samedi 19 mars 2016

Fables. Les grenouilles et leur maire

En un marais serein, vivaient des batraciens.
Ce lieu fort retiré de nul n’était connu,
Hormis des grenouilles et de quelques anciens.
Il fallait s’en aller par un chemin menu,
Sinuant sans jalons, par les sables mouvants.
Autant dire que nul ne se risquait par là.
Ce peuple coassant, d’un docte et vieux savant,
Crapaud très réfléchi, qui rarement parla,
Avait fait, autrefois, le maire de l’étang.
La paix et l'abondance en cet endroit régnait.
C'est en tout cas ce qu'un Thrace prétend.
Car le peuple amphibien aucun maux ne craignait.
Aussi savant qu’il fût, la mort vint le cueillir.
De grandes assemblées, par ajoncs et roseaux,
Dont tous les parlements peuvent s’enorgueillir,
Cherchaient un successeur de par ces mortes-eaux.
Lassé de ces débats, brisant le calme ambiant,
Un dieu de tous marais comme de tous lagons,
Envoya un crapaud aimable et souriant,
De la République le meilleur parangon.
Le voyant si serviable et en tous points cordial,
Certains le brocardent, rient de ses qualités,
Et chient sur le crâne du maire si jovial.
Voilà des assemblées qui, sans légalité,
Veulent un autre maire et dérangent les nuits
Du dieu qui supposait le problème réglé.
“Ce maire est bien trop mou et génère l’ennui“,
Coassent les tribuns presqu’à s’en étrangler.
Il remplace aussi sec le crapaud prévenant
Par un héron cendré qui se met à manger
La gent batracienne, sans cesse, à tout-venant,
Qui hurle et qui maudit l’emplumé étranger.
En secret, des forums demandent à nouveau
Qu’un maire moins cruel dirige les marais.
“Vous en aviez un bon qui faisait des travaux
Vous l’avez méprisé, le raillant sans arrêt.
Gardez-vous“, dit le dieu, “que vos croassements
N’en amènent un pire en ce pays ingrat.
Il pourrait s’avérer mille fois plus gourmand,
Ne laissant point le temps de devenir si gras.“
                                                                                     
Les gens sont ainsi faits en toutes les contrées :
Sifflant les gouvernants qui se montent affables,
Pour devoir accepter les folies orchestrées,
Comme nous l’a montré cette édifiante fable,
D’un horrible régime absolu et inique.
Veillez, si vous pouvez, à ne pas imiter
Ceux qui ont invoqué le démon tyrannique :
Grenouilles et crapauds l’auraient dû méditer.
Quand le héron, au soir, retourne en sa maison,
L’assemblée batracienne un dieu défunt supplie.
Elle aurait dû bénir la paix avec raison,
Au lieu d’aller gémir à l’heure des complies.
 

 Les grenouilles et leur maire © Mapomme

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