mardi 30 août 2022

Mythologies revisitées. De l’Éden à l’Enfer

On a vu des amours par avance impossibles
Et tant d’amants jadis en ont souffert ;
Dès qu’Éros de ses traits prend un cœur sain pour cible
La victime passe de l’Éden à l’Enfer.

La peine en résultant est un mal indicible
Et les amants maudits portent le sceau d’un fer
Qu’on a rougi au feu et l’amour invincible
Aux bourreaux infernaux se voit soudain offert.

Juliette et Roméo ont bravé le supplice ;
Héloïse Abélard furent bien moins heureux
Et ont connu si peu le jardin des délices.

Sitôt que l’on pressent un avenir foireux
Et que jusqu’à la lie on boira le calice
Il faut larguer ceux-là dont est amoureux.

Qui sait si l’avenir n’offrira de goûter
À cet hymen ancien qui leur a tant coûté ?
Garance et Baptiste ne pourront en douter.

Les enfants du paradis © Mapomme
D'après Marcel Carné

lundi 29 août 2022

Mythologies revisitées. Le grand péril envoie un secours par les toits

Un dragon dévastait villes comme campagnes
Et la femme était prête à quitter la cité ;
Un dragon franchissant les mers et les montagnes
Crachait l’épidémie qu’on ne peut éviter.

Le noble chevalier si prompt à la castagne
Dans la ville affolée fuyait l’atrocité
D’un mal qui rendait fou du Piémont à l’Espagne
Poussant l’homme chez elle à soudain s’inviter.

L’épidémie affolait le cœur de la Provence
Mais pas pas celui des deux qui tenaient à quitter
Manosque et sa région en toute connivence.

Il n’était plus d’endroit où pouvoir s’abriter
Et l’air des monts semblait fontaine de jouvence
Car l'homme n'en fait lieu d'insalubrité.

C’est dans le tourmente que dame et chevalier
S'aiment loin du péril qui en fit des alliés.
Le hussard sur le toit © Mapomme
D'après Jean-Paul Rappeneau

Mythologies revisitées. Et si un faux Ulysse avait fait son retour ?

Après avoir subi dix années les attaques
Du dieu des profondeurs au rancunier trident
Ulysse s’en revint en son palais d’Ithaque
Tant vieilli qu’au début il n’était évident

De reconnaître un roi en cet homme patraque.
Pénélope voyant le vieux chien le guidant
Vit l’occasion rêvée de mettre en sa baraque
L’ordre qu’interdisait ces foutus prétendants.

Le nouvel arrivant se montrait très aimable
Évoquant le passé en se trompant si peu
Qu’il en devint au fond grandement estimable.

Pour les intrus ce fut un vrai sauve-qui-peut
Et ils payèrent tous leur faute impardonnable.
Si elle devait prendre une existence à deux

Mieux valait pour époux qu’un roi parti en guerre
Celui dont les façons ne l'inquiétaient plus guère.

Le retour de Martin Guerre © Mapomme
D'après Daniel Vigne

dimanche 28 août 2022

Mythologies revisitées. Le cigare fumant se gobergeait Silène

Quand les guerriers changent de rôle
En troussant des nymphes lors de joyeux ébats.

Le savoureux Silène a ouvert une école
Où on rit de l’amour dont sans cesse on rebat
Nos oreilles lassées ; il voudrait qu’on rigole
Que rien ne soit sacré et sérieux ici-bas.

Pourtant s’il périssait s’écroulerait le monde
Qu’il a longtemps tissé pour le rendre amusant ;
Lors des cérémonies entamant une ronde

Il dansait tout joyeux et parfois abusant
Il menait en tous lieux une éthylique fronde
Au sérieux de l’instant toujours se refusant.

Aède sans pleurer dis-nous toute sa vie :
Sans Silène la joie nous eut été ravie !

Quatre mariage et un enterrement © Mapomme
D'après Mike Newell

samedi 27 août 2022

Vers en Technicolor. Et si ce n’était vrai qu’Eurydice est bien morte ?

On a longtemps écrit qu’Orphée revint penaud
Des antres de l’enfer y laissant Eurydice ;
Les crédules mortels, tombant dans le panneau,
Ont cru à ce récit totalement factice.

Orphée et un ami, - l’un des meilleurs qui fût -,
Dans un moderne enfer la virent endormie ;
Du décès de la belle habité d’un refus,
Ils se résolurent à lui redonner vie.

Les gardes des enfers, n'appréciant pas ce tour,
Coururent derrière eux dans les sombres dédales,
Car nul n'avait le droit de quitter ce séjour,
Sitôt qu'on était pris d'une torpeur léthale.

Nul ne reparaissait, que ce fût juste ou pas !
« Mensonge ! » dit un sage, ayant lu des cas rares,
Où l'on avait permis de sortir du trépas,
Permission dont les dieux s'avéraient très avares.

Orphée et son ami, réussissant leur coup,
Durent faire passer Eurydice pour morte ;
Le mythe du décès d'Orphée courut partout, 
Alors qu'ils connaissaient des joies de toutes sortes.

Et si c'était vrai © Mapomme
D'après Mark Waters

Vers en Technicolor. Dans l’ombre de l’éclipse, on peut vivre un enfer

En des temps très obscurs, mais assez peu lointains,
On n’écoutait jamais la parole des femmes ;
Qu’un époux soit violent, ivrogne et galantin,
Devait rester secret, bien qu’il se montre infâme.

Il tapait sans compter dans l’argent épargné,
Pour que sa fille, un jour, un beau métier exerce ;
Plein de whisky, sur elle, il avait dû lorgner
Sans qu’on ait deviné un amoureux commerce.

Il est des éclipses assombrissant longtemps
La mémoire récrite, où fautive est la mère,
Et les ans effaçant l’outrage dégoûtant,
C’est celle qui n’a su l’empêcher de se faire.

La honte est effacée en prenant des cachets
Et dans un déni pieux, l’amnésie mémorielle.
Si le père était mort, une enquête entachait
L’épouse qu’on ciblait sans preuves matérielles.

Un opportun décès offrait un boulevard
Pour effacer l’échec gênant le détective :
L’éclipse enfin finie, avec bien du retard,
Le soleil éclairait de neuves perspectives.

Dolores Claiborne © Mapomme

vendredi 26 août 2022

Élégies. Été, remettrons-nous en perce ton tonneau ?

Les chemins de l’automne exhalent le parfum
Des feuilles putréfiées dans les fourrés humides ;
Bientôt dans la moiteur - visions de séraphins -
Planera une brume diaphane et timide.

L’aube se vêtira d’un mauve organdi fin
Couleur du deuil d’été teinte d’humeur torpide ;
Accablant mais festif l’été marche en défunt
Lui qui nous versait l’or et son azur limpide.

Viendront les jours pluvieux où nous irons frileux
Chacun rentrant chez lui dans ses terres lointaines
Et nous serons seulets sous des cieux nubileux.

Vite les jours s’enfuient comme eau à la fontaine
Jours festifs car sertis de moments fabuleux ;
À la fin débute la vaste quarantaine.

Dureront bien dix mois les brouillards automnaux
Avant de mettre Été en perce ton tonneau !

Beignets de tomates vertes © Mapomme
D'après Jon Avnet

Mythologies revisitées. Combien a-t-on occis d’ennemis intérieurs ?

Il n’est pire péril qu’une foule en furie
Qui voit dans tout errant le danger intérieur ;
Combien de pérégrins victimes de tueries
Furent pendus au nom d’intérêts supérieurs ?

Que diront ses juges qui par folle incurie
Avaient fermé leur cœur à cet être inférieur ?
Car toute foule en rage éructe et injurie
Puis mesure sa faute en des temps ultérieurs.

Un nouveau voyageur à la paix revenue
Viendra dans la bourgade afin de remuer
Cette histoire passée par les mémoires tue.

Il dit que l’ennemi au combat a tué
Le fils du faux espion et on tombe des nues :
L’homme aimerait le voir et veut le saluer.

Il vient lui remettre du roi la récompense ;
Est-il un élixir qui des remords dispense ?

Un homme est passé © Mapomme
D'après John Sturges

jeudi 25 août 2022

Mythologies revisitées. Du baudrier d’Orion aux feux de Cassiopée

En vivant un destin n’ayant rien de commun
Enrôlé dans l’armée quand sa terre fut prise.

Les hasards de la vie influent sur le Destin
Qui est un dieu aveugle agissant par surprise ;
Dans un cirque la paix de sang veut un festin
Pour montrer que du sort nul n’aura la maîtrise.

Spartacus dresse un jour l’armée des gladiateurs
Puisqu’on n’honore pas de leur contrat les termes ;
La lutte n’émeut pas le corp des sénateurs.

Afin de mettre fin à la révolte en germe
Deux légions sont mandées ; d’abord dominateur
Spartacus les défait ; mais Rome a tenu ferme.

Le moins puissant échoue et la défaite essuie.
Des beautés aperçues que de choses enfuies
Qui telles des larmes se perdent dans la pluie !

Blade runner (1982) © Mapomme
D'après Ridley Scott

mercredi 24 août 2022

Mythologies revisitées. À Paris, au Texas, Ulysse fut conçu

À devoir supporter l’affront des prétendants
Et l’absence au palais du disparu Ulysse
S’est taillée Pénélope à Houston se rendant :
Dans un peep-show minable elle a fui son supplice.

Télémaque élevé par un oncle prudent
Sait qu’il est son tuteur et sans nulle malice
Il vit hors de portée des princes impudents
Car l’absent serait mort à croire la police.

Dans le désert vivant Ulysse a reparu
Mais il ne pipe mot sur ses années d’errance
Chez son frère arrivant renfermé et bourru.

Escorté par l’enfant il n’a qu’une espérance :
Que mère et fils renouent — quel désir incongru !
De son périple vain il sent l’incohérence.

De loin il aperçoit Télémaque et sa mère
Puis s'enfonce en la nuit des contritions amères.

Paris, Texas © Mapomme
D'après Wim Wenders

Mythologies revisitées. Le triste chevalier et la Mort amoureuse

Le triste chevalier va au bout de sa quête
Et la Mort amoureuse après son doux baiser
Le suit jusqu’aux rives du fleuve de l’oubli ;
Deux chasseurs de primes ne peuvent l’en distraire.

Un shaman l’a guidé sur les terres frisquettes
Dans la forêt obscure où les cœurs apaisés
Vont droit vers leur destin et n’ont jamais faibli
Quand bien même le sort se montrerait contraire.

Sur l’onde tranquille va l’effilée barquette
Vers la rive au couchant où tout devient aisé ;
Par cette volonté une âme s’anoblit
Puisqu’au destin prescrit elle ne veut s’abstraire.

Lorsqu’au baiser de Mort le corps soudain s’enflamme
D'elle il ne craindra pas le tranchant de la lame.

Dead man © Mapomme
D'après Jim Jarmusch

mardi 23 août 2022

Mythologies revisitées. Le prince de l'été et le guerrier bougon

Jeune prince orphelin enfanté en forêt
Après qu’on ait tué ton brave et vaillant père
Ta mère est sur la côte à ce que l’on saurait
Et tu pars au hasard car tu t’es fait la paire.

Tu poursuis aux côtés d’un combattant secret
Qui t’emmènes sans joie jusqu’aux lointaines terres
Où ta mère à présent vit en un port discret ;
Le guerrier bougonne car c’est un solitaire.

Alors tu croiseras des chevaliers nouveaux
Sur de belles motos curieux mais sympathiques
Qui pour la mécanique ont troqué leurs chevaux.

Puis une jongleuse jeune et charismatique
Vous mènera plus loin sous les feux estivaux
Au bout de cette quête aux accents drolatiques.

Quant au guerrier bougon il va envisager
L'amour sous un autre angle et bien plus s'engager.

L'été de Kikujiro © Mapomme
D'après Takeshi Kitano

lundi 22 août 2022

Mythologies revisitées. Ô Sugetobana, belle fleur orpheline

Nous avons fait tous deux de la mort l’expérience :
Tu as perdu ta mère ô Sugetobana
Et un noyé trouvé m'a pris mon insouciance ;
L’éclat de ton regard comme fleur se fana.

Le ciel atroce et lourd augurait quelque transe
Comme s’il exprimait ma divine apsara
Le typhon qu’engendrait ta muette souffrance ;
Les arbres torturés entrelaçaient leurs bras.

Belle fleur orpheline où est passée la grâce
De nos jeunes années brisée sur les écueils
Affleurant l’océan sans présager leur trace ?

Tu as dû affronter l’épreuve du cercueil
Quand c’est du bois glacé que tes lèvres embrassent ;
Qu’y a-t-il au-delà sitôt franchi le seuil ?

Il n’est qu’au sein léger de la clarté de l’onde
Qu'on pourra ressentir des émotions profondes.

Still the water © Mapomme
D'après Naomi Kawase

dimanche 21 août 2022

Vers en Technicolor. En prêcheur, je guéris l’âpre fièvre de l’or

Je viens dans la vallée, sur un destrier blême,
Portant la parole du salvateur seigneur,
Prêcheur dont le col blanc est l’étonnant emblème ;
Pour tout pécheur mes colts agiront en soigneur.

L’avidité conduit à des moyens ultimes
Loin de la patience des pauvres orpailleurs ;
Tout humain âpre au gain en sera la victime,
Pour lui, ce trait étant son constant fossoyeur.

Pour que vive le juste, il faudra bien que meure
L’inique en la vallée qui impose sa loi ;
L’humble m’a accueilli en sa pauvre demeure
Et ses raisonnements semblaient de bon aloi.

Car très pur était l’or de sa claire conscience,
L’humble comptant en faire un emploi bien meilleur ;
Il avait tout subi, avec sainte patience,
Pour fonder une ville et non fouiller ailleurs.

Qu’on fasse une cité par de vraies loi régies !
J’abattrai mon courroux sur l’avide rival,
Sont le crime serait la seule stratégie ;
Puis, je repartirai sur mon pâle cheval.

Pale rider © Mapomme
D'après Clint Eastwood

Mythologies revisitées. Tout labeur importune à l’âge de la thune

Le malheur a voulu que sur le monde règne
Zeus remplaçant Cronos et qu’ainsi s’achevât
Le sublime âge d’or lorsque l’argent imprègne
Les esprits des humains qui s’écrient « Adieu va ! ».

Puis vint l’âge d’airain quand les armes contraignent
À se soumettre un peuple ; dès que Zeus arriva
Il voulut qu’ici-bas désormais on le craigne
Laissant aux conquérants la haine et les vivats.

Voilà pourquoi depuis au boulot on s’escrime
Pour un petit tyran régnant sur un bureau
Et durant quarante ans que sans espoir on trime.

Le laboureur semant autour des bourgs ruraux
Sait à chaque moment à quoi son labeur rime
Quand le scribe est soumis à un vil hobereau.

Et que dire de l’usine où de miteux cadors
Font répéter un geste ? Rendez-nous l'âge d'or !
Les temps modernes © Mapomme
D'après Charlie Chaplin

samedi 20 août 2022

Mythologies revisitées. Faut-il une Hélène pour la guerre de Troie ?

Est-il besoin des dieux au sommet de l’Olympe
Ou d’Hélène attirée par un amant troyen
Pour que la guerre éclate et que la tension grimpe ?
Les hommes pour cela ont mille et un moyens.

Depuis qu’est la cité dans les conflits ils trempent
Et s’opposent sans fin les divers citoyens
Afin que leurs rivaux devant leurs couleurs rampent ;
La guerre au fond remonte aux lointains temps païens.

Pour qu’on verse le sang il faut bien une excuse
Une femme enlevée quelques propos blessants
Ou que trône un tyran en quelque Syracuse.

Les motifs du conflit seront toujours pressants
Et on prétextera une raison confuse
Comme un litige ancien ou bien un fait récent.

Peu importe pourvu qu’on agresse les autres
Tout en apparaissant comme le bon apôtre !

Le dictateur© Mapomme
D'après Charlie Chaplin

Mythologies revisitées. Dédaignant ce qu’on eut, on veut ce qu’on n’a pas

Parangon de vertu surnommée Athéna
Aucun homme n’était selon ses froids critères
Pour elle assez parfait ce qui donc l’amena
À divorcer jadis en femme autoritaire.

Son surnom répété très vite la gêna
Et la fit se fiancer à un célibataire
Crétin ambitionnant d’être élu au Sénat
Dont les pieds depuis lors ne touchaient plus la Terre.

Déesse de bronze montée sur piédestal
Elle attristait son père à trop être parfaite ;
Pour faire fondre un cœur qui semblait de métal

L’ancien mari s’en vint jouer le trouble-fête.
Rival de la vertu l’alcool lui fut fatal
Car nue dans la piscine elle se fit nymphette.

Chacun se croit parfait chevauchant la vertu :
Puis renaît un amour que l'on jugeait perdu.

The Philadelphia story © Mapomme
D'après George Cukor

vendredi 19 août 2022

Mythologies revisitées. Quand sonne midi pile

Luttant seul contre tous qui veut ainsi périr ?
Pourtant certains humains portés à s’y résoudre
Quand bien même ils auraient une épouse à chérir
Tiennent à résister et sans fin en découdre ;

Tel Horatius Coclès dut soudain s’aguerrir
Sur le pont Sublicius frappant comme la foudre
Le flot des ennemis qu’il ne pouvait tarir ;
Pour sauver la cité tu fis parler la poudre.

Dans la rue poussiéreuse embrasée par les feux
Quand sonnaient au clocher les coups de midi pile
Battait tel un tambour ton palpitant nerveux.

Tu t’érigeas en digue ainsi qu’aux Thermopyles
Léonidas le fit mais bien que valeureux
Il périt au combat tout en sauvant sa ville.

Vainqueur tu repartis laissant aux commerçants
Le soin de désormais verser leur précieux sang.

High noon (Midi pile) © Mapomme
D'après Fred Zinnemann

Élégies. Jusqu’aux franges de l’aube

Dans un vol sans espoir en vidant nos cerveaux
Jusqu’aux franges de l’aube à avoir courte haleine.

Les étoiles brillaient de leurs feux minervaux
Et au loin s’étendait la noirceur de la plaine
Tranchant avec la mer que l’argent fort dévot
Éclairait du reflet d'une lune bien pleine.

Je transpirais de spleen dans l’été frémissant
En croyant le chasser jusqu’aux froids de l’automne ;
Chasser ce mal profond en se divertissant

N’est qu’un leurre aboli aux feux de l’aube atone.
On rentre satisfait au bal se finissant
La piste se vidant sur des airs monotones.

On se lève à midi le corps endolori :
Le spleen est dans la chambre et du danseur se rit.

Jusqu'aux franges de l'aube © Mapomme
D'après Vincente Minnelli

mercredi 17 août 2022

Vers en Technicolor. Sans trompette ou tambour, de New York à Miami

Il est des murs piteux qui protègent très peu,
Jéricho de toile, qui tombent sans trompettes ;
Guenièvre et Lancelot le savent bien tous deux,
Le leur pouvant tomber sans la moindre tempête.

Le hasard capricieux aime tout chambouler
Et soudain brocarder des destinées écrites ;
Combien de grands projets ont brusquement coulé
Recevant in fine le seul sort qu’ils méritent ?

Il la raccompagnait vers un notoire époux
Qui aux yeux de chacun n’avait aucun prestige ;
Les chemins de l’amour sont parfois aigres-doux,
Atteignant des sommets qui donnent le vertige.

Mais cette nuit passée avec ce mur tissé
Les menaient au final vers l’imparable terme ;
Sans que n’arrive rien, ce rempart hérissé,
Pour leurs chastes regards, ne tenait pas très ferme.

Un attrait a conquis, dont on s’est fait l’écho,
La fiancée ayant pris la poudre d’escampette ;
Leur hymen fit chuter un mur de Jéricho,
De New York à Miami, sans tambour ni trompette.

New York-Miami © Mapomme
D'après Frank Capra

Élégies. Cigale ayant chanté se meurt venu l’été

J’envie peu la cigale à passer sa jeunesse
Dix-sept ans sous la terre attendant de sortir
Pour chanter plus d’un mois et déployer ses ailes ;
Vient la reproduction suivie par leur décès.

Cigale j’ai été des plus gaies qu’on connaisse
De l’automne à l’été prête à se divertir
De nuit comme de jour avec ma damoiselle
Et sur des rythmes vifs jusqu’au jour je dansais.

Au grand plongeon sous terre auquel rien ne me presse
Je devrais bien un jour ou bien un soir partir
Sans montrer un instant un excessif zèle ;
Ah ! s’il était permis de mourir à l’essai !

Monsieur de la Fontaine en fourmi laborieuse
Vivez et je serais une mouette rieuse.

Deux cigales © Mapomme

mardi 16 août 2022

Élégies. Le ciment jointoyé

Le ciment de la piste est enfin jointoyé
Et on a pu danser ivres de nos jeunesses
Sous les cieux constellés voyant se côtoyer
Beaux épis de blé tendre et dames patronnesses.

Mes jambes qui jadis aisément ont ployé
Où sont passés les ans de vos soirées de liesse
Quand sans souffrir autant vous avez ondoyé
Sur des rythmes d’antan et sans genoux en pièces ?

Devant l’église on voit pour le temps d’une nuit
Renaître l’unité d’un disloqué village ;
Pour un temps seulement : c’est bien là tout l’ennui.

L’union comme un ciment se délite avec l’âge
Et l’euphorie d’un soir au quotidien nous fuit
Cette joyeuse humeur étant hélas volage.

Belle union retrouvée pour un soir de saint Roch
Seras-tu bien longtemps solide comme un roc ?

Le jour de la saint Roch © Mapomme

Mythologies revisitées. Il faut parfois rester sur l’île d’une nymphe

Sur l’île parfumée la nymphe aux cheveux longs
Reçut le naufragé qu’avait porté la vague
Meurtri par la tempête et par les vents félons
Échappant au venin de la raie pastenague.

Tirésias avait dit que de Poséidon
Sa mort viendrait des flots bien plus tard par cette arme.
La reine de ces lieux avait de nombreux dons
Pour le garder près d’elle en raison de ses charmes.

Nymphe aux belles boucles que n’as-tu près de toi
Gardé ce beau mortel en usant de caresses
Comme de ta science dans les ébats courtois ?

Calypso tu devais dire que rien ne presse
Au messager des dieux envoyé sous ton toit :
Que naîtrait-il d’utile de son retour en Grèce ?

Tu devais insister et le rendre immortel
Le préservant d'un dard en rien accidentel.

Bounty © Mapomme
D'après Lewis Milestone

lundi 15 août 2022

Mythologies revisitées. Héros seront les grands avec le sang des autres

On part pour la guerre comme on va au théâtre
- Un théâtre de guerre et assez peu plaisant -
Et on livre une chair de manants pour combattre
Qui sont bons pour clamser au passé et présent.

À quoi bon les pleurer s’ils dorment sous la terre ?
Il faut un jour ou l’autre accepter de mourir
Et pour la famille - ce n’est pas un mystère -
Ce sera une bouche en moins qu’il faut nourrir.

Si on envoie le peuple en l’enfer de la guerre
Les combats sont le fait des maisons des puissants ;
De ce théâtre affreux le manant n’aura guère
De bien-être à tirer mais versera son sang.

Au mieux il gagnera un insigne vulgaire
Et s'il perd le combat des regards offensants.

Autant en emporte le vent © Mapomme
D'après Victor Fleming

dimanche 14 août 2022

Mythologies revisitées. Sans la noirceur d’un mythe une vie est plus belle

On vante trop souvent les guerriers intrépides
Sans nommer des héros du morne quotidien ;
Les premiers ont quitté pour un devoir stupide
Leur foyer pour trancher un vague nœud gordien

Pour venger un cocu pour la quête cupide
D’une toison dorée ; devant les murs troyens
Ils ont quitté leur vie jusqu’ici très limpide
Et laissé leur famille isolée sans moyens.

De leur glorieuse action sont nées des tragédies
Et des lignées livrées à un funeste sort.
Les seconds ont connu des journées affadies 
Des travaux dans les champs sans compter ses efforts.

Ils n’ont pas de saga par le sang enlaidie
Mais ont pris soin des leurs sans nul projet retors.

La vie est belle © Mapomme
D'après Frank Capra

samedi 13 août 2022

Élégies. L’hémorragie en vain je tentais de parer

Voyez-vous ma fontaine a sa source en mes veines
Mais ce n’est pas mon sang qui coule sans arrêt ;
J’ai tenté d’endiguer de façon plutôt vaine
L’hémorragie sourdant dont le flot m’effarait.

Pire qu’un sable fin le flot de la fontaine
Entre mes doigts crispés s’échappe et disparaît
Vers un gouffre profond où la perte est certaine :
Victime me voici d’un vrai coupe-jarret.

Un sage m’a parlé de condition humaine
Qu’elle pourrait raser collines et forêts :
Imparable est ce flot qui à la mort nous mène.

Bottant le cul du fou qui en vain pérorait
J’ai lutté des années des mois et des semaines :
À tout instant hélas ! le temps s’évaporait.

« Pauvre fou ! » dit le sage alors que je courais
Voyant que par la plaie chaque instant je mourais.

Pire qu'un sable fin le flot de la fontaine © Mapomme

Élégies. Il vécut des instants qui paraîtront des rêves

Il dépeint le tableau de ses lointains printemps
Des orchestres jouant le soir sur les terrasses
Quand il était batteur et qu’avant ses vingt ans
Bastia se retrouvait aux cafés de la Place.

Il nous en fait récit aux repas très souvent
Et je pense soudain qu’inéluctables passent
En silence les jours comme feuilles au vent ;
De ce qu’il a connu ne reste nulle trace

Sinon dans sa mémoire et tous ses beaux récits
Sont sur le sable écrits ; la vague les efface
Sur la grève laissant un tracé imprécis.

Tout ce qu’on a appris disparaît quoi qu’on fasse
Et de nos vies le cuir dans le flot s’étrécit :
Ne restera aucun des souvenirs vivaces.

De ce que j’ai vécu composé ou appris
Ne survivra de même un mot qui ait un prix.

Il vécut des instants qui paraîtront des rêves © Mapomme

vendredi 12 août 2022

Vers en Technicolor. Mourir et puis renaître

Amer fruit, la vengeance ouvre d’obscures portes :
Pour venger femme, enfant, on sème le trépas,
S’aveuglant sur le sens des crimes en cohorte,
Et tuant comme ceux que notre cœur combat.

On oublie qui l’on fut, une belle âme pure
Aimant les plaisirs simples et marnant sans arrêt ;
Si rude est le labeur et la fruste vie dure,
Quand un arpent de blé produit moins qu’on voudrait.

Il faut la trahison pour accroître la rage
Et engager alors une fuite en avant ;
Puis, on trouve un vieux chef, qui devrait être sage,
Un allié truculent bien plus qu’il n’est savant.

De l’amitié donnée, de la bonté offerte
Et la blondeur d’un champ sous le vent ondulant
Offrent de la chaleur à une vie déserte
Ainsi qu'un avenir sous le soleil brûlant.

Sous les rigueurs des temps, sous les ruines anciennes,
Git un cœur d’honnête homme abîmé par l’horreur,
Et qui, dans sa folie, fit la vengeance sienne,
Pour retrouver la paix, après bien des erreurs.

Josey Wales, hors-la-loi © Mapomme
D'après Clint Eastwood

Vers en Technicolor. Sur les sombres chemins où les quêtes nous perdent

Souvent, dans une quête, un être humain s’égare
Et, monstre des enfers, n’a qu’un roc pour tout cœur ;
Le graal qu’il a guigné, à force de bagarres,
Le rend plus qu’inhumain, s’il veut être vainqueur.

Obsédé par son but, dans la nuit sombre il erre,
Sans un phare éclairant vaguement son chemin ;
Chevauchant au soleil, le froid ou le tonnerre,
Tient-il de l’animal ou bien de l’être humain ?

Pour un lopin de terre, irait-il jusqu’au crime,
Oubliant l’Évangile et les Commandements ?
Des mois durant traquant, pour toucher une prime,
Pourrait-il liquider un homme froidement ?

Il lui faut un soleil, l’éclairant dans ses limbes,
Pour retrouver son âme et le laver du sang
Qui assombrit ses mains, astre d’or qui le nimbe,
Ange égaré lui-même, en ce chemin passant.

Sa sublime candeur saurait charmer la bête
Et endormir en lui le fauve qui rugit,
La belle le poussant à délaisser la quête,
Car, par l’appât du gain, son cœur sombre est régi.

The naked spur © Mapomme
D'après Anthony Mann

jeudi 11 août 2022

Élégies. Près d’Hekura il vit plonger des Néréides

De vraies Néréides subsistent au Japon :
Il les a vu plonger au milieu de l’écume
Quand il photographiait installé sur le pont
Hekura où flottait une fragile brume.

Il s’arrêta sur l’île et pris d’inspiration
Fit d’étonnants clichés sur l'inouïe coutume :
Des pêcheuses de perles en longues rotations
En apnée travaillaient quasiment sans costume.

Sans qu’on sache pourquoi les femmes plus longtemps
Tenaient au fond des eaux dans les algues mouvantes ;
Sans cesse plongeant récoltant et montant 
Elles sortaient des eaux ravies et captivantes.

Par elles fasciné Fosco revint content
Exposant des photos de sirènes vivantes.
Néréide d'Hekura © Mapomme
D'après photo de Fosco Maraini (1954) © RMN - Grand Palais

mercredi 10 août 2022

Élégies. Les soleils des étés à l’ouest seront couchés

Les soleils des étés à l’ouest seront couchés
Et partis les essaims bien au-delà des plaines :
Nous aurons des hivers avec l’azur caché
Par des nues d’anthracite et des manteaux de laine.

Plus rien à partager plus rien pour nous toucher
Sinon quelques textos de Tony ou Hélène
Sur leur fille Irina qui aura accouché ;
Nous serons excités telle une ivre phalène.

Puis nous boirons un coup d’un vieux porto offert ;
Une soupe le soir avec une compote
Tout en se demandant si la mère a souffert

Et ces propos idiots qu’un ignorant radote.
Surgira l’hosto sombre et son vieux lit en fer
Lors de ce juin pourri que depuis on boycotte.

Les soleils des étés à l’ouest seront couchés
Et partis les essaims avec l'azur caché.
Les soleils des étés... © Mapomme
D'après Henri Verneuil