dimanche 7 novembre 2021

Elégies. Sur les autres jamais il ne faudra compter

Je n’ai jamais compris tous ces gens qui se pâment
Devant un nouveau-né pionçant d’un pur sommeil ;
On les voit soudain pris d’un extrême enthousiasme
Dévots tels des babouins au lever du soleil

Et quand l’enfant babille avec lui ils s’exclament
En onomatopées et en gouzigouzis !
J’étais un hérétique échappant à leur flamme
Cette étrange euphorie que produit l’ecstasy.

Bien qu’on m’ait souvent dit l’espèce de folie
Saisissant des pères qui en vrais possédés
Hurlant de joie couraient leur réserve abolie
J’ignorais qu’un jour j’allais aussi céder ;

Au-delà de la joie mesurée et polie
Je me suis converti et nul ne vint m'aider !

Mécréant converti  © Mapomme

samedi 6 novembre 2021

Elégies. Aux anges qu’a volés le monde souterrain

On a tous une ombre voilant notre regard
Un ange disparu — nuage dans nos vies 
Précocement parti laissant le cœur hagard ;
D’un imprécis regret la nuit erre alouvie.

Bien que bouffant sans fin demeure le cafard ;
Il n’est pas un seul met qu’en vrai on apprécie
Et combler le manque tel un affreux soiffard
Mélangeant les alcools à la cuite initie.

Nos anges disparus ne reviennent jamais
Pour vivre ces instants de gloire ou bien de doute
Et débattre de ce que chacun on aimait
Car tout était sujet à de fréquentes joutes.

Sont-ils fiers ou déçus des avis qu’on émet ?
Manque leur présence autant que leur écoute.

Ange disparu  © Mapomme
d'après le tableau de Berthe Morisot

vendredi 5 novembre 2021

Elégies. Boire au fleuve et chasser le mal intarissable

Qu’on perde l’essentiel grand Amour ou un proche
Et l’on veut aussitôt effacer la douleur
L’Intolérable plaie ! Au passé on s’accroche
Aimant moins l’avenir que ce profond malheur :

Ainsi fonctionnera la baroque caboche
À jamais le jouet d’un mythe ensorceleur ;
S’enivrer à souhait et se perdre en bamboches
Produit un faux oubli et des nuits sans valeur.

Toi qui suivras Khárôn sur sa barque inlassable
Méprise l’Akhérōn et vas boire au Léthé
Dispensant l’oubli pur — écume sur le sable
Effaçant la trace des plaisirs de l’été !

Veux-tu oublier tout même l’impérissable
Instant d’un grand bonheur auquel tu as goûté ?
Tu souhaites chasser ce mal intarissable
Qu'au plus profond des nuits tu n'as jamais bouté !

Boire l'eau de Léthé  © Mapomme

samedi 30 octobre 2021

Elégies. La lumière ou l'ombre

Peut-on dans un regard capter toute une vie
Les espoirs de jadis et les regrets enfouis
Les persistantes plaies à tout regard ravies
Et les secrets gardés en trésors inouïs ?

La faim qu’on voit encor dans l’autre inassouvie
N’est-elle pas un reflet trompeur qui éblouit
De ces pentes ardues qu’on a un jour gravies
Et des destins lointains soudain évanouis ?

L’œil est-il objectif en regardant la rue ?
Un cadrage choisi est forcément partial
Et raconte à chacun des amours disparues.

La lumière ou l’ombre jouent un rôle spécial
Et teintent un portrait d’une tendresse accrue
Qui paraphe un cliché d'un hommage crucial.

Lumière et ombre  © Mapomme
d'après une photo noir et blanc de Vivian Meier

mardi 26 octobre 2021

Elégies. Ombre et lumière à l'aube

Le jour s’était levé et les sommets des monts
Brillaient d’un éclat d’or comme jadis la pointe
D’électrum à Louxor du pieux temple d’Amon ;
Les cimes mineures demeuraient de l’ombre ointes

 Devant leur roi courbées tels qu'étaient les barons.
Chaque époque a connu de semblables contraintes
Devant d’affreux tyrans ou de vains fanfarons
Qu'on vénérait par foi ou sinon par la crainte.

Ainsi en notre temps on louera l’opulent
Bien souvent tiraillé entre haine et envie
Selon qu'on juge abject ou alors stimulant

Leur hauteur élevée : « Qu’il n’a jamais gravie
Mais simplement trouvée ! » ajoute un virulent
Car nulle aube dorée ne lui sera servie.


Ombre et lumière à l'aube  © Mapomme
d'après une photo d'Anne-Marie De Ruggiero

dimanche 24 octobre 2021

Elégies. Aubes désabusées

Puis-je aller sans un brin d’amour au fond du coeur
Sans même un seul billet dormant au fond des poches
Propre à me consoler de ce triste marqueur
Et m’abreuver d’oubli au terme de bamboches ?

Qui a bu le Léthé au fond d’une liqueur
Sans retrouver à l’aube un jour médiocre et moche
Et son reflet cruel dans le miroir moqueur
Soulignant sous ses yeux de nocturnes valoches ?

Pourtant rien ne manquait sinon l’argent claqué ;
En pure perte hélas puisque dès l’aube grise
Un néant m’habitait et j’étais arnaqué.

Si un casse-dalle me refait la cerise
L’inaltérable spleen s’en vient me détraquer
Et imprimer sur moi son éternelle emprise.

Qui a bu le Léthé...  © Mapomme

samedi 23 octobre 2021

Elégies. Châteaux de sable en ruines

À la prêche on nous dit des mots qui font rêver
Mais dès qu’on sort le monde en vérité est triste
Et le vent dans la rue s’en viendra soulever
Les espoirs qu’a tués la pensée empiriste.

Feuilles mortes flottant d’un vol inachevé
Privées de toute sève en ces temps rigoristes
Voyez tous ces passants qui battent le pavé
Cherchant la prophétie d’un gourou mélioriste.

Grises sont les cités et les aubes de fiel
Versent dans nos esprits la vérité sauvage
En cendres réduisant l’espoir superficiel.

Des châteaux de sable l’onde a fait des ravages
De nos rêves d’enfant saccageant l’essentiel
Et nous laisse tremblants sur un ardu rivage.


Châteaux de sable en ruines  © Mapomme

samedi 16 octobre 2021

Nouveau Siècle. Les héros oubliés

« Dehors les étrangers car vous ne valez rien ! »
Voilà l’affreux refrain d’un histrion fébrile
Oubliant ceux occis sur le Mont Valérien.
Cet excité nous noie de chicanes stériles ;

Il tresse des lauriers à l’abject prétorien
Et vomit sur ceux-là qui recherchent asile
Fuyant quelque tyran africain ou syrien
Voulant enfin goûter à la paix de nos villes

Périssant par millions dans l’exode sans fin
Dans les déserts d’Afrique ou les froids de l’Asie
Épuisés par la marche ou bien crevant de faim.

Les chasse l’histrion ivre de frénésie
Quand d’autres étrangers sont venus des confins
Du monde contre Hitler gratifiés d'amnésie.

Les héros oubliés du réseau Manouchian  © Mapomme

Nouveau Siècle. L’honneur de la France en ces larmes versées

Pétain n’a rien sauvé et n’a rien protégé
Et trahissant l’honneur après une déroute
Il signa l’armistice avec un cœur léger
Lorsque l’Europe entrait dans la crainte et le doute.

Soudain tout un pays se retrouva piégé
Dans une sombre voie qui à nos âmes coûte ;
Un histrion ne peut de sa plume abroger
La faute du Vél d’Hiv qui ne doit être absoute.

Le Maréchal souillait son passé prestigieux :
Toi sur la Canebière être humain anonyme
Désemparé et pris d’un émoi contagieux

Tu léguais au futur le refus qui anime
L’esprit libre d’un peuple en larmes dans tes yeux.
Quel écrit peut trahir ce qu'un regard exprime ?


Quel écrit peut trahir ce qu'un regard exprime ?  © Mapomme
d'après une photo de Marcel de Renzis, Canebière, 15/09/1940

mardi 12 octobre 2021

Nouveau Siècle. L'égoutier de l'Histoire

Pointer d’un doigt haineux du pays les défauts
Ne fera pas de toi quelque étonnant génie
Si tes propos tenus résonnent archifaux
Et que notre passé tu revoies et renies.

Mieux vaut être un pasteur pour son rêve tué
Que scruter les canaux des égouts de l’Histoire
Pour empuantir l'air et venir polluer
D’un venin mensonger l’esprit d’un auditoire.

« C’était bien mieux avant ! » clames-tu dans le vent :
Mais alors songes-tu aux tyrans et aux guerres
Toi qui viens te parer du titre de savant ?

Car l’ouvrier crevait dans ce triste naguère
Pour des bourgeois cossus pour certains approuvant
Pétain à ton instar pauvre historien vulgaire !


Pauvre historien vulgaire  © Mapomme

dimanche 10 octobre 2021

Sonnets couronnés. Récit du naufragé 15. Fauves et reptiles

Un navire inconnu ce jour s’en vint au port ;
Après avoir franchi un océan hostile
Le marin débarquant au sol se sent plus fort
Loin des contrées où vont fauves comme reptiles.

« J’eus bientôt préféré avoir subi ce sort
Car loin de mon pays en un lieu infertile ;
J’ai pensé retrouver mes pauvres amis morts
Quand le serpent rendit toute lutte inutile.

J’étais un naufragé par le destin vaincu ;
Je fus contre mon gré porté par la tourmente :
Me voici riche en or et pauvre de vécu

Car sur l’île isolée seul l’espoir alimente !
Voici tout ce qui compte après trente ans perdus :
Les vents m'ont ramené sur la mer écumante ! »


Loin des contrées où vont fauves comme reptiles  © Mapomme

Sonnets couronnés. Récit du naufragé 14

« Les vents m’ont ramené sur la mer écumante
Avant de retrouver dans le Champ des Roseaux
Ta mère tant regrettée et ma sœur bien aimante !
Ne t’engage jamais sur d’incertaines eaux

Car l’aventure à tous paraît enthousiasmante :
On revient n’ayant plus que la peau sur les os !
Dans la jarre veillons la bière qui fermente
Travaillons nos champs et chassons les oiseaux !

Pour revoir les rives de ma terre native
J’ai offert la moitié de mon curieux trésor !
Ainsi j'ai procédé en ma joie instinctive.

Je n’ai pas regretté car trente ans avec l’or
M’en ont fait mesurer la valeur relative :
Un navire inconnu ce jour s'en vint au port. »


Travaillons nos champs  © Mapomme

Sonnets couronnés. Récit du naufragé 13

« Voici tout ce qui compte après trente ans perdus
Et mon cœur est brisé par cette mort soudaine !
J’ai à tout survécu et je suis confondu :
Un serpent m’épargna par une étrange aubaine

Quand ma sœur bienaimée qui m’avait attendu
Me cause sans vouloir une insondable peine !
Pourquoi sur cette mer me suis-je ainsi rendu
Au lieu de naviguer près des rives thébaines ? »

« Qu’importe le passé ? Elle nous voit tous deux
Puisqu’elle sort au jour et dès la nuit s’absente
Et te voit revenu d’un périple hasardeux ! »

« Tu parles comme un fils et je te complimente :
Ce n’est pas sans raison que vers toi cher neveu
Les vents m’ont ramené sur la mer écumante ! »


Pourquoi sur cette mer me suis-je ainsi rendu ?  © Mapomme

Sonnets couronnés. Récit du Naufragé 12

« Car sur l’île isolée seul l’espoir alimente :
Qui es-tu donc jeune homme au propos audacieux ? »
« Paneb fils de ta sœur Méryenmout l’indulgente
Qui a toujours pensé qu’un destin capricieux

Te retenait captif sur une île indigente
Mais que tu reviendrais par la grâce des cieux ! »
« Où se trouve ma sœur fine et intelligente
Dont les conseils m’étaient toujours aussi précieux ?

Elle n’était pas là quand débuta ma quête ! »
« Par la vipère hélas ! son pied droit fut mordu
Et je vais sur sa tombe modeste mais coquette ! »

« Avec toi j’irai pour que l’hommage rendu
Soit doublé par deux voix si jamais tu l’acceptes :
Voici tout ce qui compte après trente ans perdus ! »

Le temple de Philaé  © Mapomme
d'après David Roberts

samedi 9 octobre 2021

Sonnets couronnés. Récit du naufragé 11

« Me voici riche en or et pauvre de vécu
Après avoir marché morose et solitaire
Sur un îlot désert tout autant que moi nu
Rêvant d’encor fouler de mon pays la terre.

J’y reviens harassé en vieil homme chenu
Ne voyant parmi vous que des masques austères
Et pas un seul d’entre eux ne me semble connu :
Ils portent pour chacun les torts du caractère ! »

Alors un jeune homme posément s’avança
L’ayant laissé parler après trente ans d’attente :
« Serais-tu Ahmosé qui jadis se lança

Dans une expédition jugée inconséquente ? »
« Que la constante faim seule récompensa
Car sur l'île isolée seul l'espoir alimente ! »


Alors posément un jeune homme s'avança  © Mapomme

Sonnets couronnés. Récit du naufragé 10

« Je fus contre mon gré porté par la tourmente ! »
Une formulation lâchée dans le danger
Peut révéler dans l’être une force immanente
Qu’aucun fatum divin n’a le don de changer.

Cette force naîtra si la vie inclémente
Avant même octobre s’en vient la vendanger :
Certains baissent les bras et chose fascinante
D’autres à la raison ne veulent se ranger.

Passèrent des années où sans motif notable
J’ai supporté la faim sur mon îlot reclus
Comme l’isolement sombre et épouvantable.

Je survivais sans plus de votre monde exclu
Nourri du seul espoir et clamant lamentable :
« Me voici riche en or et pauvre de vécu ! »

Riche en or et dépourvu de tout  © Mapomme

Sonnets couronnés. Récit du naufragé 09

« J’étais un naufragé par le destin vaincu
Qui sans fin affrontait des éléments contraires
Et malgré tous les sorts j’avais donc survécu
De tout accablement parvenant à m’abstraire.

Jusqu’ici dans ma vie j’allais inaperçu
Dans leur jeu simple pion nullement téméraire
Et voici qu’un marin face aux desseins conçus
Repoussait à plus tard les rites funéraires.

Une phrase aurait dû susciter leurs soupçons
Quoiqu’alors énoncée de façon hésitante
Bien plus pour la forme et sans plus de façons.

Mais ils l’avaient jugée à tort peu importante
Puisqu’on pouvait tirer du futur la leçon :
Je fus contre mon gré porté par la tourmente ! »


Dans leur jeu simple pion  © Mapomme

Sonnets couronnés. Récit du naufragé 08

« Quand le serpent rendit toute lutte inutile
Après ses prédictions il fit sa mue de peau
Et sous le sol trouva enfin l’ultime asile :
J’utilisais cet antre en guise d’entrepôt.

Mais j’aurais bien offert de mon or si futile
Pour légumes et fruits ou quelques oripeaux
Cent fois le prix normal sans esprit mercantile
Et pour que ce vent fort me laissât en repos.

Quand la panse affamée gargouille et se lamente
Comment saisir des cieux les desseins ambigus ?
À l’aide d’une branche épaisse et résistante

Puisqu’il fallait quérir quelque bulbe imprévu
J’ôtais un rhizome moins par goût que par faim :
J’étais un Naufragé par le destin vaincu. »


J'ôtais un rhizome moins par goût que par faim  © Mapomme

Sonnets couronnés. Récit du naufragé 07

« J’ai pensé retrouver mes pauvres amis morts :
Pourquoi survivre aux flots pour périr en son ventre ?
M’écriai-je en furie vers des cieux sans remords
Dont je ne pouvais être en cet instant le chantre.

Me prenant en sa bouche et glissant sans effort
Il me porta sans mal me posant dans son antre.
Nous étions plus de cent et serions plus encor
Sans la foudre frappant ce repère en son centre !

Je laisserai tout l’or à ma mue à venir
Et tu le garderas car le sort versatile
Te destine au retour mais il faudra tenir

Tout seul durant trente ans isolé sur cette île !
J’aurais voulu périr et la paix obtenir
Quand le serpent rendit toute lutte inutile. »


Durant trente ans isolé sur cette île  © Mapomme

vendredi 8 octobre 2021

Sonnets couronnés. Récit du naufragé 06

« Car loin de mon pays en un lieu infertile
La mer m’ayant poussé j’étais plus mort que vif
Toutes mes chairs meurtries quand j’abordais cette île
Après avoir franchi la passe des récifs

Que patiemment les flots vague après vague effilent.
Le vent avait sculpté des arbres laudatifs
Dont les branches priaient des cieux fort indociles
Malgré leurs lamentos suppliants et votifs.

Affamé je trouvais en terre des racines
Après avoir versé l’eau salée de mon corps
Pouvant m’être aussi bien poison que médecine.

Un serpent apparut aux écailles en or
Grand de trente coudées et bien qu’il me fascine
J’ai pensé retrouver mes pauvres amis morts ! »

jeudi 7 octobre 2021

Sonnets couronnés. Récit du naufragé 05

« J’eus bientôt préféré avoir subi ce sort
Car bientôt la tempête engloutit l’équipage
Et brisa le navire en dépit des efforts
Vers l’abysse profond les mena sans ambages.

À un bout du bateau je m’accrochais alors
En dépit des vagues s’acharnant avec rage ;
Je m’accrochais à lui tel l’avare à son or
De la mer endurant les plus furieux outrages.

Je ne sais pas pourquoi je n’ai jamais lâché :
Il est une vigueur que la folie distille
Et que l’adversité ne peut nous arracher.

Quelque dieu bienveillant à mon âme infantile
Insuffla cet instinct : à quoi bon m’accrocher
Car loin de mon pays en un lieu infertile ? »



Loin de mon pays  © Mapomme

mercredi 6 octobre 2021

Sonnets couronnés. Récit du naufragé 04

« Loin des contrées où vont fauves comme reptiles
Je vivais en ce lieu où le scorpion fatal
L’hyène et la vipère côtoient le crocodile
Dangers habituels du rivage natal.

Nous avions consacré aux dieux l’offrande utile
Et sous leur protection avec l’aplomb total
Des marins habités par une ardeur subtile
Nous partions pour quérir un trésor végétal.

La fougueuse jeunesse expliquait l’arrogance
De nautoniers ayant peu navigué à bord
De cabotage usant sans tangible fréquence.

Les anciens sur le port énuméraient nos torts
Que tous nous péririons de notre inconséquence :
J’eus bientôt préféré avoir subi ce sort. »



Nous avions consacré aux dieux l'offrande utile  © Mapomme

mardi 5 octobre 2021

Sonnets couronnés. Récit du naufragé 03

Le marin débarquant au sol se sent plus fort
Sitôt qu’il n’entend plus retentir le tumulte
Des deux cataractes crispant celui qui dort
Et dont l’écho scande quelque pouvoir occulte.

Par l’eau il purifie l’âme autant que le corps :
Ce rite dédaigner serait la pire insulte.
Ceci fait il fallait par un tacite accord
Qu'il contât son périple à l’assemblée adulte.

« Je suis un étranger au pays revenant
Soumis aux caprices d’un destin versatile
Et tenu loin d’ici durant trente-et-un ans.

Je me trouvais reclus sur la plus ingrate île
Car mon souhait était d’aller me promenant
Loin des contrées où vont fauves comme reptiles. »



Il conta son périple © Mapomme

Sonnets couronnés. Récit du naufragé 02

Après avoir franchi un océan hostile
Les actes paraîtront souvent originaux :
Ignorant leur raison tout verdict est futile
Car changera un mont sous les feux matinaux

Lorsque sur son versant l’aube rose rutile
Et que danse le jour comme danse un flambeau
Sur les textes gravés de la salle hypostyle.
L’homme chenu scruta le saint val aux tombeaux

Où au couchant se meurt pour le chaos des nuits
L’Astre maître de Vie qui sur le mal l’emporte ;
Au levant paraissant le divin Disque luit.
Tel un sycomore sous la terre froide et morte

Trouve l’eau nourricière et produit ses fruits d’or
Le marin débarquant au sol se sent plus fort.



Lorsque sur son versant l'aube rose rutile © Mapomme

Sonnets couronnés. Récit du naufragé 01

Un navire inconnu ce jour s’en vint au port :
En descendit un homme à la barbe chenue
Maigre tel un spectre surgi d’entre les morts ;
Par la vive émotion son âme était tenue

Qu’il réprimait au prix d’un ostensible effort
Mais le lac de ses yeux révélait sa venue.
À ses poignets tintaient des bracelets en or
Sous ses habits tissés en contrée inconnue.

À peine eut-il posé son pied sur le limon
Qu’avait laissé la crue en promesse fertile
Qu’il embrassa le sol comme un prêtre d’Amon.

Par ce geste il semblait adorer le bétyle
Heureux qu’un flot rageur épargnât le timon
Après avoir franchi un océan hostile.



Un navire inconnu © Mapomme

mercredi 29 septembre 2021

Sonnets couronnés. 15. Sonnet maître

Amour tu le connais car tu l’as égaré :
En dépit du doute que la lutte insinue
Il recherchait un havre où pouvoir s’amarrer
Quand souffle un vent nouveau vers la terre inconnue.

Hors troupeau il voudra naître transfiguré
Les appétits d’Ailleurs perdus sans nulle issue ;
Le dépit plus que le froid l’avait fulguré
Sans qu’une espérance ne soit ici perçue.

Il doit fuir le palais dont il n’a plus le goût
Chaque ouvrage montrant de l’or l’inconsistance ;
Seul restera figé l’aveugle ou bien le fou.

Tenant charmeuse et charme à prudente distance
Si malgré les accrocs le preux triomphe au bout
Nul ne pourra conter son mal-être en ses stances.

L'inattendu périple

d'après la série TV L'Odyssée (1968)

Sonnets couronnés. 14. L’araignée, patiente tisserande

Nul ne pourra conter son mal-être en ses stances
Car il devrait savoir où conduit le destin ;
L'Aède doit songer au gré des circonstances
Comment un récit change en jouant notre instinct.

L’araignée a tissé sa toile avec patience
Et un beau jour sa proie deviendra son festin ;
On ne sait quelle proie se prendra à sa science
Ni quand cela sera : le jour est indistinct.

Or Pénénoun tissa son invisible toile
Dans le secret des nuits espérant préparer
Quelque piège savant filé de brins d’étoile.

Avec elle il parla et put tout lui narrer
Et n’eut jamais envie d’un jour mettre les voiles.
Amour tu le connais car tu l’as égaré !

La Patiente tisserande

d'après la série TV L'Odyssée (1968)

Sonnets couronnés. 13. De tout temple sacré fuyons l’ombre

Si malgré les accrocs le preux triomphe au bout
Peut-on croire un instant à la trêve accordée
Par des nues sans pardon et poursuivant partout
Celui qui une fois les aura brocardées ?

Ayant un jour jeté à un bœuf un caillou
Son avancée par lui se trouvant retardée
Il devait supporter quelque divin courroux
Et partout son action se trouvait placardée.

Ne laissez aucun temple s’élever plus qu’il faut
Car il affirmera alors sa prépotence
Dressant sans aucun droit d’horribles échafauds.

Albika aux blancs bras ouvrit sans repentance
Sa maison en sachant qu’il partirait bientôt :
Nul ne pourra conter son mal-être en ses stances.


De tout temple sacré fuyons l'ombre © Mapomme

Sonnets couronnés. 12. La jeune femme en fleurs aux bras blancs

Tenant charmeuse et charme à prudente distance
Sahirbô abdiqua et le laissa partir.
Mais un courroux des flots est mal sans rémittence
Et jamais des écueils il ne pouvait sortir.

Un typhon le livra sauvé par providence
Perclus de toutes parts sans rien pour le vêtir
Et cette nudité poussait à la prudence :
De l’insouciance on peut souvent se repentir.

Albika apparut au départ médusée
Mais remarquant les bleus de ses pieds à son cou
Son étole elle offrit nullement abusée

Car il cachait son sexe en tombant à genoux.
Qu’importait l’infortune et la manière usée
Si malgré les accrocs le preux triomphe au bout ?


La jeune femme en fleurs aux bras blancs
d'après la série TV L'Odyssée (1968)


Sonnets couronnés. 11. Tenu par un philtre reclus

Seul restera figé l’aveugle ou bien le fou
Et par cet heureux choix il se maintint en vie
Car le roc méprisa le radeau d’acajou ;
Il nagea donc vers lui laissant inassouvie

La fureur de la vague et du roc le courroux.
Mais on voulait tenir son ardeur asservie
Dans une caverne voir ployer son genou
Et qu’enfin sa fierté fût à jamais ravie.

Ayant mêlé la drogue aux fins repas offerts
Durant un très long temps qui n’a nulle importance
Sahirbô le tiendra enchaîné mis aux fers.

Mais l’esprit offrira d’infinies résistances
Que ne pourra briser les appas de l’enfer
Tenant charmeuse et charme à prudente distance.

Tenu par un philtre reclus
d'après la série TV l'Odyssée (1968)


Sonnets couronnés. 10. Présents sont les dangers

Chaque ouvrage montrant de l’or l’inconsistance
Lasse le cœur blasé du fait de sa splendeur.
Un lac inexorable étendait son immense
Aire offrant au radeau sa chétive grandeur.

Loin de la berge un chant charmait par sa constance
Les roussalkas vantaient les froides profondeurs
Baume des cœurs blessés poison de l’existence ;
Tout cessant il sentit d’un grand danger l’odeur.

Sur le chétif radeau fondit vague et écume ;
Il lutta de son mieux et supporta le coup
Bien que paraissant dans le vent une plume.

Vers un roc acéré le menait les remous ;
Il sauta droit dessus plus vif que de coutume :
Seul restera figé l’aveugle ou bien le fou.



Présents sont les dangers © Mapomme

mardi 28 septembre 2021

Sonnets couronnés. 09. Aux amis engloutis par l'enfer quotidien

Il doit fuir le palais dont il n’a plus le goût
Pour aller par les prés loin des cités de verre
Et d’acier qui défient les cieux si loin de tout
Et qui n’aident plus tant durant les froids sévères.

Lors d’une pause il dort et fait un rêve fou :
Il marche dans l’enfer englouti sous la terre
Et voit quelques amis tels des zombies vaudous
Égarés dans les rues à l’ombre délétère.

Les rêves en lambeaux l’avenir dévoré
Au vain labeur soumis maillons sans importance
Dans le flot des damnés n’osant plus implorer

Ils voyaient leur futur tel un échec intense
Et se lassaient enfin des piliers décorés
Chaque ornement arguant de l’or l’inconsistance.


 Aux amis engloutis © Mapomme

d'après la série TV L'Odyssée (1968)

Sonnets couronnés. 08. Le palais de Dame Shahiné

Sans qu’une espérance ne soit ici perçue
Sinon un bol de lait mêlé d’un fauve miel
Il jugea l’offrande digne d’être reçue
Par l’affamé marcheur simple péché véniel.

Il s’endormit bientôt sur la roche moussue ;
Au réveil dans un lit doux et providentiel
Plus un palais gracieux qu’une maison cossue
Une femme porta un repas essentiel.

Elle le garda ainsi quatre saisons entières
Et bien que le séjour en ce lieu lui fut doux
Lui vint la nostalgie de sa ville côtière.

Lorsqu’un être est ainsi voulant mettre les bouts
Aux vaines discussions il n’y a point matière :
Il doit fuir le palais dont il n’a plus le goût.



Le palais de Dame Shahiné © Mapomme

Sonnets couronnés. 07. Au-delà des ondées

Le dépit plus que le froid l’avait fulguré
Lorsqu’il comprit soudain que brouillards et orages
Naissaient de son esprit ; s’ils avaient tant duré
C’est qu’il s’y complaisait sans leur faire barrage.

Aussitôt resplendit l’aube d’un jour doré :
Il quitta la lande des mangeurs de mirages
Nourris d’espoirs d’autrui laissant seuls d’abhorrés
Regrets d’amours déçues en bons onirophages.

De toutes parts la pluie sauf en ce point précis :
Il se devait d’aller vers la terre entrevue
Puisqu’autour tout semblait pluvieux et indécis.

Il franchit un beau pont ici la seule issue
Disparu par magie comme en un vieux récit
Sans qu’une espérance ne soit ici perçue.


Au-delà des ondées © Mapomme

Sonnets couronnés. 06. Par les froides contrées

Les appétits d’Ailleurs perdus sans nulle issue
Il maudit l’importun se trouvant démuni
Comme il l’était avant ce grand coup de massue
Car plus que le curieux il se trouvait puni

Et l’outre d’Ussayel dès lors était perdue.
Il chassa le fâcheux d’injures agoni ;
Dans la brume avançant sur la vaste étendue
Où le froid lui montrait qu’il y était honni.

Des années peuvent passer sans qu’un rayon ne perce
Les brouillards incertains et le froid conjuré
À des vents boréaux et de brusques averses.

Il n’en voyait la fin et de ciel azuré
Il rêvait égaré sur la contrée adverse :
Le dépit plus que le froid l’avait fulguré.


Par les froides contrées © Mapomme

Sonnets couronnés. 05. L’outre de toutes les illusions

Hors troupeau il voudra naître transfiguré
Et fuyant les pièges de l’ascension sociale
Il aborda un lieu par nul dénaturé
Qui avait conservé sa beauté initiale.

Il en foulait l’herbe d’un pas peu assuré
Même s’il ne trouvait pas de croix abbatiale ;
Un être aux blancs cheveux nullement tonsuré
Dans un pré l’attendait la mine fort joviale.

L’invitant à souper il lui fit donc conter
L’histoire de sa vie et ses amours déçues
Puis lui offrit une outre à usage compté.

Hélas ! chemin faisant l’ayant entr’aperçue
Un importun l’ouvrit libérant indomptés
Les appétits d’Ailleurs perdus sans nulle issue.


L'outre de toutes les illusions © Mapomme
d'après la série TV L'Odyssée (1968)

Sonnets couronnés. 04. Le troupeau d'Oliposème

Quand souffle un vent nouveau vers la terre inconnue
Il faut savoir quitter les lieux qu’on a aimés
Sans geindre sur celle qu’on a montée aux nues
Sans plus la vénérer ni même la blâmer.

Toute grève abordée n’est pas plus ingénue
Et il faut éviter d’à nouveau s’enflammer :
Un monstre souriant au labeur l’exténue
Lui promettant du rêve et cherche à l’affamer.

Ce monstre chronophage abolit tout temps libre
Prétendant qu’un peu plus il se doit d’endurer
Quitte à rompre chez lui l’essentiel équilibre.

Brisant les caméras — on pouvait l’augurer ! —
Et cherchant cet Ailleurs pour lequel tout cœur vibre
Hors troupeau il voudra naître transfiguré.


Le troupeau d'Oliposème © Mapomme

Sonnets couronnés. 03. Au banquet du règne de l'été

Il recherchait un havre où pouvoir s’amarrer
Un lieu source d’oubli ce souverain remède
Sur une île nouvelle aux arbres bigarrés
Qui serait dans sa vie un propice intermède.

Pour chasser le mal-être d’un bonheur ignoré
Il s’assit au banquet où on offrait une aide :
Dans la fumée crachée il pouvait explorer
Les rivages bénis que chanterait l’Aède.

Mais on ne peut planer jusqu’à la fin des temps
Et la paix absolue au final s’atténue ;
Il faut renouveler cet oubli inconstant.

La nuit devait être sans cesse entretenue ;
Aussi leva-t-il l’ancre à jamais s’absentant
Quand souffle un vent nouveau vers la terre inconnue.


Au banquet du règne de l'été © Mapomme