout était chamboulé : nouvel appartement
Avec d’autres voisins et j’entrais au collège
Tandis que je suivais un usant traitement.

Ce climat très pesant qu’une sortie allège
Empêchait d’en goûter le dépaysement
Et rendait passager cet amer privilège.

Debout sur la falaise au bout de notre monde
Je rêvais d'une terre où la quiétude abonde.

Un phare au bout du monde © Mapomme

lundi 20 février 2023

Incantations. L’avenir devant nous

À quitter un endroit qui donc est aguerri ?
Des plaies en résultant nul enfant ne guérit.

Nous avions en ce temps à perte d’horizon
L’avenir devant nous la porte grande ouverte.
Pour l’insouciance il n’est aucune guérison
Car on croit que toujours la prairie sera verte.

Après le doux printemps surviennent trois saisons
Qui nous ferons sentir combien lourde est la perte
Des bruissantes prairies aux belles floraisons ;
Si jeunes nous allions la Raison inexperte.

Nous regardions pourtant aussi loin qu’il se peut
Depuis une hauteur scrutant dans la vallée
Où l’onde du ruisseau déjà coulait bien peu.

Dès mai les primes fleurs loin s’en étaient allées
Et bientôt nous serions dépossédés tous deux
Des discrètes senteurs à l’envi inhalées.

Des amis le destin aime nous séparer
En juillet nous laissant soudain désemparés..

Nous regardions pourtant aussi loin qu'il se peut © Mapomme

Incantations. Le soleil aveuglant d’un destin illusoire

Chiatra 1971

Enfant unique aux temps d’un formidable essor
On crut me voir payé de mes vaillants efforts.

Capable de franchir les plus ardus obstacles
Que la vie dresserait sur mon glorieux chemin
J’ignorais que son cours serait semé d’embâcles
Suite au grand froid figeant nos brillants lendemains.

Tandis que je montais tout droit vers le pinacle
Le monde se ferait plus ardu à l’humain
Car après trente années d’un étonnant miracle
Il devrait procéder à son réexamen.

Il nous restait deux ans d’une aveugle confiance ;
Tandis que je grimpais inconscient du péril
J’apprendrais dès demain ma haute insignifiance.

Le coupable Occident dans l’oubli puéril
Des changements majeurs n’avait nulle conscience
Qu’il n’aurait plus la main sur le cours du baril.

La débâcle viendrait et ces trente ans figés
Nous puniraient d'avoir l'avenir négligé.

Tout droit vers le pinacle © Mapomme

dimanche 19 février 2023

Incantations. Mémoire de papier

1960, Marengo

Mémoire de papier tel un nécromancien
Fais jaillir le passé puisqu’il n’est plus personne
Sauf toi pour l’évoquer ; car vois-tu mes anciens
Sous le marbre glacé même en été frissonnent.

Qu’importe le futur et ce qu'il y advient !
Je ne suis des puissants qui les destins façonnent.
Convoque mes parents car en perdant les siens
S’embrouille la mémoire et le passé dissone.

Qui n’aimerait entendre un récit exhumé
Du sable recouvrant les champs de son enfance ?
Car nos tout premiers mois demeurent embrumés.

C’est hélas un combat qui est perdu d’avance
Et au moins de trois ans le temps vient nous plumer :
Restent quelques photos pour unique défense.

Mémoire de papier sème tes cailloux blancs
De mon passé perdu quelques vides comblant.

Mémoire de papier restitue mes couleurs © Mapomme

Incantations. Au musée de cire figés sont les sourires

1961, 8 rue Saint François

Mes fantômes de chair dans un instant figé.
C’est un musée Grévin sans stars et sans notables
Un cliché souvenir aux parents infligé.

Les temps résonnaient des échos redoutables
Du conflit meurtrier d’un pays affligé
Et ma mère songeait aux morts inéluctables :
La guerre serait-elle un passage obligé ?

Maison où je suis né mon cœur toujours t’adore
Et plus encor la salle où je jouais souvent !
Tomettes et tapis où l’enfant élabore

Dans son fertile esprit des mondes captivants
Sans sinistre hélico qui passe et qu’il abhorre
Tel un dragon de fer menaçant les vivants.

C’est un repas figé entre conflit et paix
Aux fantômes ravis par un brouillard épais.

Maison où je suis né... © Mapomme

vendredi 17 février 2023

Incantations. Place Saint Nicolas

Quand on a dix-sept ans un rien coupe nos ailes
Car ce n’était pas moi et ce n’était pas elle.

Les amoureux – dit-on - sont en dehors du monde
Ce qui est inexact puisque le monde est là.
Je ne vois pas sur quoi cette expression se fonde
Ni quel esprit savant un jour la corréla.

Si les amants n’avaient nul gêneur à la ronde
Ils auraient l’immense place Saint Nicolas
Pour eux seuls sans regards de biques moribondes
Ni l’air réprobateur héritée des prélats.

Une cité déserte est pour l’ado en couple
Un rêve encor plus beau qu’un trésor égyptien
Où il peut à loisir enlacer un corps souple.

Épris d’une fille qui me le rendait bien
En romantique idiot j’ai cru trouver mon double
Ou plutôt ma moitié selon les Grecs anciens.

Mais on est impatient quand on a dix-sept ans
Et on a de l'amour un concept trop ardent.

Place Saint Nicolas © Mapomme

Incantations. Bastia, quai des Martyrs

1973

Le ciel triste hésitait entre hiver et printemps
D’un camaïeu de gris les nuées se teintant.

D’une perm imprévue décidés à errer.
Objets désenchantés voilà ce que nous sommes
Sortis quai des Martyrs en vue de s'aérer.

Plus encor d'échapper aux cours qui nous assomment
Nous sentions en ce jour l’étau se desserrer.
Piteux est le destin des femmes et des hommes !
Balloté par les flots vers les rocs acérés

Flottait un corps amorphe avalé par l’écume.
Cet horrible spectacle était très captivant
Mais faisait naître en nous la compassion posthume

Celle qu’on doit avoir à l’égard des vivants.
Ainsi telle est la mort sans amen sans coutumes
De leur humanité les cadavres privant !

Bastia, quai des Martyrs © Mapomme

jeudi 16 février 2023

Incantations. Que de rêves tissés en une heure de perm !

1974

Un professeur absent nous allions sur les quais
Vers la fin du printemps au bout de la jetée ;
Nous devisions de tout malgré le vent frisquet
Durant l’heure de perm joyeusement fêtée.

La voile des futurs au Levante claquait
Toute gonflée d’espoirs par le vent fouettée ;
Visions sans avenir dans un miteux troquet
Nous vous avons rêvées et puis tant regrettées.

Que d’années en une heure on peut ainsi bâtir
Mouettes s’envolant vers des rives nouvelles
Et tant d’espoirs plus tard qui allaient en pâtir.

Tant de Colomb vers l’Inde et nulle caravelle
Car aucune utopie ne pourrait aboutir
Dont on enrichissait nos fécondes cervelles !

Qu’importe le futur pourvu qu’on ait le rêve
Et peu nous chaut l'épine où au final il crève !

Saint Jean depuis la jetée, 1974 © Mapomme

Incantations. Dans la douceur d’un soir musical à Cimiez

Festival du Jazz de Nice, 1980

On ressent une joie qui paraît ordinaire
Qu’on croit voir répétée dans un proche avenir
Tel un grand festival nimbé de feux lunaires.
Mais de cette illusion un djinn vient nous punir :

« Dis-moi crédule humain au fol imaginaire
Du passé n’as-tu su des leçons retenir ?
Te crois-tu invité par des dieux débonnaires
Aux banquets où eux seuls peuvent se réunir ? »

J’étais ainsi allé sous la voûte stellaire
Dans la douce chaleur d’un beau soir estival :
Quel souverain remède en ces temps de galère !

Les ruines de Cimiez bruissaient d’un festival
Dont les participants d'accords me régalèrent.
J’éprouvais un plaisir demeuré sans rival :

Comblés étaient mes sens en ce juillet festif
Tel un banquet sans vol d'insecte intempestif.

Arènes de Cimiez, 1980 © Mapomme

Incantations. On peut trouver ailleurs ce qu’on avait chez soi

Au Montauroux de 1981

On arrive parfois en un lieu inconnu
Mais qui nous est connu nimbé d’un charme étrange ;
En flânant dans les rues le touriste ingénu 
Trouve tout familier sans que ça le dérange.

Peut-on être chez soi bien que nouveau-venu ?
Passé présent futur dans l’esprit se mélangent
Et ce qu’on a quitté par un cordon ténu
Transforme notre errance en envoûtant challenge.

On galège au café s’y faisant des copains
Qui boivent des pressions pourtant peu régionales
Et on s’entraîne au foot tel un vieux galopin

Charmé par cette vie douce et phénoménale.
Ceux qui paient les erreurs sont toujours les clampins
Pointant au chômage notre fosse infernale.

Je me sentais chez moi car tout était semblable
Et j'ai alors appris que rien n'est immuable.

Ailleurs comme chez soi © Mapomme

mercredi 15 février 2023

Incantations. Dans une vie ancienne

Je fus un temps bohème amaigri mais heureux
Logeant chez des amis en guise de famille.
L’appartement vibrait de rires chaleureux
Mais nous vivions de peu sans porter de guenilles.

Je cherchais du boulot animal mystérieux
Qui fuit les affamés pour se jeter aux grilles
Des jeunes fortunés ; je me faisais sérieux
Propre rasé de frais et sans mes espadrilles.

Je ne regrette pas les rudes fins de mois
Où un bouillon était notre repas sommaire.
Je gardais un enfant comptant beaucoup pour moi

Car je devais veiller sur lui comme une mère.
Le travail m'expédiant au loin sans nul émoi
Mon exil nous laissa une saveur amère.

J’y ai souvent pensé empli de nostalgie :
Il méritait qu'on fît sur lui cette élégie.

Dans une vie ancienne © Mapomme

Incantations. Confluence

Se groupant dans plaine où paissent les troupeaux.
De la neige des monts jusqu’à en perdre haleine
Des torrents écumants dévalent sans repos.

Une rivière en naît libérée de ses chaînes
Trop longtemps enneigées et qui se font l’écho
Du cri du gypaète sur les cimes hautaines.
L’eau fond vers les plages et ses mois tropicaux.

Plus une année avance et plus grossit le flot :
Tout est très différent dans une vie humaine
Où les rires font place à de tristes sanglots.

Passent les jours heureux que nul ne nous ramène
Et des rires premiers le beau chapitre est clos
Quand la vie est soldée à l’encan des semaines.

Le temps passe et le fleuve est scindé en torrents :
Chacun de son côté quitte amis et parents.

Confluence © Mapomme
D'après une photo d'Amy Martin 

mardi 14 février 2023

Incantations. De nos vertus d’antan les ans ont fait razzia

Vainement on se voit inchangé in petto
Comme si les vertus résistaient à l’acide
D’un présent prosaïque attaquant les métaux
Car l’emprise des ans patiemment les oxyde.

On transmet aisément de l’enfant à l’ado
Nos plus jeunes défauts et très peu nos mérites.
Les travers s’amplifient et on tourne le dos
Aux qualités d’antan dont si peu on hérite.

Jeune ado amoureux les années t’ont pétri
D’un marbre virginal ayant fait de la boue
Et ton cœur généreux lentement s’est flétri !

Les rides ont marqué au fer des ans tes joues
Et de lui ton âme n’est pas plus à l’abri ;
Mauvais génie le temps sans relâche nous floue !

L’automne en bourrasques prend les feuilles sans sève
Car l'été a fané les plus beaux de nos rêves.

L'automne en bourrasques © Mapomme

lundi 13 février 2023

Incantations. Des bijoux végétaux

Ou sur les proches rocs aux plantes spécifiques
L’indolent promeneur en quêteur permanent
Dégote des trésors au charme mirifique.

Le génie d’un milieu à ce point culminant
Éblouit le marcheur de la substantifique
Végétale splendeur d’un attrait fascinant
Dont un endroit précis se montre prolifique.

On a vu des bijoux frôlant la perfection
Quand l’orfèvre imitait l’édénique Nature 
Car la fleur est le fruit de longues sélections.

Subissant des échecs comme on fait des ratures
L’espèce s’améliore après des corrections ;
D’elle s’est inspirée notre littérature.

Le promeneur songeur d’une fleur s’ébahit :
Son émerveillement par sa bouche est trahi.

Un bijou végétal © Mapomme
D'après une photo de J.P. Grandmont [Pancrace d'Illyrie à Tolla (2A)] 

Incantations. La beauté imparfaite

Chaque jour on s’échine à faire filer droit
Les arbres d’un jardin selon notre esthétique ;
Cet objectif atteint nous glacera d’effroi
Car ces soldats de bois n’ont rien de poétique.

Nous voulant les maîtres du monde en tout endroit
Nos jardins sont peuplés de rangées pathétiques
Aux arbres asservis ordonnés et très froids
Conformes à l’esprit des temps cybernétiques.

Faisant une ballade au milieu du maquis
Nous contemplons un arbre enfanté des tempêtes
Dont le tronc atypique apparaît comme exquis.

Quoi ? La beauté peut naître de formes imparfaites
Par le roc et le vent sans aucun plan requis
Et nul en son jardin ne serait plus prophète ?

Rien n’est plus captivant que le fruit des tourmentes
Glanant de la Nature l'harmonie désarmante.

La beauté imparfaite © Mapomme
D'après une photo du genévrier cade millénaire de l'Aude

dimanche 12 février 2023

Incantations. Les gardiens éternels

Les guerriers sont taillés pour protéger leur roi
Patriarche implorant des nues hélas désertes ;
De lignée noble issu il préside à bon droit
Une île ensoleillée à son regard offerte.

Des nains mal accoutrés passent sans nul effroi
En filmant ses guerriers et sa couronne verte
Qui a plus de mille ans et ne craint pas le froid ;
La main sur leur épée et l’esprit en alerte

Les gardiens protègent le calme souverain
Qui a vu s’écrouler des palais des empires
Qu’on croyait établis à tout jamais sereins.

Nombre de dynasties d’un seul coup déguerpirent
Après de long combats concédant du terrain ;
Ayant eu le meilleur ils connurent le pire.

L’olivier millénaire espère bien durer
Et sa garde en granit le lui a assuré.

Les gardiens éternels © Mapomme

Incantations. Fiore di memoria

L’existence est un champ que des êtres fleurissent
Dont on exhume un soir le parfum odorant
Ravivant des instants que nos âmes chérissent
Emportés par les ans tel un furieux torrent.

Modestes sont les fleurs que les jours insipides
Recouvrent d’un limon furieux et conquérant
Abrogeant les moments cristallins et limpides
Sous un flot s’avérant sans cesse intolérant.

Nos vies sont parsemées de plantes familières
Myrte arbousier bruyère et erba barona
Lors des printemps lointains des années écolières.

Puis l’été lumineux d’or des fous rayonna
Troublant la perception par l’intense lumière
Et le vent de juillet soudain tourbillonna

Emportant le parfum des fleurs qu’on aimait tant.
Mon herbier mémoriel rends la vie aux printemps !

Fiore di memoria © Mapomme
D'après herbier de Marcelle Conrad

samedi 11 février 2023

Incantations. Anémomorphose

Je connais un sculpteur qui taille dans le vif
Un artiste atypique érigeant avec fièvre
Des formes nées du souffle animant l’impulsif ;
Rien de ce qu’il produit n’est ni banal ou mièvre.

Il est selon certains maintes fois excessif
Pour d’autres par nature un véritable orfèvre :
Pourtant le plus souvent on le trouve incursif
« Un vil envahisseur ! » dit-on du bout des lèvres.

Je me vois partagé entre deux sentiments :
J’admire d’une part sa force créatrice
Mais je voudrais la voir œuvrer plus gentiment.

Car il laisse parfois d’affreuses cicatrices
Représentant alors un rude châtiment
Créant en coup de vent une œuvre prédatrice.

Depuis longtemps le vent travaille la nature
Et l'anémomorphose est la fleur des sculptures.

Anémomorphose © Mapomme
D'après une photo de Guillaume Labeyrie

 Anémos : le vent ; morphosis : donner la forme
La forme du vent

Incantations. Murza

Pour garder de longs mois l’or de ta floraison
Alors que les années farouches nous effrayent ;
Même une fois cueillie tu défies les saisons.

Onirique immortelle à nulle autre pareille
Des rêves de jouvence altèrent la raison ;
Les sages arguments au grand jamais n’enrayent
L’espoir d’éternité des blanches frondaisons.

Car le bouquet coupé qu’une magie protège
Ne verra pas ses fleurs se flétrir aussitôt.
Puissant sortilège végétal que ne t’ai-je

Moi qui ai échappé en de froids hôpitaux
Maintes fois à la faux et à son noir cortège
Mon corps sentant les maux des péchés capitaux ?

Immortelle sertie d’un or originel
Vois ma toison n'a pas un éclat éternel !

Immortelle de Corse (Murza) © Mapomme

vendredi 10 février 2023

Incantations. Quand retentit la conque

D’un écho provenant de nos âges lointains ;
Depuis longtemps déjà l’homme compte et raisonne
Sans alphabet connu sans langage certain.

L’écho de la conque dans le calme détonne
Telle une incantation née des bois cismontains
Qui vient interloquer par ce son allochtone
Annonçant le danger d’un rôdeur importun.

Ce son quasi tribal pétrifie la campagne
Et renvoie à des temps violents et indécis 
Où le danger venait d’Afrique ou bien d’Espagne.

Cette conque alertait contre un intrus précis
Débarquant pour piller la plaine et les montagnes
Et dont le souvenir a marqué les récits.

Je souffle dans la conque en l’honneur des anciens
Qui de nos maigres biens ont été les gardiens.

Quand retentit la conque © Mapomme

jeudi 9 février 2023

Incantations. L’attrait secret d’Hylas

J’ai vainement cherché l’attrait secret d’Hylas
À toutes les cascades allant remplir ma gourde ;
Pas de nymphes sortant de l’onde douce hélas
Puisqu’à ma séduction toutes restèrent sourdes !

On peut sans être laid – et c’est bien là qu’est l’os ! -
Ne pas être assez beau sans que rien ne discorde ;
Comme toutes voulaient l’Apollon de Délos
Pas une n’est sortie qui à mes appas morde !

Est-ce de là que vient pour l’eau ma répugnance ?
Comme à chaque source mes efforts furent vains
J’ai sitôt professé pour l’onde une défiance

Et à table on me voit lui préférer le vin :
Les phobies provenant de moches expériences
Pour augurer la fin pas besoin d'un devin :

Rien ne viendra de source et donc pas les naïades
Que j'ai cherchées sans même obtenir une œillade. 

L'attrait secret d'Hylas © Mapomme
D'après John William Watergouse