mardi 31 mai 2022

Amères Chroniques. Ta cloche, Liberté, est muette et fêlée !

Liberty Bell

Jeune j’ai vu passer trois cercueils en peu d’ans
Quand l’Europe ravie dansait sur sa musique
Et lorsqu’aux USA un long combat ardent
Enflammait des états pris de haine basique.

J’ai vu marcher les noirs dans un rêve tragique
Et tous les latinos affamés et perdants
Quand des riches nouveaux affichaient illogiques
À tous les exploités leur succès discordant.

Les deux blocs s’affrontaient sur des terres lointaines
Et la jungle flambait sous nos yeux effarés ;
La jeune paix semblait fragile et incertaine

Car la guerre est toujours facile à déclarer.
Espérant la richesse que tu perçois certaine
La pauvreté t’effraie rêveur impréparé

Si le riche indécent exhibe aux démunis
L'illusoire succès des états désunis.

Ta cloche, Liberté, est muette et fêlée ! © Mapomme

lundi 30 mai 2022

Amères Chroniques. Amis, gare aux gourous !

Amis gare aux gourous dont l’avis nous égare
Aveuglant sans égards à grand cor et à cri
Tout esprit cartésien qu’on pousse à la bagarre ;
De ces aigris on lit maigrement les écrits.

Devons-nous croire ainsi tous ceux que l’on déclare
Spécialistes télé qu’on achète à vil prix
Prédicateurs du pire avec la mine hilare
Aux prédictions trempées d’un profond parti-pris ?

Serions-nous démunis de toute intelligence
Privés de la raison et de tout jugement
Pour croire aux charlatans et leur faire allégeance ?

De tous ces consultants qu’on voit si largement
Venant sur plateaux montrer leurs divergences
Je postule qu'on fasse un profond purgement.

Amis, gare aux gourous ! © Mapomme

dimanche 29 mai 2022

Élégies. Le chemin forestier a perdu de son charme

Elle rêvait d’ailleurs de lointains exotiques
Aux dansants sassafras ; Rio ou Sumatra
Peu importe l’endroit !  Son désir névrotique
Était de fuir la ville et son vaste fatras.

Forêt tu le sais bien : mes voyages mythiques
Trop proches empruntaient ton long sentier étroit.
Je songeais simplement aux rives de l’Attique
À Karnak et à Troie : au pire un seul des trois.

J’avais le rêve court empreint de réticences
Et elle par-delà l’océan explorait 
La boîte grande ouverte aux maux de déhiscence.

Elle a joint cet ailleurs que ses yeux dévoraient
Et cette maison vide est emplie de l’absence
Tandis que sans attrait est la triste forêt.

Le chemin forestier a perdu de son charme © Mapomme
avec l'aide de John Waterhouse

samedi 28 mai 2022

Élégies. Quand nous parlons d’arbres notre âme se révèle

Cette nuit dans le parc est mort l’arbre ancestral
Qui a vu par trois fois les méfaits d’une guerre
Appréciant de la paix le calme magistral
Lorsqu’au son du canon on ne pense plus guère.

Les seuls dangers depuis étaient foudre et mistral
Sinon rien que l’azur ou les saisons précaires
Et les nuits scintillant d’un flamboiement astral
Qui bleuissaient les rocs de schiste et de calcaire.

Souvent je lui confiais mes convictions intimes
Caressant tendrement son tronc sculpté tordu
Par les intempéries dont il était victime.

Est-ce un nouveau conflit gageant des temps ardus ?
Toujours est-il qu’hier fut sa journée ultime
Et que sans confident je vais triste et perdu.

Quand nous parlons d'arbres notre âme se révèle © Mapomme

vendredi 27 mai 2022

Amères Chroniques. Bien trop loin du pommier errant à l’est d’Éden

C’est un oiseau sifflant dans le calme jardin
Dont nul n’a déchiffré le message hermétique
Et dont le chant viendrait des hauts plateaux andins
Mélancolie versant son hymne pathétique.

Depuis les monts rougeoie un éclat ponantin ;
Notre monde s’éteint dans sa quête hérétique
Tel que s’est effondré l’empire byzantin ;
Tout droit vers le ravin nous courons frénétiques.

Sur son arbre l’oiseau l’a déjà pressenti :
Il sait qu’il périra d’ici l’année prochaine
Ou bien celle d’après malgré les démentis.

On parvient à briser les plus féroces chaînes
Mais si de ses erreurs nul ne s’est repenti
Comment récrire tout dans les ultimes scènes ?

Triste est le rossignol dans le jour qui s’éteint
Car de l'acte il connaît le final prophétique.

Bien trop loin du pommier errant à l'est d'Eden © Mapomme
d'après Fernand Cormon

jeudi 26 mai 2022

Amères Chroniques. Apocalypse guns

À la nounou chez moi j’ai refilé un flingue
Afin que mes minots soient en sécurité ;
Il y a dans l’état des tripotées de dingues
Qui butent sans remords pour des futilités.

J’ai des fusils d’assaut puisque tout se déglingue
Et je ne vois pas mieux afin de m’abriter
Que le pasteur classe comme déshérités.

Vendez tout armement ce qui mieux nous protège
De qui l’acquiert ainsi et nous met en danger
Et peu importe donc les funèbres cortège !

N’écoutons pas les fous qui veulent tout changer :
Si par malheur un jour notre nounou abrège
La vie de nos enfants je saurais les venger.

Apocalypse guns © Mapomme

mercredi 25 mai 2022

Élégies. Pour que règne la nuit qu’avons-nous donc commis ?

Jean-Michel Mohamed qu’êtes-vous devenus ?
Sans méandres les ans ont-ils coulé limpides
Vers le but imprévu d’un rivage inconnu
Ou des cités peuplées d’une horde cupide ?

André Gary Didier c’est un fil très ténu
Que celui du destin dont l’action est rapide
Séparant les chemins des enfants ingénus
Qui gardent ces fragments tels des trésors stupides.

Où trouver l’avenir qu’on nous avait promis
Ce chemin éclatant sous un flambeau solaire ?
Pour que règne la nuit qu’avons-nous donc commis
Suscitant sur la Terre affliction et colère ?

L’an 2000 est venu ; or de tous mes amis
J'ignore et les bonheurs et les âpres galères.

Pour que règne la nuit qu'avons-nous donc commis © Mapomme

mardi 24 mai 2022

Amères Chroniques. Un pont par-dessus la trouble eau

 À Simon et Garfunkel pour un chant céleste

On croit que ce combat preuve d’humanité
S’avère victorieux au nouveau millénaire ;
Mais non ! l’épidémie de non-fraternité
Surgit d’un gouffre ancien violent et sanguinaire.

Peste non abolie vêtue d’éternité
Tu fardes ton abord d’un air très ordinaire
Ton violent flot haineux glaçant tel un tonnerre.

Séparant les humains ? Qui en offrant sa vie
Iconique âme pure émergera du lot ?

Par sa mort de l’oubli sa parole est ravie
Et son éclat christique éclipsant les salauds
L’humanité enfin se voit désasservie.

Qui bâtira ce pont pour franchir la trouble eau
Exaltant haine et mort trop souvent assouvies ?

Un pont par-dessus la trouble eau © Mapomme
avec l'aide de François-Auguste Biard

lundi 23 mai 2022

Élégies. Calligraphe aux pensées notées avec de l’eau

Quelquefois en marchant me viennent quatre rimes
Une idée à creuser : dépourvu de stylo
Calligraphe imprudent sans espoir je m’escrime
À tremper mon calame au sein calme de l’eau.

Or le temps d’arriver d’un pas rapidissime
Mes vers auront séché au quadruple galop ;
La parole est fragile et le soleil décime
L’éphémère pensée après qu’elle ait éclos.

Combien de pans entiers de la pensée humaine
Furent ainsi bannis du testament commun
Qui auraient pu servir en de nombreux domaines ?

Le temps a effacé papyrus parchemins
Précieux écrits des Grecs ou de la Paix Romaine
D’où auraient pu germer de meilleurs lendemains.

Mes quelques vers semblent en rapport bien infimes :
Les siècles ont charrié les meilleurs en leur flot.

Calligraphe aux pensées notées avec de l'eau © Mapomme

Amères Chroniques. Un long drame où jamais le rideau n’est baissé

La paix universelle est un leurre absolu
Que des utopistes chevauchant la chimère
Tètent aux seins pendants d’un âge révolu
Car la trêve s’avère une entente éphémère.

Il est toujours un lieu sans calme superflu
Où on peut s’étriper pris de pulsions primaires
Venant au gré berceur des flux et des reflux
Quand la terre est nourrie d’un vermeil victimaire.

Plus l’orage est lointain et moins il se perçoit ;
Ce n’est pas pour autant que la concorde existe
Pleine et universelle ainsi qu’on la conçoit.

Si beau soit-il nul rêve au réel ne résiste :
Même en l’ermitage du plus douillet chez-soi
Le globe est un spectacle auquel chacun assiste.

Un long drame où jamais le rideau n'est baissé © Mapomme

samedi 21 mai 2022

Amères Chroniques. Le suprême racisme

Quelqu’un peut être blanc et avoir l’âme noire
Entrant dans un super pour flinguer le danger
Qu’il suppose exister à grands coups de pétoire
Voulant garder son monde à jamais inchangé.

Il voit les blancs éteints effacés de l’histoire
Croyant que les grains noirs qu’il aura vendangés
Pourront le faire entrer dans toutes les mémoires
Et que son nom ainsi se verra louangé.

Le mythe répandu telle une épidémie
Touche des esprits sains soigneusement troqués
Par des peaux basanées selon des Jérémie
Prophètes des réseaux complètement toqués.

Se voyant remplacés par la horde ennemie
Flingue en main des ados viennent pour l'estoquer.

Le suprême racisme © Mapomme

vendredi 20 mai 2022

Élégies. J’économise l’eau en temps de sécheresse

Mon cœur est-il plus sec que mes yeux ne le sont ?
Nulle larme coulant sur mon blême visage
Comme si un stoïque à force de leçons
M’avait de la Raison livré un surdosage.

J’ai enterré les miens sans pleur et sans frisson
Alors que dans le sud c’est un antique usage ;
Du cortège funèbre issu des sombres âges !

Ces pleureuses griffant leur visage cendreux
Suivent dans tout mon être une muette peine
Sourde aux rites sacrés sur le chemin poudreux
Qui mène au grand néant sans aide virgilienne.

Quel inégal combat qu’un antre ténébreux
Face aux cérémonies des époques païennes !

J'économise l'eau en temps de sécheresse © Mapomme

jeudi 19 mai 2022

Élégies. Le châtiment de suivre un inconstant soleil

Figé dans le rocher quand rugissait la terre
Je regarde les fonds aux tons ultramarins
Où dorment des vaisseaux tout chargés de cratères
D’amphores d’un vin rouge ou de marbre ivoirin.

Cette île a dérivé dans un subtil mystère
Au levant s’en allant sans que les riverains
Ne voient ce mouvement insensible et austère
Mais qui se perpétue dans l’abîme serein.

Je vois partir au sud guêpiers et hirondelles
À l’automne passant de l’été au printemps ;
Devant l’orage au loin ils fuient à tire-d’aile.

J’aime les froids brouillards sur le roc suintant
Et je reste attaché immuable et fidèle
Sans la fièvre d'ailleurs consumer ses vingt ans.

Le châtiment de suivre un inconstant soleil © Mapomme

mercredi 18 mai 2022

Élégies. Qui hissera la voile au sommet de ces mâts ?

Pins laricios dressés tels des mâts vers les cieux
Vous regardez passer fendant la mer profonde
Des vaisseaux de métal géants et insoucieux
Qui vont toucher les ports où les destins se fondent.

Ils voguent sans savoir combien il est précieux
De librement aller en quête vagabonde
Sur le vaste océan d’un sillage audacieux
Du port de Callao aux Îles de la Sonde.

Mes frères végétaux par la terre entravés
Vos racines briment tout rêve de périple ;
Le vent seul a conté les risques à braver
Exagérant parfois les tempêtes multiples.

Au pays attaché qui reste en moi gravé
J'ai aussi vu partir au loin mes condisciples.

Qui hissera la voile au sommet de ces mâts ? © Mapomme

mardi 17 mai 2022

Élégies. Ce sont les plus faibles qui ont donc survécu

Dans un proche avenir si le monde soudain
Frappé d’un cataclysme allait droit vers l’abîme
Que brûlent les forêts que sèchent les jardins
Seraient-ce de la vie les décennies ultimes ?

La planète a connu en des cycles lointains
Quatre apocalypses laissant bien des victimes
Parmi les animaux quasiment tous éteints
En plusieurs domaines – notamment maritime.

Ce sont les plus faibles qui ont donc survécu
S’acclimatant le mieux aux éléments contraires
Qu’ils ont pu surmonter qu'ils ont même vaincus.

Est-il une énergie permettant de s’extraire
D’un trépas programmé un pouvoir impromptu
Qui sauve quelques vies d'un néant arbitraire ?

Ce sont les plus faibles qui ont donc survécu © Mapomme

lundi 16 mai 2022

Élégies. Dans le vaste infini sur des exoplanètes

Je regarde souvent l’immensité stellaire
Où dans la nuit d’été luisent des feux tremblants ;
Je m’interroge alors si près des feux solaires
Se trouvent des vivants loin d’être ressemblants

Perscrutant dans la nuit les aurores polaires
Aux dansantes couleurs spectacle époustouflant
Tel un vent du large dans les voiles soufflant.

Si ailleurs une vie s’est créée et subsiste
Après avoir connu tumultes et tourments
Se peut-il qu’un esprit presqu’analogue existe ?

S’il n’y avait de vie ce serait désarmant
Et ce vaste infini empli de feux bien tristes
Serait un grand gâchis sans l'espoir d'un serment.

Dans le vaste infini... © Mapomme

dimanche 15 mai 2022

Amères Chroniques. Et le Grand Timonier a proscrit les moineaux

Le Timonier savait ce qu’au peuple il fallait :
Exterminer les rats les mouches les moustiques
Et les affreux moineaux ; les deux insectes laids
Vecteurs d’épidémies ; les rats en plus mastiquent

Le riz dans les greniers ; et l’incessant ballet
Des oiseaux sur les grains bectant par leur pratique
Des milliers de tonnes qu’aux Chinois ils volaient ;
Ce grand plan eut pourtant un effet dramatique.

Affolés par le bruit et morts d’épuisement
Les moineaux disparus mangeaient de vrais nuisibles
Dont les sauterelles qui ont crû aisément.

Sans des ans de famine on trouverait risible
Le plan du Timonier vénéré pieusement :
Vingt-huit millions de morts bilan trop prévisible.

Et le Grand Timonier a proscrit les moineaux © Mapomme
avec l'aide de la propagande chinoise et © Walt Disney

samedi 14 mai 2022

Élégies. Sur la brumeuse lande un sombre automne plane

J’escaladais des rocs tourmentés et humides
Découvrant une lande aux lichens d’un or brun.
Des volutes de brume erraient cœurs impavides
Reflets de mon esprit triste et salamandrin.

Le ciel était couvert d’exhalaisons morbides
De nuages gris-vert et d’ondées de chagrin
Versant sur les ruines d’une romane abside
Un automne sans fin comme moi pérégrin.

J’avais le sentiment durable et insolite
Non d’être en un pays promeneur étranger
Pétri d’un faible espoir qui tremble et périclite

Mais le lieu pauvre cœur dont tu sais les dangers
Car y sont érigés d’occultes mégalithes :
Ceux de tes souvenirs au parfum inchangé.

Sur la brumeuse lande un sombre automne plane © Mapomme

jeudi 12 mai 2022

Élégies. Qui se soucie de l’humble à l’aube des empires ?

Des temples et palais révélant des vestiges
Nous découvrons des rois jusque-là inconnus
Hormis des bas-reliefs célébrant leur prestige
Et d’imposants succès en vérité menus

Puisqu’est représenté un épique litige ;
Or ce combat majeur était en fait ténu.
Immense est ce fossé qui donne le vertige
Et seul pourrait y croire un esprit ingénu.

Nous ignorons la vie des paysans des scribes
Sinon par des fragments où sont notés parfois
Un dessin érotique ou d’anciennes diatribes.

Ailleurs il n’est question que des dieux et de foi ;
Un millénaire entier ne parvient que par bribes
Oubliant les petits et nous vantant des rois.

Qui se soucie de l'humble à l'aube des emprires © Mapomme

Élégies. Le cerveau est semblable à un tonneau percé

Plus j’apprends plus je sens qu’au fond j’en sais très peu
Ayant cette impression de découvrir le monde ;
Aveugle si longtemps sans dessein vaniteux
Je vois tout l’horizon dans la plaine profonde.

Où que portent mes yeux je sais que je ne peux
Joindre ce trait lointain qui s’étend à la ronde
Me retrouvant réduit à un destin miteux
Dans l'élan terrassé par ma quête inféconde.

L’esprit est ce tonneau qu’on remplirait sans fin
Puisant et s’épuisant sans vraiment qu’il soit vide ;
Pas plus l’ample tonneau n’arrive à être plein.

Sans toucher l’horizon affligé et livide
En attaquant encor un ultime moulin
Je claquerais un jour du seul savoir avide.

Le cerveau est semblable à un tonneau percé © Mapomme
d'après John W. Waterhouse

mercredi 11 mai 2022

Amères Chroniques. Voici les cigognes de retour au printemps

À Volodymyr Grygorovych

Les troupes sont parties emportant la terreur
D’un incident majeur planant en vraie menace
Car d’ignares soldats pouvaient par simple erreur
Aviver en nos cœurs un cauchemar tenace.

Depuis quatre-vingt-six sans tyran péroreur
Une arche de métal le jugule en sa nasse
Proscrivant pour longtemps tout nuage d’horreur
Qu’aucune année passée de la mémoire efface.

Les troupes sont parties et voici de retour
Les blanches cigognes d’un vol de bon augure
Après trente-six ans sans revoir leur atour.

Quand passent ces oiseaux à la grande envergure
C’est pour les cœurs glacés un vivifiant secours
Venu dorer les champs qu'un printemps transfigure.

Voici les cigognes de retour au printemps © Mapomme

mardi 10 mai 2022

Élégies. C’est un heureux moment lorsqu’enfin il s’achève

J’ai connu une époque où je piquais du pain
Au Resto-U de Nice entrant par la sortie ;
On bectait souvent maigre avec tous mes copains
En n’ayant même pas une soupe aux orties ;

On aurait tous signé pour bouffer du lapin
Et non ce pain si fin qu’il semblait une hostie.
Fugaces on savait ces jours de modestie.

Les années ont coulé et on ne sait comment
Ces quelques mois ingrats frappés d’un sortilège
Devinrent des moments sortis d’un vieux roman.

Le temps possède seul ce curieux privilège
Conservant le plaisant et le reste gommant ;
Des amers souvenirs serviable il nous allège.
Les années ont coulé © Mapomme
avec l'aide de Blake Edwards et de George Cukor

lundi 9 mai 2022

Élégies. Atropos prends ton temps !

Je vis mon dernier jour chaque jour qui se lève
Dont j’apprécie le goût acide et savoureux.
Je renais comme fait la vague vers la grève
Sans cesse émerveillé et du monde amoureux.

Mais gronde le lointain brisant ainsi la trêve :
Je ne sais si je dois trembler ou être heureux
Heureux de vivre encor bien que tintent les glaives
Quand le soleil m’envoie ses rayons chaleureux.

Nulle vie ici-bas ne s’avère éternelle
Aucun arrêt fatal n’assène un préavis
Après que les amours cessent d’être charnelles.

Tous mes projets du jour peuvent m’être ravis
Pas de Parque versant des larmes maternelles
Qui dit : « Voici le jour ultime que tu vis ! »

À quoi bon se gâter la bile et la journée ?
Vers la joie de l'instant gardons l'âme tournée.
Les trois Parques © Mapomme
d'après Paul Thumann

dimanche 8 mai 2022

Élégies. Caustique paradoxe

Parvenu à cet âge où l’on deviendrait sage
Ce que laissent penser mes cheveux blanchissants
J’avoue avoir loupé ce rite du passage
Qui me rendrait serein et plus obéissant.

Or quand j’entends vomir de fascisants messages
Je redeviens soudain le fauve rugissant
Face aux excès croissants je reste réticent.

Me voilà possédé par l’esprit démoniaque
Qui habitant mon sang livre mes convictions
Tel un soûlard sortant d’un festin dionysiaque.

L’injustice ici-bas m’est profonde affliction
Tarabustant mes nuits d’éternel insomniaque :
Je hais ceux qui excluent toute contradiction.
Caustique paradoxe © Mapomme

Amères Chroniques. Où donc s’en est allée la colombe de paix ?

8 mai 2022

Le sabre était rangé dans son douillet fourreau
Tel un rameau fané de la paix sans colombe ;
La mémoire oubliait le nom d’anciens bourreaux
Les épiques horreurs et le fracas des bombes.

Tranchées soldats gisant et ruines sans héros
Charniers sans nul sépulcre ou hérissés de tombes
Semblaient fiction issue de temps illibéraux
Ossuaires masqués en quelque catacombe.

On a beau vénérer une éternelle paix
Il est toujours un fou pour dégainer le sabre
Et répandre le sang dont ivre il se repaît.

D’un coup on redécouvre un spectacle macabre
D’où surgit le futur né d’un brouillard épais ;
L'altier discours de paix n'est alors que palabre.
Il est toujours un fou provoquant un duel © Mapomme
d'après Les duellistes de Ridley Scott (1977)

samedi 7 mai 2022

Élégies. Ce mal qui rend obscur le si vaste horizon

Nourrissez vos regrets de ce qui ne fut pas :
Ils auront toujours faim d’une aurore illusoire
De n’avoir de la vie consommé le repas ;
Nourrir un tel dessein est quête dérisoire.

Le monde imaginaire est toujours plus sympa
Aux confins du réel dans des nuits libatoires ;
Le réveil est pour lui un hideux purgatoire.

Depuis longtemps déjà j’ai banni ce démon
Qui me rongeait l’esprit et tout instant de grâce
En voulant me restreindre aux champs de goémon.

De ce fugace instant s’effacera la trace ;
Aussi il faut franchir les vallons et les monts
Vers le vaste horizon que le regard embrasse.

Vers le vaste horizon que le regard embrasse © Mapomme

vendredi 6 mai 2022

Amères Chroniques. Rêvez d'épis bien gras en temps de vaches maigres

Sale printemps venteux sans un azur serein
Mais d’anthracite froid dépourvu d’une ondée :
Secs seront nos cœurs autant que les terrains
Si la crainte à venir se révélait fondée.

Riez les soupçonneux et priez pèlerins :
Si le blé nous manquait que d’âmes émondées
Parce que sur notre monde on fait tinter l’airain
Quand on aurait pu voir la Terre fécondée.

Dans les champs de jadis a poussé le maquis
Où des chèvres flânant par cistes et fougères
Ont fait de l'abandon leur personnel pâquis.

Vastes sont les plaines qu’indignement on gère
Pour qu’un manque provoque un bien si mal acquis
Et que croissent les prix — sombre rente viagère.

Vastes sont les plaines qu'indignement on gère © Mapomme

mercredi 4 mai 2022

Élégies. Sur un banc du vieux parc

Sur un banc du vieux parc discutaient des rivaux
Dont les combats verbaux demeuraient légendaires.
N’étant d’accord sur rien à différents niveaux
Sur leur antagonisme ils étaient solidaires.

« Vois-tu » soutenait l’un fixant le caniveau
« L’émotion peut hélas ! en supposant bien faire
Pour un juste motif combien d'entre eux gaffèrent ? »

« Si la seule Raison conduisait un Vizir »
Dit l’autre les yeux clos « sans porter assistance
Faisant fi du bon droit mû par son seul plaisir

Qui sauverait son trône et sa brève existence
Si soudain l’ennemi de guerre avait désir ?
On n'obtiendra la paix que par la résistance ! 
»

Sur un vieux banc du parc © Mapomme

mardi 3 mai 2022

Élégies. De mes étés passés je conserve le goût

Si un brusque incendie venait à tout cramer
Arbustes et maisons ne laissant que la roche
Me resterait le goût des printemps enflammés
Qui semblent si lointains et demeurent si proches.

Le temps notre ennemi dans l’ombre peut tramer
Ses éternels complots pétris de ses mains croches
Mon esprit gardera – qui pourrait l’en blâmer ?
À jamais la saveur d’un mouton à la broche.

J’emporte en souvenir où que soient mes combats
Le maquis parfumé et ma maison de pierre
L’azur par-dessus tout la plaine en contrebas
La voûte constellée infinie et princière
La colline dressée en royal mastaba ;

Puis comme les chemins je deviendrai poussière.

De mes été passés je conserve le goût © Mapomme

lundi 2 mai 2022

Élégies. Au jardin des printemps les espoirs ont flétri

J’ai attendu des jours des mois qui ont paru mille ans
Mais ce que j’espérais n’a pas fleuri une heure.
Des attentes déçues bien maigre est le bilan
Et telle Écho jadis tous mes espoirs se meurent.

Les soleils matinaux aux rayons indigents
Sont des serments rompus qu’une langueur affleure ;
À chaque aube transie sur la terrasse pleure.

Je ne peins nul portrait d’un être épanoui
Dont les yeux brilleraient de cette joie nouvelle
Présageant un mal-être enfin évanoui.

Sans faillir ces portraits par l’expression révèlent
Que fait défaut l’éclat d’un moment ébloui :
D'un dépit le regard se voile et se tavelle.

Je ne peins nul portrait d'un être épanoui © Gabriele Münter