dimanche 31 janvier 2021

Elégies. Bien plus que nos parents nous perdons des mémoires

On ne perd ses parents comme on perdrait ses clés
Pas la moindre copie de l’unique exemplaire
Nos souvenirs d’enfant se voient soudain bâclés
Que ça puisse nous plaire ou grandement déplaire

Malgré les différends qui faisaient renâcler
Il me semble qu’à trois nous faisions bien la paire
Puis j’ai un triste jour mes bagages bouclé
Pour revenir parfois dans mon ancien repaire

Quand on les met en terre on se trouve puni
Des instants sacrifiés pour un hobby fugace
Des week-ends auraient pu nous trouver réunis

Ce n’est pas un remords mais un avis sagace
Qui laisse des regrets et le cœur démuni
Au trébuchet le poids des absences m’agace

Les mémoires vivantes © Mapomme

samedi 30 janvier 2021

Elégies. Peut-on rendre amoureux le dieu nommé Amour ?

Qui aurait cru qu’un jour un dieu pût s’élever
Grâce à une mortelle à jamais honorée
Pour lui avoir permis d’enfin parachever
La chimère obscure jusqu’ici ignorée ?

La vocation d’Éros s’avérait d’aviver
En chacun des mortels l’envie inassouvie
Du seul désir charnel par sa flèche activé
Rôdait sans cesse en eux la passion alouvie

Or Psyché se blessa par pure inattention
S’amourachant d’Éros et le sort excentrique
Voulut qu’il éprouvât la même adoration

Voilà un miel d’Attique aux contes de l’Afrique
Unissant à jamais la charnelle passion
Et le spirituel hors des pulsions lubriques


Éros et Psyché © Mapomme
d'après Canova

Elégies. De marbre la Vénus n’éprouve nulle flamme

C’était un froid janvier dans Paris déserté
Je flânais désœuvré délaissant la Concorde
Tandis qu’un peuple entier par un mal alerté
Restait reclus chez lui criant Miséricorde !

Je me trouvai soudain en un lieu écarté
Attiré sans raison par le chant monocorde
D’une fontaine étrange où Vénus Astarté
Dispensait un amour que si peu on accorde

Quel insolite choix qu’un marbre au flot transi
Alors que la passion plus de fougue réclame
Fièvre brûlant l’esprit quand l’amour nous saisit

De marbre la Vénus n’éprouve nulle flamme
Car l’objet des ardeurs gêné d’être choisi
Rejette cet amour qu’elle assortit d’un blâme
 

 La fontaine des Ambassadeurs © Mapomme

vendredi 29 janvier 2021

Elégies. Le songe douloureux des printemps interdits

Nos printemps seront-ils si longuement reclus
Au lieu d’aller ravis hors des frileuses chambres
Dans les champs odorants et non d’être perclus
Tant au niveau des cœurs qu’à celui de nos membres ?

Voyez les parcs fleuris les prés et les talus
Dont nous sommes bannis tout comme au froid décembre
Notre espoir dépérit sans possible salut
Qui aurait pu prévoir un si funeste encombre ?

On pénètre dans l’ombre en croyant en sortir
Mais long est ce tunnel et l’ample nuit perdure
Comment un tel fléau surgit sans avertir ?

On a dû tolérer nombre de procédures
Qui ternissent nos vies par le constant martyr
De voir à la télé d'interdites verdures


Et l'ample nuit perdure... © Mapomme

jeudi 28 janvier 2021

Elégies. Qu’y a-t-il au-delà des vallées et des monts ?

Qu’y a-t-il au-delà des vallées et des monts
Quel avenir s’y cache et toutes ses promesses
Sont-elles moins vastes que nous ne l’estimons ?
Ô les futurs rêvés par l'ardente jeunesse !

Serons-nous transformés d’angelots en démons
Interdits à jamais des orgues de la messe ?
Le cœur toujours en peine égarés sans timon
Aurons-nous aboli tous ces rêves qui naissent ?

Nul ne sait ce qui hante un cerveau enfantin
Les espoirs d’un futur aux ambitions suprêmes
Dans la sublimation des soleils levantins

Pas question d’accepter d’en faire un jour carême !
Nos yeux brillent alors d’un feu adamantin
Car brûle en nous l'éclat des chimères extrêmes

Qu'y a-t-il au-delà... © Mapomme

mercredi 27 janvier 2021

Nouveau siècle. Proscrite compassion d’un mal à fleur de peau

L’opposé du racisme est encor du racisme
Tout contraire n’étant qu’un stupide reflet
On ne cogite plus soumis au bien-pensisme
L’« isme » est près du schisme si l’esprit s’y complaît

Or il faut éviter tout simple victimisme
Nous réduisant aux rois trônant en leur palais
Ou des bourgeois repus par le colonialisme
Quand nos aïeux n’étaient que des serfs ou valets

Seul pourrait dénoncer l’excès d’un autre temps
Celui qui n’est pas blanc Étrange idée en somme !
Nous priver de ce droit me semble révoltant

Je supposais qu’égaux s’avéraient tous les hommes
Décrochons les tableaux car quelques mécontents
Opprimant les esprits de vetos nous assomment

Un mal à fleur de peau © Mapomme
Mix entre la photo d'Emmett Till, après avoir été tué de coups, et le tableau de Dana Schultz

Visible ici :

Encore cette folie, venue d'Outre-Atlantique, qui veut priver du droit à l'art de s'exprimer, ici en empêchant une peintre de rendre hommage à Emmett Till, massacré pour un faux prétexte. Le tort de cette artiste est unique : elle est blanche et seuls les Noirs auraient le droit de peindre sur un tel sujet.
A rapprocher de l'affaire du Lac des Cygnes visible ici :

mardi 26 janvier 2021

Nouveau Siècle. Les savants jérémient durant la pandémie

On voit sur les écrans des professeurs Nimbus
Un jour dire le vrai dire le faux un autre
Pérorer leur Crédo nouveaux Nostradamus
Du Pâle Cavalier se faisant les apôtres

Et tout un peuple tremble et prie à l’orémus
Aux infos marmonnant quelques vains patenôtres
Sachant tout car savants de la vie des virus
Ils pourrissent la mienne et tout autant la vôtre

Faut-il croire aux visions de ces songes savants
Prêcheurs d’Apocalypse et poussant au suicide
Car la déraison naît et va en s’aggravant ?

Ils s’affrontent souvent lâchant des mots acides
Et agitent les bras tels des moulins à vent
Le fou en son asile apparaît plus lucide

Jonglant avec les chiffres © Mapomme

lundi 25 janvier 2021

Elégies. Les valets couronnés de l'armoirie du maître

Il n’est pire arrogance en ce monde curieux
Au-deçà de la morgue affichée par les maîtres
Que celle des laquais et intendants sérieux
D’un prestige nimbés qui devrait nous soumettre

Du menton méprisant tout être laborieux
Qui n’a pas le bonheur de s’incliner et d’être
Dans l’ombre d’un puissant odieusement furieux
Ils sont fiers de pouvoir sur ses herbages paître

Ainsi quand ils trouvent un maître moins puissant
Que n’est leur dieu vivant sitôt ils le méprisent
Croyant que leur livrée acquiert un noble sang

On voit bien des grouillots imbus de leur emprise
D’un dédain arrogant être en tout réticents
Serviteurs couronnés d’une grande Entreprise

Les valets arrogants © Mapomme
d'après La Nuit des Rois de Trevor Nunn (1996)

dimanche 24 janvier 2021

Elégies. Ainsi me trompais-je croyant au sortilège

L’Arioste a dit qu’Alcine ensorcela Roger
Et que le chevalier pris d’une fouge épique
À la méfiance crut qu’il pourrait déroger
Les imprudents : qui sait quelle mouche les pique ?

Il demeurait près d’elle et ne pouvait songer
Qu'à sa folle passion qui n’était qu’utopique
Dans la triste obsession on le voyait plonger
Se tournant vers Alcine en plante héliotropique

Quand ange ainsi déchu désenivré de cieux
Mâchant sur mon rocher un fiel mélancolique
J’écrirais mes sonnets sur l’amour fallacieux

Sur les sortilèges les charmes bucoliques
Lancés par moi-même créant un joug spécieux
Plus qu’un être aimerais-je un mal hyperbolique ?

Car nulle Alcine n’a sur moi lancé un charme
Et j’allais de plein gré dans le vallon des larmes

Roger arrivant chez Alcine © Mapomme
d'après Hyacinthe Collin de Vermont (Musée de Grenoble)


samedi 23 janvier 2021

Elégies. La louange constante est comme la critique

Dans la vie on rencontre un ami bienveillant
Tressant des louanges à toute action menée
Et quoi qu’on fasse ou dise il nous trouve attrayants
D’éloges nos têtes se verront couronnées

D’autres croient nous aider de critiques payant
Le moindre acte ou écrit et l’alerte est sonnée
Ils ne voient que l’ivraie le bon grain balayant
Aimant voir l’espérance enfin désarçonnée

Comment une utopie peut se concrétiser
Si l’un ne pimente son propos de critiques
Pour pousser à mieux faire et les dons attiser ?

Que croire des autres ces anges méphitiques
Vandales dans Rome ne sachant que briser
Poussant à l’abandon en cassandres mythiques ?

En fait il faut les deux l’un aux louanges sûres
L’autre à la critique pour la juste mesure


Louanges et critiques © Mapomme

vendredi 22 janvier 2021

Elégies. Pleine mélancolie du dernier dinosaure

Si je venais à être un dinosaure errant
L’unique survivant d’une ère révolue
Que j’aille sans amis et sans plus de parents
Ma détresse en ce cas serait plus qu’absolue

Riche de souvenirs mais l’esprit s’égarant
De ne pouvoir narrer les années disparues
La viduité des jours toute joie obérant
J’irais fou du désert conduisant sa charrue

Dans le sable aucun blé ne peut croître et nourrir
Une âme gangrenée par la mélancolie
La joie se partage sous peine de mourir

Au vent je confierais soudain pris de folie
Mon passé mais le vent ne veut me secourir
Se riant de l’écho de nos vies abolies

Dans un marais mes os interdits de pourrir
Concevront l’énigme des tragédies polies


Dino, le magnifique © Mapomme


jeudi 21 janvier 2021

Elégies. Chez gens de bonnes mœurs, boire ôte noire humeur

Enfants de Rabelais buveurs et dévoreurs
Avec qui j’ai percé plus d’un tonneau de chêne
Torché mille godets quand les tournées s’enchaînent
Quand est vidé le verre on a du vide horreur.

Nous buvions à la vie joyeux car sans fureur
Et devisions sans fin avant de faire cène
Opposant au comptoir quelques plaidoiries saines
Qui aurait fait glousser juges et procureurs.

Aujourd’hui je bois l’eau jaillie de source triste
Car de mes compagnons je suis le seul vivant
Et je cache ma peine en traits de satiriste.

Puisque mon verre est seul on me voit écrivant
Assis des vers à pied dignes d’un humoriste ;
Si l’ultime je suis je connais le suivant

Qui nourrira les vers puisque piètre élégiste
Les miens ne m'ont repu me laissant salivant.


Chez gens de bonnes mœurs... © Mapomme
À Francis

mercredi 20 janvier 2021

Elégies. Le mauvais forgeron de l’acier fait du plomb

En mon crâne grouillant venue en tapinois
Souvent une question taraude mes pensées
Les monopolisant tel un charmant minois
Obsède un Don Juan de façon insensée

Dois-je le même avis forger mois après mois
Ou user d’un alliage et voir influencée
L’opinion bien ancrée inaltérable en moi ?
Je risque de me perdre en la fausse avancée

Sans jamais confronter à d’autres mon avis
Il va se racornir flétrir en eau croupie
Si c’est bien mon idée en serais-je ravi ?

En la faisant virer ainsi qu’une toupie
Menée par l’Aquilon qui nos vues asservit
Suivant tout vent nouveau j’aurais l’âme assoupie

Doit-elle être immuable ou flexible à l’envi ?
Tout extrême ne vaut la moindre des roupies

Le mauvais forgeron... © Mapomme


Elégies. Tu auras pour lauriers la couronne d’épine

On croit que dans la vie on loue la rectitude
Mais au bout du compte ni merci ni lauriers !
La droiture est payée de grande solitude
Avec une rossée du pingre trésorier

Néfaste est l’esprit libre empli de fortitude
Qu’on ne peut acheter car bien que salarié
Son éthique est sans prix et mène à la quiétude
Nul prévaricateur ne peut le contrarier

On solde pour balpeau l’estime de soi-même
Aux temps où tout se brade et se vend à l’encan
Faut-il être étonné que maigrement on s’aime ?

On sait dire combien sans savoir vraiment quand
On vend sa probité sans le moindre dilemme
Sans se trouver enfin de quelque argent manquant

D’autres croient qu’on récolte à la fin ce qu’on sème
Épines pour lauriers aura l’inconséquent

Tu auras pour lauriers la couronne d'épine © Mapomme
avec l'aide involontaire de Delacroix

mardi 19 janvier 2021

Elégies. Du nombre naît la rage ayant raison du sage

La commune raison a-t-elle en tout raison ?
À ma propre raison très souvent elle s’oppose
Et j’en perds la raison reclus en ma maison
Si je ne fais sur l’heure une propice pause

La raison commune pour l’esprit est prison
Mettant sans cesse au ban celui-là qui trop ose 
S’affranchir de l’avis que lâches nous prisons
Sans ne plus oser dire un mot qui nous expose

Fantôme de moi-même irais-je possédé
Pliant à l’opinion des uns comme des autres
Décérébré soumis ayant à tout cédé ?

Ânonnerais-je enfin sans foi des patenôtres  
Spolié de tout avis mais par Bacchus aidé ?
Je ne me vois captif de ces mauvais apôtres !


Du nombre naît la rage © Mapomme

lundi 18 janvier 2021

Elégies. Laisse toute espérance, ô toi qui veut entrer

N’ayant jamais fraudé ni été rapinier
Ou tué d’innocents pas plus que des coupables
Proche de trépasser je n’ai aucun denier
Tombé de la bourse d’un Judas fort pendable

Pour ne pas me trouver par les saints renié
Car impropre aux méfaits je semble un incapable
Sans véritable tâche on est excommunié
Et je serais partout un cas indéfendable

Je ne suis pas assez comme on dit âpre au gain
Or comment s’acheter un bonne conscience
S’il se trouve qu’En-haut on ne connaît dégun ?

Sans être un malheureux vivant dans l’indigence
Je ne suis pas non plus le plus fieffé coquin
Mais qui dit indigence exclut une Indulgence


Indulgences © Mapomme

dimanche 17 janvier 2021

Elégies. Vont sur la mer étale Ulysse et Télémaque

Le flot pourpré clapote et notre barque danse
On peut voir le maquis dense sur les piémonts
Il n’est sur le bateau nul mât à l’évidence
Ni beaupré ni misaine et pas plus d’artimon

Mon père sans Circé surveille avec prudence
Le fruit né d’un amour l’unique rejeton
Qui se tient à la proue en ces temps d’abondance
À ces années dorées quel nom accorde-t-on ?

On l’ignore mais ce sont les trente années glorieuses
Quand on sort de la guerre à l’abri du progrès
Et que vit un peu mieux la classe laborieuse

Mais tout or est amer et naîtront les regrets
Car après la mer calme afflue l’onde furieuse
Fi donc ! tant que nul vent ne siffle en les agrès

1968. Ulysse et Télémaque © Mapomme

Elégies. Quand cesse la musique on cherche des photos

On a tous le travers de penser éternel
Le bal et les danseurs sur la piste éclairée
Reviennent les flonflons et les duos charnels 
Quand mon oncle en java tient ma tante serrée

On se leurre en niant qu’un bal traditionnel
Pourrait se faire rare ainsi que ces soirées
Voilà que ces instants se font exceptionnels
Les danseurs moins fringants et la joie s’est barrée

Puis quand règne l’hiver souvent on se maudit
Car cessent les flonflons et le tube éphémère
Pourquoi se montre-t-on stupide et étourdi

Pour n’avoir pas figé les récits de grand-mère
Et les sublimes pas que le corps interdit ?
En décembre on juge l’imprévoyance amère

Or existe un cliché d’un mariage jadis

2003. Le bal éternel © Mapomme

samedi 16 janvier 2021

Elégies. De l’allègre Bacchus soyons tous les prophètes

Ô joyeuse assemblée ! Levons bien haut nos verres
Trinquons pour les présents mais aussi les absents
La rigueur des hivers soufflant sifflant sévère
Vides sont des sièges après son froid glaçant

Pour ceux qui font défaut chantons nobles trouvères
Car à cette tablée nous sommes des passants
Fêtant l’an révolu mais promis au calvaire
Où serons-nous aux temps des épis flavescents ?

Soyons donc à la joie euphorique tribu
Nos godets bien emplis chantons et faisons fête
Heureux d’être vivants et non mis au rebut

Tant que nous ripaillons nous louons la défaite
Répugnant à payer à Borée son tribut
Mais du joyeux Bacchus soyons tous les prophètes

2010. Levons bien haut nos verres... © Mapomme

Elégies. Vois mon grand-père aller, habité d’un seul rêve

Jadis un travailleur charriait tout son labeur
Sur son dos harassé à défaut de machines
La retraite marchait avec le fossoyeur
On clabote plus tôt quand sans cesse on s’échine

Le terme d’une vie survenait sans stupeur
Contre l’usure il n’est la moindre médecine
On fait dix ans de plus et l’aspect est trompeur
Le temps passant si vite et toute heure assassine

Société impatiente observe l’horizon
Si vite il ne vient pas vois le progrès sans trêve
Faisant jeunes des vieux jusqu’à la déraison

Meilleure vie aux siens en leur propre maison
Sans efforts éreintants et sans guerre où l'on crève

Oublie tous les gadgets faux progrès et prison

1950. Vois mon grand-père aller... © Mapomme


vendredi 15 janvier 2021

Elégies. C’est en me déguisant que je me ressemblais

Tandis que flânais sans un but défini
Au gré de mon humeur ce jour baguenaudeuse
Dans une galerie où l’humain est banni
Temple mercantile qu’adorent les rôdeuses

J’aperçus un couple venu d’un âge honni
Vivant anachronisme en la foule crieuse
Ils proposaient aux gens aigris et racornis
De remonter le temps d’une façon curieuse

Tous poursuivaient leur course en snobant ce présent
Qui offrait du passé pour une faible somme
Amusé j’acceptais l’entracte bienfaisant

Revêtant un habit comme en portaient les hommes
Un siècle auparavant C’est en me déguisant
Que je me ressemblais et appréciais ma pomme

1981. En me déguisant, je me ressemblais © Mapomme

jeudi 14 janvier 2021

Elégies. Dans un pré au soleil n’a-t-on pas l’essentiel ?

C’était en mai ou juin à deux doigts de l’été
Et je m’étais assis tranquillement dans l’herbe
Je n’avais rien à craindre et pas plus à fêter
Mais heureux je trouvais cette journée superbe

Le spleen quelquefois chasse notre gaieté
Générant sans raison quelques pensées acerbes 
J’échappais en ce jour à ces contrariétés
La touzelle bientôt se verrait mise en gerbe

Il est bien des moissons tenues sous le boisseau
Des bonheurs à glaner sous la glèbe demeurent
Puis germent un beau jour en un soudain sursaut

On se méfie pourtant car tant d’entre eux se meurent
D’une humeur badine semblable au jouvenceau
À fond je savourais la quiétude d'une heure

1981. Dans un pré au soleil... © Mapomme

 


mercredi 13 janvier 2021

Elégies. Où donc ai-je égaré mes précieuses racines ?

Heureux qui retrouve ses racines perdues !
Car regarder ailleurs plus longtemps qu’il ne faut
Suffit à l’étourdi pour les perdre de vue
Tout ça pour un futur dont les ors sonnent faux

Mais où donc ai-je mis toutes ces heures vécues
Inondées de soleil en ces jours triomphaux ?
Seraient-elles tombées à tout jamais vaincues
Comme les blés dorés sont tranchés sous la faux ?

Délivré des charmes d’une sombre officine
M’appliquant un baume revigorant l’esprit
Je reviens sur les lieux qui à nouveau fascinent

De ces mirages vains j’ai dû payer le prix
Dépensant des années si loin de mes racines
De cet égarement c’est tout ce que j’appris

1986. Où donc ai-je égaré... © Mapomme

lundi 11 janvier 2021

Elégies. On ne sait ce qu'on perd...

On ne sait ce qu’on perd au moment de la perte
Se sentant abattu désorienté confus
Et tant de personnes qui se pensent expertes
N’entrevoient pas alors l’outrance du refus

Qui envahit l’âme malgré notre air inerte
Comment le désarroi peut-il être perçu
Quand il nous faut en faire aussi la découverte ?
Hormis cette perte rien d’autre n’est conçu

Car on ignore encor l’ampleur de ce qui lie
L’égaré qui demeure à celui qui s’en va
Nous subirons les flots de la mélancolie

Quand glanant un succès nul ne criera Vivat !
Plus qu’une autre comptait la louange abolie
Le temps seul révèle ce dont il nous priva

1971. On ne sait ce qu'on perd... © Mapomme

dimanche 10 janvier 2021

Elégies. Ado, j’avais, je crois, six cordes à mon arc

On a sans le savoir plus de talents qu’on croit
Il faut les cultiver avec grande patience
Car chaque don n’est rien si en nous il ne croît
S’exercer chaque jour fait fructifier sa science

Ado on s’éparpille et l’on a trop de choix
Jouer de la guitare inventer des romances
Écrire des sonnets et tout ce qui échoit
À l’ardente jeunesse au potentiel immense

Il faut donc explorer chacun de ces sentiers
Pour découvrir celui qui jamais ne nous lasse
Le seul à nous ravir l’âme et le corps entier

Si parfois on s’échoue dans quelque sombre impasse
Il suffit de relire un poème en chantier
Pour sentir le plaisir de retrouver sa place
1971. Six cordes à son arc © Mapomme

vendredi 8 janvier 2021

Elégies. Assis sur ton rocher ne scrute pas au loin

Mon petit bonhomme ne scrute pas au loin
La vie est sous tes yeux bien plus belle qu’un rêve
Pourquoi donc ces envies de santal et benjoin
Sur ton rocher bercé par le flot sur la grève ?

Tu as vu un ailleurs et il n’en faut pas moins
Pour nourrir cette faim qui tel un vent se lève
Des cieux gorgés d’azur dont tu fus le témoin
Habitent ton esprit vivant attrape-rêves

Mais après l’horizon vient l’horizon nouveau
Et on lâche affamé la belle proie pour l’ombre
Laisse au fol Héraclès ses onze autres travaux

Vois mille et un pays -peu importe le nombre-
Cet appétit d’ailleurs tyran de ton cerveau
Tes plaisirs réduira en affligeants décombres 

1962. Assis sur un rocher © Mapomme

dimanche 3 janvier 2021

Elégies. Je veux être moi-même ou je ne serais rien !

On ne sait quel danger recèle un livre ouvert
Où l’écrit devient son et formule magique
Tremblons si un shaman fait rimer tous ses vers
Et si ce qu’il révèle a des accents tragiques

On veut être initié à cet art inconnu
Apprendre sans tarder cette langue secrète
Où on livre son âme et son cœur mis à nus
On se voudrait sur l’heure un semblable interprète

Ô enfant impatient ! Il faut laisser les ans
Couler tel un torrent et creuser quelques rides
Ce don tant réclamé est tout sauf un présent !

M’a dit dans mon sommeil un rimeur apatride
Toute frontière étant un génie malfaisant
Par elle un poète serait tenu en bride

Ne laissez nul enfant devant un livre ouvert !
Mordu par l’oiseau-lyre il sera nostalgique
Sans jamais renoncer à ce fâcheux travers 

1961. Devant un livre ouvert © Mapomme

samedi 2 janvier 2021

Elégies. Rimes oxymoriques

La rêverie montrait un esprit alouvi
Les vers d’Hugo charmaient mes lectures d’enfance
Et mon cœur ne pouvait se sentir assouvi
Il faut avoir vécu une amère expérience

Pour écrire quelques vers empreints de vérité
Qui dans l’âme d’un autre également résonne
Car tout sentiment feint n’est qu’infidélité
Et montre un être creux que la tiédeur bâillonne

Enfant je m’essayais à rimer sans vécu
Mais comment sans douleurs peut-on être crédible
Quand sur le monde on a un regard ingénu ?

Son ouvrage on remet cent fois sur le métier
Sans véritables plaies y croire est impossible
Quels seraient les tourments d’un naïf écolier ? 

Rimes oxymoriques © Mapomme