samedi 30 octobre 2021

Elégies. La lumière ou l'ombre

Peut-on dans un regard capter toute une vie
Les espoirs de jadis et les regrets enfouis
Les persistantes plaies à tout regard ravies
Et les secrets gardés en trésors inouïs ?

La faim qu’on voit encor dans l’autre inassouvie
N’est-elle pas un reflet trompeur qui éblouit
De ces pentes ardues qu’on a un jour gravies
Et des destins lointains soudain évanouis ?

L’œil est-il objectif en regardant la rue ?
Un cadrage choisi est forcément partial
Et raconte à chacun des amours disparues.

La lumière ou l’ombre jouent un rôle spécial
Et teintent un portrait d’une tendresse accrue
Qui paraphe un cliché d'un hommage crucial.

Lumière et ombre  © Mapomme
d'après une photo noir et blanc de Vivian Meier

mardi 26 octobre 2021

Elégies. Ombre et lumière à l'aube

Le jour s’était levé et les sommets des monts
Brillaient d’un éclat d’or comme jadis la pointe
D’électrum à Louxor du pieux temple d’Amon ;
Les cimes mineures demeuraient de l’ombre ointes

 Devant leur roi courbées tels qu'étaient les barons.
Chaque époque a connu de semblables contraintes
Devant d’affreux tyrans ou de vains fanfarons
Qu'on vénérait par foi ou sinon par la crainte.

Ainsi en notre temps on louera l’opulent
Bien souvent tiraillé entre haine et envie
Selon qu'on juge abject ou alors stimulant

Leur hauteur élevée : « Qu’il n’a jamais gravie
Mais simplement trouvée ! » ajoute un virulent
Car nulle aube dorée ne lui sera servie.


Ombre et lumière à l'aube  © Mapomme
d'après une photo d'Anne-Marie De Ruggiero

dimanche 24 octobre 2021

Elégies. Aubes désabusées

Puis-je aller sans un brin d’amour au fond du coeur
Sans même un seul billet dormant au fond des poches
Propre à me consoler de ce triste marqueur
Et m’abreuver d’oubli au terme de bamboches ?

Qui a bu le Léthé au fond d’une liqueur
Sans retrouver à l’aube un jour médiocre et moche
Et son reflet cruel dans le miroir moqueur
Soulignant sous ses yeux de nocturnes valoches ?

Pourtant rien ne manquait sinon l’argent claqué ;
En pure perte hélas puisque dès l’aube grise
Un néant m’habitait et j’étais arnaqué.

Si un casse-dalle me refait la cerise
L’inaltérable spleen s’en vient me détraquer
Et imprimer sur moi son éternelle emprise.

Qui a bu le Léthé...  © Mapomme

samedi 23 octobre 2021

Elégies. Châteaux de sable en ruines

À la prêche on nous dit des mots qui font rêver
Mais dès qu’on sort le monde en vérité est triste
Et le vent dans la rue s’en viendra soulever
Les espoirs qu’a tués la pensée empiriste.

Feuilles mortes flottant d’un vol inachevé
Privées de toute sève en ces temps rigoristes
Voyez tous ces passants qui battent le pavé
Cherchant la prophétie d’un gourou mélioriste.

Grises sont les cités et les aubes de fiel
Versent dans nos esprits la vérité sauvage
En cendres réduisant l’espoir superficiel.

Des châteaux de sable l’onde a fait des ravages
De nos rêves d’enfant saccageant l’essentiel
Et nous laisse tremblants sur un ardu rivage.


Châteaux de sable en ruines  © Mapomme

samedi 16 octobre 2021

Nouveau Siècle. Les héros oubliés

« Dehors les étrangers car vous ne valez rien ! »
Voilà l’affreux refrain d’un histrion fébrile
Oubliant ceux occis sur le Mont Valérien.
Cet excité nous noie de chicanes stériles ;

Il tresse des lauriers à l’abject prétorien
Et vomit sur ceux-là qui recherchent asile
Fuyant quelque tyran africain ou syrien
Voulant enfin goûter à la paix de nos villes

Périssant par millions dans l’exode sans fin
Dans les déserts d’Afrique ou les froids de l’Asie
Épuisés par la marche ou bien crevant de faim.

Les chasse l’histrion ivre de frénésie
Quand d’autres étrangers sont venus des confins
Du monde contre Hitler gratifiés d'amnésie.

Les héros oubliés du réseau Manouchian  © Mapomme

Nouveau Siècle. L’honneur de la France en ces larmes versées

Pétain n’a rien sauvé et n’a rien protégé
Et trahissant l’honneur après une déroute
Il signa l’armistice avec un cœur léger
Lorsque l’Europe entrait dans la crainte et le doute.

Soudain tout un pays se retrouva piégé
Dans une sombre voie qui à nos âmes coûte ;
Un histrion ne peut de sa plume abroger
La faute du Vél d’Hiv qui ne doit être absoute.

Le Maréchal souillait son passé prestigieux :
Toi sur la Canebière être humain anonyme
Désemparé et pris d’un émoi contagieux

Tu léguais au futur le refus qui anime
L’esprit libre d’un peuple en larmes dans tes yeux.
Quel écrit peut trahir ce qu'un regard exprime ?


Quel écrit peut trahir ce qu'un regard exprime ?  © Mapomme
d'après une photo de Marcel de Renzis, Canebière, 15/09/1940

mardi 12 octobre 2021

Nouveau Siècle. L'égoutier de l'Histoire

Pointer d’un doigt haineux du pays les défauts
Ne fera pas de toi quelque étonnant génie
Si tes propos tenus résonnent archifaux
Et que notre passé tu revoies et renies.

Mieux vaut être un pasteur pour son rêve tué
Que scruter les canaux des égouts de l’Histoire
Pour empuantir l'air et venir polluer
D’un venin mensonger l’esprit d’un auditoire.

« C’était bien mieux avant ! » clames-tu dans le vent :
Mais alors songes-tu aux tyrans et aux guerres
Toi qui viens te parer du titre de savant ?

Car l’ouvrier crevait dans ce triste naguère
Pour des bourgeois cossus pour certains approuvant
Pétain à ton instar pauvre historien vulgaire !


Pauvre historien vulgaire  © Mapomme

dimanche 10 octobre 2021

Sonnets couronnés. Récit du naufragé 15. Fauves et reptiles

Un navire inconnu ce jour s’en vint au port ;
Après avoir franchi un océan hostile
Le marin débarquant au sol se sent plus fort
Loin des contrées où vont fauves comme reptiles.

« J’eus bientôt préféré avoir subi ce sort
Car loin de mon pays en un lieu infertile ;
J’ai pensé retrouver mes pauvres amis morts
Quand le serpent rendit toute lutte inutile.

J’étais un naufragé par le destin vaincu ;
Je fus contre mon gré porté par la tourmente :
Me voici riche en or et pauvre de vécu

Car sur l’île isolée seul l’espoir alimente !
Voici tout ce qui compte après trente ans perdus :
Les vents m'ont ramené sur la mer écumante ! »


Loin des contrées où vont fauves comme reptiles  © Mapomme

Sonnets couronnés. Récit du naufragé 14

« Les vents m’ont ramené sur la mer écumante
Avant de retrouver dans le Champ des Roseaux
Ta mère tant regrettée et ma sœur bien aimante !
Ne t’engage jamais sur d’incertaines eaux

Car l’aventure à tous paraît enthousiasmante :
On revient n’ayant plus que la peau sur les os !
Dans la jarre veillons la bière qui fermente
Travaillons nos champs et chassons les oiseaux !

Pour revoir les rives de ma terre native
J’ai offert la moitié de mon curieux trésor !
Ainsi j'ai procédé en ma joie instinctive.

Je n’ai pas regretté car trente ans avec l’or
M’en ont fait mesurer la valeur relative :
Un navire inconnu ce jour s'en vint au port. »


Travaillons nos champs  © Mapomme

Sonnets couronnés. Récit du naufragé 13

« Voici tout ce qui compte après trente ans perdus
Et mon cœur est brisé par cette mort soudaine !
J’ai à tout survécu et je suis confondu :
Un serpent m’épargna par une étrange aubaine

Quand ma sœur bienaimée qui m’avait attendu
Me cause sans vouloir une insondable peine !
Pourquoi sur cette mer me suis-je ainsi rendu
Au lieu de naviguer près des rives thébaines ? »

« Qu’importe le passé ? Elle nous voit tous deux
Puisqu’elle sort au jour et dès la nuit s’absente
Et te voit revenu d’un périple hasardeux ! »

« Tu parles comme un fils et je te complimente :
Ce n’est pas sans raison que vers toi cher neveu
Les vents m’ont ramené sur la mer écumante ! »


Pourquoi sur cette mer me suis-je ainsi rendu ?  © Mapomme

Sonnets couronnés. Récit du Naufragé 12

« Car sur l’île isolée seul l’espoir alimente :
Qui es-tu donc jeune homme au propos audacieux ? »
« Paneb fils de ta sœur Méryenmout l’indulgente
Qui a toujours pensé qu’un destin capricieux

Te retenait captif sur une île indigente
Mais que tu reviendrais par la grâce des cieux ! »
« Où se trouve ma sœur fine et intelligente
Dont les conseils m’étaient toujours aussi précieux ?

Elle n’était pas là quand débuta ma quête ! »
« Par la vipère hélas ! son pied droit fut mordu
Et je vais sur sa tombe modeste mais coquette ! »

« Avec toi j’irai pour que l’hommage rendu
Soit doublé par deux voix si jamais tu l’acceptes :
Voici tout ce qui compte après trente ans perdus ! »

Le temple de Philaé  © Mapomme
d'après David Roberts

samedi 9 octobre 2021

Sonnets couronnés. Récit du naufragé 11

« Me voici riche en or et pauvre de vécu
Après avoir marché morose et solitaire
Sur un îlot désert tout autant que moi nu
Rêvant d’encor fouler de mon pays la terre.

J’y reviens harassé en vieil homme chenu
Ne voyant parmi vous que des masques austères
Et pas un seul d’entre eux ne me semble connu :
Ils portent pour chacun les torts du caractère ! »

Alors un jeune homme posément s’avança
L’ayant laissé parler après trente ans d’attente :
« Serais-tu Ahmosé qui jadis se lança

Dans une expédition jugée inconséquente ? »
« Que la constante faim seule récompensa
Car sur l'île isolée seul l'espoir alimente ! »


Alors posément un jeune homme s'avança  © Mapomme

Sonnets couronnés. Récit du naufragé 10

« Je fus contre mon gré porté par la tourmente ! »
Une formulation lâchée dans le danger
Peut révéler dans l’être une force immanente
Qu’aucun fatum divin n’a le don de changer.

Cette force naîtra si la vie inclémente
Avant même octobre s’en vient la vendanger :
Certains baissent les bras et chose fascinante
D’autres à la raison ne veulent se ranger.

Passèrent des années où sans motif notable
J’ai supporté la faim sur mon îlot reclus
Comme l’isolement sombre et épouvantable.

Je survivais sans plus de votre monde exclu
Nourri du seul espoir et clamant lamentable :
« Me voici riche en or et pauvre de vécu ! »

Riche en or et dépourvu de tout  © Mapomme

Sonnets couronnés. Récit du naufragé 09

« J’étais un naufragé par le destin vaincu
Qui sans fin affrontait des éléments contraires
Et malgré tous les sorts j’avais donc survécu
De tout accablement parvenant à m’abstraire.

Jusqu’ici dans ma vie j’allais inaperçu
Dans leur jeu simple pion nullement téméraire
Et voici qu’un marin face aux desseins conçus
Repoussait à plus tard les rites funéraires.

Une phrase aurait dû susciter leurs soupçons
Quoiqu’alors énoncée de façon hésitante
Bien plus pour la forme et sans plus de façons.

Mais ils l’avaient jugée à tort peu importante
Puisqu’on pouvait tirer du futur la leçon :
Je fus contre mon gré porté par la tourmente ! »


Dans leur jeu simple pion  © Mapomme

Sonnets couronnés. Récit du naufragé 08

« Quand le serpent rendit toute lutte inutile
Après ses prédictions il fit sa mue de peau
Et sous le sol trouva enfin l’ultime asile :
J’utilisais cet antre en guise d’entrepôt.

Mais j’aurais bien offert de mon or si futile
Pour légumes et fruits ou quelques oripeaux
Cent fois le prix normal sans esprit mercantile
Et pour que ce vent fort me laissât en repos.

Quand la panse affamée gargouille et se lamente
Comment saisir des cieux les desseins ambigus ?
À l’aide d’une branche épaisse et résistante

Puisqu’il fallait quérir quelque bulbe imprévu
J’ôtais un rhizome moins par goût que par faim :
J’étais un Naufragé par le destin vaincu. »


J'ôtais un rhizome moins par goût que par faim  © Mapomme

Sonnets couronnés. Récit du naufragé 07

« J’ai pensé retrouver mes pauvres amis morts :
Pourquoi survivre aux flots pour périr en son ventre ?
M’écriai-je en furie vers des cieux sans remords
Dont je ne pouvais être en cet instant le chantre.

Me prenant en sa bouche et glissant sans effort
Il me porta sans mal me posant dans son antre.
Nous étions plus de cent et serions plus encor
Sans la foudre frappant ce repère en son centre !

Je laisserai tout l’or à ma mue à venir
Et tu le garderas car le sort versatile
Te destine au retour mais il faudra tenir

Tout seul durant trente ans isolé sur cette île !
J’aurais voulu périr et la paix obtenir
Quand le serpent rendit toute lutte inutile. »


Durant trente ans isolé sur cette île  © Mapomme

vendredi 8 octobre 2021

Sonnets couronnés. Récit du naufragé 06

« Car loin de mon pays en un lieu infertile
La mer m’ayant poussé j’étais plus mort que vif
Toutes mes chairs meurtries quand j’abordais cette île
Après avoir franchi la passe des récifs

Que patiemment les flots vague après vague effilent.
Le vent avait sculpté des arbres laudatifs
Dont les branches priaient des cieux fort indociles
Malgré leurs lamentos suppliants et votifs.

Affamé je trouvais en terre des racines
Après avoir versé l’eau salée de mon corps
Pouvant m’être aussi bien poison que médecine.

Un serpent apparut aux écailles en or
Grand de trente coudées et bien qu’il me fascine
J’ai pensé retrouver mes pauvres amis morts ! »

jeudi 7 octobre 2021

Sonnets couronnés. Récit du naufragé 05

« J’eus bientôt préféré avoir subi ce sort
Car bientôt la tempête engloutit l’équipage
Et brisa le navire en dépit des efforts
Vers l’abysse profond les mena sans ambages.

À un bout du bateau je m’accrochais alors
En dépit des vagues s’acharnant avec rage ;
Je m’accrochais à lui tel l’avare à son or
De la mer endurant les plus furieux outrages.

Je ne sais pas pourquoi je n’ai jamais lâché :
Il est une vigueur que la folie distille
Et que l’adversité ne peut nous arracher.

Quelque dieu bienveillant à mon âme infantile
Insuffla cet instinct : à quoi bon m’accrocher
Car loin de mon pays en un lieu infertile ? »



Loin de mon pays  © Mapomme

mercredi 6 octobre 2021

Sonnets couronnés. Récit du naufragé 04

« Loin des contrées où vont fauves comme reptiles
Je vivais en ce lieu où le scorpion fatal
L’hyène et la vipère côtoient le crocodile
Dangers habituels du rivage natal.

Nous avions consacré aux dieux l’offrande utile
Et sous leur protection avec l’aplomb total
Des marins habités par une ardeur subtile
Nous partions pour quérir un trésor végétal.

La fougueuse jeunesse expliquait l’arrogance
De nautoniers ayant peu navigué à bord
De cabotage usant sans tangible fréquence.

Les anciens sur le port énuméraient nos torts
Que tous nous péririons de notre inconséquence :
J’eus bientôt préféré avoir subi ce sort. »



Nous avions consacré aux dieux l'offrande utile  © Mapomme

mardi 5 octobre 2021

Sonnets couronnés. Récit du naufragé 03

Le marin débarquant au sol se sent plus fort
Sitôt qu’il n’entend plus retentir le tumulte
Des deux cataractes crispant celui qui dort
Et dont l’écho scande quelque pouvoir occulte.

Par l’eau il purifie l’âme autant que le corps :
Ce rite dédaigner serait la pire insulte.
Ceci fait il fallait par un tacite accord
Qu'il contât son périple à l’assemblée adulte.

« Je suis un étranger au pays revenant
Soumis aux caprices d’un destin versatile
Et tenu loin d’ici durant trente-et-un ans.

Je me trouvais reclus sur la plus ingrate île
Car mon souhait était d’aller me promenant
Loin des contrées où vont fauves comme reptiles. »



Il conta son périple © Mapomme

Sonnets couronnés. Récit du naufragé 02

Après avoir franchi un océan hostile
Les actes paraîtront souvent originaux :
Ignorant leur raison tout verdict est futile
Car changera un mont sous les feux matinaux

Lorsque sur son versant l’aube rose rutile
Et que danse le jour comme danse un flambeau
Sur les textes gravés de la salle hypostyle.
L’homme chenu scruta le saint val aux tombeaux

Où au couchant se meurt pour le chaos des nuits
L’Astre maître de Vie qui sur le mal l’emporte ;
Au levant paraissant le divin Disque luit.
Tel un sycomore sous la terre froide et morte

Trouve l’eau nourricière et produit ses fruits d’or
Le marin débarquant au sol se sent plus fort.



Lorsque sur son versant l'aube rose rutile © Mapomme

Sonnets couronnés. Récit du naufragé 01

Un navire inconnu ce jour s’en vint au port :
En descendit un homme à la barbe chenue
Maigre tel un spectre surgi d’entre les morts ;
Par la vive émotion son âme était tenue

Qu’il réprimait au prix d’un ostensible effort
Mais le lac de ses yeux révélait sa venue.
À ses poignets tintaient des bracelets en or
Sous ses habits tissés en contrée inconnue.

À peine eut-il posé son pied sur le limon
Qu’avait laissé la crue en promesse fertile
Qu’il embrassa le sol comme un prêtre d’Amon.

Par ce geste il semblait adorer le bétyle
Heureux qu’un flot rageur épargnât le timon
Après avoir franchi un océan hostile.



Un navire inconnu © Mapomme