dimanche 27 octobre 2024

Élégies. Tyrans et justiciers

Dictateurs du passé aux mains rougies de sang,
Un jour vous finirez d’une façon horrible,
À la foule livrés, sans un procès décent,
Sans juger vos crimes, enfin passés au crible !

Exposés à la foule, aux crachats, aux jurons,
Aux pires insultes, aux infamants outrages,
Vos corps morts recevant des coups de ceinturons,
Vous verrez les faibles simuler le courage.

Si puissants qu’ils fussent, les tyrans absolus
Sont trahis un beau jour, quand leur féroce étreinte
Vient à se desserrer, qu’un proche est résolu,
Pour épargner sa peau, à les trahir sans crainte.

Quant aux libérateurs qui vivent dans la peur
Du retour d’un régime, ils sentent un obstacle
Dans une nuance reçue avec stupeur,
Rompus à statuer sans heurt dans un cénacle.

L’inverse du pire n’est hélas pas le mieux,
Mais aussi un excès qui mène à la révolte ;
Le mieux se situera dans le juste milieu :
En semant la terreur, la fureur on récolte !

Tyrans et justiciers © Mapomme
D'après une photo de la libération de l'Italie

Élégies. Cultiver son jardin

« Dieu seul est victorieux », lit-on à l’Alhambra,
Où les mots sont bien plus qu’une simple écriture :
Cette devise y est un récurrent mantra
Qui moque les hommes, sans nulle fioriture.

Dans les sanglants combats, seul est vaincu l’humain,
Dont l’appétit furieux est source de défaite
Pour avoir désiré quitter le droit chemin
De la paix d’un jardin qu’une âme pure fête.

On aurait pu bâtir des grands murs à l’envi
Et vider les caisses pour prévenir les guerres ;
On a fait des jardins dont se trouvent ravis
Le regard et le cœur, mais pas l’instinct vulgaire.

Tant d’ambitieux tyrans vinrent semer la mort,
Telle une peste noire en tous les points du monde,
Et leur horde a tué tant de vies sans remords :
Leur but mène au gouffre que nul esprit ne sonde.

Les grands leaders cinglés, haranguant en tous lieux
Une foule exaltée, ne sèment que la haine :
N’accordons de crédit qu’aux génies merveilleux,
Les tyrans n'ayant droit qu'au feu de la géhenne.


Cultiver son jardin © Mapomme

samedi 26 octobre 2024

Élégies. Secrets confiés aux vents

En ces lieux dominant les rumeurs de la ville,
Elle avait dû confier tous ses secrets aux vents ;
Ils les avaient portés loin des humains serviles,
Vers l’abysse mutique, en la mer du levant.

J’aurais aimé savoir quel éprouvant mystère
Torturait son âme et voilait son regard ;
Il est tant d’embarras qui poussent à se taire
Et à qui les confier, car les gens sont languards ?

De l’insondable puits, dont l’onde semble obscure,
Jamais la Vérité n’avait pu émerger ;
Des silences abscons quelque gêne procurent,
Nous chassant à jamais du primordial verger.

On aimerait trouver la clé de ce mal-être
,
Pour chasser tous les maux opprimant cet esprit ;
Est-ce qu’un spleen cruel s’en est rendu le maître
Qu’il faudrait renverser et chasser à tout prix ?

M
ais de nos vains égards se rit l’affreux silence
Car les printemps naissants montreront trop d’ardeur  ;
L’inopportun élan pesait dans la balance,
Et notre perception manquait de profondeur.


Secrets confiés aux vents © Mapomme

Élégies. Éloge de la folie

On traitera de fous ceux qui, sans imposture,
Livrent leur opinion, quitte à être irritants :
Dans ce cas, je suis fou, car ma désinvolture
Vient d’un besoin profond, drôle et irrémittent

D’
énoncer ma pensée, sous forme de boutades,
Tissée de vérité brodée de calembours ;
La victime est choquée par ma folle incartade,
Sans pouvoir m’adresser de saillie en retour.

La folie possède ce divin privilège
D’épargner au cinglé la peine du talion ;
Toute lucidité s’avère sacrilège,
Qu’on traite d’ineptie plus que de rébellion.

Le fou est donc perçu comme un simple malade
,
Qu’il convient de soigner de son mauvais humour :
Jadis on prêtait bien à toutes ses bravades
Un démoniaque aspect qu’on n’a plus de nos jours.

L’humour irréfléchi sert la caricature
Et permet d’être vu en dingue impénitent ;
La critique est ainsi ornée de fioritures,
Afin qu’un pauvre nain taquine les titans.

Eloge de la folie © Mapomme

dimanche 13 octobre 2024

L'odyssée des passions. Chez les Lestrygons

Une anse où s’abriter aux Ioniens vint s’offrir,
Et tous l’adoptèrent comme lieu de mouillage.

Tous, Ulysse excepté : il trouvait les hauteurs
Sinistres à souhait, de rocheuses falaises
Surplombant les vaisseaux ; tout nouveau visiteur
Verrait ses agresseurs y demeurer à l’aise.

Des fumées s’élevaient, dansant avec lenteur
Vers les cieux azurés où les astres se plaisent
À scruter les humains ; un chemin aux senteurs
De thym menait tout droit vers des maisons de glaise.

Un marin fut mangé par le roi des géants,
Deux autres s’échappant vers le havre paisible,
Qui semblait un abri bigrement malséant.
Les agresseurs lançaient des rochers sur leurs cibles,

Qui plongeaient les vaisseaux vers l’abysse béant ;
À la mauvaise joie des irascibles.

Seul le navire d’Ulysse n’eut pas à en souffrir
Et sans délai reprit sain et sauf son voyage.

Chez les Lestrygons © Mapomme
D'après Jan Styka

L'odyssée des passions. Victoire des Cicones

Face à des flots contraires, la flotte dans une anse
Pénétra sans délai pour se mettre à l’abri.

En ce lieu se risquant, en quête de vivres,
Les marins perçurent face à eux des coteaux
Aux raisins promettant l’ivresse qui délivre
Les humains des chagrins, des taudis aux châteaux.

Dès que les marins grecs burent à en être ivres
Du vin des amphores qu'ils prirent aussitôt,
Un grand malheur devait fâcheusement s'ensuivre
Et un violent combat naquit près des bateaux.

Alors qu’ils triomphaient, les marins grecs cupides
Se trouvèrent contraints de rallier les vaisseaux,
Succombant sous l’effet d’un renfort très rapide.

Nombre avaient succombé sous ce violent assaut,
Leur sang troublant les flots d’ordinaire limpides,
Et Ulysse ordonna d’aussitôt fuir ces eaux.

Les morts avaient payé leur manque d’abstinence,
Et de leurs fiers vaisseaux ne restaient que débris.

Victoire des Cicones © Mapomme

vendredi 11 octobre 2024

Élégies. Un général opprobre

La vie semble un chemin parsemé de pétales,
Tant qu’on n’entrave pas les desseins frauduleux
Des notables puissants, dans leurs sombres dédales,
Ourdissant sans arrêt des projets crapuleux.

Malheur au misérable à l’esprit trop intègre
Qui montrerait du doigt leurs vils agissements !
Forte de son pouvoir, cette éminente pègre
Toujours le frappera de son bannissement.

Hélas, le pot de fer brise celui en terre :
Ainsi le monde va depuis sa création !
Retournant le grief, le mis en cause altère
L’intègre sans pouvoir, mis en accusation.

Alors il doit aller d’une démarche altière,
Mais se sait désigné du nom de scélérat ;
Il est vilipendé par la cité entière,
Proscrit tel un paria souffrant du choléra.

Pèse sur lui un ciel plus sombre qu’en octobre,
Et les regards de tous sont pire que des mots,
Tout chargé de mépris, de général opprobre

À jamais subissant de longs frimas hiémaux.

Un général opprobre © Mapomme
Avec l'aide de Fritz Lang

jeudi 10 octobre 2024

L'odyssée des passions. Un retour espéré

D’un père absent longtemps, le fils veut abolir
Les années d'un conflit qui d’affection le prive.

Les vaisseaux sont rentrés, dans les proches cités,
Mais pas ceux d’Ithaque dont on ne trouve trace !
Seul un courroux divin aurait pu susciter
Un aussi long retard qui tout espoir terrasse.

Ce dieu bénéficie de la complicité
De Zeus et donc Ulysse est tombé en disgrâce ;
Télémaque, au comble de la perplexité,
Scrute les flots déserts que son regard embrasse.

Tant d’années se passent à attendre un retour,
Puis l’espoir renaissant quand s’achève la guerre,
D’un favorable vent on prévoit le secours.

Défilent jours et mois, puis des années austères,
Sans qu’un vague récit ne parvienne à la cour ;
Alors, il faut partir et régler ce mystère !

Les cieux où les astres nous ont semblé pâlir,
N’annoncent nul espoir qu’un seul vaisseau arrive.


Un retour espéré © Mapomme
Avec l'aide Lucien Doucet

mardi 8 octobre 2024

L'odyssée des passions. Braver des flots hostiles

On se lance parfois dans de rudes combats,
Sans vraiment s’assurer des chances de victoire.

Ainsi, quittant enfin, au terme de dix ans,
Le rivage de Troie, pour retrouver son île,
L’homme aux mille desseins, du retour se grisant,
Ignorait qu’un grand dieu s’y montrerait hostile.

Sirènes et tritons, assis sur les brisants,
Caustiques contemplaient l’énergie inutile
D’un vaisseau affrontant les flots terrorisants,
Sans espoir, en dépit d’un capitaine habile.

De contraires courants, commandés par un dieu,
Le menaient loin d’Ithaque où guettait sa famille ;
Tous avaient tant rêvé de ce retour radieux

Et des joies qui naîtraient en voyant la flottille !
Ils dérivaient menés par des vents insidieux,
Hirsutes, fatigués et vêtus de guenilles.

Il faut souvent lutter, le moral au plus bas,
Contre un puissant courant qui veut dicter l’histoire.


Braver les flots hostiles © Mapomme
Avec l'aide de Philippe Druillet

samedi 5 octobre 2024

L'odyssée des passions. Se perdre dans l’oubli

Sitôt que le chagrin de notre âme s’empare,
On cherche vainement à sombrer dans l’oubli.

Abolir ces années d’une épique épopée,
Ou bien à naviguer sur d’indomptables flots,
En tous lieux redoutant de périr par l’épée
Ou alors de couler au plus profond de l’eau,

Reste pour tout humain une triste équipée.
Que de soupirs poussés, que de muets sanglots,
Quand de mélancolie, l’âme se voit drapée,
Désespérant qu’un jour ce périple soit clos !


Au pays merveilleux des courtois
Lotophages,
Que nous avons aimé cet oubli bienfaiteur
Qui s’avérait pourtant un sublime servage,

Leurs plantes dispensant un mieux consolateur !
Qui n’a jamais trouvé dans l’abus d’un breuvage,
Offrant pour un instant un effet salvateur ?

Vain remède, l’oubli nullement ne répare
Un naufrage amoureux en nos cœurs établi.

Se perdre dans l'oubli © Mapomme

vendredi 4 octobre 2024

L'odyssée des passions. Ma vie livrée aux vents

Le dieu Éole offrit une outre recevant
Des vents pour s’en servir quand règne une accalmie.

De partout les idiots préfèrent plus que mieux
Et, croyant agir bien, gaspillent leurs ressources !
Au-delà du surcroît, supposé ingénieux,
Aucun regret futur du malheur ne rembourse.

De stupides marins, de la faveur d’un dieu
Font un grand désastre sans possible rescousse ;
D’Éole ils ouvrent l’outre, et cet oubli odieux,
Quand Ithaque est en vue, hors de vue les repousse.

Il n’est besoin d’un dieu pour que naisse un tourment :
L’homme sait se livrer lui-même à l’hébétude,
En faisant son malheur, croyant qu’Ulysse ment.

Certe, il a mille tours dans son sac, d’habitude :
La méfiance conduit à leur éloignement
D’une île où ils auraient retrouvé la quiétude.

De son but éloigné, sa vie livrée aux vents,
La sottise il craindra, bien plus que l’infamie !


Ma vie livrée aux vents @ Mapomme
Avec l'aide de Pellegrino Tibaldi