dimanche 30 juin 2024

Élégies. La ronde de la vie

Nous avons très souvent, le sentiment troublant
De grimper, de grimper, et tout en haut des marches
D’arriver tout en bas, sous le joug accablant
Du monde irrationnel d’un dément patriarche.

Ô dieux, qu’avons-nous fait, pour être ainsi punis,
Modernes Sisyphes, sans un rocher mythique ?
Face à ce châtiment, en humains démunis,
Nous subissons sans fin l’enfer mathématique.

Qu’on monte ou qu’on descende, on en revient au point
Qui vit notre départ : qu’on descende ou qu’on monte !
Sur l’inverse chemin, qu’on prendra avec soin,
On revient au début, qu’on trouve en fin de compte.

C’est un vrai cauchemar, revécu tous les jours :
Prendre le même bus, puis traverser la rue,
Et l’ascenseur bondé, le chef qui fait son tour,
Peiner sur les dossiers des charges apparues.

Le chef repassant, montrant qu’on est trop lent,
Aux pragmatiques choix, notre âme est asservie ;
Demain sera pareil, et c’est très affolant
Car l’escalier conduit toujours à cette vie.

La ronde de la vie © Maurits Cornelis Escher

samedi 29 juin 2024

Élégies. De sales habitudes

On prend, avec le temps, de sales habitudes
Que les jours, les années ont marqué sur la peau ;
Sculptant sur nos gueules, l’envie, les certitudes,
Et les constants travers nous hantant sans repos.

De notre bel amour ne restent que des ruines,
Le bazar d’un grenier à demi-délabré ;
Les toiles d’araignée, dans leurs dentelles fines,
Saisissent les défauts dont on s’est encombré.

C’est la cité romaine, aujourd’hui tas de briques,
Et le temple égyptien sous le sable dormant :
Voilà ce qu’on devient, de séniles bourriques
Délaissant en chemin les rêves et serments.

T’en souviens-tu, ma mie, de cette tendre époque
Où, sans nul égoïsme, on rêvait d’avenir ?
Désormais, il effraie et nos espoirs en loques,
Ne servent plus à rien, si ce n’est nous punir !

Vois-nous dans le miroir, pauvres caricatures
Aux atones regards, pensant à leurs repas,
À leur dos, leurs genoux, que les saisons torturent ;
Nous sommes ces débris, privés de leurs appas !

De sales habitudes © Mapomme
d'après Jan Gossaert

Élégies. Rumeurs de la tempête

On croit innocemment que progresse le monde
Et que les peuples tirent de grands enseignements
Des erreurs du passé qui logiquement fondent
Leurs choix, s’ils possèdent quelque discernement.

« Plus jamais ça ! », crient-ils, après la flétrissure
Qui ce siècle a marqué d’une abomination ;
Au plus proche d’elle, la chose paraît sure,
Puis, avec les années, s’égarent les nations.

La tempête renaît pour les mêmes absences,
Les mêmes exclusions des boniments chauvins ;
Si sombres sont les nues des rêves de puissance,
Car tous les charlatans n’offrent que philtres vains.

Les cernes sous mes yeux et à mon front les rides
Témoignent des années où tant de camelots,
Qu’aucune retenue, dans leurs discours, ne bride,
Les folles diatribes de colossaux complots.

Les peuples insoucieux adhérent aux miracles
Des potions magiques qui parent aux dangers ;
Après le triomphe, surviendra la débâcle,
Et à tous les malheurs, ils se croient étrangers.

Rumeurs de la tempête © Mapomme

vendredi 28 juin 2024

Élégies. Chanter joie et chagrin

Dans la grotte marine, à l’abri des regards,
Je goûtais un repos en jouant de la lyre ;
Chaque air improvisé me paraissait ringard,
Ma versatile humeur menant presque au délire.

Plus je voulais vanter la joie dans mes quatrains,
Plus j’avais de raisons de n’en faire réclame ;
Je trouvais tant de mots éveillant le chagrin,
Tandis que des gaietés s’affaiblissait la flamme.

Seul un jeune lapin, étonné et curieux,
S’approcha quand les autres fuirent saisis de crainte ;
C’est alors que j’ouïs deux accents mystérieux,
À vrai dire opposés, l’un gai, l’autre une plainte.

Deux sirènes chantaient, mi-femme mi-oiseau,
L’une au plumage blanc, l’autre au sombre pennage ;
La claire avec brio, à l’enjoué scherzo,
Paraissait inviter aux doux libertinage.

L'autre en son requiem, montrait avec talent,
Que les plus tristes font les plus belles musiques ;
Or, ces deux sirènes, aux chants ambivalents,
Naissaient du cœur d’Orphée, bien trop paroxystique.

Chanter joie et chagrin © Mapomme
d'après George de Forest Bush et Viktor Vasnetsov

jeudi 27 juin 2024

Élégies. Le torrent de la rue

Le torrent de la rue peut-il stopper l’orage
Qui verse une pluie drue sur les monts embrumés ?
Quand en tout naît l’excès, rien ne fera barrage
À ce flot imprévu et inaccoutumé.

On pourrait ralentir la fangeuse menace :
Pourtant on vocifère au lieu de réagir ;
Le péril, peu à peu, nous prendra dans sa nasse,
Puisque, tels des idiots, nous préférons vagir.

Comme des nouveau-nés sans interruption braillent,
On pointe le danger d’un doigt accusateur ;
De termes insultants la foule le mitraille,
Poussant des cris d’orfraie fortement négateurs.

L’immonde crue progresse, alors que l’on discute,
Les sacs de sable étant toujours sur les camions ;
Les maisons se verront, tandis qu’on se dispute,
Inondées bêtement durant la désunion.

Est-il un général, au sein de ces colonnes,
Qui puisse réunir tous ces groupes épars ?
Il faut qu’on exécute et aussi qu’on ordonne,
Sans palabre et lutter, chacun prenant sa part !

Le torrent de la rue © Mapomme
d'après une photo de 1934

Élégies. Tout ce qui nous fait mal

Pourquoi donc aime-t-on tout ce qui nous fait mal ?
On s’abreuve d’alcools, dans lesquels on se noie,
Et on fume sans fin sur un rythme anormal,
Car un amour meurtrit notre cœur et le broie.

Fume-t-on et boit-on sans funeste passion,
Qui n’étant partagée, peu à peu nous dévaste ?
Que de cendriers pleins et que de libations,
Que d’errances de nuit pour la santé néfastes !

On n’en voit plus la fin, sans un fil nous guidant
Dans le dédale obscur de ces itinérances ;
Nulle aimante Ariane, pour nous, illuminant
Le chemin conduisant droit vers la tempérance.

Qu’y a-t-il tout au bout d’une si longue nuit,
Qui dure des années semblant des millénaires ?
Simplement le voyage au terme de l’ennui,
D’un rafiot dérivant : rien d’extraordinaire.

Un aimant nous conduit, dans l’espace infini,
Sans potentielle erreur, vers notre astre funeste ;
Du choix naît le tourment, et puis vient le déni :
Son pareil on choisit dans l’abîme céleste.

Tout ce qui nous fait mal © Mapomme
d'après Edward Hopper

mardi 25 juin 2024

Élégies. Nos espoirs vers les cieux

Les lanternes, ce soir, s’envolent vers les cieux,
Toutes chargées d’espoirs et de merveilleux rêves ;
Le vide sidéral, à nos yeux si précieux,
Est-il vraiment sensible à ces feux qui s’élèvent ?

Ceux-ci sont bien légers dans un contexte lourd,
Quand tout est inversé, dans les airs et sur Terre ;
La nuit est sur le globe, en l’absence d’amour,
Et les cieux ténébreux sont noyés de lumières.

Ils ignorent pourtant nos messages ardents
Qui font leur ascension vers l’espace sublime,
Quelque invisible fée, leur envol retardant,
Vers les feux scintillants du ténébreux abîme.

Est-il dans ce lointain un Olympe habité,
Par d’autres entités possiblement divines ?
Sur les milliards d’astres que l’on voit palpiter,
Vers l’espace envoie-t-on des lampions qui fascinent ?

Ce serait merveilleux qu’ils soient porteurs d’espoir
Vers l’obscur infini, en un très clair langage ;
Aux siens, chacun croit bien, qu’ils portent certains soirs,
Vers ses chers disparus, un ultime message.

Nos espoirs vers les cieux © Mapomme

lundi 24 juin 2024

Élégies. Tourments des vents mauvais

De par les campagnes soufflent des vents mauvais,
Déchirant leurs ailes sur les branches tordues ;
Sous un ciel sans espoir, je ne sais où je vais,
- Mais qui le sait vraiment ? -, ayant l’âme éperdue.

À moitié enivré, j’avance face au vent,
Tant son souffle strident, sans fin me déboussole ;
Hier, comme ce jour, le monde est décevant
Et le futur, hélas, encor moins me console.

Que de nues, dans les cieux, ont la couleur du plomb,
Et le poids de l’ennui qui étouffent nos vies !
L’automne permanent, dont les mois sont si longs,
Décourage l’âme qui demeure asservie.

Le ciel se colore d’un ton jaune soufreux,
Exhalé par l’usine, où un fol alchimiste
Fabrique on ne sait quoi, dont les relents affreux
Augurent un futur rendant peu optimiste.

Cette couleur d’enfer que prend ce bas plafond,
Me paraît irréel et surtout délétère ;
On croirait regarder vers l’Abîme profond,
Ou bien qu’alors Pluton règne à jamais sur Terre.

Tourments des vents mauvais © Mapomme
d'après John William Waterhouse et Camille Corot

Élégies. Pourquoi ce vide, alors ?

On n’est plus ce qu’on fut, ni ce qu’on désirait,
Sans avoir de vision pour les années futures ;
Alors on boit souvent, le soir au cabaret,
Détruisant ce qu’on est dans de folles bitures.

Dans la glace, à qui est ce visage, inconnu
De toi-même et aussi de ceux qui te côtoient ?
Où est passé l’ado au regard ingénu ?
Le temps, la vie, nos choix, sournoisement le broie.

Parfois, quelques passions, des sujets sociétaux
Réveillent l’endormi, le révélant au monde ;
Hélas, ce feu ardent s’éteindra aussitôt,
Car aujourd’hui le cœur sur le réel se fonde.

Ava, tu le sais bien, de nos rêves anciens
On doit faire le deuil, étant pétris de glaise ;
Qui es-tu, vil reflet, étranger même aux siens,
Toi qui, sur les photos, semble être si à l’aise ?

Tu fus la beauté même, au cœur d’un désarroi,
Qui regrettait le temps sans dieux et sans déesses,
Sans ces temples obscurs aux trop riches parois
Où tes adorateurs si fervemment se pressent.

Pour ce vide, alors, pourquoi ce deuil profond
D’un mort qui vit encor dans sa tombe charnelle ?
Ainsi, ce monde enviable, où les destins se font,
N’est qu’un leurre abyssal, une chute éternelle.

Pourquoi ce vide, alors ? © Mapomme
d'après La comtesse aux pieds nus 

dimanche 23 juin 2024

Élégies. Le syndrome d’Icare

Tout près des cumulus, loin des fragiles nues
Que déchirent les vents, dans un vol audacieux,
Vers de froides hauteurs à l’extase inconnue.

Je rêve de l’ivresse, mais je crains le danger,
La furia des hauts vents, la foudre et les orages ;
En voyant un oiseau, je voudrais bien changer,
Mais au vide songeant, je manque de courage.

Si j’étais soudain ivre, dans l’azur infini,
M’élevant sans arrêt, près de la stratosphère,
Ne verrais-je, en ce cas, mon fol orgueil puni,
Pour l’insensé pouvoir qu’on ne peut satisfaire ?

Même si mes ailes supportaient la chaleur,
Dans cet envol dément vers les ardeurs célestes,
Tel un nouvel Icare, je ferais mon malheur,
Pour vouloir tutoyer un apogée funeste.

De plus, depuis toujours, victime de terreur,
Tout en haut d’une échelle, je suis pris de vertige :
Alors, m’imaginer sans ce mal dévoreur,
M’ôtera sur-le-champ tout désir de voltige !

Le syndrome d'Icare © Mapomme
en partie inspiré de Herbert Draper 

samedi 22 juin 2024

Élégies. Remonter à la source

Mon bâton de sourcier entre mes mains tremblantes,
Étrange fontaine, je t’ai cherchée partout ;
Ma quête reste vaine, à ce titre accablante,
Car, les années passant, je n’en puis voir le bout.

Allant, pour ainsi dire, en tous les points du monde,
Sur des îles perdues, sur tous les continents,
Depuis la Tanzanie aux îles de la Sonde,
Je n’ai rien pu trouver que des lieux fascinants.

En bois de noisetier, j’avais fait ma baguette,
Qui m’indiqua une eau, inapte à mon dessein ;
Plus s’écoulent les ans, plus l’insuccès me guette,
Les points d’eau découverts n’étant pas assez sains.

J’ai couru en Floride et en Amazonie,
Cherchant l’arbre scindant le bien d’avec le mal,
Vers ce jardin où naît cette source bénie ;
Cette eau a un pouvoir qui est plus que thermal.

Se mérite-t-elle, pour rester si secrète ?
Me voici accablé, éreinté sous les ans,
Vainement dépensés et que, las, je regrette,
Car pour l’éternité, j’ai flambé le présent !

Remonter à la source © Mapomme

vendredi 21 juin 2024

Élégies. Négation du présent

On juge durement l’art des orientalistes,
Sans songer un instant que ces peuples lointains
D’un monde exotique montrent qu’ailleurs existe
Le calme regretté qu’un temps moderne éteint.

Des femmes alanguies, nues aux plaisirs offertes,
Quand l’épouse guindée refroidit les passions,
Dans ses habits de deuil, en l’amour peu experte,
Vierge et mère pourtant, au nom de la nation.

Les trains brisent la paix, en ville et en campagne,
Accélérant le temps qui n’a plus rien d’humain ;
Le progrès mène-t-il au pays de cocagne ?
Et quel est l’avenir qu’on promet pour demain ?

Rois et nobles chassés, la suite fut sanglante,
Et fragile est la paix en ces temps si troublés ;
Ailleurs rappelle hier, mais ses couleurs troublantes
Ont un parfum d’Éden sans un rythme endiablé.

L’humain est soudain pris d'une ample nostalgie,
Regrettant, tout de go, ce qu’il n’a pas connu ;
Il voudrait voir sa vie par la douceur régie,
Et sans honte marcher son corps à moitié nu.

Négation du présent © Mapomme
d'après Eugène Delacroix

Élégies. Tant de choses se perdent

On perd un vieux jouet, une lettre, un ami,
Son travail, son chemin, un père ou une mère,
Un mot, un souvenir, un beau péché commis,
Un cadeau laid reçu dont la perte est amère.

Est-ce l’âge trop mûr, qui rend le fruit gâté ?
Les espoirs ont filé avec de nobles causes,
On égare sa foi, un à-propos raté,
Un grand amour, - qui sait ? -, et tant et tant de choses.

Je cherche tout cela, caché dans les buissons,
Épineux que le Temps sur nos chemins fait croître ;
Quête sans résultat, toujours nous pâtissons
Du fléau des oublis pénible et opiniâtre.

Le maquis a poussé, rendant tout étranger,
D’épines hérissé dont les pointes nous blessent ;
Le chemin est tortu et tout a bien changé,
Car nos muscles n’ont plus leur antique souplesse.

Délestés de nos rêves, après des coups tordus,
Aux pragmatiques choix, notre âme est asservie ;
Le primordial étant à tout jamais perdu,
Pour finir, que nous chaut de perdre aussi la vie ?

Tant de choses se perdent © Mapomme

jeudi 20 juin 2024

Élégies. Quand la vie est un mal

Tout bien pesé, la vie est une maladie
Dont le seul remède surgit avec la mort ;
Quand l’ardue existence, un jour, nous est ravie,
Nous blâmons le baume passé sans notre accord.

On aime détester cet essentiel cilice
Que les jours font peser sur nos dos courbatus ;
On se plaint sans arrêt d’un infini supplice
Quand l’avenir paraît un chemin sans vertus.

Quelle croix à porter, tout au long des semaines,
Des mois et des années, vers notre Golgotha ;
C’est à ce terme affreux que l’existence mène,
Tant pour les pratiquants que pour les apostats.

Si on tremble, on attend que la mort nous délivre,
Pour diverses raisons, pour un monde meilleur,
Ou que cesse l’enfer qu’on endure de vivre,
Bien qu’au fond éprouvant une grande frayeur.

Aujourd’hui ou demain, elle viendra en douce,
Mais ceux la réclamant à grands cris et à cor,
Quand poindra la Camarde, auront alors la frousse ;
Qu’importent les tourments, ils veulent vivre encor !
Quand la vie est un mal © Mapomme
avec l'aide de Alexander Litovchenko et Isodoro Grünhut

lundi 17 juin 2024

Vers en Technicolor. Que deviennent les joies ?

Les lieux qui ont connu tous nos anciens bonheurs
Longtemps les gardent-ils en leur ample mémoire ?
Presto passent les ans, sans qu’un esprit glaneur
Les mette en sa besace ou sur quelque grimoire.

Tout devient imprécis, comme au loin l’horizon,
Le cerveau estompant et les joies et les peines ;
Ce sont de faux tableaux qu’aujourd’hui nous prisons
Et dont notre cave se trouve à jamais pleine.

Si le tracé des monts se révèle précis,
Les arbres, les buissons tiennent de la chimère ;
Ainsi on magnifie, dans un nouveau récit,
Nos souvenirs spoliés des périodes amères.

Tout passé est fiction, à l’instar d’un rayon
Qu’un prisme vient scinder en couleurs éclatantes ;
Lorsqu’on décrit un soir d’un même réveillon,
Chacun conte une fête amère ou épatante.

Murs et objets muets, gardez-vous des repas
Une pensée précise, départie de mensonges ?
De nos vies serez-vous, après notre trépas,
Les témoins de ces jours qui semblèrent un songe ?

Eternal sunshine of the spotless mind © Mapomme
d'après Michel Gondry

dimanche 16 juin 2024

Vers en Technicolor. La funeste ambition

En tout cœur, un démon insuffle le venin
De la folle ambition et du désir sans borne
D’un immense pouvoir à portée de la main
Qui viendrait délivrer d’une existence morne.

Que brille un tant soit peu un minerai banal
Et voilà qu’un désir de notre esprit s’empare,
Murmurant à l’oreille un dessein infernal,
Pour que, par tous moyens, il faut qu’on l’accapare.

Il nous faut détourner, ce quel qu’en soit le prix,
Un bien dont dispose qui a bonne fortune ;
Peu importe comment cela lui sera pris,
Il nous faudra l’avoir, bien qu’on manque de thunes.

Nul Méphistophélès, ou quelque autre démon,
Pour venir inspirer un plan machiavélique ;
L’avidité suffit et vain est tout sermon
Comme les mots issus d’un livre évangélique.

Ce démon murmurant des desseins insidieux,
Réside en notre esprit, étant sa part obscure ;
On fuit chaque miroir où un mortel odieux
Porte tous ses défauts qui sculptent sa figure.

Lord of the Rings © Mapomme
d'après Peter Jackson

samedi 15 juin 2024

Élégies. À nos rêves défunts

Peu à peu, on se fait aux décès des siens
Et aux amours blessées, chutant l’aile brisée ;
On se fait à la vie, en esprit cartésien,
Sans qu’un seul jour la plaie ne soit cautérisée.

Des spectres, à foison, habitent notre esprit,
Et retentit le bruit métallique des chaînes,
De tous les destins morts que les ans nous ont pris,
Dont le poids attristant sur les dalles se traînent.

De nos déconvenues et des heureux moments,
Dissipés aujourd’hui, changeons les fleurs flétries,
Sur le marbre glacé des sombres monuments,
Avec les doigts noués et la gaieté meurtrie.

Charretier de la Mort, bien des espoirs déçus
Dans ta vieille carriole ont par malheur pris place !
Tu viens dans le brouillard les prendre à notre insu,
Et tu repars, tes roues faisant craquer la glace.

Je me souviens des noms de tous nos chers défunts,
Mais qui saura celui de chacun des ancêtres ?
La charrette demeure et marque ainsi la fin
D’un être humain que nul n’a vraiment pu connaître.

A nos rêves défunts © Mapomme

Petit clin d'œil au film de Julien Duvivier (1939) et à la nouvelle de Selma Lagerlöf (1912) que j'avais lu en 1972, publié chez Marabout fantastique. 

jeudi 13 juin 2024

Élégies. Le candidat Colgate

Voici bien des années, parut un candidat
Souriant à gogo, aimable en apparence,
Loquace en tout sujet, mais quelque peu fada,
Qui sans honte voulait administrer la France.

Railleur, le Général le nomma aussitôt
Le candidat Colgate affichant ses ratiches ;
Soixante ans ont coulé sous le pont Mirabeau,
Et d’autres, en tous lieux, semblablement s’affichent.

Tout est dans le sourire et non le ciboulot,
Car c’est la foire ouverte à l’absence d’idées !
La jeunesse au pouvoir, les vieux sont ramollos :
Qu’importe si, au bout, les caisses sont vidées.

On sourit dans la foule, en parlant aux enfants,
Aux jeunes et aux vieux, puis on fait des selfies ;
On poste sur TikTok quelques mots triomphants
Contre tous les pouvoirs dont chacun se méfie.

Nul ne tient à savoir d’où sort l’homme nouveau,
Ce qu’il a rédigé dans ses anciens messages,
Et les propos haineux, loin de son air dévot,
Car il est effrayant sous ses dehors bien sages.

Le candidat Colgate © Mapomme

En 1965, il y eut une élection présidentielle où figurait Jean Lecanuet. Il fut devancé par Charles de Gaulle et François Miterrand et ne disputa donc pas le second le second tour. Bien que centriste, il ne se désista pas en faveur de De Gaulle. C'était le premier candidat Colgate.

Nous avons un premier-ministrable en France, à présent, mais plus dangereux, au regard de son passé. Un livre sort qui révèle des messages non effacés, antisémites et homophobes, loin de l'image du candidat TikTok qui fait des tonnes de selfies, en souriant.
Il ne serait pas le gendre idéal.

mercredi 12 juin 2024

Élégies. Adieu, mon âme sœur !

À F. H.

Si loin que je remonte au cœur de ma mémoire,
J’ai toujours ruminé de tristes souvenirs,
Parents, amis défunts, ou des amours qui foirent,
Et d’éternels regrets qui viennent me punir.

Certains naissent ainsi, à la mélancolie
Toujours prédestinés, dévorés par ce mal ;
Ils offrent aux regards la tristesse polie
Dont le regard est pris dans un brouillard hiémal.

Sirène des ondes, ta voix nous ensorcelle
Et répand le poison d’un spleen étourdissant !
Allant sans antidote dans ma pauvre escarcelle,
Ce charme alors lancé s’accrut en grandissant.

Adieu, mon âme sœur, reine des sortilèges,
Que j’ai toujours connue, entourée de secret !
Je me suis retrouvé, dans tes doux florilèges
Astre des nuits brillant d’un éclat si discret.

Dis-moi, à notre fin, cet éternel mal-être
S’apaise-t-il enfin au-delà de la mort ?
Ou recommence-t-il si l’on vient à renaître,
Sans pouvoir étouffer l’implacable Remords ?

Adieu, mon âme soeur ! © Mapomme
d'après une photo des années 60

lundi 10 juin 2024

Élégies. Pour qui sonne le glas ?

Pour qui sonne le glas ? Est-ce pour nos espoirs
Dans la démocratie ou dans la paix civile ?
Nos cieux sont obscurcis par des nuages noirs,
Des charognards d’antan aux intentions si viles.

Les peuples, en tous lieux, voudraient marcher sous l’eau
Sans même être mouillés, agissant par caprices,
S’entichant d’un hochet et d’un joujou nouveau,
Puis le brisant soudain, le traitant de jocrisse.

En ce tragique instant, je revois ce cliché
D’un géant épuisé qui marchait sur la lande
Et qui soignait ses plaies, par le pays lâché,
Près des flots attristés et sous le ciel d’Irlande.

Vieil Homme abandonné par un pays changeant,
Qu’importe le passé et les années glorieuses,
Où tu sauvais l’honneur, en des temps affligeants,
D’une nation vaincue de façon injurieuse !

Je comprends, à présent, ta profonde affliction,
Quand tout un continent marche d’un pas aveugle ;
Il voit dans un fléau une bénédiction,
Se jetant dans le vide, en troupeau fou qui meugle.

Pour qui sonne le glas ? © Mapomme
d'après une photo de 1969

dimanche 9 juin 2024

Vers en Technicolor. Quel enfant n’a rêvé d’une grande aventure ?

J’ai rêvé d’un ailleurs quasi paradisiaque,
Et d’une île lointaine abritant un trésor,
Tandis que je suivais, vers le coucher héliaque,
Un pirate boiteux au manège retors.

Quel enfant n’a rêvé d’une grande aventure
Sur le vaste océan aux abysses profond ?
L’espoir est un trésor, lorsque, sur la mâture,
Toutes voiles gonflées, on scrute l’horizon.

Que de trésors enfouis dans le ventre d’une île,
Au sein d’une forêt, aux arbres tropicaux,
Depuis la canopée, quelques singes agiles
Criant que ces intrus semblent inamicaux !

Doux parfum d’aventure en cette île inconnue,
Du danger, j’ai aimé ressentir le frisson !
On tremble en la forêt, sous les obscures nues,
Lorsque le vent nocturne agite les buissons.

Jim Hawkins, enfant blond, pouvant perdre la vie,
Que fais-tu aussi loin de ta pauvre maison ?
Trembler avec délice, ayant l’âme ravie,
D’un roman n’est-ce pas la première raison ?

L'île au trésor © Mapomme
d'après Victor Fleming (1934)

samedi 8 juin 2024

Vers en Technicolor. Naissance d’une icône

Quand j’allais voir des films dans les salles obscures,
J’aimais les nouveautés et la science-fiction ;
Rêves ou cauchemars, ces odyssées procurent
De fortes émotions fondant la réflexion.

Un vaisseau revenant d’un vol interstellaire
Voyait ses passagers mourir étrangement ;
On comprit que ces morts avaient pour corollaire
Un hôte indésirable en plus du chargement.

Je n’avais pas perçu que, dans cette aventure,
Ce qui était nouveau n’était pas le récit
D’une extraterrestre féroce créature,
Mais l’héroïne ayant terrassé celle-ci.

Son rôle était tenu par un mec, d’ordinaire,
Et voilà qu’une femme la mettait au tapis !
À la sortie, un gars à la pensée binaire
Trouva ça impossible, avec quelque dépit.

On a vu des femmes combattre avec courage,
Parmi les maquisards, dans l’ultime combat :
À l’alien, elle peut faire elle aussi barrage ;
Ceci semblait clore, selon moi, le débat !

Alien © Mapomme
d'après Ridley Scott et James Cameron

Vers en Technicolor. Les vénaux paladins

Où sont ensevelies de nos preux chevaliers
Les nobles devises, qui semblent disparues ?
La veuve et l’orphelin auront-ils un allié
Pour venir les sauver d’attaques dans la rue ?

Les tous nouveaux héros, sans morale et sans-cœur,
Se rient des démunis et de la vie humaine ;
Ils affichent sans cesse un sourire moqueur,
Tuant de plus méchants, dans une quête vaine.

Adieu le justicier, qui défendait la loi
Et qui combattait seul une horde sauvage :
Les modernes champions feront bien quelque exploit,
Pour une mine d’or, pas contre l’esclavage…

Ces vénaux chevaliers, reflets des temps présents,
Repartent triomphants, qu’importe la méthode !
S’ils usent de moyens retors et déplaisants,
S’ils sont riches enfin, chacun s’en accommode.

N’était-ce pas ainsi qu’en des âges lointains
Se déroulaient les faits, dans des luttes barbares,
Où compte plus l’issue, reine de nos destins ?
Même en Technicolor, nos illusions se barrent !

Le bon, la brute et le truand © Mapomme
d'après Sergio Leone

jeudi 6 juin 2024

Vers en Technicolor. Rester neutre à jamais n’est que pure illusion

Un conflit peut sembler quelque peu étranger,
Mais peut-on se tenir hors d’une longue guerre,
Même si son pays ne veut pas déranger
Les profits que ferait le monde des affaires ?

On voudrait qu’un cours d’eau n’emporte en son courant
Le quotidien peinard où baignait notre vie ;
La quiétude engloutie dans le flot du torrent,
Par le fatal destin se trouvera ravie.

Adieu la joie passée, adieu sérénité !
Vous aviez trop duré pour que ça continue,
Car les dieux exècrent la fausse éternité
Des maigres barakas qu’on a longtemps connues.

Retrouver son passé, en ces temps incertains,
Suffit à la raison, source de la quiétude,
Pour être chamboulée, par ce coup du destin,
Et sa puissante aura tombe en désuétude.

Si l’amour se conclut par un dernier baiser,
Il ne l’empêche pas de partir à Lisbonne ;
Adieu l’eau de Vichy, au nom si mal aisé,
Où Pétain embrassa les doctrines teutonnes !

Casablanca © Mapomme
d'après Michael Curtiz

mercredi 5 juin 2024

Élégies. Aurions-nous le courage ?

6 juin 2024

 Nous avons tant rêvé d’un monde juste et libre
Que nous avons fini par le croire concret ;
Nos cœurs si généreux au moindre frisson vibrent,
Cependant à la paix le monde n’est pas prêt.

Il peut s’accommoder de décennies de trêve,
Sans pour autant vouloir l’installer pour mille ans ;
La paix pour réarmer se devra d’être brève,
Car les humains n’ont pas pour elle un grand talent.

Sans cesse il nous faudra pratiquer des saignées,
Afin d’évacuer quelques trop-plein d’humains ;
Nulle régulation ne leur est enseignée,
Puisque leur nombre croît sans songer à demain.

Voilà quatre-vingts ans qu’une guerre mondiale,
En Europe n’a plus fait tonner le canon ;
Une entente régnait, nous semblant primordiale,
Et un tyran suffit pour soudain crier : non !

Noyés dans le confort, aurions-nous le courage,
De préparer la guerre afin de l’éviter ?
Voici quatre-vingts ans, des alliés sur nos plages
Ont péri par milliers pour venir nous aider.
Aurions-nous le courage ? © Mapomme

lundi 3 juin 2024

Élégies. Aux femmes le silence !

Pourtant, depuis toujours, la Mort frappe les deux,
Avec la même ardeur et la même violence,
Fauchant tous les épis d’un tranchant hasardeux.

Aux hommes les honneurs, aux femmes l’amnésie !
Si chacun a souffert mêmes maux, même sort,
On glorifie les uns presque avec frénésie,
Leur gardant les lauriers tel un divin trésor.

Maï et Danielle, que bénies soient vos cendres,
Et celles des autres, périssant dans les camps !
Si peu ont survécu, pour sans faillir défendre
Un pays occupé par un fou arrogant.

L’actuelle jeunesse a-t-elle ce courage,
Quand on la voit trembler face au danger lointain ?
Or, aux tyrans il faut faire toujours barrage,
Quitte à risquer sa vie dans des jours incertains.

Aux hommes les statues, aux femmes la cuisine,
Ou on nomme une rue, sans qu’on sache pourquoi !
Hormis sur Jeanne d’Arc, la société lésine,
Sur ces héroïnes, le monde restant coi.

Aux femmes le silence ! © Mapomme

Je savais qu'il y avait une rue Danielle Casanova, ainsi qu'un navire faisant la liaison entre la Corse et le Continent, mais j'ignorais ce qui lui valait cet honneur
Dans le même temps, je savais que Fred Scamaroni avait ses rues dans des villes, un bateau célèbre pour le bruit de ses moteurs, et qu'il avait été un résistant héroïque.

Il m'a fallu attendre des années pour apprendre le rôle qu'elle avait joué dans la seconde guerre mondiale, son internement à Auschwitz pour faits de résistance, et elle mourra dans un camp du typhus.

Une différence de traitement entre les hommes et les femmes. De même, les 49 survivantes ont dû batailler durant 3 années pour obtenir leur carte de rescapées des camps de concentration.

Sur Internet tapez le convoi des 31000 (les numéros gravés sur leur avant-bras commençant par 31 suivi de trois chiffres) pour vous renseigner.

dimanche 2 juin 2024

Élégies. Mille tableaux en un

Et sa mémoire emplie d’émotions de jeunesse,
Un patchwork sensoriel, un passé incompris,
Sorte de grand bazar, le pire qu’on connaisse.

On révèle de soi en donnant sa vision
De ce qu’on a perçu dans l’œuvre mystérieuse ;
L’analyse naîtra de notre confusion
Entre nos souvenirs et une œuvre glorieuse.

Les siècles ont coulé et changent les récits,
Dans le flot lent du Temps, quasi imperceptible ;
Les symboles d’antan, vagues et imprécis,
Deviennent de nos jours vraiment intranscriptibles.

C’est pourquoi nous ouvrons notre âme à livre ouvert,
Devant un chef-d’œuvre que mal on interprète ;
La morale a varié et l’on prend à l’envers
La piste jadis claire est aujourd’hui secrète.

Un peigne, sa couleur, un feutre de castor,
Des piments d’Amérique en signe d’opulence ;
Tout nous semble commun ou s’interprète à tort,
Nous soufflant un récit sans nulle vraisemblance.

Mille tableaux en un © Mapomme
d'après Jheronimus Bosch