jeudi 31 août 2023

Sonnets sertis. Mille et une questions

Lorsque des parents attendent un enfant,
Mille et une questions, bien souvent, ils se posent.

Seront-ils, dans leur rôle, un couple à la hauteur,
Donnant au rejeton des assises solides ?
Notre planète court, emballant son moteur,
Sans ralentir un brin son aveugle bolide.

Chacun peut éviter d’itérer ses erreurs,
Mais la somme des mieux sauve-t-elle du vide ?
L’attrait de l’inutile abolit la terreur
Et de consommer plus, l’humain se montre avide !

Cet enfant sera-t-il mauvais ou vertueux,
Aimera-t-il le fric, au point d’être crapule,
Trempant dans des trafics vils et délictueux ?

Ou sera-t-il guidé par de constants scrupules,
Au point qu’on brocarde l’être respectueux,
Car le roublard, toujours, les probes manipule.

Mille et une questions, de l’esprit triomphant,
Peignent des avenirs de transes et psychoses.

Mille et une questions © Mapomme
D'après Rosemary's Baby

mercredi 30 août 2023

Sonnets sertis. L'indicible tourment

Il existe un ailleurs, mieux que le quotidien ;
Opium, absinthe ou gin, des tourments en délivrent.

« Hypnos, dieu des songes si miséricordieux,
Verse un bonheur profond sur mes douces paupières ! »,
Dit la femme épuisée par son présent odieux,
Pensant que le repos se trouve sous la pierre.

L’invisible fardeau d’un monde artificieux,
Bâti d’apparences, la gardait prisonnière ;
Recluse et geôlier de ce mal spécieux,
Pour s’abstraire du monde il n’est pas de prière.

Le pavot guérisseur, tel un génie ailé,
Soulage du fardeau pour autrui invisible
Et qu’il convient, bien sûr, de ne pas révéler.

Les maux d’une épouse semblent choses risibles
Et, au fond de son cœur, elle les tient scellés,
Car comment signifier ce poids intraduisible ?

Qui peut la libérer d’imperceptibles liens,
Sinon le dieu Hypnos berçant le mal de vivre ?

I Lock the Door Upon Myself © Fernand Khnopff
Tableau inspiré par un poème de Cristina Rossetti

Sonnets sertis. Emmène-moi, Chimère !

Combien se sont jetés au cou d’une passion,
Prêts à défier l’Abîme et les obscures gorges.

« Emmène-moi, Chimère ! et défions le ravin,
Qu’importe si fatale est pour nous deux la chute !
Sans tenter le grand saut, un pur espoir est vain
Et vulnérable aussi, car drapé de volutes ! »

On peut toucher l’enfer ou frôler le divin,
Extrêmes qui souvent les cœurs faibles rebutent ;
Quand hésite l’esprit, l’amour touche à sa fin
Et se flétrit sur l’heure, aussitôt qu’il débute.

Il faut bien deux folies pour tenter l’insensé,
En affrontant l’espace et l’insondable vide ;
La folie est raison qui aide à s’élancer.

« Si notre ivresse est brève, nos deux cœurs impavides
Auront vu leur toupet bien mal récompensé :
Certains cerveaux chagrins parleront de suicide ! »

Fuyant la vacuité avec obstination,
Loin des sages tiédeurs, chaque hyménée se forge.

La Chimère © Gustave Moreau

Sonnets sertis. Les fruits du Gobelin

On accepte des fruits d’origine inconnue
Et qui pourraient, sans doute, empoisonner l’esprit.

Deux sœurs avaient ainsi, lors d’une promenade,
Croisé des Gobelins, qui vendaient de beaux fruits ;
Leur jus peut receler volupté, ou tornade,
Et il est peu prudent de se fier à autrui.

Hélas ! l’une d’elles, sensible à leurs salades,
Acheta et goûta certains de leurs produits,
Tombant sous le pouvoir qui rend le cœur malade,
Attisant la passion qui perturbe les nuits.

Voici bien des années, sous un tel maléfice,
J’ai goûté, sans savoir, aux fruits de la passion,
Offrant un esprit sain, en sanglant sacrifice,

À des êtres tenant sous leur domination
Des proies cherchant, en vain, d’illusoires délices ;
C’est un fatal opium, une abomination !

Gobelins, gardez donc pour une âme ingénue
Vos maléfiques fruits : trop cher en est le prix !

Goblin Market © Hilda Koe
Tableau inspiré par un poème de Cristina Rossetti

mardi 29 août 2023

Sonnets sertis. Sur la berge du lac

Il est un lieu, là-bas, où nous sommes des dieux
Immortels et la Paix, sur cet Éden envoûte.

La science parviendra à gommer nos erreurs :
Humanité inquiète, détruis tout et consomme !
De cet enfer naissant, ferment de la terreur,
On fera un Olympe au service de l’homme.

Qu’importent le ciel sombre, ivre d’une fureur,
Et le danger planant, sans que nul ne le nomme !
Nous professons le bien, mais en peuple abjureur,
Nous appliquons les maux qui ce rêve dégomment.

Sur la berge du lac se languissent sans fin
Les Limnades debout, à l’ombre des feuillages,
Désirant du Nouveau, dont elles ont tant faim,

Alors qu'entre une nef pour un plaisant mouillage ;
Or les rêves n’ont plus ce suave parfum
Des horizons lointains à l’écumant sillage.

Le monde est idéal, mais un futur odieux
Attend les paradis, qui de rien ne se doutent.

Idéal pays © Maurice Chabas

Sonnets sertis. Calmer nos appétits

Funestement le cor retentit dans la nuit,
Éveillant la vision d’un futur prévisible.

La nuit avait drapé, de deuil, tous les destins,
Les glaces sur le Monde étendant leur empire ;
Le carnage, partout livré à ses instincts,
Faisait crouler la vie que la terreur inspire.

De noirs corbeaux volaient sur les futurs éteints,
Qu’un fléau mystérieux s’obstinait à maudire ;
Vieillard chenu, courbé et le pas incertain,
J'allais près de la Mort, en ce glacial délire.

Elle me secoua, d’un seul coup m’éveillant :
« Cesse ton cauchemar d’un avenir possible
Car, vois-tu, je le trouve assez peu distrayant ! »

Sur le lit, mon épouse exposait impassible :
« Mange léger, le soir, et ton rêve effrayant
N’aura plus les habits d’une horreur indicible ! »

Les lueurs de l’aube effaçaient tout ennui,
Sans abolir la fin guettant nos lendemains.

Calmer nos appétits © d'après Adolf Hirémy-Hirschl

lundi 28 août 2023

Sonnets sertis. Rêveries dans la crique

Rêvait la jeune femme en fixant l’horizon,
Là-bas, bien au-delà de la paisible crique.

Que trouve-t-on, sorti du paisible havre étroit ?
La mer, la vaste mer que l’on dit infinie,
Offre-t-elle un lointain, stimulant de surcroît,
Une rive insolite à la terre bénie ?

Ici, rien ne varie et certes pas les droits
Qu’une femme voudrait des chambres réunies,
Mais qui ne changent pas car figée est la loi ;
Par quel obscur fléau se voient-elles punies ?

Monde étroit est la crique, un terrestre bâillon,
Où demain, comme hier, lustrent l’eau impassible,
Sans vague écumant, privée de tourbillon.

Espérer un futur rend l'attente impossible :
Nul espoir d’un épi, faute d’un seul sillon ;
On reste ainsi rêvant d’ailleurs inaccessibles.

Demeurer est aisé, mais dresse une prison
Que, pierre après pierre, follement on fabrique.

Rêveries © Maurice Chabas

Sonnets sertis. Une clarté dans l’ombre

Prométhée avait fait l’humain non immortel,
Mais, face aux animaux, il semblait vulnérable.

Dans d’obscures grottes, effrayés et reclus,
Des groupes n’osaient plus affronter la lumière ;
Prométhée n’avait rien prévu pour leur salut,
Griffes vitesse ou crocs, en ces aubes premières.

Il leur offrit le feu et la chose déplut
Au maître de l’Olympe à la violence altière,
Qui craignait que l’humain ne domestiquât plus
Une intense énergie aux portées meurtrières.

Un dieu est-il un sage au jugement constant,
Ne provoquant jamais la vengeance et la guerre,
Ravageant des cités dans l’ardeur d’un instant ?

Nul ne qualifiera cette ire de vulgaire
Mais de talion divin, un pouvoir contestant
Un seul droit à l’erreur, lui qui fauta naguère.

Dans un temple toujours, sur le divin autel,
Si craint, le feu marquait un culte vénérable.

Une clarté dans l'ombre © d'après Adolf Hirémy-Hirschl

dimanche 27 août 2023

Sonnets sertis. Le retour à Cythère

Il est une île grecque apte au rêve amoureux,
Car Aphrodite y vint, depuis l’écume, au monde.

S’embarquer pour Cythère est le rêve profond
D’un premier rendez-vous, où notre cœur palpite,
Sous l'effet des rêves que les amoureux font ;
C’est un espoir ancien qui toujours nous habite.

À peine adolescents, déjà nous en rêvons,
Ne sachant pas vraiment s’il faut quelque mérite,
Car au rang d’Idéal, tremblants nous l’élevons,
Prétendant au trésor que ce mystère abrite.

Alors, y retourner s’avère prodigieux ;
Ô sublime utopie d’un temple sur une île
Où notre alter ego, en habit religieux,

Restituera au cœur sa passion juvénile ;
L’ivresse retrouvée d’un brasier contagieux
De ses cendres renaît, par des charmes habiles.

Sur le cœur, le Temps verse un hiver rigoureux :
Cette île est un printemps que nul blizzard n'émonde.

Retour à Cythère © d'après Maurice Chabas

Sonnets sertis. Jeune femme et la Mort

Assise était la Mort sur le lit de la femme
Une lanterne en main pour trouver son chemin.

La jeune femme émue crut son heure venue
Et faillit se pâmer d’avoir vécu si peu.
« Vous venez me chercher pour m’emmener aux nues
Sans rien avoir connu de sublime ou hideux ? »

La Mort sourit trouvant la question saugrenue
Bien que n’estimant pas les propos vaniteux :
« Oui ! vous allez mourir jeune ou alors chenue
Mais aujourd’hui n’est pas ce jour calamiteux ! ».

La Mort était fourbue désormais trop requise :
« Ce soir je suis vidée car le Monde est violent !
Les antiques combats pour des terres conquises

Opposaient cent guerriers très peu malévolents !
D’amples troupes se voient au massacre soumises :
Quand mitraille et canons n’ont plus d’équivalent ! »

La Mort trouvait la guerre inhumaine et infâme
Craignant que pis encor soient celles de demain.

Jeune femme et la Mort © Mapomme
D'après Marianne Stokes et Caspar Friedrich

samedi 26 août 2023

Sonnets sertis. Seul vrai démiurge humain

Les tyrans plastronnent ivres de fausse gloire
Et se font un triomphe à l’instar des Romains.

Mais que nous laissera leur empire éphémère
Sinon d’avoir saigné le ferment des nations ?
Tant de sang juvénile en quête de chimères
A nourri les labours des plus folles passions !

Le tyran prend des vies alors que l’humble mère
Lui donne naissance sans glorification ;
Seul vrai démiurge humain qui dans les vers d’Homère
N’allaitait son enfant que par délégation.

C’est le plus beau spectacle existant dans le monde
Une offrande pétrie d’amour et de douceur
Et cet enfant hélas ! sur des plaines qui grondent

Tombera sous les ordres d’un être à la noirceur
N’émergeant pas enfant céleste et aux joues rondes ;
Ange qui le voyait en violent détrousseur ?

Ne cachez pas ce sein quand quelques âmes noires
Jugent souvent scabreux un sublime acte humain !

Seul vrai démiurge humain © Mapomme
D'après Stanislaw Wyspianski

Sonnets sertis. Ne pas désespérer

L’éternel recommencement

Il faudra résister au cœur de la tourmente
Pour que d’autres puissent ne pas désespérer.

Il suffit d’un geste somme toute ordinaire
D’un rituel gardé même au cœur du chaos ;
Si parmi les ruines d’un conflit planétaire
Quelqu’un boit sa tasse de thé ou cacao

Il dit : « Voici le calme après ce noir tonnerre !
On peut nous envoyer des bombes de là-haut :
Elles n’entament pas le mental millénaire
Forgé dans la douleur lors des siècles d’assauts ! »

Le facteur le laitier la bavarde concierge
Le crieur de journaux et le vieux cordonnier
Aux milieu de la mort sont les multiples cierges

Qui déchirent la nuit ; des soleils printaniers
Durant ce long hiver et l’espoir resté vierge
Tel un parc verdoyant que taille un jardinier.

Quand souffle la tempête obscure et véhémente
Les vivants résilients savent se fédérer.

Ne pas désespérer © Mapomme
D'après des photos de l'époque du Blitz

vendredi 25 août 2023

Sonnets sertis. La saveur d’un regret

Par pitié laissez-moi la saveur du regret
Sinon ne restera rien des années passées.

Le meilleur est allé dans les égouts du temps
Car il n’est plus frêle que les heures radieuses ;
En notre esprit les ans viennent les amputant
Et restent les regrets et les journées odieuses.

Les malheurs et affronts sont par trop rebutants
Pour qu’on leur voue toujours des ardeurs religieuses ;
Que survit-il alors de tendre d’exultant
Si ce n’est quelque espoir des années prodigieuses ?

Avec les ans s’éteint l’âpreté d’un refus
Nous laissant l’émotion d’une passion intense
Quand bien même ce rêve aucun moment ne fut.

On garde de l’attente à jamais l’existence
Tandis que notre cœur demeurait à l’affut ;
Il a été ! Voilà son extrême importance !

Si on n’a pas noté un seul pas de progrès
L'espérance d'antan ne peut être effacée.

La saveur d'un regret © The last letter from your lover

Sonnets sertis. Les cerises de juin

Fin mai et début juin croulaient de fruits
D’immenses cerisiers conviant à la cueillette.

Une échelle et voici la gourmande ascension
Où l’on croquait la chair des rouges lèvres tendres ;
Il n’était au monde de plus douce passion
Exceptées deux lèvres qui ne se laissaient prendre.

Mais celles qui s’offraient aux goulues intentions
Imprimaient leur rouge sans pour autant le vendre
Ou au prix d’un effort dans la végétation ;
Finalement comblés nous pensions à descendre.

Les arbres sont rasés : restent les souvenirs.
On a fait une route pour des raisons futiles
Et du goût du passé il faudra s’abstenir.

Il faut des décennies pour que les fruits rutilent
Écarlate promesse enfuie à l’avenir
Et ce tendre baiser reste un rêve infertile.

Les promoteurs sans âme ont bâti et détruit
Et demeure l'album des regrets qu'on feuillette.

Les cerises de juin © Mapomme
D'après Maurice Denis
L'échelle dans le feuillage

jeudi 24 août 2023

Sonnets sertis. Tour de chant aux enfers

J’avais appris jadis à jouer de la lyre
Pour mieux plaider ma cause au juge des défunts.

N’ayant nulle Eurydice emportée avant l’heure
Je n’avais pas à rendre un défunt aux vivants ;
Le temps fauche et se fout absolument qu’on pleure
L'épi vert que sa faux tranche nous en privant.

On avait emmené en l'obscure demeure
Du juge des enfers le souvenir suivant :
La saveur d’un baiser quand des lèvres s’effleurent
Dans la douceur de mai au soleil motivant.

Je suis donc descendu voir Hadès en son antre ;
Caron avait bossé sans arrêt en ce jour
Sur la berge dormant en se tenant le ventre.

J’emprunte donc sa barque entrant dans le séjour
Des morts sans Virgile ; je parviens en son centre :
J’ai chanté mais le dieu à mon vœu resta sourd.

« En toi les souvenirs ont bâti leur empire
Car ils ne sont pas morts si survit leur parfum ! 
»

Tour de chant aux enfers © Mapomme
D'après Louis Jacquesson de la Chevreuse

Sonnets sertis. Que voulait donc le Sphinx ?

J’avais rêvé du Sphinx, femme féline ailée,
À crinière de feu, chimère des passions.

Un songe a-t-il un sens à l’aurore naissante ?
S’évapore au soleil le moindre souvenir :
Dans quel but se perd-il car sa trace est récente
Et mystérieux sera ce qu’on peut retenir ?

Toutes griffes sorties et d’humeur menaçante
Ce Sphinx voulait-il sans raison me punir
Me déchirant le cœur ou pour de sous-jacentes
Pulsions voulais-je autant pouvoir m’en prémunir ?

Qu’y a-t-il de celé dans l’obscur paradigme
Du royaume où ce sphinx est l’ultime danger
Et quelle est au final sa véritable énigme ?

Je me réveille en vie demeurant étranger
Au monde du réel où en vain je m’escrime
À apporter un sens et n’y puis rien changer.

Le rêve est vérité à l’humain révélée
Dont la langue imagée est l'ultime équation.
Que voulait donc le Sphinx ? © Mapomme
D'après François-Emile Ehrmann

mercredi 23 août 2023

Sonnets sertis. Étudier la Nature et puis la surpasser

Dans la nuit sans Lune mais constellée d’étoiles
M’apparut la vision de l’orgueil des humains.

La science dévoilait aux monde la Nature
Dans sa vérité nue comme le fut Phryné
Devant l’aréopage exhibée en pâture
Et les savants hautains voulaient la peaufiner.

Ces sorciers inconscients au savoir immature
De ses secrets croyaient pouvoir tout deviner ;
En l’étudiant longtemps sous toutes les coutures
On ne peut surpasser un équilibre inné.

Ôter une pierre fait crouler l’édifice
Et on ne peut réduire un important défaut
Une formule floue devenant maléfice.

En science l’imparfait fait usage de faux
Car l’ordre naturel exclut tout artifice ;
Il faut donc se méfier des discours triomphaux.

Nature couvre bien tes secrets d’amples voiles
Le savant les vendant et menaçant demain.

Etudier la Nature... © Mapomme
Avec l'aide de Jean-Léon Gérôme et d'André Bouillet

mardi 22 août 2023

Sonnets sertis. L'habit fait-il le saint ?

Que d’esprits sains se croient protégés par la croix :
Or ce signe rend-il une âme pure et sainte ?

On parle de succube à peine on voit un sein
Sentant faible la chair et la foi chancelante ;
« Suprêmes tentatrices quel est votre dessein
En exhibant ainsi vos hanches opulentes ? »

Pour ce foudroyant mal il n’est nul médecin
Dans le vaste désert aux nuits ensorcelantes ;
De sa robe de bure un ermite est bien ceint
Mais il ne peut rien contre des lèvres brûlantes.

« Femmes pécheresses ! » dit le dévot curieux ;
Mais le péché vient-il des seules tentatrices
Ou du saint succombant à leurs charmes furieux ?

« Si fragile est ta foi face à deux prédatrices !
Allons ermite faible aux penchants luxurieux :
Ce simple écart ne laisse aucune cicatrice ! »

Après avoir prié le repentir décroît
Et il montre du doigt qui boit un peu d'absinthe.

L'habit fait-il le saint ? © Mapomme
D'après un tableau attribué par certains
à Alexandre-Louis Leloir

lundi 21 août 2023

Sonnets sertis. Le dilemme des Vierges

Un jour où j’avais poussé négligemment au nord
Je parvins à un fleuve où ondoyaient trois vierges.

Sitôt qu’elles me virent elles vinrent vers moi :
« Voyageur au teint brun regarde bien dans l’onde !
Vois nos corps nus danser ; ressens-tu quelque émoi ?
Ou lorgnes-tu cet or au cœur des eaux profondes ? »

« Belles potamides dans l’amour j’ai peu foi :
Il est frêle parfum magie d’une seconde
Dissipé aussitôt par un aquilon froid ! »
« Horreur ! c’est Albéric avare au cœur immonde ! »

« Voyez un peu le Monde ! L’or en est le tyran :
Qu’a-t-il fait sur Terre d’utile et profitable ?
Je n’y perçois que ruine et riches aspirant

À saigner la planète et rien de charitable ! »
« Étrange voyageur aux propos sidérants
De l’Or ou de l’Amour lequel est acceptable ? »

« Qu’y a-t-il de durable en l’amour ou bien l’or ?
Rien qui du Temps rongeant ne soutienne l'épreuve ! »

Le dilemme des Vierges © Mapomme
D'après Arthur Rackham

dimanche 20 août 2023

Sonnets sertis. Sirène de la grotte

Sirène de la grotte issue des temps lointains
Ceux-ci reviendront-ils essaimant leurs légendes ?

Entendrons-nous ton chant retentir à nouveau
Vers l’abysse attirant les marins intrépides ?
Sans quête à y mener le monde est un caveau
Où des rois-nains brûlent les terres insipides.

Tout empire se meurt pour des cultes dévots
Les peuples se bouffant dans des luttes stupides
Plutôt que de s’unir en utiles travaux ;
Notre monde se perd en ces combats cupides.

Il nous faut un Ailleurs un véritable espoir
Loin, très loin de ce Monde exigu et aride
Dépecé jusqu’à l’os à l’aide de racloirs.

L’humanité suçant - mouches des chairs putrides -
Les déchets tout autour d’un vaste équarrissoir
Traverse des étés de plus en plus torrides.

Sirène un peuple accourt tel un ignorantin
Vers le gouffre enivré de transactions marchandes.

Sirène de la grotte © Mapomme

Sonnets sertis. L'Abîme sous Pierrot

Si l’espoir est trahi c’est par l’aveuglement
Celui de n’avoir vu la vérité en face.

Un sentiment ardent conduira vers l’excès
Du désespoir violent seigneur des noirs orages ;
Pour n’avoir voulu voir l’évident insuccès
L’amoureux consterné se trouve en plein naufrage.

De ce leurre amoureux faut-il faire un procès ?
Le cœur déçu conçoit en réponse à l’outrage
La haine extrême issue des plus sanglants versets :
« Tue quiconque aime un autre et soulage ta rage ! ».

Ô pauvre ami Pierrot qu’as-tu fait par dépit ?
Colombine s’en va blessée et soutenue
Et ton âme à présent n’aura aucun répit.

Amour-propre inutile et fierté malvenue
Ton cœur ne sera plus qu’un palais décrépit
Et ne connaîtra plus quelque joie ingénue.

Tes yeux auront éteint les bleus scintillements
Des passions de jadis sans pareils et vivaces.

Pierrot s'en va © Gustave-Adolphe Mossa

samedi 19 août 2023

Sonnets sertis. La Mort envie la vie

La Mort en son jardin vient observer la vie
La tendresse en sommeil ignorant son bonheur.

Venue des temps anciens elle avait vu éclore
Cette félicité du cocon familial ;
Que tombe un des membres : sitôt on le déplore
D'une affliction profonde et du refus spécial

D’un décès douloureux qui les vivants dévore ;
On colorie de vie dans un rite spécial
Le défunt entouré d’objets qui le décorent
La douleur s’étendant à un noyau social.

Ces êtres sans destin privés de sa puissance
Se lovent en tribu et forment un seul corps
Inventant l’Au-delà sans nulle réticence.

Ils dressent des tombeaux aux délicats décors
Conservant l’espoir vain de quelque renaissance
Ne ménageant jamais d’insondables efforts.

La Mort les scrute ainsi habitée d’une envie
Connaissant la crainte mais jamais les honneurs.

La Vie et la Mort © Gustav Klimt

vendredi 18 août 2023

Sonnets sertis. La Mort et le vivant

L’homme cauchemardait avec les yeux ouverts
Quand les autres dormaient après un soir d’orgie.

« Êtes-vous là pour moi afin de m’emporter
Ô Mort tant redoutée souveraine farouche ?
Notre festin charnel a sans doute exhorté 
Votre arrivée fatale au-dessus de ma couche ! »

« Humain sans jugement sois donc réconforté
Car j’aurais déposé un baiser sur ta bouche  
Et au cœur des enfers je t’aurais escorté !
Aucun funeste sort en ce soir ne te touche ! »

La Mort s’interrogeait : le corps est harmonieux
Des cuisses jusqu’aux bras, des fesses jusqu’au buste :
Pourquoi le Créateur par ailleurs ingénieux

Sur le corps avait pris les parts les moins augustes
Pour transmettre la vie ? À quoi donc songeait Dieu
Pour choisir des parties aussi laides et frustes ?

L’homme apeuré de nuit cogitait de travers :
La Mort trouvait la Vie piteusement surgie.

La nuit © Ferdinand Hodler (Détail)

Sonnets sertis. Le fil était trop long !

Qui dans l’ombre a foulé les champs de l’Au-delà
Sait combien est ténu le fil d’une existence.

J’ai erré par deux fois sans un guide savant
Dans les Limbes obscurs en plein cœur des ténèbres ;
Imparfait pour saint Pierre et trop pur pour Satan
L’Entre-deux me jeta pour un souci d’algèbre.

Je revins ici-bas moins accompli qu’avant
Et toujours disposé à y faire le zèbre ;
Je n’ai rien retenu de tout ce qui m’attend
Car ni saint ni démon je serais peu célèbre.

Atropos estima mon fil pas assez court
- On m’en voit fort aise ! - pour qu’alors on le tranche
Et je ressuscitais sans besoin de secours.

Ainsi qu’un naufragé s’accroche à une planche
Je pris le bout d’un arbre en tout dernier recours
Vivant dans la crainte qu’on sectionne ma branche.

Jusqu’ici nul nocher à lui ne m’appela :
Mon fil s'allonge-t-il avec belle insistance ?

Le fil était trop long ! © Gustave-Adolphe Mossa

Sonnets sertis. Reines et chevaliers sous la lune ont rêvé

Belle nuit onirique au dôme constellé
Si le rêve éveillé prenait soudain substance

Serait-il aussi doux que ce songe en été
Et serions-nous vêtus comme princes et reines ?
Des chevaliers de feu tels des spectres bleutés
Monteraient-ils à cru et sans tenir les rênes ?

Le bois sous quelque charme habillé de gaieté
D’ordinaire est sombre car la nuit souveraine
Étend sa mante lourde obscure à satiété
Et l’on croirait ouïr le chant doux des sirènes.

Que leurs habits ternis sous l’effet de merveilles
Luiraient d’un feu vermeil par magie ravivés.

La nuit vêt de couleurs neuves et sans pareilles
Le terne quotidien de tout charme privé
Et les espoirs muets qui en chacun sommeillent.

Que nul génie n’exauce un espoir révélé
Qui pour vivre ne doit venir à l'existence.

Reines et chevaliers © d'après Gaston Bussière

jeudi 17 août 2023

Sonnets sertis. Tout n’était que fracas

Ayant tout parcouru des monts à l’océan
Le preux guerrier parvint jusqu’aux confins du Monde.

Où aller à présent si tout a été vu ?
Aussi loin que portait le regard dans la plaine
Il ne pouvait attendre une once d’imprévu
Et sa monture avait couru à perdre haleine.

Il avait tout perçu même l’inattendu :
Les cités embrasées où en ivres phalènes
Les soldats commettaient les actes défendus
Les folies qu’enfantaient la plus aveugle haine.

Son cerveau crépitait des excès des tracas
Quand figé il perçut lancés dans la curée
Ses compagnons violant pillant à grand fracas.

Il ignorait en fait la précise durée
Mais son âme horrifiée d’un seul coup se braqua ;
Il fuit au galop les hordes dénaturées

Loin de l’odeur du sang et du gouffre béant
Où plongeait les ribauds vers les noirceurs profondes.

Aux frontières du monde © Viktor Vanestsov (Détail)

Sonnets sertis. Gourmet, délecte-toi !

Aux absents manquant aux assemblées

Gourmet délecte-toi des magies de l’instant
Car le glas rappelle que tout est éphémère.

Profite des festins apprécie tes amis
Et ceux de tes parents essaimant l’allégresse ;
Las ! le temps tel Kharon passe tout au tamis
Les semaines croquant les faibles en ogresses.

Là nous manque l’ami tombé sous l’ennemi
L’éclat de rire aimé que chaque jour agresse ;
L’écho s’en est allé sur l’île au loin promis
Loin et voilà soudain que notre joie régresse !

Le vieil ami murmure un “Memento mori”
Lourd de sens ; adieu donc "notre joie qui demeure"
Laissant transi le groupe au cœur endolori.

Le glas vient rappeler que les compagnons meurent
Les meilleurs s’il en est : mais est-il des favoris ?
L’on ne peut point parler d’une amitié mineure.

Douze coups au bourdon et adieu nos printemps :
Ce glas clame l'avent de nos années amères.

Gourmet, délecte-toi © d'après Arnold Böcklin

Sonnets sertis. Le plus mortel baiser

Le plus mortel baiser est celui non reçu
Car laissant sur la lèvre une intense amertume.

Philtre ou poison : qu’importe ! à condition que doux
Soit le sommeil suivant le sommet de l’extase ;
Celui d’une succube ou d’un esprit vaudou
Triomphe du vaincu lorsque son cœur s’embrase.

Il aurait bien fallu un puissant marabout
Dispensant un grigri dans son obscure case
Pour qu’un être polaire ait un cœur d’amadou
Et des borées d’antan fasse enfin table rase.

Je ne sais si Hélène a un seul jour vécu
Si elle fut sublime et quelque peu vénale
Et si son époux-roi fut le plus grand cocu.

Leur histoire et leurs noms restent dans les annales
Et tant de preux guerriers sous Troie furent vaincus
Pour des envies en somme assez libidinales.

Sans baiser pas de corps sous le tapis moussu
Et nul ne m'a écrit d'ode à titre posthume.

Le baiser d'Hélène © Gustave-Adolphe Mossa

mercredi 16 août 2023

Sonnets sertis. Amours, joies et douleur

Levons le verre à ceux qui vont mourir ou naître
Mais levons-le surtout aux vivants du présent !

Le présent du passé pour les aubes futures
Nous en fit le présent : apprécions-en le prix ;
Qu’importe s’il faudra en payer la facture
Et goûtons ce plaisir qui nous sera repris.

Cortèges des moissons ici-bas rien ne dure :
Les épis douloureux des joies ont trop mûri
Certains avant même les premières froidures ;
Ces plaisirs nous semblaient à peine avoir fleuri.

Les cercueils sont menés vers une calme rive :
Pâle y gît un amour dont le fruit s’est flétri ;
De ces joies le destin soudainement nous prive.

Huit pénitents portent de nos douleurs pétri
Le cercueil ténébreux que les prêtres décrivent
Et vains sont les rimes et les versets contrits.

Qui par le charme né d’une occulte fenêtre
Perçut un Au-delà en baume bienfaisant ?

Amor, Gaudium, Dolor © Gustave-Adolphe Mossa

mardi 15 août 2023

Sonnets sertis. La Beauté souveraine

La Beauté souveraine assise sur le Monde
Insolente montre le pouvoir d’un corps nu.

Le Monde hypocrite pousse des cris d’orfraies
Et cependant regarde à travers ses dix doigts ;
Ces doigts ont séparé le bon grain de l’ivraie
S’enivrant de péchés et de signes de croix.

La Beauté a senti que son pouvoir effraie
Et que nul n’y résiste aussi fort qu’il se doit ;
Cette chose en tous lieux est la vérité vraie
Car l'envie d'y goûter dans les plus saints s'accroit.

Son trône est tel un globe où s’empilent ses proies
Le cœur mis en morceaux par ses féroces crocs
Déchirant les espoirs qu’aisément elle broie.

Ivres de ses trophées – ornements sépulcraux -
Elle perçoit son corps tel un cheval de Troie :  
« Puritains j’ai foulé tous vos rites sacraux ! »

Le Monde voit le beau et le prétend immonde
S'il est nu car venu du séducteur cornu.

Elle © Gustave-Adolphe Mossa