vendredi 26 avril 2024

Sonnets sertis. Songes inassouvis

L’éclat libre du jour s’arrête au blanc voilage,
Derrière lequel est clos l’Espoir à double tour.

Que de rêves en l’ombre ont nourri l’amertume,
Car toute fleur flétrit hors des feux lumineux ;
Quelle existence obscure où les songes posthumes
Empruntent la couleur d’un lieu bitumineux !

On donne un héritier, sans que la joie allume
Un plaisir dans les yeux, l’envol vertigineux
Vers un éden nouveau, le corps, telle une plume,
Pris dans un tourbillon d’élans libidineux.

La femme ayant une âme, elle doit être sainte,
À défaut d’être Vierge, et de joies se priver ;
Reste à l’inassouvie le charme de l’absinthe.

Vaisseau sans gouvernail, l’esprit va dériver
Vers le Septentrion, l’âme à jamais éteinte,
N’attendant que la fin pour enfin s’esquiver.

Quitte à renaître un jour, que ce soit sur la plage,
En ces îles qu’on dit offertes à l’amour !

Songes inassouvis © Mapomme
D'après Berthe Morisot

jeudi 25 avril 2024

Sonnets sertis. Ivresse de la danse

Les danseurs s’enivrent d’un air virevoltant
Et leur sang bout du feu de la passion extrême.

Ils en oublient le monde, en suivant les violons,
Et se frôlent leurs corps dans l’étreinte amoureuse ;
C’est un plaisir soudain, un frémissement long,
Quand le désir jaillit des notes langoureuses.

Que le trait de l’archet traverse le salon
Et transperce les cœurs de notes savoureuses ;
De l’ivresse exhumée par un accord félon,
Ressuscite en l’esprit une plaie douloureuse.

Oh ! ce parfum cueilli sur un long cou offert
Promettrait-il un cœur jouet de l’allégresse
Ou un de ces tourments sorti droit des enfers ?

Il suffit d’un faux pas, un brin de maladresse,
Pour que ce tourbillon nous laisse un goût amer,
Par un manque de tact ou l’excès de tendresse.

Que perdure à jamais le vertige exaltant,
D’un si fugace instant de communion suprême !

Ivresse de la danse © Mapomme
D'après Camille Claudel et Jan Brueghel le Jeune

Je trouve cette sculpture plus sensuelle que Le Baiser de Rodin.

mercredi 24 avril 2024

Sonnets sertis. L’œuvre change un auteur

L’artiste crée une œuvre et n’en sort pas le même,
Car un ouvrage peut transformer son auteur.

On s’attèle à la tâche et la voilà si vaste
Qu’on se sent dépassé par son propos nouveau ;
« Dieu créa l’Univers », raconte l’Ecclésiaste :
Resta-t-il le dessein que conçut son cerveau ?

Un grand auteur embrasse un sujet qui contraste
Avec le plan final, issu de ses travaux ;
Les héros du récit rendent iconoclaste
Le monde ainsi dépeint, né d’un sombre écheveau.

Les meilleurs romanciers d’une incertaine époque
Étaient conservateurs ; leur chef-d’œuvre, pourtant,
Montre une société aux valeurs équivoques.

Au fil des chapitres, le récit les portant,
Ils ont pris le parti du faible qui suffoque
Dans un pays changé, des bienfaits l’écartant.

Génie vêtu de soie, on comprend le dilemme
Qui le prit, parvenu à de telles hauteurs.

L'oeuvre change un auteur © Mapomme
D'après une photo de Victor Hugo en exil à Jersey
Prise par Charles Hugo et Auguste Vacquerie

mardi 23 avril 2024

Sonnets sertis. La fureur du volcan

Défiez-vous du magma bouillonnant sous la glace
Et qui peut chambouler l’ordre bien établi.

Au cœur des ténèbres, diffusons la lumière
Du savoir qui permet l’envol des papillons,
Chrysalides piégées dans la boue coutumière,
Dans leur sommeil guettant un solaire aiguillon.

Misère et injustice apportent la matière
Qui au cœur d’un volcan fait naître l’éruption ;
Avant l’heure, endiguons les fièvres émeutières,
Qui mènent trop souvent à des révolutions.

Mais rien n’y fait jamais, ni récits de l’histoire,
Ni la simple raison, ni un pressentiment :
Les puissants restent sourds à tout réquisitoire.

Ils ont mille excuses vaines légitimant
Leur constante inaction, leurs ruses dilatoires,
Risquant à chaque jour un juste châtiment.

Sereine apparemment, la rue, de guerre lasse,
Peut gronder de fureur si trop long est l’oubli.

La fureur du volcan © Mapomme
D'après Les Misérables (1982)

lundi 22 avril 2024

Sonnets sertis. Mécanique organique

On formate un cerveau, privé de libre-arbitre,
Pour dicter sa conduite et ce qu’il peut penser.

Tels un chien de Pavlov, on le voit qui salive
Devant tous les gadgets qu’il ne pourra raquer ;
L’écran est la vitrine où naissent les dérives,
Où le vernis social a fini par craquer.

L’inutile gadget, semble-t-il enjolive
La vie tristounette d’un monde détraqué ;
Que d’un truc à la mode, il faille que l’on se prive
Paraît intolérable et le jeu est truqué.

On ne pourra priver de sa libre conscience,
Le braqueur, le violent, qu’envahit le dépit,
Et le conditionner aura peu d’efficience.

Il n’est pas un tyran laissant quelque répit
Au penseur qui lui fait toujours perdre patience :
Il lui inculquera un bon et sain esprit.

La méthode est malsaine et peut, à plus d’un titre,
Heurter la conscience de tout être sensé.

Mécanique organique © Mapomme

Il assez dommage que de l'excellent roman Orange Mécanique (A clockwork orange) d'Anthony Burgess ait donné un film assez loin de ce que voulait l'auteur. Ce dernier avait laissé le libre choix à l'éditeur d'arrêter le roman à la fin de l'avant-dernier chapitre, ou de publier un chapitre de plus. L'éditeur anglais a choisi de tout publier. Pas l'éditeur américain.

Or Kubrick s'est basé sur le livre version américaine. Qui plus est, il a traité la violence comme une sorte de jeu, de farce. Sans doute pour passer la censure en ce qui la concerne.
Qui plus est, le sujet du roman était double : la femme de Burgess a été violée par des déserteurs américains en 1944, alors qu'elle était enceinte. Traitée de façon atroce, elle a perdu l'enfant et est morte longtemps après, sans avoir pu se remettre. Donc, l'agression de la femme du romancier est une façon d'exorciser une histoire qui le hantait.

D'autre part, dans les années 60, il était question de reconditionner l'esprit des criminels et des personnes violentes pour leur faire haïr la violence. Voici ce que Burgess pense de cette méthode : "Du jour où vous supprimez le mal, vous en faites autant du libre-arbitre. Il est absolument nécessaire d'avoir à choisir, et cela ne peut être qu'entre le bien et le mal. Sans choix, fini l'humanité. On devient autre chose. Ou alors, on est mort."
Précision : Burgess était catholique.

Pourquoi orange ? En malaisien orang signifie homme. Orang-outan se traduit "l'homme de la forêt". Burgess a noté que orang est l'anagramme de organ. Voilà comment est né "Orange mécanique". Et Mécanique organique...

J'ai choisi d'utiliser, pour l'illustration, Aï Weïweï, opposant chinois, qui a subi un reconditionnement, mais qui est parvenu à retrouver son humanité. Et les Ouïghours qui eux sont maltraités et massacrés dans l'indifférence de ceux qui ont des outrances sélectives.

dimanche 21 avril 2024

Sonnets sertis. Quand l'enfer est sur Terre

Quand tout va presque bien, les humains s’interrogent
Sur les horreurs passées d’un projet monstrueux.

Les vagues des années ont effacé les traces
Des rudes tempêtes, de leurs dégâts cinglants ;
Le temps estompe tout, honneur comme disgrâce,
Dont les pires excès des idéaux sanglants.

Si revient la tempête aux ouragans voraces,
Surpris, le monde voit son retour accablant ;
Semblable est le tyran qui fond et qui terrasse
Les enivrés de paix, vivant de faux-semblants.

Ils voient fouler aux pieds les sacro-saints principes,
De simple humanité, qu’écarte un dictateur,
Qui du droit général, sans arrêt, s’émancipe.

Il fait naître un conflit laid et dévastateur,
Trucidant des civils, crime que ne dissipe
Pas le temps, le monde punissant leurs auteurs.

La mémoire de sable aux vagues ne déroge
Et l’amnésie permet les plans aventureux.

Quand l'enfer est sur Terre © Mapomme
d'après David Olère et Felix Nussbaum

samedi 20 avril 2024

Sonnets sertis. L’extrême tyrannie

Où est le rêve ancien d’un éternel progrès,
Lorsque l’humanité améliorait la vie ?

Cette marche en avant, d’un coup, peut bifurquer,
Nous laissant orphelins des vaines espérances !
Les radieux lendemains nous furent extorqués,
Au nom d’un mieux douteux sans nulle cohérence.

Sur un torrent furieux, nous voici embarqués,
Ignorant de son flot les tragiques errances ;
Sur le cours capricieux, par ce destin marqués,
Quelle étoile sera le cap de référence ?

Comment donc s’étonner des excès récurrents
D’humains déboussolés, qui cherchent un prophète
Leur parlant de grandeur, de futur rassurant ?

Jurant de rebâtir la puissance défaite,
Et de vivre entre-soi, le bien-être augurant,
Il promet le bonheur et l’éternelle fête.

On se livre aux tyrans, dévorés de regrets,
Espérant retrouver l’opulence ravie.

L'extrême tyrannie © Mapomme

Sonnets sertis. L’oliveraie du Sud

Je rêve très souvent de Toscane ou Provence
Et d’oliviers anciens frissonnant sous le vent.

Qui n’a jamais marché, bercé par les cigales
Dans une oliveraie, une heure avant midi,
Dans l’agreste effluve, délicate et frugale,
Ignore l’avant-goût d’un vivant paradis.

L’intense liberté, à jamais sans égale,
Imprime notre esprit quand le vent refroidit ;
Au mois gris de l’année, notre âme se régale
Et son parfum défunt ad vitam resplendit.

On peut ressusciter le bel été en songe,
Malgré les doigts transis par les froides rigueurs,
L’édénien souvenir où notre cœur se plonge.

Par cette évocation le corps reprend vigueur,
Écrasant le cafard qui sans arrêt le ronge,
Lorsque des brumailles paraissent des langueurs.

Parfum d’oliveraie, véritable jouvence,
De l'été j’ai sauvé ton vertige émouvant.

L'oliveraie du Sud © Mapomme

mercredi 17 avril 2024

Sonnets sertis. Triste Facel Vega

D’un seul coup, tout finit, les projets, les écrits,
Les enfants grandissant, les idées qui foisonnent.

Dans la ligne droite, la vie prend un tournant,
Quand se tait le moteur rugissant d’un grand fauve ;
Le funeste destin soudain frappe, ajournant
Toute une œuvre à venir, que nul beau discours sauve.

C’est une humanité portée par les ferments
Des valeurs fleurissant en dépit des entraves ;
Dans les quartiers fauchés, vaudra plus un serment,
Et face aux coups du sort, on sait se montrer brave.

Il n’est pas d’humain droit qui n’ait aucun défaut,
Ni d’écrivain brillant sans sa nuance obscure ;
Quand on dépeint un saint, le portrait sonne faux,

Et un tel être, en fait, un malaise procure.
De la Facel Vega, on montra la photo,
Car le monde perdait une immense figure.

Nombre de ses pages ressemblent à un cri,
Car la vie des nôtres, dans cet écrit, résonne.

Triste Facel Vega © Mapomme
d'après une photo en noir et blanc

La Facel Vega est une marque d'automobiles françaises des années 1950. Celle de l'accident mortel appartenait à Michel Gallimard, éditeur et ami d'Albert Camus, qui est mort quatre jours après l'accident, tandis que Camus est mort sur le coup. 

mardi 16 avril 2024

Sonnets sertis. Comme l’aveugle Orion

Comme l’aveugle Orion, quêteur d’un feu levant,
Tâtonne dans la nuit et vers la mort s'avance,

Muse, sur mon épaule, aide-moi à cueillir
Dans ma nuit une étoile éclairant mon ébauche !
De ce projet je veux pouvoir m’enorgueillir,
Tandis qu’un voile obscur rend tous mes gestes gauches.

Dans le combat des mots, quand donc vas-tu jaillir,
Sur le coursier luisant qu’au Levant tu chevauches,
Premier éclat confus, venant sans défaillir
Pour vaincre l’amnésie que ta lumière fauche ?

Tu me montres du doigt le soleil qui paraît,
Aide, oubliant le sort qui m’ôte de la vue
Le fil de mes idées, empêchant tout progrès.

Pour guider l’aveugle, sans la moindre bévue,
Antigone connaît tous les précieux secrets
Mille fois mieux que toi, ô Muse dépourvue !

Mène vers la clarté, l’aveugle ne trouvant
La fontaine des mots pour un bain de jouvence !

Comme l'aveugle Orion © Mapomme
d'après Nicolas Poussin et Christian Morgenstern

lundi 15 avril 2024

Sonnets sertis. Nostalgie édénique

J’aimerais pénétrer les secrets d’un regard,
Celui que les portraits confusément expriment.

Nostalgique beauté d’un lointain horizon,
Quels espoirs te hantant dilatent tes pupilles ?
Si ton île est un rêve, est-elle ta prison
T’empêchant de sortir du sein de ta coquille.

Certains maux demeurent, hélas, sans guérison,
Quand bien même tu vis choyée par ta famille ;
La quitter peut sembler une vraie trahison,
En oubliant l’odeur des gousses de vanille.

Rêve le monde entier, voyant ton paradis,
Comme toi des villes, parsemées de musées
Où de mille couleurs ton île resplendit.

Nostalgique beauté, vague et désabusée,
Vivre dans un éden est un cadeau maudit,
Que nous fait un démon aux manœuvres rusées.

La planète est emplie d’humains marchant hagards,
Qui, s’éreintant sans fin, pour aller ailleurs triment.

Nostalgie édénique © Mapomme
d'après Paul Gauguin

dimanche 14 avril 2024

Sonnets sertis. Miroir troublant d’une âme

Regarde ton portrait, miroir troublant d’une âme,
Qu’investit, infini, un secret univers.

Des mondes différents, de naissantes planètes
Et plus vastes qu’Orion, mille constellations ;
Vois ces millions de feux, à travers ta lunette,
Et la nébuleuse des intimes passions.

Un être androgyne nous fixe et nous tient tête,
Dont le regard moqueur prête aux spéculations,
Entre le sentiment de rigueur de l’esthète
Et le malaise causant la désapprobation.

L’humain est habité de forces opposées,
D’attentes ambiguës en son cœur nébuleux,
Chez chacun soulignant son humeur névrosée.

Tout être est un mystère, un rébus fabuleux,
Sorte d'énigme ultime, entre attrait et nausée,
Comme l’est le crapaud, étrange et pustuleux.

Oui, c’est un univers fascinant et infâme
Qu’exprime le portrait, côté pile ou avers.

Miroir troublant d'une âme © Mapomme
d'après Alexej von Jawlesky, Portrait du danseur Alexander Sacharoff

Sonnets sertis. Le règne des victimes

Tandis que la folie, née de la convoitise,
Enflamme un continent, on ouït un lamento.

D’étranges héritiers exhibent les stigmates
Reçus de quelque ancêtre, inconnu et lointain ;
Ils vénèrent des maux qui des anciens temps datent,
Leur semblant infligés, en ce jour, au matin.

Des plaies d’un autre siècle, on les voit qui se flattent,
D’infortune héritant bien qu’en un temps distinct ;
Esclaves sans chaînes, leur aversion éclate,
Lorsqu’en ces jours présents diffère leur destin.

Des fautes du passé, les héritiers s’enivrent,
Aujourd’hui houspillant l’empire colonial,
Honni depuis un bail et qu’on ne veut revivre.

Faudrait-il sacrifier au vain cérémonial
Qui des chaînes brisées à nouveau les délivre,
Édifiant ad vitam l’infécond mémorial ?

Égrener le passé, un incendie attise
Et comment être égaux, à coup de mémento ?

Le règne des victimes © Mapomme
d'après Eugène Delacroix, Gaudenzio Ferrari et Jean-Léon Gérôme

vendredi 12 avril 2024

Sonnets sertis. Le déshonneur d’un crime

Quel honneur y a-t-il à tuer un humain ?
Il n’est pas d’écrit saint qui justifie un crime.

Quelle folie conduit à un excès sanglant
Ou à défigurer une épouse "rebelle" ?
Ne lorgnons même pas un lointain aveuglant :
On tue la compagne qui se fera la belle.

Là où servaient les poings aux furieux insolents,
On sort un long couteau à la lame mortelle ;
Progresse grandement, à un rythme affolant,
La violence ordinaire et les morts à la pelle.

Deux mondes s’affrontent : le passé, le présent,
Qu’une faille disjoint, spatio-culturelle,
Dont l’impact est brutal et l’effet déplaisant.

Triste il est de périr pour de vaines querelles,
Pour de caducs motifs, stériles et pesants,
D’infliger aux femmes des lésions corporelles.

Chaque goutte versée de sang salit les mains
Du fautif qui se rend abominable en prime.

Le déshonneur d'un crime © Mapomme
d'après des photos hélas réelles

J'ai été effaré qu'on ressorte, d'une vieille malle poussiéreuse, l'appellation vieillotte et sans signification de "crime d'honneur", comme si un meurtre pouvait revêtir l'assassin d'un habit noble atténuant la faute majeure qu'il avait commise !

Sonnets sertis. Effacer le passé

Les vainqueurs ont toujours refaçonné l’histoire,
En ajoutant par-ci et en gommant par-là.

« On a conquis l’Ouest », ont raconté les livres,
« Le libérant du joug du tyran mexicain ! ».
Si ce noble récit plaît et les cœurs enivre,
La vérité, hélas, n’est pas dans ces bouquins.

Depuis plusieurs siècles s’étaient plus à y vivre
Des cathos basanés, d’anciens Américains ;
Il fallait aux colons des terres qu’on délivre
Pour d’infâmes raisons, des intérêts mesquins.

La terre libérée rétablit l’esclavage,
Qui, entre Sud et Nord, ferait naître un conflit,
Dont le mal persistant fait toujours des ravages.

Jetant la Vérité au fond d’un puits d’oubli,
On bâtit pour les Wasp un mythique Ouest sauvage,
Qui alors auraient vu un miracle accompli.

Un peuple basané, en dindon de la foire,
Est de trop sur les lieux qu’ainsi on lui vola.

Progrès artificiel © Mapomme

Note : WASP est l'acronyme de White Anglo-Saxons Protestants.

lundi 8 avril 2024

Sonnets sertis. Progrès artificiel

Les progrès tant vantés seront ce qu’on en fait,
Supprimant la fatigue et créant du chômage.

Il y a soixante ans, le monde émerveillé
Croyait innocemment que l’homme allait connaître
Un futur de loisirs, de se ses efforts payé,
La pénibilité venant à disparaître.

C’est bien ce qu’il advint, sans jours ensoleillés :
Le chômage frappa, au profit des seuls maîtres,
Les ouvriers de trop, comprenant effrayés,
Qu’un robot survenait pour les voir disparaître.

Or, aujourd’hui l’I.A. serait notre avenir,
Débarrassant l’humain des tâches fastidieuses ;
Est-ce le seul rôle qu’elle voudra tenir ?

C’est la langue d’Ésope, aux attaques odieuses,
Multipliant la haine afin de désunir,
Et attaquant nos vies, loin des aubes radieuses.

Tout instrument n’est rien, car ses puissants effets
Naîtront d’un choix humain, entre grâce et carnage.

Progrès artificiel © Mapomme

dimanche 7 avril 2024

Sonnets sertis. Fabriques d’assassins

La religion n’est pas l’indéniable danger,
Car la foi modérée peut éclairer une âme.

Le goût du sang est-il dans quelque livre saint
Ou bien les boniments nés d’une propagande ?
Si un clan répandait de tortueux desseins,
Par de haineux discours qui l’autre vilipendent,

Qu’il inspire et fabrique un groupe d’assassins,
Pour raison politique et non point pratiquantes,
Il ferait des guerriers de croyants spadassins,
Aveugles qui croiraient aux prêches convaincantes.

Ils iraient l’âme pure, au nom de Dieu tuant ;
Voilà bien deux mille ans qu’on juge des impies,
Pour les exécuter, sans motifs concluants,

Mais, autre est la raison, en notre cœur tapie.
Si juste est cette action, pourquoi ce sang puant,
Sur nos mains, n’est lavé et que, l’âme assoupie,

Chaque nuit des spectres viennent nous déranger,
Et ces défunts païens sans cesse nous condamnent ?

Fabriques d'assassins © Mapomme
d'après Jean-Léon Gérôme

Sonnets sertis. Advienne que pourra !

L’aveugle avec le fou dansent au bord du gouffre,
Sans flairer le péril qui les guette tous deux.

L’enivrante musique amène près du vide
Les guincheurs absorbés qui oublient le danger ;
À tout pas le frôlant, ces fêlés impavides
Au bord de l’abîme rient, sans rien vouloir changer.

Ils se défient l’un l’autre et au risque s’invitent,
À la frayeur innée demeurant étrangers ;
Pourtant, le gouffre est là, que sans cesse ils évitent,
Quand un faux pas suffit pour venir y plonger.

Nous, pauvres spectateurs, saisis par l’épouvante,
Éprouvions le frisson qu’ignoraient les danseurs :
Chaque seconde était, pour nos cœurs, éprouvante.

Nous tremblons en prenant quelque vieil ascenseur,
Quand eux semblaient trouver la crainte captivante ;
« L’audacieux est prudent ! », a dit un grand penseur.

L’amour de l’imprudence a une odeur de soufre
Qui rendra ce conseil de sagesse douteux.

Advienne que pourra ! © Mapomme
d'après Auguste Renoir, Gustave Courbet et John Constable


Note : "Pour moi, le vrai courage c’est la prudence !"
(Euripide, Les suppliantes)

samedi 6 avril 2024

Sonnets sertis. Printemps désenchanté

Rien n’est éternel, ni l’espoir, ni l’ennui,
Ni la peine ou la joie, ni la paix ou la guerre.

En nos jeunes années, saisi d’un amour fou
Et de tourments constants, quasi intolérables,
On croit subir un sort qui nous met à genoux,
Tant l’obsession nous tient, vive et indésirable.

Ce maladroit d’Éros a dû manquer son coup :
Un de ses maudits traits fut envoyé au diable !
Quelque chose se brise ou se déchire en nous,
Tel un tranchant d’épée qu’on croit irrémédiable.

Puis on erre sans but, par les alcools grisé,
Mais résiste à l’oubli, presque avec insolence,
Cette plaie qu’on ne peut jamais cautériser.

Quand elle guérira, ce sera sans violence,
Tel l’os se ressoudant, après qu’il fût brisé :
Tout se fait peu à peu, dans le plus grand silence.

On retrouve le jour, après une ample nuit
Et la passion renaît sans l’excès de naguère.

Printemps désenchanté © Mapomme
d'après Anne-Louis Girodet

vendredi 5 avril 2024

Sonnets sertis. Nectar du fût percé

Tout cœur s’étonnera de ce qu’à peine libre
Un peuple veut qu'un flot de sang se voit versé.

Au lieu de se forger un futur équitable,
Il fait souffler un vent de terrible rancœur ;
C’est un fleuve furieux qui renverse la table,
La rage emportant tout, vaincus comme vainqueurs.

Les anciens opprimés, pauvres et misérables,
Montrent leur face sombre et l’aveugle vigueur
D’iniques tribunaux à la haine incurable,
Aux arrêts submergés de sanglante rigueur.

Où est l’éclat divin née des aubes radieuses ?
Où sont les lendemains d’éternel âge d’or ?
Le rêve est emporté par la vengeance odieuse,

Quand l’Idéal se perd, sans qu’on fasse un effort ;
Le peuple s’égare sur la voie insidieuse,
Et l’intérêt commun, dès lors, se verra mort.

Le sang des rébellions, pour lequel des cœurs vibrent,
Ne pourra se laver si le vase est percé.

Nectar du fût percé © Mapomme

jeudi 4 avril 2024

Sonnets sertis. Lumières et ténèbres

Comment peut-on passer, en aussi peu de temps,
Des vives lumières aux profondes ténèbres ?

Au sortir de la nuit, de sublimes flambeaux
Guident les miséreux vers des aubes nouvelles ;
L’horizon promettant des lendemains plus beaux,
Tout un peuple effacé attend qu’ils se révèlent.

C’est alors qu’un démon viendra mettre en lambeaux
Cet Éden ranimé, car la Nuit se rebelle
Et vient mettre l’Espoir pour un siècle au tombeau,
Éteignant cet éclat qui servait de modèle.

Mais plus féroce on voit, vêtue des vibrants feux,
Surgir à pas comptés la nuit la plus terrible
Qui, travestie de jour, rognera tous nos vœux.

Étouffant un à un tous les droits intangibles,
On découvre, cruel, le mufle encor baveux,
Un démon aux desseins s’avérant infrangibles.

Lucifer n’était-il l’ange qu’on aimait tant,
Le porteur de lumière, affreusement célèbre ?

L'éternelle jeunesse © Mapomme
d'après Jacob Jordaens et Shohei Imamura

mercredi 3 avril 2024

Sonnets sertis. Récits d’un conteur fou

Le peuple avalera la folie d’une fable
L’enivrant mot à mot, imprégnée de grandeur.

Se voulant conquérant, on raconte une histoire
Qui paraîtra si vraie que s’y fie la nation ;
L’ayant tant ressassée, le peuple veut la croire,
Et améliore encor cette affabulation.

C’est l’eau miraculeuse à laquelle on vient boire,
Quitte à en oublier toute modération ;
Le récitant bâtit de nouvelles mémoires
Tandis qu’on prend pour vraie sa folle narration ;

Ce rêve d’empire mène le monde au pire,
Quand on bat le tambour et qu’on loue le combat ;
Puis, sur les temps de paix tant de veuves soupirent.

Trêve qu’un conteur fou autrefois mit à bas,
Dans les égouts du temps, avec ce vain empire,
Balaie tous ces récits que jadis on goba.

Dans les pas de l’orgueil, des horreurs ineffables
Fleuriront le récit de sanglantes splendeurs.
L'éternelle jeunesse © Mapomme
d'après Carl Bloch

mardi 2 avril 2024

Sonnets sertis. Monde entre haine et peurs

Jadis, nous n’avions pas l’âme entre haine et peurs,
Le futur augurant de grandioses promesses.

Tant d’avenirs s’ouvraient aux espoirs des gamins,
Où l’étendard de paix, planté sur la planète,
Aux rêves offrirait de radieux lendemains,
Les marchands de canons n’étant plus aux manettes.

Les tambours ressortant sur l’annuel chemin
Des parades d’antan, quelque peu désuètes,
Célèbrent les conflits du grand récit commun,
Depuis que les armes sont devenues muettes.

Bel An 2000 échu, ce rêve évanoui
Ne tient pas ses serments, dormant aux oubliettes,
Et l’actuel futur nullement n’éblouit.

L’avenir déclinant nous laisse l’âme inquiète,  
Car le cœur peu serein, loin d’être épanoui,
Se trouve empli de rage et l’espoir est en miettes.

L’angoisse et la haine ont quitté la torpeur
Où l’espoir les tenait, durant notre jeunesse.

Monde entre haine et peurs © Mapomme

lundi 1 avril 2024

Sonnets sertis. Le portrait du paraître

Félon est le reflet, vierge de tout défaut,
Car cet inverse nous, chaque jour, se déprave.

Qui s’en vint dérober cet idéal portrait
D’un jeune être éternel en ses primes années ?
Pressentant du futur, où cet ado entrait,
Une sublime vie, belle fleur, s’est fanée.

Tous les jeunes espoirs sont hélas peu concrets,
Mais l’illusion d’avril est l’utopie innée
Que forge une âme pure, en un recoin secret ;
Peu à peu, l’utopie en nous s’est débinée.

Avant que l’amertume ait sculpté sur nos fronts
Les sillons des regrets, un excellent artiste
Figera les espoirs dont nous nous enivrons.

Avant que nous soyons d’affreux matérialistes,
Qui, au démon de l’or, leur âme livrerons,
Gardons ce portrait pur d’un fier idéaliste !

Que ce portrait prouve qu’en nous tout sonne faux,
Quand vierges nous irions, sans un seul péché grave.
L'éternelle jeunesse © Mapomme
d'après Le portrait de Dorian Gray (film de 1945)

samedi 30 mars 2024

Sonnets sertis. Hédoniste jeunesse

Hédoniste jeunesse, aux loisirs asservie,
Tu restes l’esclave d’une illusoire paix !

Le grondement lointain d’un menaçant orage
Signifie le danger qui approche à grand pas ;
Tu veux un drapeau blanc, qui seul ferait barrage
Au tyran qui promet destruction et trépas.

Que peut ce chiffon blanc quand règnent les outrages
Si résonnent les cieux d’un éclatant fracas ?
Le vaisseau de la paix s’en va droit au naufrage,
S’il croit, par la raison, pouvoir plaider son cas.

Funeste est le moment, qui soudain dépossède
L’heureuse jeunesse d’un monde de loisirs
Sans qu’on puisse trouver un souverain remède.

Quand, dans la guerre, un fou trouve quelque plaisir,
Un bout de tissu blanc n’apportera nulle aide :
Il y verra la peur accroissant ses désirs.

Hédoniste monde, si heureuse est ta vie,
Sache que de tes pleurs, ce monstre se repaît !

Hédoniste jeunesse © Mapomme

vendredi 29 mars 2024

Sonnets sertis. Retour au Moyen-Âge

Dans les ténèbres va un monde rétrograde,
Qui, pour de faux aveux, torture des humains.

Tel un lapin figé, aveuglé par les phares,
S’étonnant des tourments que son corps a subi,
Devant tant de haine, la victime s’effare :
Il souffre dans sa chair et demeure ébaubi.

Comment peut-on agir de façon si barbare,
Assénant violemment des volées sans répit ;
En aucun cas les mots sur les bourreaux n’ont barre,
Car les dénégations provoquent leur dépit.

Sanglante et tuméfiée, suppliera la victime,
En vain : le tortionnaire inflige des douleurs
Sans le moindre respect des formes légitimes.

Il est indifférent au manque de valeur
De ces aveux soustraits par des moyens ultimes ;
Qu’a fait cet innocent pour subir ces malheurs ?

Parodie de justice, offre ta mascarade
D'un homme au pal livré sans un juste examen !

Retour au Moyen-Âge © Mapomme

lundi 25 mars 2024

Sonnets sertis. Incendie du Reichstag

C’est toujours le même modus operandi
Que reprend un tyran, quand fonctionne le crime.

Le génie du despote est de tirer profit
Des actes criminels d’un groupe réfractaire,
Pour choisir un fautif qui l’a mis au défi,
Pour tout éradiquer et régner sur sa terre.

Le peuple le suivra, qu’il soit ou non ravi,
Car le contraint la peur, qui toujours le fait taire ;
Si le délire est grand, mensonger à l’envi,
On cède à la fureur par un savant mystère.

La paix éternelle reste un mythe tragique
Qui aide les tyrans à venir récolter
Les fruits à leur portée, sans prétextes logiques.

Les esprits éclairés voudraient se révolter,
Mais peut-on réagir, si cette paix magique
Atténue le courroux qui doit en résulter ?

Le Reichstag a brûlé, au cours d’un soir maudit,
Et le tyran arma son meurtrier régime.

Incendie du Reichstag © Mapomme

dimanche 24 mars 2024

Sonnets sertis. La Muse et le poète

Un poète œuvre seul, même parmi la foule,
Aidé par sa Muse que nul autre ne voit.

Sur la Chimère ailée, il survole l’abîme,
Où il entend gémir un vaste amas bruissant,
Dont lui parvient l’écho des licences intimes,
Malgré des prières sur un ton frémissant.

Aède, vois trembler, dans ce combat ultime,
Ce peuple des tréfonds, dans l’ombre nourrissant
Des craintes infinies, qui ne voit pas ses crimes,
Et dont l’âme se tord, vil fruit se flétrissant.

Le poète, abattu par l’ampleur du désastre,
Fait halte sur un roc et scrute le ravin,
Où se débat ce peuple abhorré par les astres.

« Ô Muse, inspire-moi vite des vers divins,
Tant le tourment saisit tripes et épigastre,
Quand, face à la sombreur, mes sonnets semblent vains ! »

« Allons, mon doux rimeur, tous ces démons et goules
Ne doivent étouffer, en aucun cas, ta voix ! »

La Muse et le poète © Mapomme
d'après Gustave Moreau

vendredi 22 mars 2024

Sonnets sertis. Le poète persan

Poète, prends ta lyre et chante le désert,
Ce désert éternel que le simoun modèle !

Sur l’infini de sable et sous celui des cieux,
Perçois l’immensité, qu’elle imprègne tes rimes,
Que ressent le marin qui l’affronte, audacieux :
Restitue sa magie qui sur l’ivresse prime !

Ici, l’humain n’est rien, face au calme précieux,
Car briser le silence est quasiment un crime ;
S’agitent des pensées, des rêves délicieux :
Renonce à l’apathie dont ton esprit se grime ;

Entends donc ta Muse éveillant ta vision,
Que dans le bruit furieux des cités si grouillantes
Tu n’aurais pas perçue ou prise en dérision.

La rumeur couvre ainsi ta pensée bredouillante,
Présentant la beauté ainsi qu’une illusion :
La vastitude inspire des rimes sémillantes.

Fais une pause, ici, car le silence sert
À donner du désert une image fidèle.

Le poète persan © Mapomme
d'après Gustave Moreau

mercredi 20 mars 2024

Sonnets sertis. Un amour immortel

Lorsqu’on franchit un seuil et que l’on en revient,
On n’est plus tel qu’avant ; mais alors, on l’ignore.

Qui franchit l’Achéron pour la rare faveur
De fouler les enfers et d’en sortir en vie,
Ramenant Eurydice, en merveilleux sauveur,
Qui se verrait ainsi à son antre ravie,

Perd une part de lui, dans l’ombre et les vapeurs.
S’étant tourné pour voir, sur la pente gravie,
Dans un réflexe idiot, commandé par la peur,
Son épouse il perdit, pour cette folle envie.

Retrouvant le soleil et l’azur lumineux,
Il n’était plus qu’une ombre en ce monde exilée ;
Tout jour qui se levait lui semblait chagrineux.

Quand la mort atroce s’est enfin profilée,
L’enfer le libérant de son sort épineux,
Il revint pour la seconde fois d’affilée.

Avec son Eurydice il renoua le lien
Et cet antre obscur de l’amour se colore.

Un amour immortel © Mapomme d'après Anselm Feuerbach