lundi 27 mai 2024

Élégies. Missive cacochyme

Je rêve d’une fosse étroite et bien profonde
Et nous nous y tenons enlacés puissamment,
Nos visages cachés au regard de ce monde,
Afin que nul ne voit l’étreinte des amants.[1]

Qu’y a-t-il au-delà, sitôt franchie la porte ?
Sommes-nous dévêtus des rêves fondateurs,
Des aveugles crédos refusant que soit morte
L’âme qu’aurait donnée un vague créateur ?

Il serait pourtant beau qu’un amour continue,
Par-delà notre vie, simplement par l’esprit ;
Nos pauvres carcasses, bien qu’étant toute nues,
Iraient sans un péché, si les chairs ont pourri.

Le plaisir n’est pas vain, pas rien qu’une chimère,
Mais ne forme pas tout dans une relation ;
Si j’avais cette foi, que je n’éprouve guère,
J’aurais sur l’après-mort bien moins d’appréhensions.

Chère âme sœur, vois-tu, cette pensée m’effare :
Nous étions tout pour l’autre et ne serions plus rien ;
Chacun irait tout seul, dans une nuit sans phare,
Et sans ces petits riens qui fondaient notre lien.
Missive cacochyme © Mapomme



[1] Premier quatrain d’après une lettre de Franz Kafka à Dora Diamant.


samedi 25 mai 2024

Élégies. Mais à quoi penses-tu ?

De quels dessins obscurs l’âme est-elle envahie
Et quel profond mystère embrume ton esprit ?
Sens-tu tes convictions d’adolescent trahies,
Car les dangers futurs demeurent incompris ?

« Mais à quoi rêves-tu, utopiste Jean-Pierre ? »
Mes espoirs de jadis tournent au cauchemar,
Et même je frémis de clore les paupières,
Puisqu’alors ne paraît aucun futur peinard.

Notre génération est née du sacrifice
Que faisaient leurs anciens pour un bel avenir ;
Aussi, enfants gâtés, nous choisissons d’office
Le plus mauvais chemin, voulant nous y tenir.

S’il faut vivre moins bien pour préserver le monde,
Nous ne le ferons pas, ce quel qu’en soit le prix ;
Comment n’aurais-je pas une angoisse profonde
Lorsque, face au péril, nous n’avons que mépris ?

On craint plus le déclin né d’une décroissance,
Et tant pis si le monde est déjà surpeuplé !
Courant vers le chaos en toute connaissance,
Je ne puis rien changer, simplement contempler !

Mais à quoi penses-tu ? © Mapomme

mardi 21 mai 2024

Élégies. La Mort gagne à la fin

Le sort en est jeté et les joueurs fichus :
À quoi sert la partie avec cette tricheuse ?
Autant vouloir rouler le diable aux pieds fourchus,
Que de miser sa vie avec la Mort faucheuse.

Qu’importe si l’on gagne mille fois à ce jeu !
In fine, lui suffit une seule victoire,
Car qui mise sa vie, jouera avec le feu,
L’issue étant connue, sans nulle échappatoire.

À la roulette russe, la gâchette pressons,
Si la vie nous paraît, par moments, trop odieuse !
On se fera sauter bêtement le caisson,
Oubliant les aubes qui se lèvent radieuses.

Mais, il nous faut parfois, pour mieux vaincre l’ennui,
Stimuler notre sang, jonglant avec les risques,
Frôlant le précipice et l’éternelle nuit
Qui, en frappant d’un coup, tout avenir confisque.

Supportons l’existence, si terne par moments,
Pour ses joies imprévues et ses brèves extases !
Feuilletons cette vie, comme un nouveau roman,
Où la page est un jour et une heure une phrase.

La Mort gagne à la fin © Mapomme
d'après Ingmar Bergman

Élégies. Auri sacra fames !

Odieux désir de l’or où les pouvoirs se vautrent
Masquant l’avidité sous des airs de dévots,
Singeant l’air recueilli durant les patenôtres,
Tandis qu’on assassine opposants et rivaux.

On cogne, on baise, on viole et on réduit la femme
Au rôle de pondeuse asservie et sans droits ;
De toi naît la folie, passion de l’or infâme !
Sur le monde, une ombre plane semant l’effroi.

Oh ! que de litanies pour sanctifier des crimes,
Et que de régressions vers des temps révolus !
Ténèbres retrouvées, frustrations et déprime
Sont le seul horizon des pouvoirs absolus.

Plus ils sont infernaux, plus longue est la prière,
Qui voudrait restaurer des usages anciens,
Quand le peuple marchait sous la fière bannière
D’un empire où les serfs vivaient comme des chiens.

Stupide nostalgie, tous les miséreux rêvent
Du faste des rupins, bien qu’ayant toujours faim !
Que de luxe apparent, quand tout le pays crève
Dans la crasse misère et les mythes défunts !

Auri sacra fames ! © Mapomme

lundi 20 mai 2024

Élégies. Le baiser de la Mort

On connaît des gens qui, sans être des parents,
Méritent l’affection, se montrant sympathiques,
Toujours de bonne humeur et même se marrant
À un propos idiot, quelque peu drolatique.

Ces porteurs de soleil dans le quotidien gris,
Rient de nos jeux de mots, des mauvaises boutades ;
C’est un radieux printemps, parmi tous les aigris
Imposant leur rigueur, sans possible incartade.

La vie est un torrent qui éloigne les gens,
Faisant qu’on ne voit plus de tels êtres solaires ;
Le courant soudain rend nos chemins divergents,
Et on ne croise plus ces anges tutélaires.

Puis, s’éloignant de tout, las d’années de labeur,
On goûte un doux repos, assorti de hobbies ;
Tandis qu’on robinsonne en des vers absorbeurs,
Chez soi, un messager arrive et psalmodie.

Que ses mots soient maudits, car un soleil s’éteint
Fatalement frappé d’un mal inexorable !
Cerveau, est-il vraiment quelques vers opportuns ?
Face à la Camarde, tout mot est misérable.

Le baiser de la Mort © Mapomme
d'après Adolf Hering

samedi 18 mai 2024

Élégies. Une joie sans bonheur

Les empires naissants se nourrissent du sang
Des soldats enrôlés qu’un tyran sacrifie ;
Depuis l’ombre, ce mal rend un pays puissant,
Mais d’éloquents tribuns, il faut qu’on se défie.

Siècle des Lumières, d’un idéal nouveau
Répands l’éclat radieux des splendides aurores,
Exhume les promesses dormant en leur caveau,
Pour qu’enfin le bonheur, ici-bas, puisse éclore !

Cet espoir nourrissait le grand compositeur ;
Tel un orage au loin roule un pâle tonnerre,
L’espoir ailé viendrait, sublime serviteur,
Verser un vin rendant les princes débonnaires.

Lumière, éclaire-nous, tant nous effraie la nuit
Que dispense un tyran affamé de conquêtes !
Hélas, tarde le jour, dont quelques feux ont lui,
Et jamais ne survient l'enchantement qu’on guette !

Pourtant, un jour viendra, imperceptiblement,
Où l’on sera heureux, sans en avoir conscience,
D’avancées en reculs, où, très péniblement,
Notre monde ira mieux, malgré nos impatiences.

Étant, en ce temps-là, noyés sous les infos
Qui égrènent les maux que subit la planète,
Naîtra le sentiment diamétralement faux
De vivre moins bien, car on croit aux sornettes !
Une joie sans bonheur © Mapomme
d'après Julius Schmid

vendredi 17 mai 2024

Élégies. Le moulin immergé

Vers le début de mars, on vide le barrage,
Afin de le curer, et j’entends le torrent,
Celui de mon enfance, qui écumait de rage
Invisible aux regards, sur la roche courant.

C’est un chant rassurant, un murmure aquatique,
Tel un chant de sirène, envoutant, mystérieux,
De la prêtresse pure aux rives de l’Attique,
Qui parvient, en écho, en un charme impérieux.

Drapées d’un noir limon, les berges apparaissent,
Puis la maison en ruine et l’ancestral moulin ;
Mes parents l’évoquaient, mais alors, par paresse,
Je faisais très peu cas du récit sibyllin.

Le moulin, la farine et la mule chargée,
Ainsi que le jardin, par la source arrosé,
Surgissaient de la boue : la légende immergée
Au fond des eaux du lac avaient tant reposé.

Tous les récits anciens, petits faits, anecdotes,
Tout prenait forme enfin, et l’imagination
Offrait aux lieux défunts le parfait antidote
À leur funeste sort d’infinie damnation.

Le moulin immergé © Mapomme
d'après Samuel Henry Baker et Caspar Friedrich

jeudi 16 mai 2024

Élégies. Colosse aux pieds d'argile

Par les brèves saisons, nos vies se voient régies,
Saisons rythmant les ans d’un funèbre tambour ;
Comment ne serais-tu enivrée d’élégies,
Âme voulant aller dans le temps à rebours ?

Les oiseaux migrateurs, quand les chaleurs faiblissent,
Quittent l’été mourant pour un printemps lointain ;
Quand la brume et le froid imposent le supplice
De la vie qui, en nous, de jour en jour s’éteint.

Plus les saisons passent, plus les rêves trépassent,
Et les châteaux d’antan, peu à peu, ont croulé ;
Quel poison que le temps, dont l’effet nous menace,
Et qu’on sent crescendo dans les veines couler !

L’album de photos soulignent des absences,
Ceux des bonheurs passés, des erreurs, des non-dits,
Tourments et vains regrets de notre adolescence,
Jusqu’au jour de mourir, notre cœur vous maudit.

L’espace est infini et la vie si fragile :
Par cinq fois elle aurait quasiment succombé ;
Le monde est un colosse aux pieds faits dans l’argile,
Et rien n’est éternel : tout empire est tombé.

Colosse aux pieds d'argile © Mapomme
d'après Henri Martin

Élégies. Une goutte isolée

Séparé de la mer, qui remarque une goutte ?
Et de la phrase ôté, un mot seul ne dit rien ;
Qu’est une simple vie ? Un récit qui déroute,
Si, avec les autres, on n’établit nul lien.

« Haro sur le démon qui a brisé l’idole ! »,
S’écrient les prêtres purs aux témoins survivants,
Profanateurs venant cracher sur les oboles
Du grand temple sacré, du rêve nous privant.

La voie processionnelle a réécrit l’histoire,
Et la parade oublie les pays opprimés,
Où de semblables chars, héros de la Victoire,
Règnent en souverains sur les peuples brimés.

Tout témoin isolé demeurera infime,
Mais, si une marée crie un même récit,
C’est un peuple debout qui au pouvoir intime
De venir l’éclairer sur ces points très précis.

Oui, infime est la goutte et sa voix inaudible,
Mais, de vague en vague, c’est un vrai tsunami !
Rompent les murs épais, face aux témoins crédibles,
Et s’effondre un Goliath, de ses pouvoirs démis.

Une goutte isolée © Mapomme

Élégies. Devant la mer immense

À quelques pas, la mer, l’imprévisible mer,
Aux sombres profondeurs, à l’humain si hostiles,
Et que, pourtant, il veut, paradis ou enfer,
Explorer en curieux, sans désirs mercantiles.

Par-delà l’horizon, est-il un paradis,
Ou rien qu’un autre ici, terne, morose et fade ?
Sous les cieux capricieux, un fol espoir a dit
Qu’il est un bel Orient, sans quotidien maussade.

C’est un rêve enfantin, dont le parfum de miel
Et l’éternel azur font soupirer notre âme ;
Ce trait fictif, là-bas, séparant mer et ciel,
Emprisonne l’espoir, le plus puissant dictame.

Pour peu qu’on ait foulé ce fabuleux ailleurs,
Quelques jours, quelques mois, il reste en la mémoire ;
C’est un songe en été, sans un lutin railleur,
Et sans sombre magie tirée d’anciens grimoires.

Douve démesurée, le royaume marin
Interdit l’évasion hors de l’île-cerbère ;
Alors, nous demeurons sur le sable ivoirin,
Face à l’immensité jetant l’espoir à terre.

Devant la mer immense © Mapomme,
d'après Félix Vallotton et Joaquin Sorolla y Batisda

Élégies. Tristesse du beau temps

On croit qu’on rit toujours sous l’éclatant soleil :
Quand on sort au dehors, on voit l’eau des rivières,
Qui coule sans arrêt, vers l’éternel sommeil,
L’eau d’un grand ennemi, le Temps qui sent la bière.

Son memento mori résonne dans son flot,
Qu’on croit prendre la main et qui, pourtant, s’échappe ;
Cette eau est notre vie, c’est celle des sanglots,
Du temps fuyant nos doigts, et de la Mort qui happe.

Comment serait-on gai, sur ce furieux torrent
Qui emporte les jours et les années qui passent,
Nos amours, nos amis, ainsi que nos parents ?
On est triste, au soleil, car le Temps nous menace.

Dans les pays frileux, on reste au coin du feu,
Où nul ne voit ce flot emportant dans l’écume
Les rêves enfantins et nos dévorants vœux,
Vers chutes grondantes et des puits d’amertume.

Que pourrait-on écrire sur le sable doré,
Qui ne soit effacé par l’écume marine ?
D’élégiaques quatrains, qui nous sont suggérés
Par une sombre muse ayant l'humeur chagrine !
Tristesse du beau temps © Mapomme,
d'après Jean-François Millet et Alexandre Calame

Sonnets sertis. Peindre l’humble labeur

Sans peindre les fastes des seigneurs dominants,
Des humbles, on montrait la besogne essentielle.

Comment survivrait-on, sans l’incessant labeur
De ce monde effacé, acharné à la tâche ?
Voici les vendangeurs, laboureurs et gerbeurs,
Bergers, semeurs, cueilleurs qui bossent sans relâche !

Une histoire de l’art nous montre la grandeur
Des nobles suffisants, vêtus de fanfreluches,
Ou inspectant les blés, tels de royaux glandeurs,
Quand l’ouvrier marnait sous l’œil de ces baudruches.

Ah ! belle est la sueur irriguant les vergers,
Les champs que l’on fauche, les vignes qu’on vendange,
Ou ces troupeaux menés par de calmes bergers !

Demeurent ces travaux, même si l’outil change,
Car la haute finance a soudain émergé ;
Les campagnes triment et les villes engrangent.

Millet et Pissarro jugeaient plus pertinent
D’occulter la richesse, en fait superficielle.

Peindre l'humble labeur © Mapomme, d'après Camille Pissarro

dimanche 12 mai 2024

Sonnets sertis. Les défunts invisibles

Un peuple de spectres, de défunts invisibles,
Plane sur la terre ocre, où jadis il vivait.

Don Quichottes beuglards, quel étonnant silence !
Soutenant l’opprimé, aimant plaider pour l’un
Et pour l’autre très peu, mettez-vous en balance
Vos combats à mener, choisissant vos moulins ?

La Fureur Inaudible abuse de l’outrance,
Choisissant ses procès, jugeant picrocholins
Des conflits à bas bruits, du moins en apparence,
Car on y meurt aussi, laissant des orphelins.

Y aurait-il des morts permettant d’être aveugles
Et d’autres requérant toute votre attention ?
Car, dans ce dernier cas, on s’insurge et on beugle !

Des premiers, vos discours ne font jamais mention,
Lorsque, pour les seconds, d'un coup, vos voix s’étranglent ;
Sur la forme et le fond, naissent nos dissensions.

Si l’agressé n’est pas de vos amis la cible,
On vous voit, aussitôt, pleurer à son chevet !

Les défunts invisibles © Mapomme

On peut s'étonner que certains, révoltés par l'injustice, inhérente à ce monde, aient une émotion à géométrie variable. On hurle d'indignation, après la mort d'un citoyen, sitôt qu'il est le fait d'un migrant, sans s'émouvoir des autres crimes, plus nombreux.
On pleure pour un peuple, qu'on dit victime d'un génocide, quand bien même le prétendu génocide ne correspond pas à la définition de génocide donné par soi-même.

Par exemple, on s'indigne, des morts de Gaza (qui ne s'en émouvrait pas, dès lors qu'il s'agit de civils ?), alors qu'on demeure muets sur les détentions d'Ouïghours en Chine, avec une forme subtile de génocide, puisque dans les camps on vaccine les femmes 2 fois contre la grippe, suite à quoi elle n'ont plus eu d'enfants.

Au Darfour, les populations non musulmanes sont massacrées, selon des méthodes génocidaires. Sur tous ces crimes, pas de condamnations venues de LFI et pas de manifs d'étudiants. On ne condamne pas l'Inde qui attaque les musulmans. C'est la preuve d'une indignation sélective où on ne condamne que les crimes commis par Israël, assimilé à l'Occident, et pas les crimes Chinois, Indiens ou du Darfour, parce que non occidentaux, du fait du "Sud Global, vaste fourre-tout" et des BRICS...

samedi 11 mai 2024

Sonnets sertis. Fuir l’horreur dans les pages

Quand souffle la tempête, il n’y a rien à faire,
Si ce n’est espérer qu’elle cesse bientôt.

On nous promet l’effet d’une guerre funeste,
Dont les échos lointains font trembler les maisons ;
Que faire pour chasser l’inexorable peste
Venant troubler l’esprit et priver de raison ?

Il n’est pas un seul mot et il n’est aucun geste :
Assis dans le salon, un bon bouquin lisons,
Puis les mots, le récit, se chargeront du reste,
Seul remède apportant l’heureuse guérison.

Dès ma tendre jeunesse, on me vit, en silence,
Dévorer dans mon coin, un fruit de l’évasion,
Bédé, livres d’enfants, sans nulle préférence.

Je maudis, comme alors, l’irritante intrusion,
Dans le rêve apportant l’ignoble turbulence,
M’inspirant des jurons lancés à profusion.

Dans le monde incertain, les tyrans prolifèrent,
Emplissant à gogo charniers et hôpitaux.

Fuir l'horreur dans les pages © Mapomme
Avec l'aide d'Edouard Manet

A noter, dans la bibliothèque, la photo du petit garçon de 3 ans lisant, sans doute les images, dans le journal.

vendredi 10 mai 2024

Sonnets sertis. Nostalgie temporelle

Faut-il te regretter, évanouie jeunesse,
À présent que nos os craquent de toutes parts ?

La vie est un torrent qui déboule trop vite
Et défilent les ans, laissant jadis plus beau
Qu’il ne le fut jamais, travers que nul n’évite ;
Le laid a disparu du fallacieux tableau.

Le poète soupire et sur les rues médite,
Pleurant le coupe-gorge obscur comme un tombeau ;
Ce changement n’a-t-il pas le moindre mérite,
Dis, cerveau d’un mortel, rétif aux temps nouveaux ?

À l’aune des années, on décrie la musique
Et les films récents, glorifiant les anciens ;
Embellir le passé nous rend-il amnésiques ?

Pleurez, si ça vous plaît, acteurs et musiciens,
Éliminant la lie âpre et peu esthétique,
Retenant le meilleur, poètes parnassiens !

Les peintres, dans leur temps, sans cesse reconnaissent
Le progrès, sans dresser d’illusoires remparts.

Nostalgie temporelle © Mapomme
Avec l'aide d'Edouard Manet et de Claude Monet

Sonnets sertis. Dans le naissant chaos

À Edgar Degas

Les anciens dieux sont morts ; survit la poésie,
Ultime feu brillant dans le naissant chaos.[1]

À quoi riment les mots, si le néant est proche ?
Le monde moribond, au sein de l'univers,
A clos les paupières ; mais les humains s'accrochent,
Comme si le salut se trouvait dans les vers.

Que d'empires ont chu, couverts par bois et roches,
Et de rois ont rejoint les cercles de l'enfer ?
Le néant à venir nous fiche la pétoche,
Plus que les profondeurs inertes de la mer.

Nul vers ne peut combler notre suprême frousse,
Quand le proche univers tutoie l'abolition,
Comme si l'on avait tous les diables aux trousses.

Nous sommes des vaisseaux, ivres de perdition,
Ne fondant nul espoir qu'on vienne à la rescousse,
Et dépourvus du choix de viles soumissions.

À quoi bon la prière ou la vaine hérésie,
À quoi servent les pleurs, s’il n’est plus rien là-haut ?

Dans le naissant chaos © Mapomme


[1] Les dieux sont morts ; il ne reste que la poésie,
     La dernière étoile dans la nuit du chaos.  (Edgar Degas)

jeudi 9 mai 2024

Sonnets sertis. La prison du passé

La vitre martelée déforme le passé,
Où la honte tapie se révèle amnésique.

On oublie tous les chiens de leurs maîtres léchant
Les bottes bien cirées, aux semelles sanglantes ;
Les partisans de l’ordre, au cœur se desséchant,
Confondent ordre et force, en leur prêche cinglante.

Tous ceux qui divisaient, en orateurs méchants,
Traquant les autres fois, d’une haine aveuglante,
En vassaux des tyrans, trahissaient en prêchant
Des cantiques de fiel vers la foule beuglante.

Le temps passe, on oublie les maux des temps obscurs,
Et on soutient le fort, crachant sur le plus frêle ;
Pauvre monde oublieux, où des ordres impurs

Sont reçus sans tiquer, comme des pastourelles !
Nous fonçons dans la nuit, et tout droit dans le mur,
Quand des tyrans voudraient tailler à tous les ailes.

Les bains de sang d’antan n’ont-ils pas fait assez,
Pour qu’on ne veuille plus demeurer apathique ?

La prison du passé © Mapomme
d'après François Truffaut

Sonnets sertis. Un soleil dans la nuit

On croit que l’on connaît les gens qui nous entourent
Et, s’ils sont différents, on se trouve surpris.

Que connaissons-nous d’eux, sinon ce qu’ils nous montrent ?
Or, derrière un visage, il est bien des tourments,   
Des joies sans lendemain, de trop brèves rencontres,
De profondes erreurs, nées on ne sait comment.

Au comble du péril, un vrai ami s’illustre,
Sans avoir jamais fait de discours, de serments ;
Sous un dehors fermé, quelquefois rustre,
Un être obscur sera de l’espoir le ferment.

Dans la nuit qui, soudain, sur un innocent tombe,
S’allume un phare, au loin, qui montre le chemin,
Lorsque, dans l’ouragan, l’être isolé succombe.

Cet invisible humain vient et nous tend la main,
Pour nous mettre à l’abri, hors du froid et des trombes,
Sans montrer, avec nous, quelque goût en commun.

Des amis n’en sont pas : c’est fou ce qu’on se gourre,
Quand d’autres, silencieux, sont d’un secours sans prix.
Un soleil dans la nuit © Mapomme
d'après François Truffaut

mercredi 8 mai 2024

Sonnets sertis. Infinies solitudes

Un orchestre jouait un gai refrain jazzy,
Mais nul n’était en joie sur la vaste terrasse.

Chacun songeait alors à quelque vieux regret,
Fantôme le hantant depuis bien des semaines,
Des mois, voire des ans, sans le moindre progrès
En vue de l’oublier, car l’onde le ramène.

L’onde de la marée des souvenirs aigrets,
Des vieux chemins de croix, des opiniâtres peines ;
Quoi qu’on fît contre ça, l’instant les intégrait
À un spleen inhérent à nos amours lointaines.

Nul n’osait affronter, la psyché d’un regard,
Celle de son voisin, où la nuit abyssale
D’un mal semblable au sien reflète un cœur hagard.

Vivre ensemble mais seul, chose paradoxale,
Est pourtant notre lot, bien qu’à tous les égards
La solitude soit une chose anormale.

Dans l’hiver passionnel nos cœurs restent transis,
Et de gaieté jazzy, jamais ne s’embarrassent.

Infinies solitudes © Mapomme
d'après 4 tableaux d'Edward Hopper

mardi 7 mai 2024

Sonnets sertis. Les racines demeurent

Des fléaux du passé restent quelques racines,
Perdurant sous la glèbe, en vue de leur retour.

Qui se croit à l'abri des crimes d'une cause,
Commet, de bonne foi, une tragique erreur ;
Si le monstre est vaincu, ce n'est rien qu'une pause,
Car des œufs enterrés renaîtra la terreur.

Tant ronces que chiendent sous terre se reposent,
Pour resurgir plus fort et pour semer l'horreur ;
Ces insatiables maux, semeurs de jours moroses,
Reviennent des enfers, sans signe avant-coureur.

On le croyait enfoui, sous la ville détruite,
Mais voilà qu'il paraît, ridicule au départ ;
Il trace son sillon, sans que cela s'ébruite :

Il essaime et récolte ; on s'éveille trop tard,
Devant l'hydre en furie, et on songe à la fuite,
Alors que l'on devrait lui rentrer dans le lard.

Un peuple adorateur, devant l'hydre assassine,
Aux avis formulés, se plaît à rester sourd.

Les racines demeurent © Mapomme

Sonnets sertis. Quel malheur d’être heureux !

Les grands auteurs ont eu des parents détestables,
Et n’ayant pas de bol, chez moi j’étais heureux.

On aime tant se plaindre en notre adolescence,
Égrenant les défauts de nos deux géniteurs ;
S’ils ne m’avaient choyé, ce depuis ma naissance,
De quels profonds romans j’aurais été l’auteur !

Mais, je suis hélas né, dans des réjouissances,
En des temps prospères, où votre serviteur,
Durant plus de quinze ans, se vit donner licence
De grandir sans jamais avoir pris de hauteur.

Je fuyais la maison, car étant fils unique,
J’éprouvais le besoin d’une communauté,
Toujours robinsonner me mettant en panique.

Trouvant des Vendredis, plaisants par maints côtés,
Je vivais bien peinard, sur mon île édénique,
Mais trop heureux, hélas, sans récits à conter.

On m’a trop fait de bien : quelle vie lamentable !
Par bonheur, j’essuyais un refus amoureux.

Quel malheur d'être heureux ! © Mapomme

lundi 6 mai 2024

Estrambots. Sur lettre de cachet

Sade était-il pire que d’autres dépravés,
Agissant sans quartier, sinon ceux de noblesse ?
Devant un tribunal, nul n’osait les braver.

Mais le marquis choquait, car en étant violent,
Il forçait les putains à professer leur haine
À l’encontre de Dieu ; après, s’en désolant,
Du ciel, elles craignaient l’instance souveraine,

À l’enfer promises, pour toujours rissolant
Dans des chaudrons ardents ; mais, leur plainte fut vaine.
Le roi de droit divin, pour châtier l’insolent,
Déplaça le marquis aux pratiques obscènes.

Il finit en prison, sur lettre de cachet,
Sur demande expresse de sa belle-famille,
Craignant pour son renom que son gendre entachait.

Par la Révolution sorti de la Bastille,
Bien vite il retrouva les travers qu’il cachait,
À Charenton mourant, pour de simples broutilles.

Sur lettre de cachet © Mapomme

Sonnets sertis. Le rêve était si beau

Le rêve était si beau qu’il fallait qu’il fût vrai
Et prouver le contraire aurait paru horrible.

Historien, cache donc l'effroyable récit,
Car j’en deviendrais fou, si faux était mon rêve !
J’irais tel un chrétien privé de Jésus-Christ,
Qui n’aurait devant lui, qu’une existence brève.

Si ton œuvre grandiose a la force d’un cri,
Tiens-la sous le boisseau et jamais ne l’achève !
J’accorde à ce projet un si prodigieux prix,
Que, sans lui, j’irais sec, comme un arbre sans sève.

Sans l’espoir exalté d’un système idéal,
Plus d’avenir meilleur et le chaos commence ;
De ma foi absolue, je reste le féal.

Sans compas, où aller sur l’océan immense ?
N’ôte pas l’aurore du monde boréal,
Et fais preuve, historien, d’une infime clémence !

Sans l’espoir qui, alors, tout mon être enivrait,
Ne verra-t-on germer un futur plus terrible ?

Le rêve était si beau © Mapomme

Le premier tome du livre d'Alexandre Soljenitsyne, L'archipel du goulag est paru en 1973 à Paris. On l'a accusé d'être mensonger et beaucoup de communistes refusèrent d'ouvrir les yeux. Puis, la vérité s'imposa à beaucoup d'entre eux, et ce fut une terrible désillusion pour des millions de gens dans le monde.
Ce poème évoque ce traumatisme.

dimanche 5 mai 2024

Sonnets sertis. Craignons les orateurs !

Un brillant orateur peut, par son seul talent,
Charmer et désarmer, aréopage et foules.

Le verbe est la flûte, captivant le serpent,
Et, aux effets de style, un auditoire ondule :
« Qu’a-t-il dit ? » « Je ne sais ! Ravi à mes dépens,
J’ai bu tout son discours, tel un ballot crédule ! »

Si j’étais fasciné, tout pouvoir m’échappant,
Pourrais-je effectuer la soudaine bascule,
L’effroyable fureur d’un groupe me happant,
Adhérant aux propos qu’en masse on véhicule ?

Quel que soit l’orateur, je me tiens circonspect,
Refusant de céder mon âme à tous les diables,
En espérant qu’enfin, ils ferment leur clapet.

Souvent, la volonté est matière friable
Et, parmi les hourrahs, pour demeurer en paix,
Cèderont les esprits faibles et malléables.

J’ai résisté aux chants, bon an comme mal an,
Des démons de tous bords, anarchie ou Cagoule.
Craignons les orateurs © Mapomme
d'après un tableau de Cesare Maccari

Nous aussi, nous avons nos Catilina, ennemis des républiques. La Cagoule est une organisation d'extrême-droite active dès 1934, anticommuniste, antisémite, antirépublicaine et proche du fascisme. Elle a commis des meurtres et des attentats.

Voilà que désormais, même d'une partie de la gauche en France, il faut se méfier, puisqu'elle fracture la société et jette une partie contre l'autre, avec les mêmes défauts que son adversaire qu'elle nourrit.

Sonnets sertis. Jeunesse impétueuse

Jeunesse impétueuse aux idéaux soudains,
Tu es prête à combattre la guerre et l’injustice !

Méfie-toi des moulins, vus comme des tyrans,
Et des idées planant dans l’esprit qui s’indigne,
Car l’émoi qui en naît deviendra délirant,
Par un effet de groupe et d’aveugles consignes !

La photo en gros plan d’un moment déchirant
Se limite au présent, pour la vision maligne
Des martyrs de l’instant, la pitié inspirant,
Mais au passé sanglant, car rien n’est rectiligne.

Méfie-toi des moulins qui dressent vers le ciel
Leurs ailes de géant et caressent les nues,
Mais qui frôlent la boue, le sang sacrificiel !

Il n’est pas de pensée sublime et ingénue,
Sans de fautifs slogans, parfois pestilentiels,
Qu’éclabousse, in fine, l’outrance malvenue.

Jeunesse impétueuse, avec l’eau du Jourdain,
Bénis le mot sacré, en tous lieux, d’armistice !

Jeunesse impétueuse © Mapomme
d'après des photos de presse

Doit-on s'agacer ou approuver une partie de la jeunesse, aux outrancières indignations ? 
Ni un, ni l'autre.
Pour ma part, j'ai eu des outrances, dans mes jeunes années. Bien qu'en l'espèce, je ne crois pas que je n'aurais vu que les seuls morts de Gaza, dont les fautifs sont à l'origine des récents crimes contre l'humanité, à savoir le Hamas qui en a commis plus de 1000 le 7 octobre 2023.

Peut-être les réseaux sociaux ont-ils créé un monde de l'immédiateté, où 7 mois représentent une éternité, un oubli où s'enfoncent les victimes d'un massacre organisé et rémunéré.

Toujours est-il qu'il n'est pas étonnant de voir une partie infime de la jeunesse défendre les seules victimes et penser qu'elle seule peut résoudre le problème, quand presque tous les gouvernements et les organisations mondiales, invitent à un cessez-le-feu, à en arriver à la solution des deux états, sans résultat, pour le moment.

Il est troublant de voir l'effroyable parallélisme entre les viols du 7 octobre et celui d'une jeune juive de 12 ans par des jeunes du même âge à un an près. Voilà ce qu'il en est, quand on est incapable de condamner l'horreur du 7 octobre : des actes innommables sont commis par de lâches "héros", sur le sol français.

samedi 4 mai 2024

Sonnets sertis. Un continent dérive

La mauvaise herbe croît du fait de l’abandon,
Lorsqu’on manque, en tous lieux, d’extrême vigilance.

Le zèle déclina, car dans tous les esprits
On la croyait chassée, vaincue, discréditée ;
Puis, elle reparaît, sous forme de mépris,
D’une outrance ambiguë, longuement méditée.

La voici qui s’installe, en douce, sans un cri,
Et l’on reçoit ainsi la leçon méritée :
De la négligence, mesurez donc le prix,
Ayant la conscience par la honte habitée !

Revient la peste noire, indolents jardiniers ;
Des égouts du passé, ce laid salut se dresse,
Dans les rues des cités, relent qu’on ne peut nier.

Il faut se ressaisir ! Sacré nom, le temps presse !
Oubliez les débats, hésitants lanterniers,
Et, foin des scrupules, délaissez la paresse !

De ceux qui sont tombés, méritez le pardon
Et réduisez enfin le chiendent au silence !
Un continent dérive © Mapomme

À présent, les immigrés sont les juifs d'autrefois, qu'importe leur pays et leur religion : il faut bien un coupable à tous ces bras dressés, même si des tyrans locaux de pacotilles croient défendre une cause en dressant les citoyens les uns contre les autres.

Je n'aurais jamais cru revoir des bras dressés dans les rues de Rome, me rappelant que jadis, mon oncle fut arrêté par les Chemises Noires à Bastia et envoyé à l'Île d'Elbe, pour avoir joué à l'harmonica la musique de Laurel et Hardy, tandis que passait un soldat allemand. Il avait 18 ans. Il est revenu rapidement, car ce n'était pas si grave.

Ces bras rappellent des temps d'excès nazis et fascistes, plus que le salut romain du temps des césars.

Ce salut massif à Rome s'est passé début mai.

Sonnets sertis. Périple aventureux

Un vent de suroît porte un esquif d’espoir,
Un radeau bricolé vers des rives brumeuses.

Quel Éden frissonnant, sur ces flots écumants,
Se pourrait espérer, nocher de l’infortune ?
De quel rêve enivré, un peuple transhumant
S’en vient défier la mort sur les flots de Neptune ?

Ayant déjà vogué, sans un seul instrument,
Après leur exode par les forêts et dunes,
Sur les flots capricieux, tombeau sans monument,
Ils voguent déjà prêts à subir leur rancune.

C’est un tableau ancien, parti depuis Calais,
Radeau de la Méduse où l’extrême détresse
Veut rejoindre à tout prix le territoire anglais.

Jouant à pile ou face, en ces ondes traîtresses,
Pour peut-être aborder la plage de galets,
Survivent les migrants entre crainte et ivresse.

La terre est promise, avant même ce soir,
Où, si Dieu le veut bien, leur vie sera heureuse.

Un périple aventureux © Mapomme
d'après la sculpture graphique en n&b de Farzad Maleki

On parle de vague migratoire et si les frontières de l'Europe ne sont plus franchies sans avoir examiné si les migrants ont vocation a réclamé l'asile : ce problème ne sera plus, d'après les nouvelles dispositions qu'avait prise l'assemblée européenne.

Ceci ne résout pas pour autant les vagues à venir dans un proche avenir, en raison du réchauffement climatique. Une solution consisterait à bâtir des usines en Afrique dans des zones stables (pas facile avec les Russes et les Chinois) afin de délocaliser des usines de la Chine vers l'Afrique. Ce qui permettrait d'éviter d'avoir des gens qui risquent leur peau en Méditerranée et dans la Manche.